Face à la pandémie, le Royaume-Uni a choisi un modèle économique européen

Face à la pandémie, le Royaume-Uni a choisi un modèle économique européen

A Londres, le 11 mars 2020.
A Londres, le 11 mars 2020. TOLGA AKMEN / AFP

Le pays d’Adam Smith et de Margaret Thatcher semble avoir oublié la main invisible. Face à la pandémie, le Royaume-Uni a effectué un virage économique, pariant sur le grand retour de l’Etat. Boris Johnson, le premier ministre britannique, se refuse même à parler d’« austérité », préférant évoquer devant la chambre des communes « le mot en A », comme s’il s’agissait d’un juron. « Nous n’avons absolument aucune intention d’y retourner », assurait-il mercredi 6 mai.

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« Le choix d’un modèle européen a clairement été fait, en protégeant les employés et les entreprises pendant le confinement, à l’opposé du modèle américain, en laissant les gens se retrouver au chômage, constate David Owen, économiste à la banque Jefferies. On verra dans un an lequel de ces deux modèles marche le mieux, mais pour l’instant, les statistiques américaines [30 millions de nouveaux chômeurs] sont atroces. »

Brouillard des chiffres

Jeudi 7 mai, la Banque d’Angleterre est venue souligner l’ampleur de la crise actuelle, alors que le Royaume-Uni est le pays européen qui a le pire bilan humain de la pandémie, avec un nombre officiel de morts de plus de 30 000. Face au brouillard des chiffres, elle a renoncé à faire une prévision mais publie quand même un « scénario central » : récession de 14 % en 2020, flambée du chômage à près de 10 % (contre 4 % actuellement), consommation des ménages en baisse de 14 %…

Elle continue cependant à parier sur un fort rebond, avec 15 % de croissance dès 2021. « L’objectif de la politique du gouvernement, ainsi que la nôtre, est de limiter les dégâts de long terme », explique Ben Broadbent, vice-gouverneur de la Banque d’Angleterre. A l’instar de la France ou de l’Allemagne, l’approche est donc de mettre l’économie sous perfusion, le temps du confinement : chômage partiel généralisé pour éviter les licenciements, prêts d’urgence aux entreprises pour limiter les faillites…

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Le plus spectaculaire a été le chômage partiel. Le Royaume-Uni n’avait pas de système similaire préexistant, et il a donc fallu le créer de toutes pièces en un temps record. Désormais, six millions d’employés perçoivent 80 % de leur salaire, payé directement par l’Etat (dans la limite de 2 500 livres par mois, 2 850 euros, soit le salaire médian). « Les premières indications sont que ce système fonctionne et permettra d’aider à un redémarrage plus doux de l’économie », assure Andrew Bailey, le gouverneur de la Banque d’Angleterre.

Les autoentrepreneurs, qui représentent 15 % de la main-d’œuvre, sont eux aussi sur le point de recevoir des aides équivalant à trois mois de leurs revenus. Là aussi, il a fallu inventer un nouveau système administratif, et les autorités fiscales, qui s’en occupent, viennent de commencer à contacter les intéressés. Même le secteur caritatif, très développé outre-Manche, a eu droit à son plan de sauvetage.

Une « réaction inévitable »

A ces aides directes s’ajoute un soutien à toute une série d’entreprises. Les sociétés ferroviaires ont été de facto « nationalisées » temporairement, en ce sens que leurs pertes seront épongées par l’Etat pour les six prochains mois. Jeremy Corbyn, l’ancien leader du Parti travailliste, en avait rêvé, Boris Johnson l’a fait.

La Banque d’Angleterre participe également au soutien de l’économie. En plus de baisser son taux d’intérêt (de 0,75 % à 0,25 %) et de mener un grand programme de rachats de dette, celle-ci travaille main dans la main avec le gouvernement. Elle a accepté d’acheter directement, pour le compte des autorités publiques, la dette de certaines entreprises qui apportent une « contribution significative » à l’économie britannique.

Cet énorme plan de relance va bien entendu creuser le déficit, qui pourrait atteindre 11 % du PIB cette année, selon Oxford Economics. Pour les Britanniques, qui sortent d’une décennie d’austérité, c’est le fruit d’années d’efforts qui s’envole. Mais, cette fois-ci, pas question de reproduire la même chose. Déjà interrogé à deux reprises sur le sujet depuis son retour de convalescence, M. Johnson a vivement écarté cette hypothèse. S’il n’a jamais été un conservateur intéressé par la rigueur budgétaire, il n’a guère le choix politiquement. Il a été élu triomphalement fin décembre sur la promesse de réaliser le Brexit, mais aussi de lancer d’importants travaux d’infrastructures, d’investir dans les services de santé et de mieux aider le nord de l’Angleterre, plus pauvre que le reste du pays.

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« Il faut faire attention cependant à ne pas trop tirer de leçons définitives sur l’action du gouvernement à ce stade, avertit Alistair Darling, ancien chancelier de l’Echiquier, aux commandes pendant la crise de 2008. En partie, il s’agit d’une réaction inévitable de l’Etat face à la crise, pas d’un choix politique. Mais c’est vrai que cela fait longtemps qu’on voit des forces pousser pour plus d’intervention de l’Etat dans les trains, l’eau, l’énergie… Je pense que les compagnies ferroviaires, par exemple [qui sont privées], ne s’en remettront pas. »

Face au déficit abyssal, il estime qu’une hausse des impôts à moyen terme est inévitable. L’idée d’un impôt sur la fortune, poussée par des économistes proches du Parti travailliste, fait son retour. Le Royaume-Uni, inventeur de l’Etat-providence au lendemain de la seconde guerre mondiale, fera-t-il de nouveau école à travers l’Europe ?

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LJD

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