Uber : L’arrêt de la Cour de cassation signe « la fin d’un savant enfumage »
Tribune. En décidant qu’un chauffeur Uber n’est pas un travailleur « indépendant » et doit être qualifié de salarié, la Cour de cassation ne procède qu’au simple constat d’une situation de fait. Le chauffeur est connecté à des clients via l’algorithme d’une plate-forme, il effectue des tâches dont les conditions d’exécution et le coût sont fixés par ladite plate-forme : il est donc subordonné au pouvoir d’un employeur. C’est sur ce principe de subordination que repose le salariat.
Comment expliquer qu’une telle décision soit accueillie comme un véritable coup de tonnerre par tant d’observateurs ? Comment comprendre qu’il ait fallu attendre si longtemps pour que soit révélée l’imposture des plates-formes numériques ? Il semblerait que, au-delà de la requalification de nombreuses autres « prestations de service » en contrats de travail, cet arrêt doive aussi signer la fin d’un savant enfumage.
Depuis près de dix ans, Uber, puis Deliveroo et les start-up qui les ont suivi sur le marché français déploient leur séduisant discours : les travailleurs en ont assez du carcan de l’entreprise, ils aspirent à plus d’autonomie et ne veulent plus dépendre des ordres d’un patron ; les plates-formes numériques leur proposent une solution flexible.
Nombre de travailleurs ne se reconnaissent plus dans le salariat
Depuis dix ans, ce discours n’a cessé de charmer dirigeants politiques, acteurs et experts de l’économie qui sont restés étrangement aveugles à cette vaste entreprise d’externalisation des coûts du travail vers les travailleurs : d’après les données, partielles fournies par la société Uber début 2019, le taux de charge qui repose sur les travailleurs serait de 63 % ! Il a d’ailleurs charmé jusqu’aux travailleurs eux-mêmes, pour qui l’indépendance est devenue le Graal…
Mais que recouvre précisément cette indépendance ? Et à quel type de société un marché dual du travail, constitué alternativement de salariés ou d’« usagers » atomisés, contribue-t-il ? Voilà les questions qu’ont omis de se poser les promoteurs de ce modèle. A la première, la Cour de cassation vient donc de répondre : rien. A la deuxième, c’est désormais à nous tous de réfléchir à la réponse.
Incontestablement, les temps, l’économie et les modes de vie ont changé. Le désir d’indépendance, s’il est instrumentalisé par les plates-formes, n’en est pas moins réel et ce, bien au-delà du digital labour : fin 2016 (dernière source disponible), 860 000 micro-entrepreneurs sont économiquement actifs en France (hors Mayotte). Nombre de travailleurs ne se reconnaissent plus dans le salariat. Aussi l’alternative entre le travail indépendant tel qu’il existe aujourd’hui et le salariat n’est-elle plus satisfaisante.