Le laboratoire Boiron, spécialiste de l’homéopathie, supprime 646 postes en France
Boiron a fait dans le remède de cheval, voire la médecine dure, comme le redoutaient employés et syndicats. Le laboratoire lyonnais, spécialisé dans les produits homéopathiques, a annoncé, mercredi 11 mars, la suppression de 646 postes en France, soit le quart de ses effectifs dans l’Hexagone. Il justifie ce plan social sans précédent par « les attaques virulentes, injustifiées et réitérées contre l’homéopathie en France », deux ans après la décision du gouvernement de supprimer progressivement son remboursement par les caisses d’assurance-maladie (le déremboursement sera total en 2021).
Créé en 1932, le groupe emploie 3 700 personnes dans le monde, mais seules ses activités hors de France sont épargnées. Au total, 13 des 31 sites français seront fermés : l’usine de Montrichard (Loir-et-Cher), l’un de ses trois centres de production sur le territoire, et douze établissements de préparation-distribution, comme ceux d’Avignon, de Grenoble, de Paris-Ivry, de Rouen et de Strasbourg. L’entreprise va aussi « réorganiser » ses équipes commerciales « pour s’adapter à cette nouvelle donne », ce qui entraînera des licenciements. Le plan de sauvegarde de l’emploi sera un peu atténué par la création de 134 postes. Et, pour l’heure, une seconde vague de licenciements semble exclue par la direction.
Ce plan est le prix à payer, selon le laboratoire, leader mondial de ce secteur, pour « pérenniser l’entreprise et assurer son avenir et celui des salariés qui restent ». Le marché hexagonal représente, en effet, près de 60 % de ses ventes. Or celles-ci ont chuté depuis le début des déremboursements (de 30 % à 15 % au 1er janvier 2020). Selon les résultats d’activité de 2019 publiés à la fin janvier, le chiffre d’affaires est tombé à 557 millions d’euros (– 8,6 %) et les ventes ont plus fortement reculé (– 12,6 %) dans l’Hexagone, avec un recul encore plus net au quatrième trimestre (− 14,9 %). Le bénéfice net, publié mercredi 11 mars, jour de l’annonce du plan, s’en ressent : il a chuté de plus de 29 % (à 40,6 millions d’euros).
« La direction nous avait avertis il y a quelques jours, mais c’est quand même un coup de massue, réagit Isabelle Fréret, responsable de la branche industrie pharmaceutique à la CFE-CGC. La direction cherche des mesures pour éviter tout débordement social, mais à moindre coût. » Les syndicats et les salariés soulignent que l’entreprise dispose encore d’une trésorerie solide de 210 millions d’euros et pointent la responsabilité du gouvernement dans cette situation.
De la « poudre de perlimpinpin »
« Il va falloir sortir des sentiers battus, a assuré Christine Place, directrice générale déléguée adjointe chargée des ressources humaines. Nous allons tout faire pour accompagner chaque salarié et travailler avec les syndicats sur deux axes : les mesures d’aide les plus adaptées permettant à chacun de retrouver un emploi dans sa région, et l’accompagnement des nombreux salariés en fin de carrière. »
Comment rebondir, alors que le déremboursement de l’homéopathie porte un coup dur à l’image de Boiron à l’étranger, où il se développe depuis des années avec une présence dans quelque cinquante pays représentant de gros marchés (Europe, Etats-Unis, Inde, Brésil…) ? Et que les granules représentent près de 95 % de son activité ? Si les autorités sanitaires françaises rejettent ces traitements, c’est bien qu’il y a un doute sur leur efficacité.
Il fut un temps où certains produits étaient remboursés à 65 %. C’était au début des années 1980, sur décision de la ministre des affaires sociales, Georgina Dufoix, avant que ce taux ne soit ramené à 30 %. L’homéopathie est, en effet, critiquée depuis longtemps par les dirigeants de la Caisse nationale d’assurance-maladie des travailleurs salariés, qui la considéraient comme de la « poudre de perlimpinpin ». Mais ils n’avaient jamais pu obtenir qu’une baisse du taux de remboursement.
Elle a surtout été dénoncée par les Académies de médecine et de pharmacie et par l’ordre national des médecins, bien que de nombreux généralistes la prescrivent. En revanche, une pétition de soutien avait recueilli 1,3 million de signatures en 2018-2019. Boiron assurait alors que jusqu’à 1 000 emplois seraient menacés en France (sur 2 500) en cas de suppression des remboursements.
Pour asseoir sa décision sur des arguments médicaux, le gouvernement avait saisi la Haute Autorité de santé, à la mi-2018. Sur la base de plus de 800 études relatives aux bénéfices de l’homéopathie pour les patients, elle avait conclu qu’il n’y avait pas lieu de maintenir son remboursement, puisque son efficacité est égale à celle d’un placebo. Autrement dit, aucun service médical rendu ne serait scientifiquement prouvé. Agnès Buzyn, alors ministre de la santé, avait annoncé le déremboursement en juillet 2019.