« Le patron de Ford sent la mitraille se rapprocher, et son conseil d’administration s’impatienter »
Chronique. A quoi sert un patron ? A prendre et à assumer des décisions bien sûr, mais aussi à incarner l’échec ou la réussite d’une politique, qu’il en soit directement responsable ou pas. Dans les milieux du management circule la blague des trois enveloppes préparées à l’intention de son successeur par le PDG d’une entreprise remercié par ses actionnaires. A n’ouvrir qu’en cas de crise grave ! Au premier pépin, le nouveau venu ouvre la première. Il y est écrit « dites que c’est la faute de votre prédécesseur ». Puis survient un nouveau pépin. Dans l’enveloppe numéro deux, il est marqué « dites que c’est la faute du marché ». Et enfin, à la troisième rechute, le patron ouvre la troisième, qui contient le conseil suivant : « préparez trois enveloppes ». A ces postes de haute altitude, on laisse rarement plus de trois chances au pilote.
Isabelle Kocher, la patronne d’Engie, remerciée jeudi 6 février, en était probablement à la troisième enveloppe. Le patron de Ford, Jim Hackett, n’y est pas encore, mais il sent la mitraille se rapprocher, et son conseil d’administration s’impatienter. Comme il ne peut plus blâmer son prédécesseur, parti depuis plus de trois ans, il exécute ses proches collaborateurs. Exit donc Joe Hinrichs, vétéran et gourou de la fabrication, qui dirigeait toutes les opérations. Il se retire à 53 ans, en dépit de sa popularité chez ses fournisseurs, employés et collègues. Le patron de Ford lui préfère son acolyte Jim Farley aux manières plus rudes.
Place aux gladiateurs
Il faut dire que l’entreprise est en fâcheuse posture. Elle a perdu de l’argent au dernier trimestre de l’année 2019, et, sur l’ensemble de l’exercice, elle n’affiche qu’un tout petit profit de 47 millions de dollars (43 millions d’euros) contre près de 3,7 milliards en 2018. Et ses perspectives pour l’année en cours ne sont pas brillantes. Pertes abyssales à l’étranger, notamment en Chine, lancements de produits ratés, rentabilité déclinante aux Etats-Unis, Ford s’enfonce dans la crise au moment où la baisse des marchés se combine à la transition vers la voiture électrique. La firme vaut désormais en Bourse quatre fois moins que Tesla.
On comprend l’impatience de Bill Ford, l’arrière-petit-fils du fondateur et président du conseil d’administration. Jim Hackett doit passer la main dans les dix-huit mois qui viennent, puisqu’il aura 65 ans en 2020, mais la valse des dirigeants déstabilise l’entreprise. Trois ans après sa nomination, Mark Fields, vétéran du groupe, a été débarqué en 2017 en dépit de ses bons résultats, car il n’allait pas assez vite dans le domaine de la voiture électrique. Désormais, son successeur est sur la sellette.