« Qui travaillera demain ? » Les coopérateurs ou les compétiteurs ?
Dominique Méda
Vers un surcroît de coopération
Tribune. La sociologie a établi depuis fort longtemps un lien entre compétition et surconsommation. Dans Théorie de la classe de loisir (1899), par exemple, Thorstein Veblen montre qu’« au fur et à mesure qu’une personne fait de nouvelles acquisitions et s’habitue au niveau de richesse qui vient d’en résulter, le dernier niveau cesse tout à coup d’offrir un surcroît sensible de contentement ». Elle ne va donc avoir de cesse qu’elle n’obtienne de nouveaux biens dans un processus où rivalité et consommation ostentatoire s’alimentent l’une l’autre.
En 1970, les travaux de Baudrillard dans La Société de consommation l’ont confirmé : la consommation est un langage dont l’usage principal est de permettre aux individus de se différencier. Un tel processus alimente donc aussi la croissance du PIB dont les dégâts sont dénoncés depuis les années 1970 et de plus en plus fortement à mesure que la crise écologique s’aggrave.
La gestion partagée des biens communs que sont le climat et les éléments composant la biosphère exige à l’évidence des formes de coopération étroite, notamment internationales
La reconversion écologique dans laquelle nos sociétés doivent s’engager de toute urgence devra donc sans doute faire une place beaucoup plus importante soit à un type de compétition qui n’entraîne pas une forte consommation d’énergie (donc qui s’appuie sur d’autres leviers que l’achat de biens, par exemple des compétitions sportives, des joutes oratoires…), soit à un surcroît de coopération.
La gestion partagée des biens communs que sont le climat et les éléments composant la biosphère exige à l’évidence des formes de coopération étroite, notamment internationales. Mais les processus de production eux-mêmes devront devenir plus coopératifs : la reconversion écologique s’accompagnera sans doute d’une relocalisation d’une partie de la production en raison de la hausse du coût des transports.
Celle-ci pourrait alors être prise en charge par un artisanat local revitalisé et/ou un tissu de coopératives. De la même manière, nombreux sont ceux qui attendent que le coopérativisme de plate-forme, théorisé par Trebor Scholz, se substitue aux plates-formes capitalistes actuelles. En tous cas, les travaux qui appellent de leurs vœux un tel changement sont désormais de plus en plus nombreux.
Dominique Méda est directrice de l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales. Elle a écrit notamment « La Mystique de la croissance. Comment s’en libérer » (Flammarion, « Champs actuel », 2014).