« L’anglais comme langue de la recherche comptable est inéluctable mais il confronte la recherche comptable francophone à un défi paradoxal »
Tribune La comptabilité est un instrument de régulation économique et sociale de première importance et les pays qui contrôlent sa normalisation donnent un avantage compétitif considérable à leurs entreprises ; la norme comptable est un instrument du soft power. Ceci nous invite à nous interroger sur l’anglicisation actuelle de la recherche comptable francophone.
Il y a cinquante ans seulement, elle n’existait pas alors que la recherche comptable anglo-saxonne prospérait depuis longtemps. Diverses initiatives lui ont permis de rattraper son retard par rapport à celle-ci. En 1979, est créée une société savante, l’Association Française (devenue depuis Francophone) de Comptabilité (AFC). Des séminaires de préparation à la recherche comptable sont créés au sein des DEA de sciences de gestion. Il est même créé à l’université Dauphine, à la rentrée 1990, un diplôme d’études approfondies (DEA) entièrement consacré à la comptabilité.
De ces séminaires et de ce DEA, devenu un master de recherche, sont issus de nombreux docteurs qui constituent l’actuel corps professoral des universités et des écoles. Il est également créée en 1995, à l’initiative de l’AFC, une revue académique, Comptabilité-Contrôle-Audit (CCA), classée aujourd’hui en rang 2 par le CNRS (sachant que le rang 1 est réservé aux seules revues anglo-saxonnes).
Des effets pervers, non seulement scientifiques mais aussi économiques.
L’université française a, donc, réussi à créer un nouveau domaine scientifique dans un champ qu’elle avait complètement négligé. Ce domaine, comme les autres domaines scientifiques, s’anglicise. Ce qu’a d’ailleurs montré le 40ème congrès de l’Association Francophone de Comptabilité qui se tenait dans la prestigieuse Sorbonne les 22 et 23 mai 2019 : près de 50 % des communications qui y furent présentées le furent en langue anglaise et, le plus souvent, par des enseignants-chercheurs dont la langue maternelle n’était pas l’anglais…
Cette forte émergence de l’anglais au congrès de l’AFC est une manifestation de l’apparition des chercheurs francophones sur la scène internationale : de plus en plus de chercheurs formés dans les pays francophones publient dans les grandes revues académiques anglo-saxonnes et nombreux sont aujourd’hui ceux qui enseignent dans des pays non-francophones. On peut s’en réjouir mais, en même temps, on peut craindre que l’adoption par les chercheurs francophones de l’anglais comme langue de communication et de publication n’ait quelques effets pervers, non seulement scientifiques mais aussi économiques.