Service civique : volontariat et handicap, des questions de confiance

Service civique : volontariat et handicap, des questions de confiance

Anaïs Guillen (à droite), 25 ans, est atteinte de surdité. Après un bac pro comptabilité, elle a effectué neuf mois de service civique, et recherche actuellement un emploi dans le domaine du développement personnel. Jade Clerissy (à droite), sa tutrice pendant son volontariat, est coordinatrice du projet-pilote Cap sur l’engagement pour le collectif T'Cap.
Anaïs Guillen (à droite), 25 ans, est atteinte de surdité. Après un bac pro comptabilité, elle a effectué neuf mois de service civique, et recherche actuellement un emploi dans le domaine du développement personnel. Jade Clerissy (à droite), sa tutrice pendant son volontariat, est coordinatrice du projet-pilote Cap sur l’engagement pour le collectif T’Cap. Théophile Trossat pour « Le Monde »

« Le pouvoir d’être utile » : le slogan, affiché sur un mur de l’Agence du service civique, à Paris, a laissé Guillaume Bourdiaux perplexe lorsqu’il l’a découvert. « Quand on est en situation de handicap, on se dit que c’est nous qui avons besoin des autres, pas l’inverse », résume cet homme de 22 ans atteint d’une infirmité motrice cérébrale (IMC). En 2018, pourtant, après avoir arrêté un DUT carrières sociales en raison de problèmes de santé, l’étudiant s’est engagé auprès de l’association Unis-Cité. Il rend visite, en binôme, à des personnes âgées et à des familles dont un enfant est en situation de handicap.

« Lorsque j’ai arrêté mes études, j’étais vraiment perdu. Le service civique, pour moi, c’était un vrai déclic psychologique, résume-t-il. J’ai arrêté de me focaliser sur mes problèmes, j’ai réalisé que j’étais capable d’aider les autres. » Guillaume est ensuite devenu ambassadeur Unis-Cité : « J’ai participé au Salon de l’éducation, afin de sensibiliser les profils comme le mien. » Le jeune homme a gagné en assurance, constate sa tutrice, Claire Brun-Mandon : au fil des mois, « Guillaume a changé. Les personnes en situation de handicap ont souvent des parcours semés d’embûches. Leur permettre de travailler sur une mission, tout en étant encadrés, c’est aussi les aider à retrouver confiance en eux. »

« Beaucoup d’autocensure »

Depuis 2010, 400 000 jeunes se sont engagés auprès des 11 000 organismes d’accueil dans l’Hexagone par l’intermédiaire de l’Agence du service civique, l’organisme public qui met en place et encadre le service civique. Mais, en 2018, seulement 1,5 % des volontaires étaient en situation de handicap. « C’est peu », reconnaît Béatrice Angrand, présidente de l’agence. D’autant que le problème n’est pas nouveau. En 2015, déjà, la structure, alors ouverte à tous entre 16 à 25 ans, élargit son accueil jusqu’à 30 ans pour les jeunes en situation de handicap. L’idée est de prendre en compte leurs parcours de formation, souvent plus longs. « Entre 2015 et 2018, leur part a presque doublé. Mais il faut aller encore plus loin », poursuit Mme Angrand. L’âge n’est pas le seul frein. L’accès à l’information est encore insuffisant, c’est pourquoi il figure parmi les principaux chantiers d’une démarche pilote lancée en 2018 dans les Pays de la Loire et en Loire-Atlantique.

« Le service civique, pour moi, a été un vrai déclic psychologique. J’ai réalisé que j’étais capable d’aider les autres », Guillaume Bourdiaux, volontaire

« Et puis il y a beaucoup d’autocensure », souligne la présidente. Pourtant, les structures d’accueil peuvent bénéficier de financements pour adapter les postes de travail et aménager la durée hebdomadaire des missions en fonction des situations, et l’indemnité de 580 euros net par mois est cumulable avec l’allocation adulte handicapé. Mais les organismes qui peuvent accompagner les jeunes, comme l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) et le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (Fiphfp), sont encore parfois méconnus.

Aucune mission n’est a priori inaccessible

« Pour que l’inclusion se poursuive après l’école, dans le milieu professionnel, il faut ouvrir toutes les portes aux jeunes en situation de handicap, et le service civique en fait partie », plaide Patrick Marcel, secrétaire général de la fédération des Pyrénées-orientales de la Ligue de l’enseignement. Pour ces volontaires, l’engagement est aussi une façon de gagner en autonomie par rapport à leur famille et d’améliorer leur employabilité grâce à l’encadrement d’un tuteur lors de leur première expérience professionnelle. « On n’ouvre pas de mission spécifiquement à l’adresse des jeunes en situation de handicap, ils postulent comme les autres volontaires. Puis nous adaptons les postes », détaille M. Marcel.

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Pour les handicaps visuels et auditifs, la structure prévoit des aménagements de l’espace ou de la durée de la mission ; pour les handicaps mentaux, le tuteur suit une formation spécifique : « Nous faisons des simulations, on lui demande par exemple d’adapter une mission pour un volontaire avec des troubles autistiques. Cela permet de déconstruire nos représentations du handicap. »

Aucune mission n’est, a priori, inaccessible à ces jeunes, affirme la tutrice Claire Brun-Mandon : « L’effort doit venir de nous en tant que structure d’accueil. Quand Guillaume rendait visite à une femme en fauteuil roulant, il avait du mal à pousser son fauteuil en raison de son propre handicap. Nous avons donc demandé à une autre volontaire de l’accompagner. C’est important de ne pas se mettre de barrières à l’avance, et il faut faire confiance aux jeunes : ils savent très bien verbaliser ce qu’ils se sentent capables de faire. »

« Sensibiliser les bénéficiaires »

Se passer de ces profils serait d’autant plus dommage que les jeunes handicapés, poursuit Claire Brun-Mandon, ont « une grande envie de transmettre. De par leur parcours, ils ont souvent eux-mêmes été aidés à un moment de leur vie ». Guillaume Bourdiaux a eu un très bon contact avec les retraités auxquels il rendait visite lors de son service civique. « Ils ont toujours été accueillants, je n’ai jamais eu de réflexions », raconte l’étudiant, qui se forme aujourd’hui pour devenir animateur en Ehpad. Le service civique lui a permis de trouver sa voie. Il regrette néanmoins que les bénéficiaires ne soient pas toujours préparés à la présence de volontaires en situation de handicap : « J’ai également rendu visite à des enfants autistes, il aurait peut-être fallu rassurer leurs parents en amont. »

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Béatrice Angrand préconise de « sensibiliser les bénéficiaires, sans pour autant tomber dans le misérabilisme ou la discrimination ». L’engagement des jeunes en situation de handicap sur les mêmes missions que les autres volontaires (avec parfois un cadre assoupli) permet de changer les regards, poursuit la présidente : « Ce public apporte une expérience de tolérance, de confrontation avec la différence. » Léa Pons-Vayer, qui vient de terminer un service civique auprès de la Fédération française d’équitation, peut en témoigner. Atteinte de polyarthrite, elle s’est notamment occupée de la mise à jour de l’annuaire, qu’elle a rédigée « pour qu’il soit accessible à tous. J’ai également initié mes interlocuteurs à l’écriture inclusive, j’ai vraiment eu l’impression d’apporter un regard neuf ».

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’Agence du service civique.

Témoignage

Boris Moncheney, 28 ans : « Cette expérience m’a ouvert le champ des possibles »

Le premier jour de son service civique, Boris Moncheney est convié à une réunion avec les autres volontaires engagés auprès de l’association Unis-Cité en Occitanie. « Nous étions cent cinquante », raconte le jeune homme, qui souffre d’un trouble schizo-affectif. Il s’en souvient bien : « Mon intégration, c’était une grande source d’anxiété. » L’angoisse ne sera que passagère. Il constate vite qu’il n’est pas le seul volontaire en situation de handicap. « Je me suis très vite fait une amie, une fille dyslexique qui n’hésitait pas à demander l’orthographe des mots. Elle assumait son handicap, ça m’a inspiré. » Boris Moncheney est chargé de réconcilier les citoyens avec le bénévolat, notamment grâce à des défis lancés par le biais d’une plate-forme. Sept ans auparavant, à l’apparition des premiers symptômes de son trouble, il avait dû interrompre sa licence en administration économique et sociale. Le service civique lui a « ouvert le champ des possibles ». « J’envisage les choses avec plus de sérénité, dit-il. Je vais me tourner vers une profession qui me permettra de mettre à profit mon amour de l’écriture ».

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