« Le mouvement des “gilets jaunes” apparaît comme l’expression de la classe ouvrière majoritaire dans le monde aujourd’hui »
Tribune. Les « gilets jaunes » ne sont pas un mouvement poujadiste : les artisans et les commerçants qu’avait mobilisés Pierre Poujade en 1956 représentaient 12 % de la population active. Laminés par la grande distribution et la réorganisation du capitalisme, ils ne sont plus que 3,4 % (5,9 % avec les retraités). Sont-ils alors les représentants des classes moyennes malmenées par la mondialisation ?
Rappelons qu’affirmer que la population française est constituée en majorité de classes moyennes, définie comme les déciles de revenu supérieurs à 30 et inférieurs à 80 (Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, Le Monde du 16 mai 2019), revient à dire que le seuil inférieur de cette appartenance est un revenu de 1 265 euros par mois par personne seule, soit 256 euros de moins que le smic… C’est incohérent !
Les « gilets jaunes » sont en réalité une fraction des classes populaires, ouvriers et employés. Mais ne nous dit-on pas que, dans une société « postindustrielle » comme la nôtre, les ouvriers ont disparu ? Ils ont surtout disparu des statistiques : un chauffeur dans une entreprise, considéré comme ouvrier autrefois, est aujourd’hui compté comme un employé d’une société de services, puisque les transports, comme d’ailleurs la logistique, les communications, le bâtiment etc. sont exclus des statistiques de l’industrie.
L’externalisation de nombreuses fonctions dans les entreprises a gonflé le secteur des services, et partant le nombre d’employés, au détriment de celui des ouvriers. Les ouvriers gagnaient en France en 2018 en moyenne 1 720 euros par mois. C’est 80 euros de plus que les employés. Quatre ouvriers d’industrie sur cinq sont des hommes, quatre employées des services sur cinq sont des femmes : ils vivent en couple, c’est la même classe, la classe ouvrière.
Idées fausses
Des secteurs comme la sidérurgie ou le textile ont bien été laminés, mais on est passé, des années 1950 à aujourd’hui, de 20 millions à 30 millions d’emplois en France (+ 50 %). L’agroalimentaire, le luxe, l’aéronautique, le spatial, la biotechnologie, la robotique, le traitement des déchets etc., ont plus que compensé la destruction des emplois dans d’autres secteurs.
Le solde de création et destruction d’usines en France a été négatif jusqu’en 2016, année où il est redevenu positif. Le solde de création d’emplois officiels dans l’industrie, même avec la définition de l’industrie très restrictive vue plus haut, a été positif lors des trois dernières années. L’industrie de l’armement à elle seule a créé 35 000 emplois nouveaux sur la seule année 2018. La France est le 3e vendeur d’armes au monde, secteur majeur, mais pas unique, de la 5e puissance industrielle mondiale…