El Mouhoub Mouhoud : « Six propositions pour une politique d’immigration économique juste et efficace »
Edouard Philippe a présenté le 6 novembre les contours de la politique migratoire qu’il entend mettre en place. L’économiste estime, dans une tribune au « Monde », que les annonces manquent encore de clarté. Il prône notamment la création d’une haute autorité de l’immigration indépendante.
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Tribune. Le débat tel qu’il a été engagé par le gouvernement depuis l’annonce de ses mesures sur l’immigration pose quatre problèmes. Un problème de méthode, un problème de fond, un problème d’objectifs et un problème d’efficacité des propositions avancées. D’où la nécessité de propositions alternatives.
Méthodologiquement : c’est le règne de la cacophonie et de l’ambiguïté. Veut-on établir – comme le gouvernement semble l’annoncer – des « quotas non limitatifs » (sic) avec pour objectif de piloter l’immigration à des fins d’emplois en fonction des besoins de l’économie ? Cela ouvrirait à un nombre plus élevé de métiers que la liste actuelle n’en propose. Ou bien veut-on annoncer que l’immigration sera contrôlée par des quotas pour restreindre les flux actuels pourtant extrêmement faibles ? Les clarifications attendues seront les bienvenues.
Car il y a un problème de fond : nous savons que la liste des métiers instaurée depuis 2008, révisée en 2011 et 2013, est d’une efficacité limitée. Les listes de métiers dits en tension ne couvrent qu’une faible partie des emplois occupés par les migrants primo-arrivants. En 2013, à peine plus de la moitié des migrants accueillis à titre professionnel répondent à des besoins identifiés par cette fameuse liste.
De même, quand le gouvernement préconise de négocier avec les pays d’origine pour réguler l’immigration à des fins d’emplois, pourquoi n’évoque-t-on pas ce qui existe déjà ? A-t-on seulement évalué les accords de gestion concertée (AGC) de l’immigration signés entre la France et certains pays d’Afrique qui combinent à la fois le critère de nationalité et des métiers en tension ?
Notre évaluation, dans un rapport de l’OCDE de 2017, révèle d’abord que le nombre de migrants admis dans le cadre des AGC est extrêmement marginal pour combler les besoins de recrutement (moins de 2 % de l’ensemble des primo-arrivants ressortissants de pays tiers).
Pourtant, l’immigration devra bien répondre à des besoins de main-d’œuvre. Si à long terme, ce sont les politiques structurelles du marché du travail qui permettront de réduire les tensions sur le marché du travail, à court ou moyen terme, un recours à l’immigration peut être justifié.
Selon les données de l’OCDE, entre 2005 et 2015 les immigrés ont contribué à 91 % de l’accroissement de la force de travail en Europe (65 % aux Etats-Unis et 57 % en France) et 16 % de l’accroissement de la force de travail hautement qualifiée (23 % aux USA et 10 % en France). Les besoins se font sentir pour les qualifiés comme pour les non-qualifiés dans des secteurs en croissance et en déclin.