Pierre-René Lemas : « La dimension sociale devient plus large »
Pierre-René Lemas préside France Active, un réseau d’entrepreneurs soucieux d’économie solidaire.
Secrétaire général de l’Elysée sous François Hollande, Pierre-René Lemas est aujourd’hui président de France Active, un réseau qui finance et accompagne les entreprises dans le cadre de la finance solidaire. Il vient de sortir Des princes et des gens. Ce que gouverner veut dire aux éditions du Seuil.
L’entrepreneuriat engagé est-il un mouvement de mode, comme on a pu le voir dans le passé, ou bien une évolution plus profonde ?
C’est vrai qu’il existe un phénomène de mode comme il a pu exister, il y a quelques années, un engouement autour de l’économie et de la finance verte. C’était souvent du greenwashing, plutôt qu’une réelle prise de conscience sur le fond. Et puis les acteurs ont fini par comprendre que cela valait la peine et que c’était socialement utile, économiquement possible, et même une bonne affaire financièrement. Ce qui était à la mode est devenu une lame de fond. Pour l’entrepreneuriat engagé, on est dans la même dynamique. Au début de l’entrepreneuriat social, la prise en compte de la gouvernance de l’entreprise était dans l’air du temps. Depuis quelques années, ces objectifs sont intégrés dans la gestion d’une entreprise. On revient sur les dogmes économiques libéraux qui ont commencé à s’appliquer à partir des années Thatcher et qui se sont amplifiés avec les politiques conduites par Tony Blair [en Angleterre] et Gerhard Schröder [en Allemagne]. La dimension sociale devient plus large, avec une vraie problématique territoriale, environnementale et la participation des salariés aux affaires qui les concernent. Le seul risque, c’est que le mot « engagé » devienne un mot-valise : il faut qu’il ait un contenu réel.
Les entrepreneurs engagés appartiennent-ils à toutes les générations, ou cela concerne t-il seulement les plus jeunes ?
Cela concerne d’abord les plus jeunes. Pour eux, la dimension engagement devient majeure dans la création d’une entreprise. Ces chefs d’entreprises veulent d’abord répondre à la problématique de l’emploi, à commencer par le leur. C’est, pour ces derniers, dont certains se sont éloignés de l’activité, une façon de s’engager dans la vie et de s’épanouir. On voit aussi qu’une grande partie d’entre eux veulent lancer une entreprise dans l’intérêt général et avoir une gouvernance partagée. L’engagement se retrouve encore dans la sphère de l’économie sociale et solidaire, car c’est sa vocation. Et j’ai l’intuition qu’un certain nombre de jeunes formés par les filières classiques, qui pourraient rentrer dans les très grandes entreprises aujourd’hui, se disent : « Je ne me réaliserai pas si je ne suis pas un projet à moi ». On voit enfin de plus en plus de grandes entreprises s’engager dans cette direction.
Vous financez essentiellement des entreprises engagées. L’engagement est-il un facteur de réussite ?
J’en suis convaincu. Nous constatons que quatre entreprises sur cinq que nous soutenons vivent au-delà de trois ans. Nous contribuons à la création de 40 000 emplois par an. Pour un emploi créé la première année, près de quatre sont engendrés au bout de cinq ans. Non seulement les entreprises survivent, mais elles se développent. Par ailleurs, il existe une dynamique collective autour d’un projet qui n’est pas uniquement orienté autour du profit, car il y a un engagement personnel du chef d’entreprise et des salariés. La réussite repose aussi sur des critères extra-financiers, et l’une de nos priorités est de mettre en place des outils pour la mesurer. Enfin, pour réussir, le chef d’entreprise doit pouvoir s’appuyer sur des écosystèmes locaux, des équipes de recherches, d’autres dirigeants, des assemblées consulaires, collectivités locales, tissus associatifs.
Entreien réalisé dans le cadre d’un partenariat avec France Active
Conférence « Accélérons l’engagement des entrepreneurs de demain », 52 ter, rue des Vinaigriers, 75010 Paris . le 3 octobre à 17 heures