Gare aux turbulences de la rentrée !
Le chercheur en sciences cognitives Mehdi Moussaïd identifie dans les mouvements de foule des phénomènes propres à la mécanique des fluides, aux lois de Newton et aux sciences comportementales qui pourraient bien intéresser les manageurs, explique dans sa chronique la journaliste du « Monde » Anne Rodier.
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Carte postale du bureau. La foule des salariés est de retour dans les entreprises après le grand vide des congés d’été. Embouteillage de demandes aux manageurs eux aussi revenus, attroupement aux machines à café pour s’informer et reprendre le cours de la vie professionnelle. Des nouveaux projets ? Un changement d’actionnaire ? Quoi de neuf dans l’organigramme ? Entre deux souvenirs de vacances, le « couloir processing » bat son plein au retour des périodes estivales.
L’organisation du travail par projet et le management un peu plus « horizontal », qui demandent davantage d’échanges entre salariés, ont renforcé l’enjeu de la communication informelle, avec des risques et des opportunités parfois insoupçonnés : du phénomène viral produit par une simple rumeur, à la genèse d’une collaboration interservices souhaitée de longue date.
Mais la dynamique des foules est délicate à maîtriser. Elle avait jusqu’alors été peu étudiée. C’est le sujet de thèse du chercheur en sciences cognitives Mehdi Moussaïd. L’éthologue, en s’inscrivant dans les pas du physicien allemand Dirk Helbing, son maître de thèse, a identifié dans les mouvements de foule des phénomènes propres à la mécanique des fluides, aux lois de Newton avec ses forces de répulsion, et aux sciences comportementales qui pourraient bien intéresser les manageurs (Fouloscopie. Ce que la foule dit de nous, Humensciences, 228 pages, 19 euros).
Rumeurs et informations
Attention aux turbulences. Quand la foule se densifie, « laissez vous porter par le flot (…) sauf au voisinage d’un obstacle solide », prévient le chercheur. Dépasser une densité de 6 à 7 personnes au mètre carré provoque en effet des tremblements, des turbulences, voire des bousculades meurtrières. Ce seuil a été mis en évidence, très sérieusement, à partir de l’étude de la circulation des foules lors des pèlerinages à La Mecque ou d’un gigantesque concert de Jean-Michel Jarre, qui avait réuni plus de 3 millions de personnes à Moscou en 1997. A priori, pas de risque à la machine à café, sauf dans les organisations du travail qui ne respecteraient pas un minimum raisonnable de mètres carrés par salarié.
En revanche, bien plus bas que le seuil de turbulence, le non-respect de la « zone d’intimité » provoque une répulsion quasi animale mise en évidence dans les années 1950 par le biologiste suisse Heini Hediger (1908-1992). En dessous d’une certaine densité, Mehdi Moussaïd a établi que ce sont les sciences comportementales qui guident la foule, avec l’émergence de leaders, les mouvements d’évitement et l’adaptabilité du groupe. Il y voit une certaine forme d’intelligence collective.