Faut-il réformer les prud’hommes ?
Alors que les saisines des conseils des prud’hommes sont en chute libre, ces juridictions restent engorgées. Une mission du Sénat formule quelques propositions pour améliorer leur fonctionnement.
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En pleine polémique sur le plafonnement des indemnités accordées aux salariés en cas de licenciement abusif et alors que les saisines des conseils des prud’hommes (CPH), chargés d’arbitrer les conflits entre salariés et employeurs, dégringolent, une mission du Sénat s’est penchée sur la situation de ces juridictions. Elle a rendu ses conclusions le 16 juillet. Son constat est sans appel : bien que les saisines des conseils des prud’hommes aient régressé de 43 % entre 2005 et 2018, ces juridictions demeurent, contre toute attente, fortement engorgées.
« En 2018, la durée moyenne des affaires terminées devant les CPH (hors référés) était de 16,3 mois, soit un délai nettement supérieur aux autres juridictions civiles de premier ressort », notent les auteurs du rapport, s’étonnant en parallèle du « nombre relativement important de conseillers prud’hommes », que la réforme de la carte judiciaire de 2008 n’a pas entamé : un conseiller traite en moyenne 8,2 affaires par an, contre 44,4 pour un juge consulaire.
Trois ans en moyenne pour un dossier à Vannes
La mission sénatoriale fait état de « réalités très différentes d’un CPH à l’autre », la palme de la rapidité revenant à celui de Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais (4,9 mois en moyenne pour le traitement d’un dossier), et celle de la lenteur à celui de Vannes, dans le Morbihan (35,9 mois en moyenne). « Il semble donc que les délais de jugement de chaque CPH dépendent davantage de facteurs liés à son bon fonctionnement interne qu’au volume du contentieux qu’il a à traiter ou au nombre de conseillers prud’hommes en leur sein », font valoir les auteurs du rapport.
Autre problème : les jugements rendus par les prud’hommes sont pour les deux tiers (66,7 % en 2016) frappés du recours en appel. Si cette donnée s’explique en partie par le fait que seuls les cas les plus complexes sont soumis aux CPH, le taux élevé de recours en appel serait aussi le signe d’un « déficit d’acceptabilité des jugements rendus par les conseillers ».
Des réformes « qui n’ont pas réellement atteint leurs objectifs »
Le rapport se penche sur les réformes engagées depuis 2015, réformes « qui n’ont pas réellement atteint leurs objectifs », tranchent ses auteurs. Tout en estimant que « les obligations déontologiques d’impartialité et d’indépendance ne sont pas toujours respectées » par les prud’hommes, ils pointent l’insuffisante formation des conseillers. Les mesures mises en place par la loi Macron de 2015 pour désengorger les CPH, comme le passage obligatoire devant un bureau de conciliation ou la possibilité de renvoyer directement l’affaire en formation de départage (avec un juge professionnel), restent inexploitées.
Quant au barème prud’homal, le rapport sénatorial en dresse un bilan mitigé : il « pourrait conduire, en réduisant l’espérance de gain, à dissuader un certain nombre de justiciables d’engager des procédures devant le conseil de prud’hommes », mais favoriserait l’explosion des dossiers pour discrimination ou harcèlement (pour lesquels le plafonnement des indemnités ne s’applique pas).
Bureau d’orientation
La mission énonce une série de propositions visant à accélérer le traitement des dossiers. Un bureau d’orientation déciderait si l’affaire doit passer devant un bureau de conciliation, une médiation extérieure ou un bureau de jugement. Pour les affaires les plus importantes, le passage devant une formation de départage deviendrait obligatoire. Afin de favoriser la conciliation, la mission propose de rétablir l’obligation pour les parties de comparaître personnellement. Elle recommande aussi d’expérimenter des formations de jugement « mixtes » composées de conseillers prud’hommes et de magistrats professionnels, tant en première instance qu’en appel, et de permettre au président et au vice-président du conseil de modifier la structure des sections afin de l’adapter aux réalités locales.
La mission prône aussi une « revalorisation » de la fonction prud’homale, passant notamment par une formation renforcée et une déclaration d’intérêts, comme c’est déjà le cas pour les magistrats professionnels. Plus symboliquement, la mission propose de changer la dénomination de « conseil de prud’hommes » en « tribunal de prud’hommes » et de rattacher cette juridiction au seul ministère de la justice.
Pas de remise en question des conditions de saisine
Plus secondairement, la mission formule quelques propositions pour faciliter l’accès des justiciables aux prud’hommes. Concentrée sur la question du désengorgement, elle ne remet pas en cause le durcissement des conditions de saisine introduites par la loi Macron de 2015, qui, selon certains observateurs, a largement contribué à leur baisse. Les justiciables seraient découragés par la complexité de la procédure.
« Plutôt que de revenir sur cette réforme, dont les objectifs demeurent valables au regard de l’exigence de bon fonctionnement de la justice prud’homale, il convient d’accompagner les justiciables dans leurs démarches », estime la mission, pour qui la baisse des recours aux prud’hommes est à mettre principalement sur le compte de l’explosion des ruptures conventionnelles. Les salariés « doivent pouvoir s’appuyer sur les structures d’accès au droit » comme les maisons de la justice ou des permanences gratuites d’avocats, affirment les auteurs du rapport. Mais ils ne s’attardent pas sur la situation des travailleurs hors des radars des organisations syndicales et pas toujours informés de l’existence de ces structures – quand elles sont réellement présentes sur leur territoire.
Pour garantir l’accès de tous aux prud’hommes, la mission recommande « d’adapter le barème de l’aide juridictionnelle pour rendre la conciliation financièrement plus attractive pour les avocats » et de « favoriser l’organisation d’audiences foraines de conseils de prud’hommes ». Reste à voir si ces recommandations seront suivies d’effets.