Devant le succès des plates-formes de travaux, les artisans s’organisent
De plus en plus d’adeptes du bricolage offrent leurs services via les sites Internet. Les professionnels s’irritent de cette nouvelle concurrence.
Se faire changer un chauffe-eau, mettre du carrelage ou effectuer des travaux de peinture n’a jamais été aussi facile, et surtout si peu onéreux. A Bordeaux, pour les 20 mètres carrés à repeindre, certains sites Internet offrent des prix qui démarrent à 70 euros, quand les artisans, eux, demandent 400 euros. Des tarifs bradés car effectuées par des particuliers, adeptes du bricolage, qui portent le nom de « jobbers ».
Près de 150 sites offrent de tels services étaient répertoriés en France par la Fédération française du bâtiment (FFB), lors de son dernier pointage, fait en mai 2017. Un marché qui capte déjà 11 % des travaux et jusqu’à 21 % des dépannages. Même s’il est pénible de quantifier le nombre exact de « jobbers », les huit principales plates-formes (AlloVoisins, Smiile, Frizbiz, Needhelp, Stootie, YoupiJob, Mon SuperVoisin et SuperMano) affichent 3,5 millions de comptes, sachant qu’une même personne peut avoir plusieurs comptes.
Sur le site Frizbiz, 200 000 « jobbers » sont matriculés, dont 50 000 seraient actifs depuis janvier 2019. Le portrait-robot de ces bricoleurs ? Un homme âgé de 38 ans, qui effectue cinq missions par mois en moyenne, pour des revenus avoisinant les 600 euros. Le client, quant à lui, débourse en moyenne 150 à 180 euros. Pour quel résultat ? « Les “jobbers” ont conscience qu’ils n’ont pas droit à l’erreur. A chaque mission, ils remettent leur réputation en jeu. S’ils ne font pas l’affaire, ils sont retirés du site », déclare Augustin Verlinde, cofondateur de Frizbiz.
Mise en garde de la Fédération française du bâtiment
Devant cette nouvelle concurrence, les artisans voient rouge : 13 % des professionnels sondés par la FFB en 2017 affirmaient que ces sites, où le consommateur n’est pas tout le temps bien informé et ne possède pas de garantie sur le travail effectué, nuisaient à leur activité.
Quant au développement des sites professionnels, détenus par des groupes du bricolage ou du bâtiment (Homly You, racheté par Saint-Gobain ; Quotatis, par Leroy Merlin ; Izi Solutions, par EDF ; ou encore E-travaux et HelloArtisan, par Batiweb), là encore, la FFB lance une mise en garde. Certes, ces sites font appel à des artisans, mais elle craint que cette situation puisse entraîner une forme de dépendance. « On assiste à une standardisation des tarifs de prestation. Le grand groupe impose un prix et les artisans doivent suivre. Ils ne sont pas en position de force », note l’organisation professionnelle.
Pour François Arroyo, président de l’entreprise Beaverco à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), Quotatis lui apporte un petit plus. « Pour moi, c’est juste un tremplin. C’est provisoire. Je sais que je quitterai la plate-forme d’ici deux ou trois ans, une fois que je serai bien installé. » Depuis le début de 2019, Beaverco a effectué une dizaine de chantiers, dont trois grâce à Quotatis. Mais à quel prix : « Pour un chantier réalisé, j’ai dû recontacter trente particuliers et effectuer dix devis. Soit un ratio de concrétisation bien moindre qu’habituellement dans ce métier. »
Motivée par ses adhérents, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) a initié, le 16 avril, sa propre plate-forme. 360Travaux garantit une indépendance totale vis-à-vis des grands groupes de bricolage. Une modification de stratégie, la Capeb ayant longtemps été critique sur ces sites. « La digitalisation du marché des travaux impliquait que la Capeb et les artisans s’intéressent à ce nouveau mode de relation commerciale », ajoute Guillaume de Maussion, son président. L’occasion d’avoir une visibilité plus clair sur les prix du marché et de récupérer les artisans déçus par les plates-formes concurrentes.