La démocratie sociale mise en danger de glaciation
Le coup d’arrêt est brutal et plutôt inattendu. Après trois mois et demi de discussions, les syndicats et le patronat ont constaté, durant la nuit du 9 au 10 avril, leur incapacité à conclure un « nouveau pacte de la vie au travail ». Cette issue infructueuse frappe les esprits car, depuis un peu plus d’un an, les organisations de salariés et d’employeurs avaient réussi à trouver, sur d’autres thématiques, des compromis présentant des avancées – comme celui, ficelé en février 2023, sur le « partage de la valeur ». L’échec, qui s’est produit il y a un mois, jette un froid parmi les acteurs en présence. A tel point qu’il est permis de se demander si la démocratie sociale entre dans une période glaciaire, au risque de sombrer dans la léthargie.
Pour les syndicats et le patronat, la négociation relative à un « nouveau pacte de la vie au travail » était celle qu’ils ne devaient surtout pas rater. Cet exercice leur avait été proposé par Emmanuel Macron, peu après la promulgation – à la mi-avril 2023 – de la réforme des retraites, qui a décalé de 62 à 64 ans l’âge d’ouverture des droits à une pension. Le président de la République voulait confier aux partenaires sociaux le soin d’identifier des solutions afin que les personnes ayant franchi le cap de la soixantaine restent plus longtemps en activité.
Une telle offre avait de quoi intriguer, de la part d’un chef de l’Etat accusé d’avoir une piètre opinion des corps intermédiaires. Elle constituait, en même temps, une occasion rêvée pour les partenaires sociaux de montrer leur aptitude à élaborer ensemble des mesures concrètes. Fin 2023, ils relevèrent le défi, en engageant la réflexion autour de quatre axes : favoriser l’emploi des seniors, prévenir les tâches pénibles, faciliter les reconversions et instaurer un compte épargne-temps universel (CETU) – de manière que les travailleurs puissent s’octroyer des temps de pause à tout moment dans leur parcours professionnel.
Au commencement des tractations, on pouvait penser qu’elles avaient des chances de déboucher sur un résultat positif, tous les protagonistes ayant réaffirmé leur foi dans le paritarisme. Un espoir également entretenu par les bonnes intentions du patronat : « L’approche qui vise à virer les gens en fin de carrière, c’est fini », lançait Eric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), en appelant à un « changement de paradigme ».
Avaler des couleuvres
Mais la révolution n’a pas eu lieu. Les parties en présence se sont séparées sans avoir dégagé un consensus, ce qui est rare pour une négociation de ce type, conduite à l’échelon interprofessionnel. Bien évidemment, chaque camp a rejeté sur son vis-à-vis la responsabilité de la « sortie de route ». « [Le Medef et la CPME] sont allés jusqu’à nous faire des propositions (…) qui dégradaient la situation actuelle », a dénoncé Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT, dans les colonnes de Libération. Et d’enfoncer le clou, dans des termes inhabituellement abrasifs dans sa bouche : « Ils se moquent des salariés en considérant que l’heure est plutôt à la diminution de leurs droits. » Les deux mouvements d’employeurs rétorquent qu’ils ont fait des concessions, mais que les syndicats se sont montrés beaucoup trop gourmands, en méconnaissant le cahier des charges de l’exécutif : pas d’augmentation des dépenses publiques.
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