« Aujourd’hui, tout est “dette” comme il y a vingt ans, tout fut “capital” »
Gouvernance. Après l’éclipse des années « start-up nation » puis du « quoi qu’il en coûte », le montant de la dette publique de la France est revenu au centre de l’actualité politique. Il dépasse 3 000 milliards d’euros, soit désormais 110 % du produit intérieur brut (PIB). Plus inquiétant, le coût de cette dette exige chaque année un besoin de financement équivalent à 2 % du PIB, ce qui creuse encore la dette.
Au-delà des appréciations techniques et des nuances que l’on peut apporter sur cette réalité économique, la dimension symbolique de l’endettement entretient l’idée d’un déclassement de la France, voire un sentiment d’inquiétude à l’égard de l’avenir de notre monde.
Les années 2000, celles de la financiarisation, apparaissent, par contraste, comme animées de légèreté optimiste et marquées par l’omniprésence de la rhétorique de « capital » à valoriser : capital humain, capital social ou relationnel, capital santé ou capital sommeil… Tout était traduit en termes de capital. La vision était résolument spéculative.
L’avenir allait produire des innovations aux rendements si élevés que les dettes présentes seraient mécaniquement effacées par l’accroissement de la valeur marchande des choses. La hausse constante du prix de l’immobilier était le signe patent du triomphe du capital. Dans l’esprit néolibéral dominant, se considérer soi-même comme un « capital » permettait de se valoriser comme une ressource – dès lors, bien entendu, que cette ressource rencontrait un marché.
La logique financière et l’ordre politique
Dans les derniers temps de cette euphorie, le penseur anarchiste David Graeber (1961-2020) popularisait l’idée que la notion de dette est l’expression du pouvoir des dominants sur les dominés (Dette. 5 000 ans d’histoire, Actes Sud, 2016). Selon lui, la logique financière est au service d’un ordre politique qui place les débiteurs en position de servitude à l’égard des créanciers, et les soumet à l’obligation juridique de rembourser quoi qu’il leur en coûte. Reconnaître une dette, c’est donc reconnaître un rapport de force favorable aux plus fortunés.
Vingt ans plus tard, le rêve spéculatif d’une croissance infinie de la richesse s’évanouit devant la réalité triviale de l’accumulation des emprunts de toutes sortes. La rhétorique se renouvelle mais elle reste financière, en se déplaçant du capital à valoriser vers les dettes à assumer : dette publique certes, mais aussi dette des ménages, dette sociale, dette écologique, dette climatique, dette à l’égard des générations futures…, tout est « dette » comme tout fut « capital ». L’attente des lendemains profitables fait place au souci anxieux des factures qui s’amoncellent. Qui les paiera et comment ?
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