« L’Intervention sociologique dans les organisations » : quand les sociologues entrent dans l’entreprise
Le livre. « Au revoir mes bourreaux. » A l’issue d’une réunion, le responsable d’une structure publique spécialisée dans les conduites addictives salue les deux sociologues qui viennent de réaliser la restitution de leur enquête menée au sein de son organisation. L’homme est marqué. Son comportement phagocytant et déstabilisant a été mis en lumière devant ses collaborateurs par les universitaires, qui évoquent des « castrations » symboliques. Ses équipes n’avaient jamais osé s’en plaindre ouvertement. « Faut-il que je me suicide ? », a-t-il lancé, en réaction, glaçant l’assistance. Le responsable fera en sorte que l’étude scientifique n’aille jamais à son terme.
L’intervention sociologique en milieu professionnel est bien souvent faite d’imprévus, de tensions, de remises en cause douloureuses. C’est ce que démontrent Gilles Herreros et Bruno Milly, professeurs des universités (Lyon-II), dans leur essai L’Intervention sociologique dans les organisations (Erès). Un ouvrage au travers duquel les deux sociologues reviennent sur leurs différentes missions menées dans les années 2010, dévoilant l’envers du décor des études de terrain. Ils décrivent ainsi au fil des pages les « sentiers chaotiques » qu’ils doivent fréquemment emprunter, où leur volonté de « bousculer » l’organisation et de se départir de toute neutralité fait face à de nombreuses résistances.
Les deux sociologues doivent en premier lieu gérer des relations complexes avec les commanditaires de l’intervention. Parce que, bien souvent, une demande implicite a été « glissée sous la commande explicite ». Mais aussi parce que nombre d’entrepreneurs souhaitent que le travail mené valide leur stratégie ou favorise son acceptation par le collectif de travail.
C’est là qu’un malentendu peut naître, source de futures tensions : se détachant de toute « orientation hagiographique », MM. Herreros et Milly rappellent que leur mission se distingue de celle des cabinets de conseil ou d’audit. Ils décrivent des « enquêtes universitaires plus libres, plus risquées pour le commanditaire ».
Libérer la parole
Mais elles sont également, assurent-ils, « plus intéressantes parce qu’elles peuvent faire bouger l’organisation, la mettre au travail, en mobilisant un grand nombre d’acteurs (et pas seulement ses échelons dirigeants) ». C’est là l’atout majeur de ces interventions sociologiques, aux yeux des auteurs.
Leurs missions peuvent permettre de libérer la parole. « Les organisations contiennent, dans leurs plis, de l’invisibilité, de l’enfoui, de l’indiscutable, de l’indiscuté, du refoulé, de l’inconscient ; que ces dimensions oubliées soient sociales ou psychiques, le silence qui les accompagne permet leur reproduction à l’infini, installant une aliénation collective », analysent-ils.
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