« Le modèle économique et social qui s’est mis en place en France après la seconde guerre mondiale a vécu »

« Le modèle économique et social qui s’est mis en place en France après la seconde guerre mondiale a vécu »

Les syndicats de salariés français sont exclus des décisions économiques, à l’échelon des entreprises comme des politiques gouvernementales, contrairement à ce qui se passe en Allemagne ou dans les pays nordiques, dont le modèle économique et social de codécision donne aux syndicats une place essentielle dans les conseils d’administration des entreprises : les négociations collectives régulent le fonctionnement du marché du travail et l’organisation du travail.

Denis Kessler [1952-2023], ancien vice-président du Medef, parlait de « Yalta implicite » pour décrire le modèle économique et social qui s’est mis en place en France après la seconde guerre mondiale : les patrons se réservaient les décisions concernant le modèle productif, la stratégie des entreprises et l’organisation du travail ; le personnel politique, les politiques publiques ; les syndicats, la gestion de la protection sociale. Comme le disait M. Kessler dans un entretien à la Revue de l’Institut de recherches économiques et sociales, « en France, le pacte social (…) a, en définitive, consacré la non-inclusion des syndicats (…) dans les domaines économiques et une formidable intégration de ceux-ci dans le domaine social » (« Pour une économie du paritarisme », Revue de l’IRES no 24, 1997).

En 1945, les conseils d’administration des caisses de Sécurité sociale comptaient une forte majorité de représentants des salariés, au nom du principe de « gestion par les intéressés ». On parle alors de « démocratie sociale », préférée à la gestion étatique, qui risquait d’imposer une logique budgétaire. Il s’agissait de permettre l’extension des droits sociaux, le financement devant être ajusté aux besoins par l’augmentation des cotisations.

Ce rôle gestionnaire des syndicats leur a donné une légitimité pour défendre la Sécurité sociale face aux tentatives gouvernementales de réforme, présentées comme autant de remises en cause des « acquis sociaux ». Dès les années 1950, malgré la faiblesse du taux de syndicalisation, les syndicats démontrent leur capacité de mobilisation sur la question. Elle est restée très forte, comme le montrent les mobilisations de décembre 1995 contre le plan Juppé, et celles de 2003, 2010, 2019 et 2023 contre les projets de réforme des retraites.

Etatisation de la gouvernance

Au fil du temps cependant, les syndicats de salariés perdent leur domination sur la gestion de la Sécurité sociale, au profit du paritarisme (représentation égale des salariés et des employeurs), voire du tripartisme (intervention de l’Etat). Avec le plan Juppé de 1995, l’étatisation de la gouvernance du système s’accélère, au nom du fait que la Sécurité sociale est moins directement liée au travail (universalisation des droits à la santé, retraite de base), que les impôts (notamment la CSG) représentent une part croissante de son financement, et que les partenaires sociaux ne prendraient pas les décisions difficiles… Le plan Juppé prévoit donc une réforme de la Constitution qui, adoptée en 1996, instaure le vote de la loi de financement de la Sécurité sociale par le Parlement.

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LJD

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