« Des pénibilités à la soutenabilité du travail : construire de nouvelles voies de prise en compte des relations santé travail »
[L’épuisement au travail lié au vieillissement démographique n’est pas une fatalité. C’est ce que démontre Catherine Delgoulet, professeure du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam, Paris), titulaire de la chaire Ergonomie, et rattachée au Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD, CNAM). La chercheuse dirige depuis 2019 un groupement d’intérêt scientifique, le Centre de recherche sur l’expérience, l’âge et les populations au travail (GIS-Creapt) et contribue au programme de recherche transverse du Centre d’étude de l’emploi et du travail (CEET). Dans un contexte de vieillissement démographique et de transformations majeures du travail, ses travaux éclairent les conditions de la construction de la santé à tout âge pour la conception de systèmes de travail et de formation soutenables.]
Les questions relatives à la pénibilité due et au travail reviennent régulièrement dans le débat social, et les réformes des retraites ou du travail les remettent sur le devant de la scène. Ces questions relèvent d’enjeux essentiels liés à la santé au travail au fil de la vie professionnelle, c’est-à-dire à la manière dont le travail et ses conditions de réalisation permettent à chacun et chacune d’exercer son activité professionnelle à tout âge. La santé n’est ici pas seulement absence de maladie, mais aussi (re) construction des capacités humaines, de l’expérience, des savoirs et des savoir-faire offrant des possibilités de maîtrise individuelle et collective des situations de travail vécues (Canguilhem, 1966).
Ce texte vise à rappeler quelques moments-clés des évolutions de la prise en compte de la pénibilité au travail ces dernières décennies, puis à identifier les nombreuses facettes de la pénibilité, celles prises en compte dans les politiques présentes et les autres. Il souligne aussi le pouvoir d’action des personnes en situation de travail. Sur ces bases, il propose une nouvelle approche des relations entre santé et travail, sous l’angle de la soutenabilité, qui est à construire, plutôt que de la pénibilité, qui serait inévitable.
Des questions qui datent, mais réglées très partiellement
Les questions relatives à la pénibilité au travail, sa qualification, son repérage, sa reconnaissance et sa prévention ne sont pas nouvelles. En remontant le temps, à partir des années 1970, on note les liens récurrents entre les questions de pénibilité et de retraites (Palier, 2021).
1. Bref historique
Au milieu des années 1970, l’âge d’ouverture des droits à la retraite est abaissé à 60 ans (au lieu de 65 ans) pour des catégories de personnes dont le législateur a jugé le métier pénible : certains travailleurs manuels, notamment. La retraite pour inaptitude est également mise en place à cette période, permettant la reconnaissance des effets irréversibles du travail sur les capacités des personnes et donnant droit, par compensation, à un accès précoce à la retraite.
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