Immigration : entre le Maroc et la France, le ballet des saisonniers agricoles
A Fès, il travaillait dans un hôtel cinq étoiles et servait les touristes, français et chinois pour la plupart. Il était payé 100 dirhams par jour, soit moins de 10 euros. En France, dit-il, il gagnera 100 euros par jour. Alors Imad (les personnes citées par leur seul prénom ont requis l’anonymat) n’hésite pas. Bientôt, il rejoindra une exploitation agricole dans la région de Nîmes, où il récoltera des navets. Ce matin d’octobre, le jeune homme de 34 ans est venu passer une visite médicale dans les locaux marocains de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), à Casablanca. Un médecin doit vérifier son aptitude physique avant qu’un visa lui soit remis.
A côté de lui, d’autres travailleurs saisonniers défilent. Qui pour emballer des poireaux, qui pour récolter des noisettes, qui pour tailler la vigne, principalement dans les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse, la Haute-Corse ou encore le Lot-et-Garonne. Bouchra Mazouz, 42 ans, va travailler pendant six mois dans une exploitation viticole près de Montpellier. « C’est la première fois que je pars en Europe », nous confie cette mère de quatre garçons, originaire de Larache, dans le nord du pays. Elle n’a pas dormi depuis trois jours, toute à l’urgence de réunir les documents nécessaires à la validation de sa demande de visa.
Les bureaux de l’OFII sont installés dans des bâtiments qui servaient, avant l’indépendance, de lieu de casernement pour les soldats marocains qui combattaient au côté de la France. Les bidasses ont été remplacés par des travailleurs depuis 1963 et la signature d’un accord de main-d’œuvre entre les deux pays.
Seuls les étudiants et les titulaires de passeports talents (un titre de séjour destiné aux profils très qualifiés) s’adressent directement au consulat de France. Tous les autres – travailleurs permanents, saisonniers, candidats au regroupement familial – font étape à l’OFII. Casablanca abrite la plus grosse antenne de l’établissement à l’étranger.
« C’est pas les Français qui feraient ce travail »
Depuis la pandémie de Covid-19, les flux de travailleurs saisonniers ont considérablement augmenté. En 2022, près de 17 000 d’entre eux ont ainsi été recrutés au Maroc, contre un peu plus de 8 000 en 2019 et moins de 5 000 en 2013. En 2023, les chiffres devraient tourner autour de 15 000 saisonniers, originaires pour la majorité d’entre eux des régions de Fès-Meknès et de l’Oriental. Parmi eux, 95 % sont des hommes et des ouvriers agricoles, payés au smic de la profession. Dans un contexte d’augmentation des besoins de recrutement, la France – premier producteur agricole européen – recourt plus que jamais à ces migrants temporaires, dont les contrats durent entre trois et six mois maximum. Le restant est employé dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration. « Je reçois deux fois plus d’autorisations de travail que je n’ai de créneaux pour déposer les demandes de visas pour cette catégorie de salariés », rapporte Ahmed Chtaibat, le directeur de l’OFII à Casablanca, incapable de satisfaire la demande d’immigration professionnelle qui lui arrive d’employeurs en France, friands d’une main-d’œuvre peu chère et tenue par la promesse d’un titre de séjour. « Le traitement de ces dossiers est loin d’être satisfaisant », poursuit-il.
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