Faillites d’entreprises : les pratiques des mandataires judiciaires en question
Les quelque 300 mandataires judiciaires répertoriés en France peuvent légitimement s’inquiéter. Non contents d’être l’objet d’une information judiciaire confiée au juge Vincent Lemonier dans le cadre de la dénonciation de dérives opérée par la direction de l’Agence de garantie des salaires (AGS), les voici placés sous les feux croisés du Medef et du Parlement.
Leur profession est largement méconnue. Chargé de représenter les créanciers lors d’un processus de redressement judiciaire, le mandataire judiciaire assure le paiement des salariés grâce aux avances consenties par l’AGS. Il récupère aussi tous les actifs de l’entreprise et devient possiblement son liquidateur à la toute fin du processus. Revenu moyen d’un mandataire : 10 000 euros mensuels, sachant qu’un tiers de la profession est payé au smic. Il y a donc de réelles rentes de situation dans la profession, avec potentiellement des abus, sur fond de connivences avec les tribunaux de commerce, notamment.
Autant dire que le mandataire n’a pas bonne presse. Président d’honneur du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, Christophe Basse s’en désole, lui qui raconte avec humour se sentir parfois, dans les dîners en ville, quand on le présente comme liquidateur, « dans la peau du croque-mort de Lucky Luke ». « Ces rapports d’audit [commandés par la nouvelle direction], dans l’affaire de l’AGS, on n’en a pas vu la couleur, proteste-t-il. On parle de milliards disparus, et on ne nous donne aucune information ! Nous sommes une profession ultra-contrôlée, tous nos comptes sont publiés et accessibles. Nous ne sommes payés qu’à la clôture du dossier. L’argent entre et sort, tout est tracé. »
« Un puits sans fond »
Le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, nourrit quelques doutes : « Quand vous avez une boîte en redressement judiciaire, il y a tout de suite des avocats spécialisés qui se greffent, des boîtes de conseil qui vont faire un business plan pour le tribunal, et tous ces gens-là se servent massivement sur la bête. Les mandataires judiciaires, si j’étais journaliste, je m’y intéresserais, ça c’est sûr ! Est-ce que c’est un système sain ? Non, ça c’est certain. Quelle est la part de ceux qui exagèrent leurs facturations ou qui ne rendent pas l’argent à l’AGS ? Je n’en sais fichtre rien… »
Plusieurs rapports parlementaires ou gouvernementaux ont été consacrés au sujet. L’ancien député (MoDem) du Bas-Rhin Sylvain Waserman a tenté d’y voir plus clair. « Il y a des pratiques qui ne vont pas du tout, dénonce le centriste. Les entreprises défaillantes, c’est un puits sans fond, il faut moraliser la profession. » Durant son mandat (2017-2022), il a travaillé avec Brigitte Vitale, ex-dirigeante d’entreprise, qui se bat avec son association Aide Entreprise pour changer les méthodes en vigueur dans les procédures collectives. « Ces mandataires, c’est une clique qui gère depuis des décennies tous les dépôts de bilan, accuse-t-elle. Ils font main basse sur le patrimoine des dirigeants, même si tous les mandataires ne sont pas des escrocs. »
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