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Un million d’apprentis en 2027 : l’objectif d’Emmanuel Macron s’éloigne

Le maître plisseur artisanal Karen Grigorian et Enza, apprentie plieuse artisanale, à La Maison du Pli, à Paris, le 1er septembre 2023.

Le ralentissement est spectaculaire. En 2023, le nombre de contrats d’apprentissage signés devrait se situer un peu en dessous de 860 000. Diffusé à l’occasion de la traditionnelle cérémonie de la galette de l’Epiphanie, qui a eu lieu vendredi 5 janvier au palais de l’Elysée, en présence d’Emmanuel Macron, ce chiffre reste orienté à la hausse, mais la progression se poursuit à un rythme beaucoup moins soutenu que durant les années précédentes. Si la décélération se poursuit, elle risque de compromettre l’objectif du président de la République de parvenir à un million de nouveaux apprentis en 2027.

Les données fournies par l’entourage du chef de l’Etat constituent une prévision pour 2023 : en faisant l’hypothèse qu’elles correspondent au résultat final – qui ne sera connu que dans quelques semaines –, elles mettent en évidence une augmentation un peu inférieure à 3 % en une année, alors que la dynamique était beaucoup plus forte auparavant : + 14 %, par exemple, entre 2021 et 2022.

Depuis le premier quinquennat de M. Macron, l’apprentissage bénéficie d’un succès inégalé. Ce système, mêlant immersions en entreprise et enseignements dans des centres de formation (les CFA), a été libéralisé et simplifié à la suite d’une loi de septembre 2018 portée par Muriel Pénicaud, alors ministre du travail. Il a, de surcroît, été tiré vers le haut grâce aux primes mises en place à la mi-2020 au profit des patrons qui recrutent des apprentis. Très longtemps assimilée à une voie de garage, cette filière a réussi à changer d’image et attire, depuis quelques années, de plus en plus de jeunes, le nombre de contrats signés ayant été multipliés par presque 2,9 entre 2016 et 2022.

« Une phase de plateau »

Le fléchissement observé en 2023 « correspond à une phase de plateau, qui est dû notamment à l’évolution de la démographie scolaire, le nombre d’élèves et d’étudiants ayant tendance à se tasser », confie Pascal Picault, « chargé du plaidoyer » à la Fédération nationale des directeurs de CFA. La conjoncture économique moins favorable, avec des créations d’emplois qui s’amenuisent, pèse aussi. Enfin, la réduction des dotations destinées à payer l’accompagnement des apprentis a une incidence négative, d’après Antoine Foucher, président de la société de conseil Quintet et ex-directeur du cabinet de Mme Pénicaud quand celle-ci était ministre du travail : « A force de diagnostics approximatifs et de baisses mal ciblées dans le financement des CFA, le gouvernement a perdu la confiance des acteurs et la dynamique s’est grippée », estime-t-il.

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« Faire appel à davantage de main-d’œuvre étrangère est devenu une nécessité vitale »

Les débats actuels l’illustrent : l’immigration tend à être abordée exclusivement à travers un prisme social et politique, et beaucoup trop peu à travers un prisme économique. Parasitées par les débats sécuritaires et identitaires, les discussions qui ont entouré l’examen puis le vote du projet de loi au Parlement n’ont pas fait toute sa place à une question pourtant centrale : comment former et attirer les talents qui occuperont les emplois que va créer l’économie de demain ?

Nous nous trouvons face à un déficit de main-d’œuvre, sur fond de ralentissement démographique, avec une raréfaction de la ressource travail et une pénurie de compétences dont souffrent déjà les entreprises aujourd’hui. Une pénurie qui se constate à tous les niveaux : dans des grands groupes, mais plus largement sur l’ensemble du tissu économique.

Une étude récente du Lab de Bpifrance sur la pénurie de talents dans les PME et les ETI (entreprises de taille intermédiaire) industrielles posait ainsi les bases d’un débat serein sur l’immigration économique, de manière globale et chiffrée, en montrant les besoins colossaux d’emplois à pourvoir (400 000 emplois supplémentaires d’ici à 2035 dans l’industrie).

Ces emplois qui n’existent pas encore

Faire appel à davantage de main-d’œuvre étrangère est devenu une nécessité vitale. On peut regretter que la discussion sur les fameux « métiers en tension » soit restée trop focalisée sur les emplois – souvent peu qualifiés – à pourvoir aujourd’hui. Mais les métiers en tension de demain, dont il faut se préoccuper vite, ce sont aussi tous ces emplois hautement qualifiés qui n’existent pas encore ! Ceux induits par les révolutions technologiques, par la mutation climatique, et ceux qui serviront à faire le lien entre toutes ces transitions, par leur capacité à synthétiser et mettre en perspective les nouvelles problématiques.

Nous sommes d’ores et déjà entrés dans une compétition mondiale pour attirer ces talents. Or, force est de constater que notre système actuel n’y parvient pas suffisamment.

Deux indicateurs éloquents pour s’en rendre compte : d’après le Conseil d’analyse économique, seulement 10 % de l’immigration en France est liée aux compétences – un chiffre bien inférieur à celui de nos voisins européens. Et sur l’index mondial de compétitivité des talents publiée par l’Insead, la France figure au 19e rang, loin derrière l’Allemagne. Il y a donc bien un sujet fondamental d’attractivité !

La compétition est particulièrement marquée dans la tech. La transformation numérique et l’automatisation modifient la nature du travail, augmentant la demande pour des compétences en informatique, en analyse de données ou en intelligence artificielle. Il y a un écart entre les compétences enseignées et celles demandées par le marché du travail.

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« Que sait-on du travail ? » : Plus de 400 euros d’écart entre le salaire des sages-femmes et des ingénieurs hospitaliers après vingt ans de travail

Quatre cents euros : c’est l’écart entre le salaire d’une sage-femme et celui d’un ingénieur hospitalier après vingt ans de travail. A fonctions, complexités et responsabilités comparables, les métiers, selon qu’ils sont occupés majoritairement par des hommes ou par des femmes, ne font pas l’objet de la même reconnaissance financière.

C’est le résultat des recherches menées par les deux économistes Séverine Lemière et Rachel Silvera, et développé dans leur contribution au projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp), diffusé en collaboration avec les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi du site Lemonde.fr.

A partir de deux exemples de métiers, celui de sage-femme et celui d’ingénieur hospitalier, les deux économistes comparent le contenu du travail et établissent les inégalités de traitement. Pour ce faire, elles ont mené une étude auprès de 7 000 personnes dans le secteur « du soin et du lien aux autres » entre septembre 2021 et décembre 2022.

Le principe « travail égal, salaire égal » inscrit dans le code du travail (article L. 3221-4) se mesure depuis la loi Roudy de 1983, à partir « des travaux qui exigent un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse ».

Deux grades possibles, contre quatre

La sage-femme et l’ingénieur hospitalier sont tous les deux des métiers de catégorie A de la fonction publique et de niveau bac + 5. Complexité de l’activité, responsabilités, exigences organisationnelles sont importantes dans les deux professions observées. Dans son quotidien, une sage-femme est à la fois puéricultrice, infirmière, aide-soignante et agent de services hospitaliers, assistante sociale pour les plus précaires, et psychologue dans les situations les plus dramatiques, décrivent les autrices.

Le rôle des sages-femmes est à la fois technique et organisationnel : elles peuvent suivre plusieurs accouchements en même temps, tout en étant amenées à encadrer un service. L’ingénieur hospitalier, quant à lui, dirige, coordonne et contrôle les diverses activités des services techniques, élabore et gère des programmes. Il assure la maintenance des matériels. La résolution de problèmes est aussi au cœur de son travail.

Pourtant, à la lecture des référentiels métiers et après analyse des grilles salariales, la rémunération diverge de plus en plus avec l’ancienneté, toujours en faveur des ingénieurs. Et l’évolution de carrière plafonne plus tôt pour les sages-femmes, qui n’ont que deux grades possibles, contre quatre pour les ingénieurs hospitaliers.

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Reconnaître le travail pour établir l’égalité salariale femmes-hommes : le cas des sages-femmes

[Pourquoi une sage-femme et un ingénieur hospitalier devraient être rémunérés au même niveau ? C’est ce que démontrent deux économistes qui mènent de longue date des travaux sur les inégalités. Séverine Lemière est économiste, maîtresse de conférences à l’IUT de Paris-Rives de Seine et responsable de la licence professionnelle métiers de la GRH. Membre du groupe de recherche MAGE (Marché du travail et genre en Europe) et de la Cité du Genre, elle est spécialisée sur l’emploi des femmes, les inégalités professionnelles et salariales entre femmes et hommes, et notamment la sous-valorisation salariale des métiers féminisés. Rachel Silvera est également économiste, maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre, chercheuse associée au Centre de recherche sur les liens sociaux (Cerlis, université Paris Cité) ; codirectrice du groupe de recherche MAGE. Membre du Haut Conseil à l’égalité ; elle est spécialiste des questions d’égalité professionnelle en matière de salaires, de temps de travail et d’articulation des temps, d’emploi et de relations professionnelles. Les deux chercheuses s’intéressent au contenu des métiers pour mettre le doigt sur les inégalités de revenus.]

La crise sanitaire a souligné un paradoxe entre l’utilité sociale et vitale des professions du soin et du lien aux autres, occupées majoritairement par des femmes, et leurs niveaux particulièrement faibles de reconnaissance professionnelle et salariale.

Deux points nous semblent essentiels ici.

D’une part, le fait que les professions relevant du soin aux autres sont sous-valorisées, alors même que le contenu du travail est à la fois complexe, difficile et soumis à de nombreuses contraintes et responsabilités.

D’autre part, il est possible de montrer qu’à fonctions, complexités et responsabilités comparables, les métiers, selon qu’ils sont occupés majoritairement par des hommes ou par des femmes, ne font pas l’objet de la même reconnaissance ni surtout de la même rémunération. Nous espérons que ce texte permettra de mieux connaître et reconnaître les métiers du soin et du lien aux autres. Nous nous appuyons pour cela sur certains résultats de l’étude IRES-CGT 2023 (voir encadré).

L’étude IRES-CGT : « Investir dans le secteur du soin et du lien aux autres : un enjeu d’égalité entre les femmes et les hommes »

De septembre 2021 à décembre 2022, nous avons lancé une étude disponible en ligne, avec un financement de l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), intitulée : « Investir dans le secteur du soin et du lien aux autres. Un enjeu d’égalité entre les femmes et les hommes ».

L’étude articule trois approches. Dans un premier temps, François-Xavier Devetter, Julie Valentin et Muriel Pucci estiment le coût et le niveau d’emplois créés par un investissement public pour assurer les besoins de notre société en matière de soins et de liens aux autres.

La deuxième partie s’appuie sur une consultation en ligne donnant la parole aux professionnels de quinze professions du soin et du lien sur le contenu de leur métier, leurs rémunérations et leurs revendications. Près de 7 000 professionnels y ont répondu. Dans la dernière partie, trois professions féminisées du soin et du lien sont plus particulièrement étudiées et comparées à des métiers masculinisés.

Cet article porte tout d’abord sur les vécus professionnels collectés lors de la consultation auprès de 7 000 professionnels, afin de mettre en lumière les principales caractéristiques des métiers du soin et du lien, très féminisés, et dont les exigences professionnelles sont trop souvent invisibilisées et naturalisées.

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Grèves chez Emmaüs : à La Halte Saint-Jean, les sans-papiers se demandent où aller, après l’arrêté de fermeture

Des panneaux à l’entrée de l’entrepôt de La Halte Saint-Jean alors que les travailleurs sans papiers d’Emmaüs sont en grève, à Saint-André-Lez-Lille (Nord), le 21 novembre 2023.

Jeudi 4 janvier, devant la grande bâtisse de La Halte Saint-Jean, à Saint-André-lez-Lille (Nord), une dizaine de compagnons Emmaüs se réchauffent devant un brasero. La sono crache sa musique, comme tous les jours sauf le dimanche depuis que le conflit social a commencé, en juin 2023. Comme dans d’autres communautés du nord de la France, la majorité des compagnons sans papiers sont en grève pour protester contre leurs conditions de travail et réclamer leur régularisation. L’avant-veille, le préfet du Nord a ordonné la fermeture du lieu pour risque d’incendie. La préfecture a souligné qu’il incombe à l’exploitant de La Halte Saint-Jean d’assurer le relogement des compagnons le temps de la mise aux normes de l’établissement.

En l’absence d’Alix Kombila, leur porte-parole, les grévistes, qui respectent scrupuleusement les décisions prises en assemblée générale, donnent la parole à un militant CGT, Pierre Rouffaud, qui voit dans la décision préfectorale de fermeture « une manière de diviser le mouvement ». « On n’est pas dupes ! », s’exclame-t-il.

Bien qu’elle soit juste réglementaire, Pierre Rouffaud voit dans l’obligation faite à l’exploitant des lieux d’organiser le relogement des résidents une « petite victoire » après des semaines de bras de fer qui n’ont permis aucune avancée. Depuis six mois, les compagnons en grève ne touchent plus leur pécule mensuel et doivent compter sur des titres-restaurant donnés par Emmaüs France et sur la solidarité locale. Aucune régularisation n’a été accordée à ces hommes ou familles, la plupart sous obligation de quitter le territoire français (OQTF) non exécutée, qui espéraient, au bout de trois ans chez Emmaüs, obtenir enfin leurs papiers, sésame pour construire leur vie en France et quitter la communauté.

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C’est ce qui se pratique habituellement pour les compagnons étrangers qui peuvent espérer une régularisation par le préfet. Avoir travaillé plusieurs années en communauté, donc en étant considérés comme bénévoles, ne suffit toutefois pas. Il faut aussi prouver sa volonté d’intégration, une maîtrise suffisante du français, des efforts de formation, et n’avoir jamais eu maille à partir avec la justice.

« Cet arrêté ne changera rien »

Didier, qui souhaite rester anonyme, coche toutes ces cases. Mais cet étudiant ivoirien, titulaire d’un master en économie et gestion, doit pour l’instant se contenter de partager sa fine connaissance de la géopolitique mondiale sur le trottoir. Il est bloqué chez Emmaüs faute d’avoir un titre de séjour qui lui ouvrirait le droit à travailler. Quitter La Halte Saint-Jean, comme il y sera peut-être contraint ? « Mais pour aller où ? », interroge le jeune homme. « Certains sont ici depuis cinq ans, assure Pierre Rouffaud. Ils ont construit leur vie ici. Ils ne veulent pas être envoyés à l’autre bout de la France. »

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Dès aujourd’hui, les grands patrons britanniques ont gagné autant qu’un salarié moyen en un an

Il leur a fallu cette année une heure de moins que l’année dernière. Jeudi 4 janvier 2024, à 13 heures, les patrons du FTSE 100, les cent premières entreprises cotées du Royaume-Uni, ont déjà gagné l’équivalent du salaire médian annuel du pays.

Le calcul est réalisé par le groupe de réflexion britannique High Pay Centre, qui milite contre les inégalités salariales. Celui-ci se base sur la rémunération médiane des directeurs généraux de ces multinationales, qui est actuellement de 3,81 millions de livres (4,4 millions d’euros). En la comparant au salaire médian britannique, qui est de 34 963 livres (40 500 euros), elle conclut qu’il leur a fallu environ deux jours et demi ouvrés pour toucher autant qu’un salarié en un an.

La comparaison est évidemment loin d’être parfaite. Les salaires des patrons sont relevés dans les rapports annuels 2023 des entreprises, et concernent donc leurs rémunérations de 2022. Par ailleurs, le nombre d’heures travaillées par les dirigeants est discutable : le High Pay Centre a choisi de prendre 62,5 heures hebdomadaires, sur la base d’une étude d’Harvard.

Mais l’objectif du groupe de réflexion est simplement d’alerter sur l’échelle des disparités salariales : actuellement, les patrons du FTSE 100 touchent 109 fois le salaire médian.

« Opinion erronée »

« Les lobbyistes des grandes entreprises et des services financiers ont passé une bonne partie de 2023 à affirmer que les hauts salaires au Royaume-Uni n’étaient pas assez élevés (…), s’agace Luke Hildyard, le directeur du High Pay Centre. Ils pensent que le succès économique est créé par un tout petit nombre de gens au sommet et que les autres ne contribuent que peu. Quand les politiciens écoutent ce genre d’opinion erronée, il n’est pas surprenant qu’on se retrouve avec des inégalités énormes. »

High Pay Centre a également réalisé la comparaison avec les autres grosses rémunérations du pays. Pour les patrons du FTSE 350, un autre indice boursier qui comprend un plus large panel d’entreprises cotées, il leur faut attendre le 10 janvier pour toucher l’équivalent du salaire médian. Les associés des cinq principaux bureaux avocats atteignent cette somme, eux, dès le 8 janvier. Quant aux banquiers des cinq grandes banques britanniques, ils doivent attendre le 16 janvier en moyenne.

Néanmoins, si les inégalités salariales ont explosé à partir des années 1980 au Royaume-Uni, et que les très hauts salaires ont continué à grimper jusqu’au milieu des années 2010, l’écart semble désormais reculer. En 2014, le High Pay Centre calculait qu’un patron du FTSE 100 touchait 148 fois le salaire médian. En 2020, c’était 117 fois. Aujourd’hui, ce n’est plus « que » 109 fois.

« La transparence sur les informations sociales et environnementales incite les entreprises à mener une réflexion stratégique au service de leur pérennité »

La France a été, le 6 décembre 2023, le premier pays de l’Union européenne à transposer dans son droit national la nouvelle directive européenne (Corporate Sustainability Reporting Directive, ou CSRD) sur la divulgation par les entreprises d’informations en matière d’impact environnemental, social et de gouvernance (ESG) dans des rapports annuels qu’il convient désormais de nommer « rapports de durabilité ».

La mise en œuvre de la CSRD, qui entre en vigueur progressivement depuis le 1er janvier, soulève cependant des craintes, en particulier du côté des petites et moyennes entreprises, incitant le Sénat français à lancer une mission au titre significatif (« Directive CSRD : la complexité de trop pour les PME ? »). Même si seules les PME cotées sont directement concernées par la CSRD, toutes les entreprises le sont de fait, en tant qu’actrices des chaînes de valeur. C’est pourquoi, la CSRD encourage la publication de rapports de durabilité de manière volontaire.

Indubitablement, la mise en œuvre de la CSRD nécessite un investissement humain et financier. Elle implique une adaptation de l’organisation de l’entreprise, en travaillant davantage en mode projet, en optimisant les processus de collecte d’informations et en formant les salariés. Les craintes des dirigeants de PME sont légitimes, non pas sur l’intérêt même de la CSRD, véritable opportunité pour toutes les entreprises quelle que soit leur taille, mais sur les modalités permettant de bénéficier de cette opportunité.

Une réflexion stratégique de fond

Car c’est avant tout à l’entreprise que bénéficient la CSRD et la publication d’un rapport de durabilité. En effet, l’exercice de transparence qu’implique la divulgation de façon normée d’informations sociales, environnementales et de gouvernance incite les acteurs de l’entreprise à mener une réflexion stratégique de fond au service de leur pérennité.

La CSRD apporte une méthode pour évaluer l’impact des activités en se référant à des données scientifiques. Elle permet de mieux prévenir et maîtriser les risques et d’être en adéquation avec les attentes des parties prenantes. Elle offre même un levier d’innovation et d’identification de nouveaux marchés. Le rapport de durabilité est un outil de pilotage, une nouvelle clé de lecture de la performance globale, celle sur laquelle les entreprises sont désormais jugées et légitimées par la société.

Par ailleurs, la demande croissante d’informations ESG par les marchés financiers prouve que la durabilité est source de confiance, et donc de valeur financière. Les investisseurs, les banques, les assureurs sont rassurés par une gestion d’entreprise en quête permanente d’un juste équilibre entre maîtrise des risques et rentabilité. La CSRD s’inscrit dans le cadre plus large de la finance durable, outil privilégié par l’Europe pour financer son Pacte vert dont l’ambition première est d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

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Emmaüs : la préfecture du Nord ordonne la fermeture de la Halte Saint-Jean, en grève depuis six mois, par « mesure de protection »

Des pancartes devant l’entrée de la Halte Saint-Jean, à Saint-André-lez-Lille, le 21 novembre 2023.

La préfecture du Nord a ordonné, mercredi 3 janvier, la fermeture de la communauté Emmaüs de la Halte Saint-Jean, citant un risque d’incendie. Cette décision survient alors que des compagnons de cette communauté sont en grève depuis six mois pour dénoncer leurs conditions de travail et demander leur régularisation.

Installée à Saint-André-lez-Lille (Nord), la Halte Saint-Jean doit être mise aux normes car une commission a relevé des anomalies, notamment « l’absence d’un système incendie adéquat », lors d’une visite au mois d’octobre, précise la préfecture dans un communiqué. Elle note que l’arrêté préfectoral « est bien une mesure de protection et non une mesure d’expulsion », parce que l’exploitant n’a pas entrepris de travaux depuis cette visite.

Une intervention policière n’est pas prévue dans les prochains jours à la Halte Saint-Jean, devant laquelle les grévistes, soutenus par la Confédération générale du travail (CGT) et un collectif de sans-papiers, tiennent un piquet de grève depuis le début de juillet, assure la préfecture. Elle rappelle qu’il incombe à Emmaüs d’assurer le relogement des compagnons le temps de la mise aux normes de l’établissement.

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La question du relogement

Mardi, le président de la Halte Saint-Jean, Pierre Duponchel, avait déclaré être prêt à reloger les compagnons non grévistes, mais renvoyait à la fédération Emmaüs France – qui a engagé une procédure de conflit contre cette communauté – pour le devenir des grévistes.

« Aujourd’hui, on ne peut même pas entrer dans le site malgré une décision de justice » ordonnant la levée du blocage, avait-il assuré, appelant « les manifestants » à quitter les lieux. « L’accès au site n’est pas possible même pour faire des travaux », avait-il ajouté.

Pour la Gabonaise Alixe, une des porte-parole des grévistes, l’arrêté de fermeture « est juste une stratégie du préfet pour casser le mouvement de grève ». « Nous sommes des victimes à protéger et on veut nous mettre à la rue, nous disperser », s’indigne-t-elle.

La Halte Saint-Jean est visée depuis le mois de mai par une enquête pour « traite d’êtres humains » et « travail dissimulé ». Les grévistes assurent travailler quarante heures par semaine et toucher un salaire inférieur à celui préconisé par Emmaüs France, avec des perspectives de régularisation incertaines.

Depuis 2018, un sans-papiers qui peut justifier d’au moins trois années d’activité dans un organisme d’accueil communautaire et d’activités solidaires, ainsi que de perspectives d’intégration, peut se voir accorder une carte de séjour. La Halte Saint-Jean est l’une des rares communautés Emmaüs à ne pas avoir adopté ce statut.

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Le Monde avec AFP

« Les autoentrepreneurs ne peuvent pas effectuer de simulation de leur future pension de retraite »

Le droit à une retraite digne après une vie travaillée est l’un des piliers du contrat social entre les Français, les partenaires sociaux et l’Etat. Il suffit d’ailleurs qu’un gouvernement évoque une réforme du système de retraite pour assister à une levée de boucliers massive et constater à quel point le sujet est d’une importance capitale pour notre cohésion sociale.

Chaque salarié peut aujourd’hui se faire une idée assez précise de ses droits à la retraite et à combien il pourra prétendre le jour venu, au travers d’un calcul simple. Mais ce n’est pas le cas pour les travailleurs indépendants. En effet, ces derniers n’ont aucune visibilité sur la validation de leurs trimestres et ne peuvent pas effectuer une simulation de leur future pension.

La faute en est à une complexité administrative kafkaïenne : à force d’assiettes de cotisations qui changent, de pourcentages affectés dans ces mêmes cotisations, d’additions de retraites de base et d’éventuelles retraites complémentaires, l’avenir pour les indépendants est incalculable. Et pour peu que leur carrière soit hachée ou alternée, le sujet prend une tournure surréaliste. De plus, personne ne sait quelle part des cotisations payées par les autoentrepreneurs est affectée à leur retraite.

Ni l’Urssaf, ni les caisses régionales d’assurance-retraite et de la santé au travail (Carsat), ni la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV), en bref toutes les institutions dont le rôle est la collecte et la redistribution des pensions, ne disposent d’informations claires à fournir aux autoentrepreneurs sur leurs droits à la retraite. Ces acteurs de terrain sont, malgré eux, maintenus dans un flou technique qui les empêche de mener à bien leur mission de renseignement.

Effet pervers mais logique

En définitive, nous sommes incapables de répondre aux milliers d’autoentrepreneurs qui se posent des questions : « Après toutes ces années à travailler et déclarer, je vais toucher combien ? combien de trimestres je valide à chacun de mes versements de cotisations ? A combien s’élèveront mes droits et comment je peux surveiller leur évolution ? A quel âge pourrais-je m’arrêter ? »… Autant de questions sans réponses, alors même qu’un grand nombre d’autoentrepreneurs, anciennement ou à certains moments salariés, ont une visibilité sur les droits générés par leurs revenus d’origine salariale. Il est d’autant plus incompréhensible pour eux de ne pas bénéficier de la même transparence sur l’ensemble de leur parcours professionnel.

Pire, un effet pervers mais logique découle de cette incertitude : l’absence de réponse convaincante pousse certains au travail non déclaré, et détruit leur confiance en l’Etat-providence. Un fossé de plus entre les Français et leurs institutions.

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