Le sociologue et clinicien du travail Thomas Périlleux, également professeur à l’Université catholique de Louvain (Belgique), s’intéresse à l’engagement subjectif dans le travail ou plutôt dans l’activité. Son ouvrage Le Travail à vif. Souffrances professionnelles, consulter pour quoi ?, publié en 2023 aux éditions Erès, analyse des témoignages de salariés venus le consulter pour faire le lien entre des situations d’épuisement, de sidération, d’étouffement de la parole, et les organisations du travail. Il vient d’être nommé pour le prix Penser le travail 2024.
Votre ouvrage « Le Travail à vif » nous plonge dans le monde des pathologies du travail. En quoi s’inscrit-il dans l’actualité ?
C’est un livre issu de quinze ans de consultations, qui aborde des questions qui ont pris une certaine acuité et ont rejoint l’actualité sur deux points : les changements dans le travail et son organisation, encore accentués par la crise sanitaire, qui ont des incidences collectives – l’intensification du travail, la disparition des anciens collectifs issus de la période fordiste –, et des incidences subjectives, à savoir le nouveau rapport au travail, la promotion d’un modèle de performance et de réussite individuelle. On est peut-être à un moment d’épuisement de ce modèle.
Le deuxième point touche aux changements dans le paysage de la santé, en particulier la santé mentale au travail, à savoir l’évolution de la réglementation et la multiplication des intervenants en entreprise, concomitants à la montée des risques psychosociaux et des burn-out.
Vous adressez votre analyse des souffrances professionnelles à tous ceux qui cherchent à transformer le travail. Quel est, selon vous, le propos de l’ouvrage à retenir en priorité ?
La dimension de l’écoute – souvent esquivée – me paraît centrale. Il est important de revenir à ce qu’on appelle « le réel du travail », d’être en mesure d’écouter ce que les salariés ont à dire sur leur travail d’abord, sur l’activité et ensuite sur son contexte, car l’expérience personnelle se déploie toujours dans un cadre collectif et ses règles.
L’enjeu est de repartir du travail vécu et non d’un modèle qui peut être en contradiction avec les valeurs du métier. En partant des situations concrètes, on voit comment le sens du travail peut se reconstruire ou se détruire. On voit quelles sont les possibilités de création ou d’innovation. Comment le sentiment d’impuissance par exemple, n’est pas l’impuissance elle-même. En revenant dans le détail du travail réel, on sort de l’image globale pour révéler les marges de manœuvre du salarié.
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Professeur de sciences de gestion et directeur adjoint de l’institut d’administration des entreprises (IAE) de Brest, Lionel Honoré a lancé, en 2013, l’Observatoire du fait religieux en entreprise. Son manuel Manager la religion au travail, publié chez Dunod, en 2023, fait la synthèse de la connaissance sur le sujet, des bonnes et des mauvaises pratiques en entreprise. Il est finaliste du prix Penser le travail 2024.
Dans votre ouvrage, vous indiquez que deux entreprises sur trois sont concernées régulièrement ou occasionnellement par les questions de religion au travail, en 2023, contre une sur quatre, en 2013. Mais qu’est-ce qu’un fait religieux, et lesquels reviennent le plus souvent ?
Lionel Honoré : Un fait religieux est une situation de travail où il y a des comportements et des faits qui ont une dimension religieuse, avec un impact sur la situation de travail. Le plus fréquent, c’est le port d’un vêtement, de signes religieux, les demandes d’aménagement du temps de travail pour pratiquer un rite. Plus rarement, on observe des comportements misogynes des salariés, des prières pendant le temps professionnel, ou le refus de réaliser une tâche. Le regard projeté par d’autres salariés sur les salariés pratiquants, ou leur stigmatisation, est aussi un fait religieux.
Quelles sont les raisons de cette progression ? Quels sont les profils les plus concernés ?
Depuis les attentats de 2015, il y a un regard plus négatif sur la religion. Cela s’explique aussi par l’affirmation de la part des salariés de leur identité religieuse, plus évidente qu’il y a dix ans. C’est davantage considéré comme un droit, et cela correspond au cadre juridique puisque la liberté religieuse est garantie dans le privé si elle n’est pas limitée par un règlement intérieur.
Les secteurs les plus concernés sont les grandes métropoles, avec 50 % des cas en Ile-de-France. On les retrouve plus fréquemment dans les grandes entreprises, dans la gestion de l’environnement, la grande distribution, le nettoyage, la logistique, le transport et la sécurité. Le fait religieux est à la fois masculin et féminin, mais les plus problématiques sont l’objet d’hommes. Chez les hommes jeunes et peu qualifiés, il y a davantage une logique de fait religieux collectif.
Les directions, les manageurs mais aussi les salariés maîtrisent-ils le sujet de la religion au travail ?
Ce sont des situations de mieux en mieux abordées. Les entreprises s’outillent de plus en plus, informent les salariés. Les manageurs sont moins surpris et cela ouvre plus d’espace pour des logiques d’accommodement raisonnable. Mais seules les entreprises les plus concernées prennent le sujet à bras-le-corps, pour éteindre le feu ou réparer. C’est un sujet de terrain qui a du mal à remonter, car les manageurs de proximité ont peur de faire remonter des situations épineuses aux ressources humaines.
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Petit à petit, le gouvernement de Michel Barnier dévoile sa feuille de route en matière sociale. Si elles se confirment, plusieurs intentions affichées par la nouvelle équipe au pouvoir détricotent une partie des projets du précédent premier ministre, Gabriel Attal. Dernier exemple en date : l’allocation de solidarité spécifique (ASS), dont la suppression avait été annoncée, fin janvier. Cette prestation, accordée – sous certaines conditions – aux demandeurs d’emploi ayant épuisé leurs droits à l’assurance-chômage, sera finalement maintenue.
C’est Astrid Panosyan-Bouvet, la ministre du travail, qui a révélé cet arbitrage. Dans un entretien au quotidien Ouest-France daté du samedi 5-dimanche 6 octobre, elle explique avoir « obtenu » que ce minimum social « sorte (…) de toutes les discussions budgétaires et qu’on ne [le] supprime pas en l’état ». La disparition de cette allocation faisait partie des décisions présentées, le 30 janvier, par M. Attal lors de son discours de politique générale à l’Assemblée nationale. A l’époque chef du gouvernement, il avait expliqué que l’ASS serait basculée sur le revenu de solidarité active (RSA) – autrement dit remplacée par celui-ci. Un choix fortement critiqué car il était susceptible de pénaliser des personnes en très grande précarité.
Toutefois, quelques jours avant les élections européennes du 9 juin, l’exécutif avait donné le sentiment d’hésiter sur la mise en œuvre de la mesure, Catherine Vautrin, alors ministre du travail, indiquant qu’elle n’était « pas un sujet d’actualité immédiat ». Le secteur associatif, qui vient en aide aux plus démunis, y avait vu l’amorce d’un renoncement. Aujourd’hui, l’abandon du projet paraît acté.
Pas de nouvelle lettre de cadrage
Une autre réforme portée par M. Attal semble également être enterrée : celle de l’assurance-chômage, qui devait durcir les règles applicables aux demandeurs d’emploi par le biais d’un décret mis entre parenthèses depuis juin. Dans son interview à Ouest-France, Mme Panosyan-Bouvet confirme la volonté, déjà exprimée par M. Barnier, de « redonner la main aux partenaires sociaux » sur ce dossier, ce qui signifie concrètement que les organisations de salariés et d’employeurs vont rouvrir une négociation au sujet du régime d’indemnisation des chômeurs. La discussion entre les protagonistes s’appuiera sur l’accord qui avait été conclu en novembre 2023 par le patronat et par trois syndicats (CFDT, CFTC, FO), mais que l’exécutif avait finalement refusé de valider.
Souhaitant « donner un maximum de chances pour que le dialogue social fonctionne », Mme Panosyan-Bouvet précise qu’il n’y aura pas de nouvelle lettre de cadrage de Matignon qui dicterait des objectifs aux représentants des travailleurs et des chefs d’entreprise. Mais cela « n’interdit pas que l’Etat et les partenaires sociaux se parlent, bien au contraire ! », ajoute-t-elle, comme pour insister sur le changement de méthode prôné par le gouvernement, rompant ainsi avec sept années de macronisme durant lesquelles les tensions ont été nombreuses avec les corps intermédiaires.
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Régulièrement, depuis vingt ans, Michel Bianco prend des photos des travailleurs sur les toits de sa région : « On voit les couvreurs se balader sans aucune protection, ce sont souvent des précaires qu’on a fait monter pour remplacer des tuiles, en quelques heures. Il n’y a pas de nacelle, l’échafaudage n’est pas aux normes. » Le 2 août 2006, son fils Jérôme, qui installait une baie vitrée sur un immeuble, a chuté mortellement d’un échafaudage, et l’entreprise a été condamnée. « Les couvreurs sont le symbole d’une culture où l’on a conscience du risque, mais où l’on grimpe sans harnais ni ligne de vie, comme si c’était anodin. »
Entre 17 % et 19 % des 738 salariés du secteur privé morts au travail en 2022 ont pour origine une chute de hauteur. Le métier de couvreur en est régulièrement le symbole : sa mission principale consiste à réaliser, réparer et entretenir les toits des constructions. Il pose des couvertures étanches et isolantes, installe les systèmes d’évacuation des eaux de pluie, parfois des fenêtres de toit voire des panneaux solaires. « 43 % des accidents graves et mortels de couvreurs sont dus aux chutes de hauteur », explique Sébastien Terrier, responsable d’opération à la direction technique de l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), qui a publié en septembre une étude sur les conditions de travail des couvreurs.
L’accident type survient souvent sur un chantier géré par une petite entreprise, qui fait de la rénovation pour des particuliers, à la suite d’un problème d’échafaudage inadapté ou à cause d’une toiture en matériau fragile. Exposés aux aléas climatiques, sur des toits à chaque fois uniques, les risques sont démultipliés. Les obligations de sécurité aussi, et le nombre d’accidents pour mille salariés a été presque divisé par deux entre 2016 et 2021, mais les petites entreprises – plus de 90 % des employeurs en couverture – manquent souvent de temps et d’argent.
Bonnes pratiques
« Quand il y a un confort de travail, on gagne de l’argent, met pourtant en avant Cyril Guy, chef d’entreprise en Dordogne. Mais le client ne voit pas toujours l’intérêt de mettre en sécurité les couvreurs. »« Les chantiers de couverture sont courts. Certains patrons expliquent que mettre des filets de sécurité prend deux jours, pour une intervention d’une heure, confirme Frédéric Mau, président de l’OPPBTP et secrétaire général de la CGT-Construction, bois et ameublement. Tant que la maîtrise d’ouvrage ne sera pas impliquée dans les suites judiciaires en cas de drame, on n’y arrivera pas. »
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C’est un tremblement de terre, dont l’intensité des répliques est encore difficile à mesurer. Vendredi 4 octobre, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt déclarant « contraires » au droit communautaire certaines règles de la Fédération internationale de football (FIFA) encadrant les transferts des joueurs et de « nature entraver la libre circulation » de ceux-ci. A terme, cette décision pourrait permettre aux joueurs professionnels de choisir unilatéralement de rompre leur contrat avec un club à l’issue d’une saison.
L’affaire qui a amené la CJUE à rédiger cet arrêt a commencé il y a dix ans. En 2014, l’ancien international français Lassana Diarra termine une première saison au Lokomotiv Moscou. Déçu de ses prestations, le club lui annonce qu’il souhaite baisser son salaire. Le milieu défensif, qui s’était engagé pour quatre ans, refuse et signifie son souhait de quitter la formation russe. Le Sporting de Charleroi (Belgique) montre alors son intérêt pour embaucher Diarra. Le club russe décide alors de rompre le contrat du joueur, estimant que celui-ci avait cessé de l’honorer sans « juste cause ».
S’appuyant sur la réglementation de la FIFA, le Lokomotiv Moscou exige par ailleurs une compensation de 20 millions d’euros – ramenés ensuite à 10,5 millions – à Lassana Diarra pour le préjudice subi. Selon les règles de la FIFA, un club engageant un joueur ayant rompu son contrat ainsi peut être condamné à payer solidairement ces frais et recevoir des sanctions sportives. Cette menace finit par décourager le Sporting de Charleroi de recruter Lassana Diarra, qui, suite à cet épisode, restera une saison sans club avant de rejoindre l’Olympique de Marseille en 2015.
« Risques financiers imprévisibles »
Soutenu par des syndicats de joueurs – notamment l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP) et la Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels (FifPro) –, Diarra a saisi la justice belge. C’est dans ce cadre que la cour d’appel de Mons a demandé son éclairage en matière de libre circulation des travailleurs et du droit de la concurrence à la CJUE.
Vendredi 4 octobre, la Cour rendait donc une décision dont l’interprétation par la cour d’appel de Mons sera, selon toute vraisemblance, favorable au footballeur. Estimant que les modalités imposées par la FIFA « font peser sur ces joueurs et sur les clubs souhaitant les engager des risques juridiques importants, des risques financiers imprévisibles et potentiellement très élevés ainsi que des risques sportifs majeurs, qui, pris ensemble, sont de nature à entraver le transfert international des joueurs », la Cour a réaffirmé la possibilité pour les footballeurs professionnels de rompre unilatéralement leur contrat à l’issue d’une saison. Et ce en échange d’une indemnité versé à leur employeur, dont la Cour estime qu’elle devrait être établie proportionnellement et sans prendre en compte l’indemnité de transfert réglée par le club pour s’offrir le joueur. Or, c’est précisément ce que la réglementation de la FIFA prévoit et impose aujourd’hui, selon des critères jugés « imprécis et discrétionnaires » par la Cour. Résultat : aucun joueur ne rompt unilatéralement son contrat, ce qui est, selon la CJUE, incompatible avec le droit de l’UE et le principe de la libre concurrence.
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1 138 accords et avenants interprofessionnels et de branche (données provisoires) ont été signés en 2023 à tous les niveaux (national, régional, local). Ce chiffre, tiré du bilan annuel de la négociation collective en 2023 publié jeudi 3 octobre par le ministère du travail et de l’emploi, atteste d’une forte baisse par rapport à 2022 (1 596 accords signés selon les chiffres définitifs).
La cause de cette décrue ? La décélération de l’inflation, qui a réduit en 2023 la fréquence de réévaluation du smic. Et donc la nécessité de négocier pour maintenir les minima conventionnels au-dessus du salaire minimum. « Après une année 2022 marquée par une dynamique exceptionnelle (…) tirée par le rythme très soutenu de la négociation salariale, le volume des accords signés en 2023 retrouve un niveau plus en phase avec la tendance longue », confirme Pierre Ramain, directeur général du travail, dans l’avant-propos de ce bilan.
Reste que ce retour à la normale laisse un goût amer à certains des partenaires sociaux, que le ministère du travail invite à s’exprimer dans son bilan. « Trop de négociations salariales de branche s’effectuent a minima et se traduisent uniquement par une simple mise en conformité. Cette pratique renforce le tassement des grilles salariales et (…) cantonne trop de salariés (en majorité des femmes), à rester au niveau du smic pendant de longues années », regrette la CFDT.
l’égalité femmes hommes en recul
A l’inverse de la négociation de branche, la négociation d’entreprise n’affiche qu’un léger repli (− 5,5 %) et se maintient à un niveau élevé : 107 980 textes de différents types ont été déposés sur la plateforme de l’administration, avec une répartition quasiment identique entre 2022 et 2023. 61,9 % sont des accords ou avenants signés par des délégués syndicaux (DS), des élus du comité social et économique (CSE), ou des salariés mandatés. 19,1 % résultent d’un référendum à la majorité des deux tiers des salariés, et 18,7 % relèvent de décisions unilatérales de l’employeur (dénonciations d’accords, plans d’action…).
Les salaires représentent toujours en 2023 le sujet principal des accords de branche, avec 520 accords signés, quoique en net recul par rapport à 2022 (− 25 %), pour cause de ralentissement de l’inflation. Pour les mêmes raisons, ce ralentissement réduit le nombre d’accords signés dans les branches sur le thème de l’égalité femmes-hommes (289, contre 437 en 2022), et des systèmes de primes (équipements de travail, déplacements, repas, astreintes, évènements familiaux, etc.). Le nombre d’accords sur les retraites complémentaires et la prévoyance demeure, lui, stable.
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C’était une décision très attendue, et pour cause : elle pourrait permettre aux joueurs de football professionnels de rompre unilatéralement et à n’importe quel moment les contrats qui les lient à un club. Vendredi 4 octobre, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé que les règles de la Fédération internationale de football (FIFA) encadrant les transferts entre clubs étaient « contraires » au droit de l’Union européenne et de « nature à entraver la libre circulation » des footballeurs professionnels.
La CJUE tranchait là un contentieux qui oppose l’ancien international français Lassana Diarra à la FIFA et à la Fédération belge de football. Cet arrêt pourrait, à terme, avoir d’importantes conséquences sur les règles du marché des transferts.
Quel était le problème ?
L’affaire « Lassana Diarra et FifPro (la Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels) contre FIFA et Fédération belge de football » remonte à 2014. Cette année-là, le Lokomotiv Moscou, contrarié par les performances de l’ex-international français (34 sélections), souhaitait baisser son salaire alors que son contrat courait sur trois ans. Estimant cette baisse injustifiée, Lassana Diarra avait signifié son désaccord et émis le souhait de quitter le club russe pour rejoindre le Sporting de Charleroi (Belgique), qui s’était alors manifesté pour le recruter. Le club moscovite avait alors décidé de rompre le contrat du milieu défensif, jugeant qu’il avait cessé de l’honorer sans « juste cause ».
S’appuyant sur les règles de la FIFA, le Lokomotiv Moscou avait, en outre, réclamé 20 millions d’euros – ramenés ensuite à 10,5 millions – à Lassana Diarra pour le préjudice subi. Car, selon le règlement de l’instance internationale, si un joueur rompt son contrat de manière unilatérale et « sans juste cause », celui-ci doit verser une indemnité correspondant à sa rémunération et ses avantages jusqu’au terme de son contrat. Autre règle édictée par la FIFA : un club engageant un joueur ayant rompu son contrat ainsi peut être condamné à payer solidairement ces frais et recevoir des sanctions sportives (pouvant aller jusqu’à une interdiction de recrutement). Cette menace avait fini par décourager le Sporting de Charleroi d’embaucher Lassana Diarra.
Soutenu par des syndicats de joueurs – notamment l’Union nationale des footballeurs professionnels et la Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels –, le joueur français a saisi la justice belge. C’est dans ce cadre que la cour d’appel de Mons s’est adressé à la Cour de justice de l’Union européenne avec, en substance, l’interrogation suivante : les règles de la FIFA en matière de transfert des joueurs sont-elles compatibles avec le droit de la concurrence et la libre circulation des travailleurs au sein de l’UE ?
Qu’a décidé la Cour de Justice de l’Union Européenne ?
Vendredi 4 octobre, l’instance européenne rendue un arrêt penchant plutôt en faveur du joueur. En déclarant « contraires » au droit de l’Union européenne certaines règles de la FIFA encadrant les transferts des joueurs et de « nature à entraver la libre circulation » de ceux-ci, la juridiction établie à Luxembourg suit les conclusions de son premier avocat général, Maciej Szpunar. Ce dernier avait estimé, le 30 avril, que les règles de la FIFA transgressaient le principe de la libre concurrence en Europe.
La Cour de justice estime que les modalités imposées par la FIFA « font peser sur ces joueurs et sur les clubs souhaitant les engager des risques juridiques importants, des risques financiers imprévisibles et potentiellement très élevés ainsi que des risques sportifs majeurs, qui, pris ensemble, sont de nature à entraver le transfert international des joueurs ».
Les règles du marché des transferts vont-elles changer ?
A ce stade, il est impossible d’être formel. Dans l’affaire Lassana Diarra, la CJUE renvoie la balle à la justice belge dans son arrêt, jugeant que, « sous réserve de vérification » par la cour d’appel de Mons, les règles de la FIFA restreignant la concurrence « ne semblent pas indispensables ou nécessaires ». C’est désormais sur cette base-là que le contentieux entre le joueur français et la fédération internationale devra être tranché.
L’avocat belge Jean-Louis Dupont, qui défend Lassana Diarra – aujourd’hui retraité –, s’est félicité de cette décision « majeure pour la régulation du travail dans le football et plus généralement dans le sport ». La FifPro a également très bien accueilli la décision de l’instance européenne, considérant, dans une courte déclaration sur X, qu’elle « changera le paysage du football professionnel ».
Dans les faits, on ignore à ce stade si les règles de la FIFA remises en cause par la CJUE vont être tout simplement gommées – et donner ainsi la possibilité à n’importe quel joueur de quitter un club à n’importe quel moment – ou être remplacées par d’autres. Dans son arrêt, la Cour de justice semble ouvrir la porte à cette seconde option. Elle précise que des raisons impérieuses, liées à « l’intérêt général », peuvent amener la FIFA à édicter de nouvelles règles en matière de transferts afin d’assurer une certaine stabilité en cours de saison dans les effectifs des clubs.
Vendredi, la FIFA s’est dite « satisfaite que la légalité des principes clés du système de transfert ait été reconfirmée » par la CJUE. L’instance considère, en effet, que l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne « ne remet en question que deux paragraphes de deux articles du règlement du statut et du transfert des joueurs ».La FIFA promet enfin d’« analyser la décision [de la CJUE] en coordination avec les autres parties prenantes ».
La principale politique publique en faveur de l’emploi est, depuis les années 1990, la politique de réduction des cotisations sociales des employeurs, visant à réduire le coût du travail. Elle entraîne toutefois des pertes de recettes pour la Sécurité sociale qui se montaient en 2023 à près de 75 milliards d’euros, qui doivent être financées par d’autres impôts et taxes, représentant près de 3 points du produit intérieur brut (PIB).
Cette politique est principalement ciblée sur les bas salaires, et conduit donc mécaniquement à privilégier les embauches de salariés payés au niveau du smic. La part de ces salariés dans l’emploi total a par conséquent augmenté, en partie du fait des récentes revalorisations conjoncturelles du smic, mais aussi du fait de nombreux effets non désirés de la politique d’exonérations de cotisations, qu’il conviendrait dès lors de corriger.
Ces exonérations diminuent en effet rapidement pour les salaires un peu plus élevés, comme du reste les autres aides du système socio-fiscal (aides personnelles au logement, prime d’activité…). Un employeur qui augmente un salarié perd ainsi une partie de ces exonérations. Dans certains cas, il est amené à débourser 480 euros pour que son salarié perçoive 100 euros de revenu disponible supplémentaire !
Privilégier la dynamique salariale
De tels taux sont dissuasifs pour la dynamique des salaires. Cela était anticipé dans tous les rapports qui se sont succédé depuis des décennies sur l’effet des exonérations, mais la priorité était à la lutte contre le chômage. A juste titre au départ : en effet, à la fin des années 1990, le chômage était de plus de 12 % ; des chocs technologiques et de mondialisation laissaient sur le carreau les salariés les moins formés. Un consensus s’était progressivement établi : la priorité était de diminuer le coût du travail. Mais, aujourd’hui, le contexte est différent : les nouveaux chocs sont liés à la robotisation, à l’automatisation, et demain à l’intelligence artificielle, affectant aussi les salariés gagnant entre 1,2 et deux fois le smic.
Il est donc légitime de rediriger les efforts vers ces catégories de salariés. Il ne faut plus faire de l’augmentation de l’emploi au smic la seule boussole des réformes, et viser des emplois de meilleure qualité. Dans un contexte dans lequel l’emploi a progressé, nous recommandons de privilégier désormais la dynamique salariale en réduisant la pente des allègements, c’est-à-dire en retirant moins vite ces réductions de cotisations.
A budget constant, cela passe par une baisse prudente des allègements de cotisations au niveau du smic, mais en contrepartie cela permet d’augmenter ces allègements pour les salaires intermédiaires, entre 2 100 et 3 400 euros, afin de favoriser les emplois au-delà du salaire minimum. Les employeurs pourront ainsi plus facilement augmenter leurs salariés et leur permettre de sortir de la trappe à bas salaires, en réduisant de 10 % le surcoût d’une augmentation.
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La sémiologue Mariette Darrigrand montre, dans L’Atelier du tripalium. Non, travail ne vient pas de torture ! (Equateurs, 224 pages, 19 euros), que le choix des mots est une porte d’entrée pour mieux saisir une époque – et son rapport au travail.
Vous consacrez le début de votre ouvrage à « déconstruire » une contre-vérité : le mot travail n’a pas pour origine « tripalium », qui désignait un instrument de torture dans l’Antiquité et au Moyen Age…
Mariette Darrigrand : J’ai constaté que beaucoup d’ouvrages de management mettaient en avant cette étymologie. Elle imprègne le monde du travail et, en conséquence, on s’appuie bien souvent sur elle pour dénoncer les dysfonctionnements au sein des organisations. Pourtant, elle est fausse.
Il faut revenir à Littré. Au XIXe siècle, le lexicographe a récusé cette étymologie. Il lui préfère le petit vocable « trabs » comme souche du mot travail via « trabe », « trave », « tref »… Cela nous renvoie à la branche de l’arbre, donc au bois, matière première énormément travaillée dans l’Antiquité. Lui ont été associés progressivement, par mécanisme mental, les instruments de travail et, finalement, le travail – l’effort fourni pour construire les charpentes, les toitures, puis, par extension, tout acte de production.
Vous expliquez que « l’étymologie de “travail” (…) donnée communément par “tripalium” constitue (…) une précieuse pièce archéologique ». Pourquoi ?
Au-delà de la recherche de la vérité – cette étymologie est-elle vraie ou fausse ? –, la sémiologie nous permet de comprendre le voyage d’un mot. Tripalium est attesté au VIe siècle. Il est porté par les pères de l’Eglise. Accéder au paradis est alors perçu comme un cheminement lourd, difficile. Il faut travailler dur pour y gagner sa place. Est ainsi accréditée l’idée que le travail fait souffrir l’homme. Une idée qui sera d’ailleurs aussi portée par le marxisme, qui estime que ce même travail aliène l’homme.
Au-delà de ce voyage, la sémiologie nous donne, en outre, la possibilité d’observer notre époque et de comprendre comment nos contemporains parlent. Et la référence au tripalium nous dit bien évidemment quelque chose de notre temps. Il nous éclaire sur le regard porté sur ce monde du travail traversé aujourd’hui par d’importantes problématiques (burn-out, mauvaise organisation du travail…).
Vous expliquez au fil de votre ouvrage que la sémiologie peut également nous permettre de renouveler notre regard sur le travail…
Elle nous invite, en effet, à ne pas réduire notre regard sur le travail à la doxa et au langage dominant. Elle nous propose ainsi d’ouvrir notre focale et de découvrir des représentations, des sens différents. Car, de fait, il y a beaucoup d’autres imaginaires autour du travail. En explorant l’écosystème sémantique, il est possible de sortir de la vision doloriste qui le sous-tend et de constater qu’à d’autres moments de notre histoire le regard porté sur lui était bien plus positif.
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Quelle entreprise peut négliger sans risque un quart de ses salariés ? A priori aucune. La question des « salariés aidants » est donc prioritaire. Pas seulement le 6 octobre pour leur journée nationale qui rappelle l’instauration en octobre 2020 du premier congé de proche aidant rémunéré, mais parce que d’ici à 2030 ils représenteront 25 % des actifs, selon l’étude 2024 de l’Organisme commun des institutions de rente et de prévoyance (Ocirp) publiée jeudi 3 octobre. Un salarié sur quatre qui devra alors jongler entre les rendez-vous médicaux et les tracasseries administratives pour un proche, et son travail.
Pour les entreprises, c’est une bombe à retardement. Elles ont déjà une vague idée du coût de l’absentéisme, mais il existe aussi les coûts liés à la baisse de productivité des salariés aidants qui sont là sans être là, qui perdent en efficacité à cause de la fatigue et de la charge mentale, mais ne se déclarent pas.
L’économiste Nathalie Chusseau, chercheuse associée à la chaire Transitions démographiques, transitions économiques (TDTE), professeure à l’université de Lille, estime que « l’ensemble des coûts cachés pour les entreprises [du secteur privé] – coûts directs : principalement absentéisme, et coûts indirects : présentéisme – s’élèvent à 24 milliards d’euros par an, fourchette basse, et 31 milliards d’euros par an, fourchette haute ». A l’échelle d’une seule entreprise de cent salariés, elle évalue les coûts cachés « à plus de 10 % de la masse salariale ».
Un frein à l’évolution professionnelle
Or l’augmentation du nombre de salariés qui gèrent simultanément leurs parents ou enfants en perte d’autonomie et leur vie professionnelle se poursuit : l’âge moyen d’entrée dans l’aidance baisse d’année en année. De 39 ans en 2021, il est passé à 33 ans en 2024. Le coût pour les entreprises va donc s’envoler, à moins de changer d’approche en se penchant d’abord sur la question de l’identification des salariés aidants puis sur la nature des aides.
63 % des aidants interrogés par l’Ocirp disent ne pas avoir informé leur employeur de leur situation. Et pour cause :65 % des DRH reconnaissent que c’est un frein à l’évolution professionnelle. « Quand le salarié redoute une discrimination à l’emploi ou d’être écarté des augmentations salariales ou d’une évolution professionnelle, il ne se déclare pas. L’employeur n’a alors pas d’autre moyen d’identifier les aidants que l’observation », explique Marie-Anne Montchamp, la directrice générale de l’Ocirp.
La Poste, qui est le premier employeur d’aidants en France, avec 5 200 salariés aidants en 2023, a en partie résolu le problème par un gros travail de communication et par la mise en place d’un guichet des aidants : « La crainte d’être stigmatisé est amoindrie, car ça ne passe pas par le manageur », explique Aline Guerard, déléguée CFDT La Poste et signataire avec toutes les organisations syndicales du dernier accord qui a introduit, entre autres, de nouvelles autorisations spéciales d’absence.
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