Archive dans octobre 2024

« Qu’est-il arrivé au management pour qu’il soit presque devenu un gros mot ? »

Les hôpitaux, l’éducation, la justice, les services publics en général… rien ne va plus ! Ce n’est pourtant pas faute d’avoir appliqué depuis les années 1990 les supposées bonnes recettes du management privé à la gestion publique. Et si le management se porte mal dans le public, il ne se porte pas beaucoup mieux dans les entreprises, où le désengagement des collaborateurs est l’une des priorités des DRH et où la perte de sens est régulièrement évoquée.

Les entreprises elles-mêmes cherchent des dérivatifs au management sclérosant en tentant de « libérer les énergies » ou de revivifier la « culture entrepreneuriale », synonyme d’initiative. Qu’est-il arrivé au management pour qu’il soit presque devenu pour certains un gros mot ?

On aime dire que les Français sont nuls en économie, ce qui est discutable. Il est en revanche certain qu’on ne se comprend plus quand on parle de management, alors qu’il est désormais partout. Quel paradoxe !

En réalité, le management est très difficile à cerner, car c’est à la fois un art, une industrie et une science.

A l’école et sur le tas

Comme tout art, il s’agit d’une pratique qui s’est professionnalisée en mélangeant des techniques, des pratiques et de la créativité. Il s’enseigne à l’école, mais surtout sur le tas. Comme dans la restauration, on y trouve des apprentis, des chefs de brigade, des chefs plus ou moins haut de gamme, et des stars.

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L’industrie est celle du consulting, qui a connu une croissance spectaculaire. Elle pratique des diagnostics, des comparaisons, la standardisation et l’industrialisation des pratiques. On y trouve des consultants juniors sortis des meilleures écoles, des seniors et des manageurs associés qui ont l’oreille des dirigeants d’entreprise.

La science, appelée d’abord science administrative, puis sciences commerciales, est devenue depuis plus de cinquante ans « sciences de gestion et du management ». Elle recouvre des disciplines nombreuses, comme la comptabilité, les théories de l’organisation, la stratégie, la gestion des ressources humaines, la finance, le marketing, la logistique, les systèmes d’information… Ses chercheurs produisent des connaissances à travers des entretiens, des études de cas, des analyses statistiques, sous forme de modèles, de descriptions… Etonnamment, quand les politiques ou les journalistes veulent un avis sur l’entreprise, ils persistent à interroger des économistes dont ce n’est pourtant pas le sujet d’étude. Cherchez l’erreur !

En réalité, ces différents types d’acteurs sont à la fois des spécialistes de la manière de s’organiser en vue d’une finalité, ce que les Anglo-Saxons nomment organizing, mais aussi des spécialistes des organisations, c’est-à-dire des entreprises, des associations, des services publics, etc. Ce double sens du mot organisation ne facilite pas la compréhension collective.

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Santé, frais de garde des enfants… Au Royaume-Uni, la défaillance des services publics constitue un frein à l’emploi

Zoya ne travaille pas, n’étudie pas et a abandonné sa quête d’un emploi. La jeune fille de 19 ans [elle n’a pas souhaité donner son nom de famille], qui vit dans le Lancashire, une région défavorisée du nord de l’Angleterre, a décroché au moment de passer de l’école au monde du travail. « J’ai postulé à quelques emplois mais je n’ai reçu que des réponses négatives. Depuis, je n’ose plus me lancer », relate-t-elle, fragilisée par les longs confinements durant la pandémie de Covid-19.

Le manque de possibilités dans sa région la handicape. « Si je voulais décrocher un emploi, il me faudrait sans doute déménager à Londres, mais je n’en ai pas les moyens, le coût de la vie y est beaucoup plus élevé », raconte-t-elle. Elle se sent « désemparée, à la dérive » et a vu sa santé mentale se détériorer. « Je ne sais pas si je parviendrai un jour à rejoindre le monde du travail », soupire-t-elle.

Au Royaume-Uni, 872 000 jeunes de moins de 25 ans sont dans la même situation que Zoya, et catégorisés comme sans emploi, ni étude ni formation (NEET), soit 12,2 % des 16 à 24 ans. Et, globalement, le pays comptait 9,4 millions d’adultes inactifs fin juillet, soit 21,9 % de cette population, selon l’Office national de la statistique. « Cela représente environ un million de personnes de plus qu’en 2019, avant la pandémie, essentiellement des jeunes qui ne sont pas parvenus à intégrer le monde du travail », relève Ashley Webb, économiste auprès de la société de conseil Capital Economics.

Mauvaise santé

Comparé au reste de l’Europe, où les taux d’inactivité ont retrouvé leurs niveaux d’avant la crise sanitaire, le Royaume-Uni fait office d’exception. En cause, notamment, la mauvaise santé de sa population : 30 % des inactifs souffrent d’une maladie au long cours. Le nombre de personnes bénéficiant de prestations d’invalidité a crû de 39 % depuis 2020, selon l’Institute for Fiscal Studies, un think tank.

Chez les jeunes, ce sont les problèmes de santé mentale qui ont le plus augmenté ; chez les seniors, ce sont les maladies musculo-squelettiques (mal de dos, arthrite). « Les longues listes d’attente dans le système de santé public empêchent la population d’accéder aux soins dont elle a besoin, note Tony Wilson, directeur de l’Institute for Employment Studies. Le soutien aux personnes souffrant de maladies mentales est également inadéquat après des années de sous-investissement. »

Parmi les inactifs, on trouve en outre 1,1 million de personnes – dans leur immense majorité des femmes – qui ne travaillent pas car elles doivent s’occuper d’un proche. « Dans certaines cultures, notamment celles d’Asie du Sud, l’une des filles doit rester à la maison pour prendre soin des aînés et des autres membres de la fratrie », détaille Andrea Barry, économiste pour l’ONG Youth Futures Foundation.

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Accidents du travail et maladies professionnelles : davantage d’entreprises concernées, mais des accidents de trajet en baisse

La neuvième édition du Baromètre de la gestion des accidents du travail et des maladies professionnelles BDO/OpinionWay, publiée le 3 octobre, montre des résultats contrastés pour l’année 2023 : plus de sinistres, mais près de 50 % de diminution des déclarations de maladies professionnelles et d’accidents de trajet.

Ce sondage suit la sinistralité de 400 entreprises de plus de 50 salariés, des secteurs les plus accidentogènes du secteur privé (industrie, transports, BTP…), en interrogeant les fonctions dirigeantes et des ressources humaines (PDG, DRH, préventeur…) : 97 % des entreprises consultées du 10 au 28 juin ont ainsi déclaré avoir eu au moins une fois dans l’année 2023 un sinistre affectant un salarié (accident de travail, accident de trajet ou maladie professionnelle), contre 83 % en 2022.

Mais ce recul de la performance globale s’accompagne de progrès par catégorie de sinistre. Parmi les 97 % qui ont déclaré un sinistre, 69 % ont été confrontées à au moins un accident du travail (contre 80 % en 2022), 24 % à une maladie professionnelle (contre 44 % en 2022), 25 % à un accident de trajet (contre 42 % en 2022).

Un retard sur les accords de prévention

Reste à savoir pourquoi : « L’essor du télétravail a certainement réduit les accidents de trajet. La sortie du Covid a allégé les risques psychosociaux. Mais, à vrai dire, on manque d’explications », reconnaît Xavier Bontout, avocat associé chez BDO et spécialiste du droit du travail. Ces progrès découlent aussi du renforcement des campagnes de prévention sur la sécurité dans les entreprises, surtout les grandes.

C’est ce qu’affirme le groupe Suez qui se targue d’avoir réduit la fréquence des accidents du travail de 35 % de 2019 à 2023 sur l’ensemble de ses sites dans le monde. Selon le spécialiste du traitement des eaux et déchets, cette réduction est le résultat de plans d’action menés sur l’ensemble de ses sites mobilisant tant ses manageurs que des équipes de « préventeurs ». Cela dit, beaucoup reste à faire.

Le baromètre relève que 59 % des entreprises du panel n’ont pas d’accord de prévention, un chiffre qui stagne (58 % en 2022). Or, depuis 2019, les employeurs d’au moins 50 salariés ont l’obligation de négocier un accord de prévention des risques professionnels si 25 % des salariés sont exposés au-delà des seuils réglementaires ou si l’indice de sinistralité est supérieur à 0,25. C’est le cas des entreprises du panel, assure le cabinet BDO, qui pointe chez les employeurs « un manque de proactivité en matière de sécurité au travail, mais aussi une méconnaissance des conséquences et sanctions associées à ce défaut ».

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Le gouvernement britannique propose « la plus vaste réforme du travail en une génération »

La chancelière de l’Echiquier, Rachel Reeves, et le premier ministre britannique, Keir Starmer, lors de la visite d’une usine à Chester, dans le nord-ouest de l’Angleterre, le 4 octobre 2024.

Le Labour britannique avait promis de déposer au Parlement « sous cent jours » après sa victoire aux législatives de juillet dernier « la plus vaste réforme des droits des travailleurs en une génération ». Le calendrier a été tenu : constitué le 5 juillet dernier, le gouvernement de Keir Starmer a déposé à la Chambre des communes, jeudi 10 octobre, un projet de loi dit « Employment Rights Bill » très ambitieux, destiné à redonner des droits et de la stabilité aux employés après vingt-cinq ans de précarisation du travail au Royaume-Uni.

Les fameux contrats « zéro heure » devraient être quasiment abandonnés, tout comme les pratiques abusives de « fire and rehire », permettant aux patrons de licencier puis de réembaucher à des conditions moins avantageuses. Pour autant, le projet de loi manque de détails à ce stade, ces derniers ne seront pas précisés et adoptés avant 2026, après une longue période de consultation avec le patronat et les syndicats.

« Notre mission est de mettre fin aux abus dans le monde du travail et nous tenons à inscrire nos promesses dans la loi afin qu’aucun employeur ne puisse abuser du système pour priver ses travailleurs des droits fondamentaux et de la dignité qu’ils méritent », a déclaré la vice-première ministre, Angela Rayner. Venue à la politique par le syndicalisme, c’est cette femme de 44 ans au parcours courageux (issue d’une famille dysfonctionnelle, elle a quitté l’école à 16 ans) qui a porté la réforme et doit continuer à la défendre dans les prochains mois.

Lacunes du droit

Le projet de loi propose donc que les salariés sous contrat « zéro heure » puissent obtenir contractuellement un nombre d’heures fixes au bout d’un certain temps. Ces contrats « zéro heure » existent depuis des décennies, mais ils se sont multipliés au début des années 2000. Ils donnent un maximum de flexibilité aux employeurs et maintiennent les salariés dans un état de grande vulnérabilité, le tout à des niveaux de salaire trop faibles pour vivre décemment. Les pratiques de « hire and rehire » seront limitées aux cas extrêmes, quand l’entreprise est menacée de faillite et n’a d’autre choix, pour survivre, que de proposer des conditions salariales moindres à ses salariés.

La ministre des transports, Louise Haigh, a aussi promis que le « scandale national » de l’entreprise P & O Ferries « ne se reproduira pas », en mettant fin à des lacunes du droit britannique. En 2022, la société de ferrys britannique avait annoncé sans préavis le licenciement de huit cents marins et réembauché dans la foulée des intérimaires, payés moins que le salaire horaire légal, utilisant le fait que leurs bateaux battaient pavillon étranger et que leurs employés travaillaient en partie hors des eaux territoriales britanniques pour échapper à des amendes ou à des poursuites pénales.

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« Clinicien du travail, je constate l’ampleur des pathologies associées aux nouvelles organisations »

« De partout monte le sentiment qu’inexorablement, le monde s’obscurcit. Et à ce sentiment répond, en écho, une aspiration diffuse à vivre dans la beauté. » Cette parole brûlante du poète caribéen Monchoachi résonne avec une intensité particulière dans le monde professionnel. Est-il possible aujourd’hui de vivre et de travailler dans la beauté ? D’exercer son métier en y trouvant un lieu d’humanisation et de création ? Pour qui et comment ?

Depuis une quinzaine d’années, j’interviens en Belgique, dans une clinique du travail à Liège et en privé à Namur. Ce sont des lieux de consultation ouverts à des personnes qui rencontrent des difficultés professionnelles. Nous y sommes confrontés aux malaises que les transformations du travail suscitent. Nous pouvons constater l’ampleur des pathologies associées aux nouvelles organisations. Mon livre, Le Travail à vif (Erès, 280 pages, 25 euros), rend compte de cette expérience et s’interroge sur les manières d’intervenir, entre écoute du sujet et transformation du travail.

Comme cliniciens, nous sommes confrontés à une multiplication de demandes adressées par des personnes souvent en congé maladie. Des situations très dégradées nous confrontent d’emblée à la violence des rapports sociaux. Les demandes s’expriment d’abord au travers de symptômes et de diagnostics, dont le plus fréquent est celui de burn-out.

On parle à ce propos de pathologies « du travail ». L’expression mérite réflexion. Il peut s’agir de maladies causées par le travail, avec toute la difficulté d’établir un lien de causalité, comme dans le cas du burn-out. Mais l’expression peut également signifier que c’est le travail lui-même qui est malmené et demande à être soigné.

Le juste, l’injuste et l’intolérable

On doit s’interroger sur l’idée de pathologie. Celle-ci n’est pas le contraire de la normalité ; elle révèle des traits de la vie ordinaire qui autrement passeraient inaperçus alors qu’ils sont problématiques. Une patiente, directrice des ressources humaines, dont je reprends le récit dans l’ouvrage, racontait qu’elle avait été amenée à procéder à des licenciements collectifs à répétition, avec des méthodes brutales à la limite de la légalité. En consultation, elle s’est demandé pour la première fois : « Est-ce normal ? » L’engrenage dans lequel elle s’était laissé prendre l’empêchait de discerner le juste de l’injuste. L’intolérable s’était normalisé, et la pathologie venait manifester dans le corps une protestation qui n’avait pas encore trouvé le chemin des mots.

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Les salariés licenciés de Milee manifestent devant Bercy : « C’est la plus grande catastrophe sociale depuis quarante ans ! »

Sa détresse, un salarié de Milee la résume en cette formule : « On a l’impression d’être des invisibles, un quart-monde. » L’entreprise de distribution de prospectus dans les boîtes aux lettres est en liquidation depuis le 9 septembre. « Y a 10 100 personnes sur le carreau, c’est la plus grande catastrophe sociale depuis quarante ans dans ce pays, comment ça se fait que ça ne fasse pas l’ouverture de tous les JT de France ? », s’indigne Sébastien Bernard, délégué syndical central CGT. D’autant qu’une partie des salariés n’ont même pas perçu leurs derniers salaires. « Certains se retrouvent sans aucun revenu. Et nous ne savons pas quand ils seront payés ! », insiste l’élu.

Pour tenter d’attirer l’attention, plusieurs dizaines d’entre eux, venus de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), Rouen (Seine-Maritime), Niort (Deux-Sèvres) ou Brive-la-Gaillarde (Corrèze) s’étaient donné rendez-vous devant le ministère de l’économie et des finances, à Paris, mardi 8 octobre. « Les autres n’ont déjà pas de quoi acheter à bouffer, alors encore moins de quoi payer un billet pour Paris », commente au micro Jean-Paul Dessaux, secrétaire fédéral SUD-PTT.

Marie-Ange Goyard, 37 ans, deux enfants, distributrice au dépôt de Roanne (Loire), prend la parole après lui : « Vous savez ce qu’il va faire mon homme cet après-midi, comme tous les mardis ? Il va aller aux Restos du cœur ! J’en ai fait des heures pour Milee… On nous payait toujours des temps approximatifs. Et avec ma bagnole personnelle, malgré la hausse de l’essence… Marie-Ange c’est pas une vache à lait, ce que je voulais c’est travailler dignement ! » Elle éclate en sanglots.

Aucune allocation chômage

La plupart des distributeurs travaillaient à temps partiel, au smic horaire. Parmi eux beaucoup de personnes fragiles, mères célibataires, travailleurs multipliant les petits boulots ou retraités complétant de maigres pensions. Pour ces derniers, il n’est prévu aucune allocation chômage : « Je vais devoir me débrouiller avec les heures de ménage que je fais encore… », explique Nicole Fromage, 74 ans. Environ 1 700 salariés ont plus de 70 ans selon Sud-PTT qui demande, pour eux, la mise en place d’une aide exceptionnelle.

« Il y a une hypocrisie énorme des responsables politiques et patronaux qui connaissaient la situation, mais comme les salariés sont très précaires et disséminés sur tout le territoire, ils se sont dit “On est tranquille, personne ne va réagir” », s’est indignée devant les salariés la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet.

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Prix Penser le travail : un appel à reconnaître la place de l’individu dans les organisations

« Mettre le sujet au cœur de l’action, c’est reconnaître que dans toute action il y a une dimension humaine et intersubjective », disait le sociologue Blaise Ollivier (1924-2007) lors d’une interview sur la parole difficile du sujet en entreprise. C’est ce que nous invitent à faire les nommés au prix Penser le travail 2024, à travers trois ouvrages sur des sujets aussi différents que la religion, les inégalités femmes-hommes et la souffrance au travail, mais qui portent un message commun : soyons tous responsables, en reconnaissant la place de l’individu dans les organisations.

Le prix Penser le travail, cofondé par Sciences Po et Le Monde, est chaque année l’aboutissement d’un an de lectures croisées. Quelque soixante-dix essais, manuels, enquêtes et autres témoignages sur le monde du travail publiés en 2023 par les maisons d’édition ont ainsi été soumis aux étudiants du master RH et gouvernance durable de Sciences Po, qui en ont présélectionné quelques-uns, par la suite mis en débats avec des responsables des ressources humaines, des journalistes du Monde et des professeurs de Sciences Po, sur six critères : la nouveauté du sujet, la qualité de l’argumentation, le fondement scientifique, la lisibilité, l’apport à la réflexion bien sûr et enfin la pertinence pour l’action, à laquelle les DRH sont particulièrement attentifs.

Parmi les trois nommés 2024, Les Entreprises et l’égalité femmes-hommes (Presses de Sciences Po, 2023), de Dominique Meurs, dresse un état des lieux des inégalités, aux responsabilités largement partagées entre employeurs, partenaires sociaux, salariés et éducation nationale. Les inégalités persistent sur les salaires et l’évolution de carrière. En confrontant les études de chercheurs et les dispositifs mis en place dans les organisations avec plus ou moins de succès, l’économiste met le doigt sur ce qui se passe sur le lieu de travail au regard de l’évolution des normes et des réglementations.

« Le sujet est figé »

Les politiques publiques ont imposé l’index de l’égalité femmes-hommes aux entreprises pour corriger les écarts de rémunération ; « les entreprises sont nombreuses à chercher à innover », note l’économiste, mais avec une efficacité qui reste toute relative. « Le sujet est figé », constatait un DRH au cours des débats. Les responsables des ressources humaines témoignent d’« une frustration extrême face à cette inertie » et ont lu cet ouvrage comme « une invitation à reprendre le sujet ».

En décrivant le travail en situation – des sanctions aggravées pour les femmes ayant des responsabilités, des recrutements qui s’attardent plus sur les profils que sur les compétences, une tolérance coupable face aux attitudes sexistes –, Dominique Meurs ouvre des pistes de réflexion qui renvoient chacun à ses responsabilités. La sociologue suggère notamment de renforcer les compétences statistiques des services RH, les formations, les quotas et le mentorat.

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« Ce doit être aux plateformes comme Uber de démontrer qu’elles emploient de vrais indépendants »

Un livreur portant un sac à dos Uber Eats se joint à des dizaines de livreurs de repas qui manifestent contre leurs conditions de travail et contre un arrêté municipal interdisant les scooters thermiques dans le centre de la ville de Nantes (Loire-Atlantique), le 12 mars 2021.

Uber, les salauds et mes ovaires, c’était déjà le nom d’un « spectacle politique » que donnait Danielle Simonnet dans un théâtre parisien en 2016. La députée de la 15e circonscription de Paris (groupe Ecologiste et social) n’a jamais délaissé le sujet depuis. C’est elle qui a initié et conduit la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les « Uber Files », du nom d’une série d’articles publiés par Le Monde et ses partenaires du Consortium international des journalistes d’investigation en juillet 2022. Son rapport, publié à l’été 2023, dénonçait le « cynisme total » d’Uber et critiquait Emmanuel Macron, qui a manœuvré en coulisses pour la plateforme lorsqu’il était ministre de l’économie.

La députée, exclue de La France insoumise en juin dernier lors d’une « purge » d’élus « frondeurs », publie, jeudi 9 octobre, Face à Uber. Enquête sur un scandale d’Etat (Fayard). Un livre dans lequel elle dénonce la menace que la hausse du nombre de travailleurs des plateformes fait peser sur nos normes sociales. D’où l’urgence, selon elle, de transposer en droit français la directive européenne sur le travail des plateformes adoptée au printemps.

Vous qualifiez, dans votre livre, les relations entre Uber et Emmanuel Macron de « scandale d’Etat ». Mais, lui, estime avoir été dans son rôle de ministre de l’économie, puis de président, en rencontrant des chefs d’entreprise étrangers. Dès lors qu’il l’assume, où est le problème ?

Cette histoire, ce n’est pas du tout celle d’un homme politique qui rencontre des entreprises qui créent de l’emploi. Déjà, ce n’était pas du tout transparent à l’époque. Surtout, au moment de ces rencontres, de 2014 à 2016, Uber est une plateforme hors-la-loi à tout point de vue : le code du travail est bafoué, les règles sur la concurrence également, sans parler de la fiscalité. Cette application n’est pas une grande invention en soi, mais ils ont été très forts pour se moquer de l’Etat de droit et théoriser le passage en force. Or, le ministre de l’économie, à l’insu de son gouvernement, a construit avec la multinationale américaine toute une stratégie de communication commune, en vue d’un deal. Les documents issus des « Uber Files » le montrent. Emmanuel Macron s’est efforcé de modifier les réglementations pour les adapter à cette application. C’est ça qui est scandaleux.

Relire notre enquête : Article réservé à nos abonnés le deal secret entre Uber et Emmanuel Macron à Bercy

Le revenu moyen d’un livreur Uber Eats qui accepte toutes les courses était de 10,10 euros brut par heure en 2023, selon une étude publiée début octobre par le ministère de l’économie. C’est moins que le salaire minimum, si l’on tient compte des cotisations. C’est aussi ça, l’ubérisation ?

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Dominique Meurs, finaliste du prix Penser le travail : « Pour briser le plafond de verre, il faut passer au crible les procédures de promotion »

La chercheuse Dominique Meurs, codirectrice du projet « Travail » du Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap), chercheuse associée à l’Institut national d’études démographiques (INED) et directrice exécutive de la chaire Travail à Paris School of Economics, a commencé à s’intéresser aux inégalités de genre au travail dès le début de sa carrière. Son ouvrage Les Entreprises et l’égalité femmes-hommes, publié par les Presses de Sciences Po dans la collection « Sécuriser l’emploi » (2023), dresse un état des lieux de ce qu’en ont fait les entreprises. Il vient d’être nommé au prix Penser le travail 2024.

Votre ouvrage aurait pu être titré « Que font les entreprises pour l’égalité femmes-hommes ? ». Il présente les avancées significatives réalisées ces dernières années en termes d’inégalités femmes-hommes, mais aussi les blocages persistants. Qu’apporte-t-il de nouveau ?

La première nouveauté est de s’adresser en tant que chercheur aux entreprises et aux responsables des ressources humaines. Mon objectif était de faire un pont entre la recherche académique et les entreprises.

La deuxième est de montrer, à travers les nouveaux travaux, que les entreprises ont un rôle à jouer en interne et pour faire bouger la société, comme certaines l’ont fait sur le congé paternité, par exemple. L’Oréal avait ainsi mis en place un congé paternité rémunéré bien avant la loi. Dans une autre entreprise, pour laquelle j’avais établi les liens entre les retards de promotion et le retour de congé maternité, a été mis en place un suivi personnalisé de carrière.

Pour analyser les inégalités, vous pointez notamment le poids des ségrégations professionnelles qui concentrent les femmes dans des métiers moins bien rémunérés que ceux exercés plutôt par des hommes : 90 % de femmes chez les aides-soignants, 66 % parmi les enseignants, 25 % chez les ingénieurs. Que peuvent les entreprises ?

C’est l’un des verrous les plus difficiles à lever. La première réponse est d’aller dans les écoles présenter les débouchés professionnels pour les deux genres, puis de travailler en interne sur les conditions de travail.

La deuxième concerne la ségrégation verticale. Pour briser le plafond de verre, il faut passer au crible les procédures de promotion, mettre en place du job posting [affichage des postes] pour favoriser la mise en compétition interne des candidats. Si on peut doubler ce mode de transparence par du mentoring [accompagnement] pour inciter les femmes à se présenter, c’est un puissant levier favorable à la mixité.

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