Archive dans août 2024

Canicule : « Les bénéfices du travail de nuit masquent des effets négatifs sur la santé »

La hausse mondiale des températures est responsable de vagues de chaleur plus fréquentes, plus intenses et plus longues, renforcées par les phénomènes de surchauffe urbaine. Les températures élevées impactent la qualité de vie et la santé : malaises, maux de tête, difficultés cognitives sont fréquemment observés, et les coups de chaleur peuvent entraîner des conséquences graves allant jusqu’à la mort.

Pour limiter l’impact des vagues de chaleur, des politiques publiques sont mises en place, favorisant les protections solaires, les dispositifs d’ombrage et la réintroduction de l’eau et du végétal en ville. Ces solutions apparaissent toutefois trop progressives. Il s’ensuit une adaptation des modes de vie, en particulier un changement des rythmes à la faveur de la nuit plus fraîche.

Le travail de nuit est une solution pour éviter de se déplacer et de travailler pendant les pics de température. Il est déjà pratiqué couramment par les agriculteurs et les ouvriers de la construction. Travailler de nuit réduit les risques liés à la chaleur et pourrait contribuer à maintenir la productivité tout en réduisant les consommations d’énergie, en raison de la moindre utilisation de la climatisation. Le travail de nuit autorise aussi les entreprises à développer la flexibilité permettant à une main-d’œuvre mondiale de collaborer 24 heures sur 24.

Un sentiment d’insécurité

Mais ces bénéfices masquent une autre réalité. La ville nocturne peut être vécue comme peu amène. Tous les cheminements ne sont pas bien éclairés et de plus en plus de rues sont éteintes à partir d’une certaine heure. Les piétons marchant la nuit sous un éclairage insuffisant s’exposent à des chutes, à la collision avec un véhicule, et souvent à un sentiment d’insécurité.

En ce qui concerne les bâtiments, leur grande majorité a été conçue pour des activités diurnes. Ils sont mal adaptés à un fonctionnement de nuit en raison du manque de lumière, de la ventilation réduite, de la fermeture des accès, de la maintenance des réseaux, etc. Ces conditions compliquent les tâches réalisées par les personnes qui y travaillent déjà la nuit, comme les agents de sécurité et d’entretien.

Au-delà d’un environnement nocturne souvent inadapté, le travail de nuit est associé à des effets négatifs avérés sur la santé, conséquence des décalages des horaires de travail qui perturbent l’horloge biologique circadienne et le sommeil. Il induit ainsi une augmentation du risque de troubles du métabolisme cardiovasculaire, de la santé mentale, de la mémoire, de la cognition et de cancer. L’absence de lumière du jour est également un facteur de dépression saisonnière.

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Les Bourses redoutent une récession et plongent

La krach boursier mondial s’est amplifié, lundi 5 août, à Wall Street. L’indice Nasdaq, riche en technologies, a ouvert en baisse de 6,3 %, amplifiant son recul de 2,43 % de vendredi 2 août, tandis que le S & P500, qui représentant les grandes entreprises américaines reculait de 4,1 %. Depuis le plus haut de juillet, la correction atteint désormais 15,8 % et 10,5 %. C’est la bulle de l’intelligence artificielle qui explose, incarnée par Nvidia. La firme de microprocesseurs, qui avait été brièvement l’entreprise la plus valorisée du monde devant Apple et Microsoft, baissait lundi de 14 %, un recul de 35 % depuis son plus haut historique.

De même, Apple, la firme technologique considérée la plus sûre du monde, a poursuivi une glissade amplifiée par la nouvelle tombée, samedi 3 août : Berkshire Hathaway, l’entreprise du milliardaire et investisseur de génie Warren Buffett, a cédé la moitié de ses titres Apple au cours du second semestre, pour des raisons fiscales. Le titre était en baisse de 7,3 % lundi matin.

La panique a été déclenchée vendredi avec la publication des chiffres de l’emploi pour juillet aux Etats-Unis, qui ont montré une hausse brutale du chômage. Celui-ci frappe désormais 4,3 % de la population active, tandis que les créations d’emplois (114 000) ont accusé un recul inattendu par rapport à juin (179 000). S’y ajoutent un indice des investissements industriel catastrophique et une désaffection des consommateurs, attestée par les résultats médiocres des entreprises de grande consommation, telles que McDonalds ou les compagnies aériennes. Bulle technologie, chute de l’investissement, consommation morose : les ingrédients laissant craindre une récession sont là, selon les exégètes américains.

« Réduire les taux maintenant »

L’ennui, c’est que ces mauvaises nouvelles sont tombées après la réunion de la Réserve fédérale (Fed), mercredi 31 juillet. Son président Jerome Powell avait indiqué qu’il baisserait ses taux, fixés à un niveau record depuis 2006 (ils évoluent entre 5,25 % et 5,50 %), au mois de septembre, provoquant une joie provisoire des marchés. Désormais, l’institution monétaire est accusée d’avoir trop attendu pour agir. Elle n’avait pas vu monter l’inflation en 2021, attendant mars 2022 pour enfin relever ses taux ; elle n’a pas vu la récession se profiler, persistant à maintenir un loyer de l’argent élevé, obsédée par les précédents des années 1970 et 1980, faits de progrès et de rechute sur l’inflation faute d’avoir fait preuve de la détermination nécessaire.

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« Non à la fermeture » : en Normandie, les salariés d’ExxonMobil défendent leurs emplois

Pendant la prise de parole de Germinal Lancelin, secrétaire de la CGT pour les unités pétrochimiques, au moment de la relève, à l’entrée du site Exxon de Port-Jérôme-sur-Seine, en Seine-Maritime, le 30 juillet 2024.

Site Seveso oblige, malgré la grève, des voitures continuent de franchir les grilles bleues. A 6 heures, puis à 14 heures, et enfin à 22 heures, c’est la relève pour assurer la sécurité du gigantesque complexe pétrochimique d’ExxonMobil, dédale de tuyaux et de cheminées, à Port-Jérôme-sur-Seine – le nom de la commune nouvelle englobant celle de Notre-Dame-de-Gravenchon, en Seine-Maritime.

Mais, depuis la fin mai, à l’initiative de FO et de la CGT, plus aucun produit ne sort du vapocraqueur, l’installation-clé du site pour convertir le pétrole en matières plastiques, vieille d’un demi-siècle. Des banderoles rappellent, à l’entrée, les revendications de l’intersyndicale – dont font aussi partie la CFE-CGC et la CFDT : « Non à la fermeture », « La chimie doit vivre ».

Le 11 avril, le groupe américain ExxonMobil a annoncé son plan pour 2025 : fermer une grande partie de ses activités pétrochimiques en Normandie, tout en gardant, sur la même plate-forme, sa raffinerie, qui est en activité depuis 1933. La filiale ExxonMobil Chemical France, souffrant de la concurrence avec les Etats-Unis et l’Asie, c’est « près d’un milliard d’euros » de pertes au cours de ces cinq dernières années, précise le groupe. A l’inverse, la filiale Esso, celle pour le raffinage, c’est plus d’un milliard d’euros de bénéfices, selon nos informations.

Initialement, il était question de supprimer 677 postes – dont 30 à Nanterre, au siège, en région parisienne. Après huit tours de négociations avec les élus du personnel, la direction a désormais 659 postes dans le viseur. Ce qui impliquerait aussi des coupes dans les effectifs de la raffinerie – certains services, comme la maintenance ou l’informatique, étant mutualisés.

« Nous faisons face à un mur »

Pour les syndicats, le problème reste entier. La major numéro un du pétrole aux Etats-Unis (36 milliards de dollars de profits au niveau mondial en 2023, soit 33 milliards d’euros) s’apprête toujours à supprimer environ un tiers des emplois sur son site normand. « Nous faisons face à un mur », considère Pierre-Antoine Auger, délégué syndical FO, l’organisation majoritaire. Et ce, sans grand bruit, en plein été, pendant les Jeux olympiques de Paris. « Médiatiquement, nous avons l’impression d’être relégués au second, voire au troisième plan », ajoute le représentant du personnel, sous la tente faisant office de piquet de grève, sur le parking des visiteurs.

« La direction d’Exxon nous traite avec une brutalité que nous n’aurions pas imaginée », insiste Germinal Lancelin, secrétaire de la CGT pour les unités pétrochimiques. Contactée, l’entreprise reconnaît « un contexte parfois tendu mais dans le respect du dialogue social ».

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Emploi des seniors : un niveau au plus haut depuis 1976

Les seniors continuent d’être de plus en plus présents sur le marché du travail. En 2023, 38,9 % des personnes de 60 à 64 ans occupaient un poste, soit 2,7 points de plus qu’en 2022, d’après des données récemment diffusées par l’Insee. La progression s’inscrit dans une tendance ininterrompue depuis le début du XXIsiècle, mais elle s’avère particulièrement marquée au cours des douze derniers mois. Une statistique de nature à donner satisfaction au gouvernement sortant, car elle lui permet de se rapprocher de son objectif de plein-emploi pour cette tranche d’âge.

Il faut remonter au début du septennat de Valéry Giscard d’Estaing pour trouver des chiffres plus flatteurs. En 1975, la proportion des 60-64 ans qui travaillaient s’élevait à 40,5 %. Après, elle a régulièrement décliné, pour plusieurs raisons : flambée du chômage, recours massif aux dispositifs de cessation anticipée d’activité, notamment pour les salariés de la sidérurgie, abaissement à 60 ans de l’âge légal de départ à la retraite avec la réforme du gouvernement Mauroy (1981-1984), etc. La dégringolade a duré un peu plus d’un quart de siècle, l’étiage se situant à 10,8 % en 2001.

Ensuite, la courbe est repartie vers le haut, sous l’effet – là encore – de différents facteurs. Parmi eux, il y a les lois de 2003, de 2010 et de 2014 qui ont modifié les paramètres du système de retraite afin d’obliger ou d’encourager les personnes à prolonger leur carrière professionnelle bien au-delà de 60 ans.

L’une des questions qui se pose aujourd’hui est de savoir si la réforme de 2023, en repoussant à 64 ans l’âge d’ouverture des droits à une pension, a pesé en faveur de l’accroissement du taux d’emploi des seniors, cette année-là. L’impact du texte est marginal, répond Bertrand Martinot, expert du sujet auprès de l’Institut Montaigne, car les dispositions n’ont, à ce stade, concerné que des effectifs relativement limités. Selon lui, l’explication principale réside « dans la poursuite de la montée en puissance de la loi de 2014 », qui a augmenté la durée de cotisation requise pour avoir droit à une pension à taux plein, le nombre de trimestres étant graduellement porté à 172 au fil des générations. « C’est une transformation profonde, qui continue d’avoir un impact, souligne-t-il. Elle incite les assurés à se maintenir en poste jusqu’à un âge avancé – parfois même après l’âge à partir duquel ils peuvent partir à la retraite. »

Très en retrait de l’Allemagne, la Suède ou la Finlande

Chercheur associé à l’Observatoire français des conjonctures économiques, Bruno Coquet met en avant un autre élément. « Sur la période récente, il est probable que les besoins de main-d’œuvre des entreprises ont joué un rôle, considère-t-il. Devant la difficulté à trouver des salariés pour pourvoir des postes, elles sont amenées à conserver plus fréquemment qu’avant leurs collaborateurs ayant franchi le cap de la soixantaine ou à recruter dans cette catégorie d’âge. »

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« Les inégalités sociales sont aussi un risque systémique pour les entreprises »

De nombreuses entreprises s’attellent à tracer leurs feuilles de route sur la manière de transformer leur activité pour faire face aux dérèglements environnementaux. Si ces dernières peuvent être ambitieuses, le volet social est souvent le grand oublié.

Les quelques actions mises en œuvre à cette occasion constituent généralement une forme d’approfondissement de la « responsabilité sociale de l’entreprise » et se focalisent fréquemment sur la satisfaction des salariés, leur formation, l’index de l’égalité femmes-hommes ou l’aide aux associations, ce qui est certes important mais insuffisant pour faire face à la crise actuelle.

Les dépassements des seuils environnementaux et sociaux sont en effet les deux faces d’une même pièce. Le franchissement des limites environnementales tient pour l’essentiel à l’excès de consommation des personnes et des organisations. L’empreinte matérielle de chacun diffère en fonction du niveau de richesse, de même que la capacité d’adaptation à la crise environnementale.

Un avenir commun désirable

Le maintien des personnes en dessous d’un certain plancher social (pauvreté, malnutrition, etc.) est lié à un partage inégal des ressources, et il est largement accentué par la multiplication des catastrophes environnementales. Autrement dit, il n’y a pas d’un côté la question de la pauvreté, des vulnérabilités et des inégalités, de l’autre, la question environnementale. La crise est systémique, et les risques pour les organisations articulent ces deux volets.

Si les entreprises ne peuvent plus faire fi des risques environnementaux, comme le montrent les travaux de Climinvest (projet européen associant experts du climat et de l’investissement), elles ne peuvent plus non plus occulter les inégalités. En sus de l’importance pour les entreprises de se projeter dans un avenir commun désirable, il y a trois bonnes raisons pour cela.

Tout d’abord, les inégalités au sein d’une organisation sont un frein important pour faire collectivement face aux risques environnementaux. Pour se transformer, les entreprises ont besoin de l’engagement de l’ensemble de leurs collaborateurs.

Or, des recherches révèlent que plus un groupe est inégalitaire, plus les mesures environnementales prises sont faibles. En bref, les inégalités érodent la communauté, nuisent à la confiance et au respect des normes, éléments pourtant majeurs pour progresser dans ces chantiers environnementaux (Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous, de Kate Pickett et Richard Wilkinson, Les Petits matins, 2013 ; « Inequality and Environmental Sustainability », de N.S. Islam (2015), DESA Working Paper n° 145, etc.).

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Alixe Kombila, visage de la lutte à l’école Emmaüs

Alixe Kombila, devant la préfecture du Nord, le 22 juillet.

Alixe Kombila est de celles qui prennent le micro qu’on ne leur tend pas. Cette Gabonaise de 36 ans est l’un des visages de la grève menée, durant un an, par les ­compagnons Emmaüs de La Halte Saint-Jean, communauté établie à Saint-André-lez-Lille, dans le Nord. Ce 22 juillet, la militante a troqué ses habits de lutte pour une coquette robe bleu et blanc. Son visage encadré de cheveux tressés de mèches rouges n’est plus celui de la colère, mais bien de l’apaisement. « Ce n’est pas de la satisfaction que je ressens, il ne peut pas y en avoir dans la souffrance », nuance-t-elle.

Pierre Duponchel, le président de la communauté qui gère La Halte Saint-Jean, ainsi qu’Anne Saingier, directrice de la communauté Emmaüs qu’Alixe Kombila a rejointe en février 2021, ont été reconnus, le 5 juillet, coupables de « travail dissimulé aggravé ». Ils ont été condamnés à des peines de prison avec sursis de respectivement un et deux ans, ainsi qu’à des amendes de 2 000 et 3 000 euros. Les deux dirigeants, qui ont l’interdiction d’exercer une activité en lien avec l’infraction pendant cinq ans, ont fait appel de la décision du tribunal judiciaire de Lille.

Si la date de ce second procès n’est pas connue, Alixe Kombila espère qu’y seront condamnés à des peines plus lourdes – « de la prison ferme » – ceux qu’elle qualifie de « nouveaux esclavagistes ». Son avocat, Ioannis Kappopoulos, va saisir le conseil de prud’hommes et aimerait porter l’affaire au pénal. En attendant, les compagnons sans papiers ont obtenu l’une de leurs principales revendications : être régularisés.

Situations de maltraitance

Cette décision, si elle venait à faire jurisprudence, pourrait remettre en question le principe même du fonctionnement du compagnonnage Emmaüs, une exception du droit du travail qui perdure depuis soixante-dix ans. Dans cent vingt-trois communautés en France, environ sept mille personnes dans des situations de grandes difficultés – économiques et administratives – vivent grâce à l’un des principes ­fondateurs du mouvement : garantir l’accueil inconditionnel (loger, nourrir et blanchir les compagnons) en échange de différents travaux allant du tri des dons à leur vente, en passant par le ménage des lieux d’hébergement. Ni salariés ni bénévoles, les compagnons reçoivent une allocation communautaire ­mensuelle d’environ 350 euros.

Tarek Daher, délégué général d’Emmaüs France, reconnaît que, dans le cas de La Halte Saint-Jean, comme dans d’autres communautés du Nord, de graves dysfonctionnements ont mené à des situations de maltraitance. « Notre erreur a peut-être été de ne pas taper assez fort du poing sur la table, lorsque nous avions connaissance de telles situations », ajoute-t-il. Un large plan d’action a été voté en assemblée générale pour détecter ­d’éventuelles autres « situations à risque ».

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« Pour en finir avec le machin » : un pamphlet contre le management qui broie la compétence collective

Le terme « management » ? « Une fumisterie ». Dès les premières lignes de son ouvrage, Norbert Alter donne le ton. Avec Pour en finir avec le machin (Editions EMS), le sociologue qui a exercé au Conservatoire national des arts et métiers à Paris-Dauphine, auteur de plusieurs essais sur le monde du travail, propose un virulent pamphlet contre les pratiques managériales – rebaptisées pour l’occasion « le machin ».

Un parti pris mené sous une forme originale : l’auteur s’autorise, pour cette dernière livraison, une approche romancée, mettant en scène Frédéric, un consultant qui revient sur plus de trente années de conseil en entreprise. Le propos se veut volontiers provoquant et n’est pas dénué d’humour. Il jette une lumière crue sur le monde du consulting en management, dont les interventions apporteraient, in fine, davantage de problèmes que de solutions aux organisations.

Frédéric n’a plus la foi. L’a-t-il d’ailleurs jamais eue ? Pilotage d’une entreprise de charcuterie industrielle, refonte de la gestion des compétences dans une société informatique, définition de la stratégie de communication interne de dirigeants d’entreprise… Lors de ses multiples missions, il délivre un prêt-à-penser et à agir aux organisations. Procédure, indicateurs… Tout est fait pour « anénti[r] l’incertitude », résume-t-il.

Effets délétères sur les salariés

Problème : il perçoit que ces stratégies, si elles rassurent les dirigeants, ont des effets délétères sur les salariés. Elles réduisent tout d’abord considérablement leurs marges de manœuvre et leur possibilité d’adapter les consignes données, afin de mener à bien leurs missions.

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C’est ainsi tout l’écart, nécessaire, entre le « travail prescrit » et le « travail réel » qui est menacé. Avec le « machin », les organisations se privent par conséquent des idées qui émergent du terrain. « Plutôt que de tirer parti des trésors de compétence collective qui assurent le bon fonctionnement des organisations, on les broie », explique le narrateur, désabusé.

Ce faisant, l’obsession du respect des protocoles réduit les interactions, souvent informelles, qui caractérisent le monde du travail. Le « machin » « extirpe les liens sociaux (…) en interdisant aux individus de vivre spontanément leur rapport aux autres, au job, à la boîte ».

Pour les salariés, ces évolutions sont sources de désenchantement et de souffrances. Norbert Alter décrit, au fil des pages, des travailleurs « silencieux et blessés, repliés ». Il relie ces situations aux travaux de sociologie montrant que l’amoncellement de procédures « empêch[e] les gens de faire leur boulot intelligemment et avec cœur ». Le travail perd de son sens. La motivation des collaborateurs s’émousse et menace leur « engagement spontané ».

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En Grèce, certaines entreprises tentées par la semaine de six jours

Des ouvriers récoltent des pommes de terre, sur l’île de Naxos, en Grèce, le 20 juin 2024.

« Le monde du travail ne ressemble plus qu’à une jungle. » Il y a quelques jours, le député du parti Syriza (gauche, opposition) Giorgos Gavrilos s’est indigné devant le Parlement grec, égrenant les mesures prises par le gouvernement conservateur au pouvoir : allongement du temps de travail, affaiblissement du corps de l’inspection du travail, criminalisation de l’action syndicale… « Un environnement négatif, anarchique et arbitraire a été créé pour le travailleur », a-t-il fustigé.

L’objet de sa colère, en particulier : l’entrée en application, le 1er juillet, d’une loi qui permet aux entreprises fonctionnant en continu (c’est-à-dire fournissant des services vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept) ou aux entreprises déclarant une « charge de travail » (ce qu’elles devront prouver à l’inspection du travail en cas de contrôle) de faire travailler leurs salariés six jours par semaine, soit quarante-huit heures – ou deux heures supplémentaires lors de leurs cinq jours de travail. L’employé recevra un salaire majoré de 40 % pour le sixième jour de travail. Si celui-ci tombe un dimanche ou un jour férié, l’augmentation atteindra 115 %.

Dans une interview donnée à la chaîne américaine CNN, le 13 juillet, le premier ministre, Kyriakos Mitsotakis, a néanmoins insisté : « La Grèce n’instaure pas la semaine de travail de six jours (…). Cela est appliqué uniquement dans des circonstances exceptionnelles, dans une très petite minorité d’entreprises. »

« Je veux arrêter, car les conditions de travail sont éprouvantes »

Selon lui, l’augmentation du temps légal de travail est nécessaire dans certains cas, en raison de la diminution de la population et de la pénurie de travailleurs qualifiés. Il rappelle que plus de 500 000 Grecs, pour la plupart des jeunes diplômés, se sont expatriés depuis la crise économique, en 2010.

Le gouvernement assure aussi que cela permettrait de lutter contre le travail au noir, car de nombreux salariés enchaînent deux emplois ou cumulent des heures supplémentaires pour s’en sortir – mais, jusqu’à présent, ils ne pouvaient pas les déclarer officiellement, puisque le travail était limité à onze heures par jour et à quarante-huit heures par semaine.

Dans les secteurs du tourisme et de la restauration, un sixième jour de travail est déjà prévu et régulé par une convention collective. Tilemachos Pappas, serveur sur une île touristique, travaille ainsi déjà six jours par semaine de mai à octobre. « Je veux arrêter, car les conditions de travail sont éprouvantes. Je pense que cette mesure aura juste pour effet de faire fuir encore plus les jeunes à l’étranger. On ne s’expatrie pas juste parce que les salaires sont meilleurs ailleurs en Europe, mais aussi en raison de ces abus de la part des employeurs », dit en soupirant le trentenaire.

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