Archive dans 2023

Revaloriser les professeurs et le système éducatif

Personne ne peut le contester : la rémunération des enseignants français est insuffisante, voire indécente. En 1980, un professeur débutant gagnait 2,3 fois le smic ; ce n’est plus que 1,2 fois aujourd’hui. Cette dévalorisation salariale se double d’une perte de prestige social et d’un affaiblissement du poids politique dans un contexte professionnel alourdi par l’inflation des missions, la pression des parents d’élèves et la bureaucratie de l’éducation nationale. Alors que l’avenir du pays se trouve en partie entre les mains des professeurs, il est inquiétant qu’il ait fallu une grave crise de recrutement pour imposer l’évidence : la nécessité d’une revalorisation significative.

Pour répondre à cette exigence, le dispositif annoncé jeudi 20 avril par le président de la République est loin d’être négligeable : 3 milliards d’euros annuels sont sur la table, dont les deux tiers destinés à l’ensemble du corps enseignant. Ils doivent se traduire par des augmentations « de 100 à 230 euros net par mois » et faire en sorte que plus aucun enseignant ne gagne moins de 2 000 euros mensuels. Mais cette augmentation, qui représente un bonus moyen de 10 %, ne tient pas exactement la promesse faite par Emmanuel Macron lors de la présidentielle d’une hausse de 10 % pour tous.

Pour toucher « jusqu’à 500 euros par mois » de plus, les professeurs devront, « sur une base totalement volontaire », s’engager à accomplir des tâches supplémentaires, comme le soutien aux élèves en difficulté en primaire, un renforcement en français ou en mathématiques en 6e, la découverte des métiers ou la coordination de projets pédagogiques innovants, ainsi que, dans le second degré, des remplacements de courte durée.

Il n’est guère contestable que ces missions, aujourd’hui insuffisamment assurées, figurent parmi celles dont l’accomplissement peut aider le système éducatif à enrayer une dégradation que soulignent les enquêtes internationales : baisse des performances des élèves dans les savoirs fondamentaux (lecture, orthographe, mathématiques), classement médiocre parmi les pays développés, forte corrélation entre le statut socioéconomique des élèves et leurs résultats.

Sentiment d’épuisement professionnel

Dans ce contexte, l’appel au volontariat semble logique, tant le système scolaire souffre d’une uniformité qui, sous couvert d’égalité, sert souvent d’alibi à l’inertie. La revalorisation des salaires peut difficilement être conçue sans lien avec celle du système scolaire lui-même, autrement dit sans de profondes transformations.

Cette tâche, herculéenne dans une administration qui emploie 859 000 professeurs, apparaît encore alourdie par l’ampleur du déficit salarial accumulé et par un sentiment d’épuisement professionnel répandu. L’équation se trouve aussi compliquée par la crise politique en cours et le choix du président de la République, en situation d’impopularité, de se mettre en avant sur ce dossier qui devrait, en toute rationalité, être géré par le ministre de l’éducation nationale.

En combinant revalorisation générale et augmentations ciblées, l’exécutif pense sans doute avoir trouvé une formule acceptable et jouer sur l’opinion pour déjouer le « toujours plus » des syndicats d’enseignants. Mais, après le grand conflit de la réforme des retraites, alors que l’inflation dévore les salaires, comment imaginer faire aboutir le nécessaire aggiornamento de la rémunération des enseignants sans l’aval d’organisations qui les représentent ? Et sans une garantie que le rattrapage annoncé se poursuivra dans la durée ?

Le Monde

Le Parcours emploi santé, pour lever les « freins psychologiques » au retour à l’emploi

Politique de l’emploi

[La politique de l’emploi s’appuie sur des dispositifs créés au fil des besoins, qui restent parfois méconnus longtemps après leur création. Quelle est leur efficacité contre le chômage ? Elle n’est pas toujours évaluée. Le Monde publie une série d’articles sur les aides à l’emploi, pour tenter d’estimer ce qu’on en sait – leur objectif initial, leurs résultats.]

Selon Pôle emploi, les problèmes de santé sont l’une des principales difficultés rencontrées par les demandeurs d’emploi de longue durée. Un phénomène qui pourrait s’aggraver avec la réforme des retraites et l’allongement de la durée de cotisation. C’est dans ce contexte que le gouvernement a lancé il y a un an un nouveau dispositif intitulé « Parcours emploi santé », dans le cadre de son plan de retour à l’emploi des chômeurs de longue durée.

L’objectif du dispositif

Le but de ce programme est de comprendre l’impact des problèmes de santé, qu’ils soient d’ordre physique ou psychologique, sur le retour à l’emploi des personnes et de travailler à des solutions adaptées. Déployé par Pôle emploi, le dispositif est assuré par des prestataires externes. Peuvent en bénéficier les demandeurs d’emploi inscrits depuis plus d’un an.

Au-delà des problèmes de santé, l’objectif est d’abord de travailler sur la perception du demandeur d’emploi concernant son état de santé. Les bénéficiaires « sont des personnes sélectionnées par les équipes de Pôle emploi, qui se sont rendu compte à un moment qu’il y avait des freins psychologiques au retour à l’emploi », indique Camy Puech, président de Qualisocial, un des cabinets prestataires. Mais le dirigeant insiste : « On va d’abord s’occuper de la personne avant de s’occuper de ses projets professionnels. »

Le fonctionnement

Le parcours dure entre quatre et six mois. Un premier entretien est organisé entre la personne et un psychologue. S’ensuivent d’autres rendez-vous avec un professionnel de santé et un référent en insertion professionnelle. Le demandeur d’emploi est ensuite orienté vers une solution adaptée : soutien psychosocial, réorientation sur un projet professionnel compatible avec son état de santé, accompagnement dans une démarche de reconnaissance de handicap… « Quand on demande à un tétraplégique ce qu’il peut faire, il vous dira : rien, avance Camy Puech. Notre rôle, c’est de lever les freins psychologiques aux freins physiques. »

La CGT Pôle emploi avait exprimé des inquiétudes quant au respect du secret médical dans le cadre de ce dispositif. Mais Camy Puech l’assure : aucune donnée de santé n’est communiquée au conseiller Pôle emploi, en dehors des informations relatives au projet professionnel et de ses conditions d’exercice. Quant au plan d’action défini à l’issue du parcours, « c’est le bénéficiaire qui a le dernier mot ».

Il vous reste 32.64% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« L’intelligence artificielle pourrait accroître l’écart de pénibilité entre les travailleurs »

Le 30 novembre 2022, OpenAI inaugurait la révolution ChatGPT, application conversationnelle adossée à un modèle d’intelligence artificielle générative. D’abord gratuite, puis enrichie d’une version payante et augmentée, cette solution se veut capable d’interpréter des questions, appelées « prompts », et de proposer des réponses argumentées.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés ChatGPT, le logiciel capable d’écrire des petits textes confondants

Dans le même temps, nos députés et sénateurs discutaient, en des termes parfois un peu caricaturaux, d’une réforme des retraites purement comptable, illustrant la faible capacité des responsables politiques à penser la question du travail sous l’angle des profondes mutations qui sont à venir. Parmi les nombreuses évolutions technologiques imminentes (robotisation, numérisation, automatisation, etc.), en effet, l’intelligence artificielle (IA) sera sans doute l’une des plus décisives et structurantes pour les emplois futurs.

L’IA aura notamment un effet considérable sur la pénibilité au travail : elle diminuera celle pour les cols blancs, mais elle n’aura pas le même impact positif pour les cols bleus. Cette révolution technologique qui se déroule sous nos yeux pourrait accroître l’écart de pénibilité entre les travailleurs.

La révolution occasionnée par l’IA aujourd’hui est analogue à celle que le taylorisme, qualifié d’organisation scientifique du travail, a engendrée au début du XXe siècle en généralisant la division du travail, tant horizontalement (division des tâches) que verticalement (hiérarchisation des tâches). Aujourd’hui, les solutions d’IA permettent d’approfondir la division horizontale du travail. La future « organisation automatique » du travail permettra vraisemblablement à l’homme de se concentrer sur les activités sur lesquelles la machine est la moins efficace et pertinente, comme la création ou la prise de décision.

Le rasoir de la logique

Il semble cependant que tous les travailleurs ne soient pas égaux face à cette révolution. Une étude du cabinet McKinsey a évalué que les travailleurs diplômés seront cinq fois plus exposés aux solutions d’IA que les travailleurs non diplômés. La dernière étude d’OpenAI confirme une plus grande exposition à l’IA des emplois dont les salaires sont plus élevés. Certains cabinets d’avocats ont déjà intégré ce type de technologie. Allen & Overy, par exemple, a annoncé le déploiement d’Harvey, un outil permettant d’automatiser certaines activités juridiques telles que l’analyse de contrats, les vérifications de conformité ou le contentieux, et ainsi de décharger les avocats des activités les plus laborieuses ayant le moins de valeur ajoutée industrielle, et même intellectuelle.

Il vous reste 56.38% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Chez Akkodis, un dialogue social impossible sur fond de stress au travail

Obtenir une juste représentation des salariés, cela fait dix ans que Marc Vicens mène le combat devant les tribunaux. Malgré ses 6 000 salariés et 500 millions d’euros de chiffre d’affaires en France, son employeur, Akka Technologies, devenu Akkodis en octobre 2022 depuis son rachat par Adecco, n’a jamais eu d’instance représentant l’unité économique et sociale (UES) du groupe d’ingénierie, prestataire notamment d’Airbus. « Malgré les victoires devant les tribunaux et les demandes de l’inspection du travail, il y avait une volonté délibérée de l’ancienne direction de ne pas avoir d’instance au niveau du groupe », explique Christophe Eychenne, l’avocat de Force ouvrière (FO).

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Airbus, champion des commandes et des livraisons devant Boeing en 2022

Alors, quand les nouveaux dirigeants décident en janvier d’organiser un scrutin pour constituer un comité social et économique (CSE) regroupant les sept entités juridiques du groupe en France, M. Vicens, délégué FO, espère la fin d’une décennie d’anomalie sociale. Mais son espoir est vite déçu : selon lui, les règles du scrutin qui s’est tenu en février et mars ont été biaisées. « Le protocole d’accord préélectoral n’a pas été négocié mais imposé par une décision unilatérale de la direction et l’outil électronique ne garantissait pas l’exercice individuel du vote, explique Marc Vicens. On était enfin arrivés à organiser des élections. La direction nous les a volées », regrette le délégué syndical. Il a saisi le tribunal judiciaire de Lyon pour faire annuler le vote. Une audience de plaidoiries est programmée pour le lundi 24 avril.

Querelle entre syndicats et direction

« La direction n’est pas étrangère à ces années de blocage. Mais quand elle décide d’avancer, FO lui met des bâtons dans les roues », s’agace Vincent Barrat, délégué CFDT, dont le syndicat est arrivé en tête aux élections. Il se demande même si son collègue de FO « ne crée pas sciemment un climat propice aux problèmes pour pouvoir ensuite engager des contentieux et conserver son mandat qui date de 2009 ». Marc Vicens se défend d’être mauvais perdant : « On a contesté les élections avant même leur tenue. Le jour où nous aurons des élections loyales, quel que soit leur résultat, on l’acceptera. »

Contactée, la direction d’Akkodis ne souhaite pas commenter les actions judiciaires car « ces dernières sont toujours en cours ». Mais elle assure, dans une réponse écrite, que « ces élections se sont déroulées conformément au cadre réglementaire » et constituent une « première étape en vue du rapprochement des socles sociaux des différentes entités au sein de la marque Akkodis ». FO et ses alliés n’excluent pas de lancer une autre action pour discrimination syndicale et délit d’entrave. « La direction a bafoué les règles de neutralité. Elle a censuré nos tracts et a, au contraire, favorisé la CFDT et la CFTC, devenues majoritaires au CSE. Elle a réussi à mettre à l’écart l’intersyndicale que nous avions constituée avec UNSA et la CFE-CGC », clame le délégué FO.

Il vous reste 36.31% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Intelligence artificielle : « A chaque révolution industrielle a été proclamée la disparition du travail »

C’est l’un des paradoxes actuel : au moment même où la question du travail redevient centrale en raison du mouvement social contre la réforme des retraites, on remarque un retour en force des discours sur la fin du travail. Futurologues, essayistes et journalistes se posent cette question : pourquoi se mobiliser contre le recul de deux ans de l’âge à la retraite, alors que l’intelligence artificielle (IA) va révolutionner le monde du travail ?

A en croire tribunes et prises de position, salariés et étudiants n’auraient pas compris où sont les vrais dangers du moment. Ils auraient même tort de manifester, car le recul de l’âge légal de départ à la retraite ne serait rien face aux dangers de l’intelligence artificielle ou de ChatGPT. On annonce alors la suppression de millions d’emplois sous les effets de l’IA et de ses avancées ; on parle d’une nouvelle révolution industrielle, de « désordres indescriptibles », d’un « bouleversement » sans précédent de la structure de l’emploi. Rien de moins.

Ces discours technofatalistes et apocalyptiques n’ont rien de nouveau. Après tout, à chaque révolution industrielle a été proclamée la disparition du travail et a été opposé le « progrès technologique » au bien-être des travailleurs et des populations, même si jamais de telles prédictions ne se sont confirmées.

Mais d’où viennent ces discours ? D’abord, d’entrepreneurs du secteur du numérique qui cherchent à faire parler de leurs services et à attirer des financements. C’est ce qui explique que les discours sur les révolutions technologiques sont hyperboliques et exagérément optimistes. Ce n’est donc pas un hasard si, après l’engouement autour de ChatGPT en début d’année, Microsoft a décidé d’investir 10 milliards de dollars (9,1 million d’euros) dans OpenAI, entreprise propriétaire du robot conversationnel.

Davantage de précarité

Ensuite, de cabinets de conseil qui font leur miel de cette panique sur la fin du travail, vendant des « solutions IA » à des entreprises qui ne veulent pas être à la traîne sur un sujet présenté comme révolutionnaire dans les médias. Enfin, de « futurologues » et d’experts autoproclamés pour qui il s’agit de faire parler de leurs livres, d’être invités dans les médias et à donner des conférences.

Les discours enthousiastes sur les nouvelles technologies ont une fonction : ils contribuent à leur acceptation, au-delà de leurs conséquences sociales ou politiques, et deviennent une sorte de prophétie autoréalisatrice. La croyance en une révolution technologique favorise l’allocation de ressources supplémentaires pour le développement de ces technologies et leur introduction sur les lieux de travail, renforçant à son tour l’idée d’une révolution technologique. A chaque fois, il s’agit de nous faire croire que le changement technologique est inévitable, que s’y opposer n’a aucun sens et que tous les autres sujets sont secondaires.

Il vous reste 45.48% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Au Canada, les fonctionnaires en grève réclament le droit au télétravail

Des augmentations de salaire, bien sûr, pour tenir compte de l’inflation galopante (6,7 % au Canada pour 2022) mais aussi l’inscription, actée dans leur convention collective, d’un droit au télétravail : la grève déclenchée, mercredi 19 avril, par le principal syndicat des fonctionnaires fédéraux, l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), est d’ores et déjà qualifiée « d’historique » par ses organisateurs. Un tiers des 336 000 employés fédéraux a cessé le travail ; un mouvement de débrayage d’une telle ampleur n’avait pas été observé dans le pays depuis 1991.

Quelques secteurs sont particulièrement affectés par cette grève, parmi lesquels les services de délivrance des passeports, à l’heure où se profilent les départs en vacances estivales, les services d’immigration et les activités d’approvisionnement et d’échanges commerciaux dans les ports et les aéroports mais aussi, et surtout, celui des impôts, à quelques jours de la date fatidique de la déclaration de revenus (le 1er mai) des contribuables canadiens.

Le gouvernement a néanmoins usé de son droit de réquisition pour imposer à 48 000 des 155 000 fonctionnaires grévistes l’obligation de se présenter au travail afin d’assurer les « services essentiels » dus aux Canadiens, tels que le versement des prestations sociales ou des pensions de retraite.

Droit au télétravail

Après plus de deux ans de discussions improductives entre les partenaires sociaux et le Conseil du Trésor, ministère qui chapeaute la fonction publique, les négociations continuent d’achopper sur le montant du rattrapage salarial à effectuer depuis 2021 : les syndicats réclament 13,5 % d’augmentation sur trois ans, le gouvernement s’en tient jusqu’à présent à proposer 9 %.

Mais c’est sur l’organisation du travail, avec une nouvelle réalité, née de la pandémie de Covid-19, que le dialogue semble le plus difficile. « Le ministère veut forcer tous les fonctionnaires à revenir au minimum deux jours par semaine dans leurs bureaux. Mais pour un employé qui répond toute la journée au téléphone aux administrés, expliquez-moi quelle différence cela fait qu’il travaille de chez lui ou de son bureau ? », avance Yvon Barrière, vice-président exécutif pour le Québec de l’AFPC, qui plaide pour que le droit au télétravail acquis par nécessité pendant la pandémie ne soit pas remis en cause.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le secteur public expérimente timidement la semaine de quatre jours

« Au nom du droit de l’employeur de dire où et comment les services aux Canadiens sont le mieux rendus », a répété, le 19 avril sur Radio-Canada, la présidente du Conseil du Trésor, Mona Fortier, le gouvernement souhaite s’en tenir à une directive énoncée en décembre 2022 pour toute la fonction publique, qui prenait acte de ce nouveau modèle de travail hybride, mais obligeait chacun à retourner au bureau entre « 40 % et 60 % de son horaire régulier ».

Il vous reste 31.85% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Nucléaire : comme d’autres sous-traitants, Endel se prépare à recruter en masse

Il faut s’imaginer à l’intérieur d’un immense réacteur. Sauf que nous sommes dans un atelier, sorte de hangar réaménagé. Ici, une machine de soudage pour s’entraîner : face à son écran de contrôle, un technicien pilote à distance un robot. Plus tard et ailleurs, l’opération se reproduira en pleine centrale nucléaire, en milieu radioactif.

Pour l’heure, nous voilà donc plutôt à Rognac (Bouches-du-Rhône), sur les rives de l’étang de Berre, dans des locaux de la société Endel, spécialisée dans la maintenance du métal. L’un des principaux sous-traitants de l’industrie nucléaire et en particulier d’EDF, exploitant des réacteurs français. L’un des principaux « partenaires », préfère dire Madany Lias, PDG de la société, costume sans cravate. Lui n’a pas encore eu l’occasion d’un rendez-vous bipartite avec Luc Rémont, nouveau patron d’EDF, en poste depuis cinq mois.

Comme pour bon nombre de sous-traitants (Bouygues, Vinci, Onet, Spie, Spie Batignolles…), l’atome n’est pas l’unique activité d’Endel : 595 millions d’euros de chiffre d’affaires global en 2021, filiales comprises. Mais il s’agit de la principale. Au rayon des « joies à partager » aujourd’hui avec EDF, pour reprendre l’expression de M. Lias : la perspective de six nouveaux réacteurs à construire, annoncée par le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, voilà un an.

Madany Lias, PDG d’Altrad Endel, à Rognac (Bouches-du-Rhône), le 18 avril 2023.

Générateur de vapeur

Sur près de 4 800 salariés des entités Endel, quelque 3 000 salariés œuvrent déjà dans l’énergie, selon l’entreprise. Certains sont au statut de la métallurgie, un statut unique des travailleurs du nucléaire n’existant pas encore, en dépit d’une revendication syndicale.

Un millier de postes en plus est attendu à terme dans les années à venir, d’après des projections internes, sans échéance précise. Soudeurs, tuyauteurs… « Avant d’aller recruter, il faut aussi savoir garder nos compétences, considère le patron d’Endel. Le marché est tellement en tension que certains fournisseurs n’hésitent pas à débaucher massivement chez leurs confrères ou concurrents. » Pour de nouveaux chantiers, mais aussi pour les réacteurs déjà en service.

Les appels d’offres liés à de futurs réacteurs n’ont pas encore été lancés. Mais Endel s’y prépare, en association avec deux autres sociétés spécialisées dans les tuyauteries, Fives Nordon et le groupe Ponticelli. « EDF reste à l’écoute de nos contraintes, mais encore faut-il les mettre sur la table, le problème est que certains sous-traitants peuvent avoir tendance à ne pas le faire », reconnaît Madany Lias, la promesse de délais ou de coûts intenables pouvant être reprochée aux sous-traitants.

Il vous reste 46.71% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Soudeurs, chaudronniers, ingénieurs : le gouvernement sonne la « mobilisation » générale dans le nucléaire

Daniel, monteur levageur au sein de la société Endel, à Rognac (Bouches-du-Rhône), début avril 2023.

L’industrie de l’atome compte ses rangs, avec un besoin criant de les élargir. Sans quoi, impossible d’envisager la relance du nucléaire. Du moins, celle souhaitée par le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, dans son discours de Belfort, en février 2022 : au moins six nouveaux réacteurs à construire, voire huit autres par la suite.

D’où l’urgence de parvenir à « la disponibilité des ressources au bon niveau de compétence et au bon moment », résume le Groupement des industriels de la filière nucléaire (Gifen), en préambule d’une note très attendue – le rapport « Match » –, publiée vendredi 21 avril.

Après des années de tergiversations gouvernementales, y compris durant le premier quinquennat de M. Macron, l’organisation patronale se livre à un exercice périlleux : quantifier le nombre de recrutements nécessaires, métier par métier, pour les accorder (un sens du verbe « Match », en anglais) aux futurs plans de charge prévus par les entreprises.

Très attendu, le document de 87 pages résulte d’une commande gouvernementale. D’après Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, la relance du nucléaire permettra à « des dizaines de milliers de jeunes d’accéder à des emplois à tous niveaux de qualification, à un bon niveau de rémunération », avec l’enjeu « de contribuer à lutter contre le réchauffement climatique ». Dans un même communiqué, le ministre délégué à l’industrie, Roland Lescure, s’exprime pour « les acteurs de la filière, grands donneurs d’ordre comme PME » : « Nous lançons la mobilisation générale pour rendre possible la relance du nucléaire annoncée par le président de la République. »

Inverser la tendance

Le rapport confirme d’abord un premier ordre de grandeur, déjà communiqué depuis novembre 2022. Au cumul des emplois directs et indirects (220 000 jusque-là), les recrutements concerneraient 100 000 personnes sur l’ensemble de la période allant de 2023 à 2033. L’étude ne précise pas le nombre de départs à la retraite, dans le même laps de temps, pour les emplois indirects (commerciaux, ressources humaines, manageurs…).

Cette projection, très ambitieuse, part d’une extrapolation. Car l’étude quantitative du Gifen se focalise sur les emplois directs. La note recense « un peu plus de 125 000 équivalents temps plein » (ETP) en 2023, dans vingt principaux segments d’activité et quatre-vingt-quatre métiers. Ce volume de travail devrait croître de près d’un quart, pour parvenir à 155 500 ETP dans dix ans. Soit environ 6 000 renforts par an au total : une moitié pour compenser des départs en retraite, une autre moitié en raison de la croissance.

Il vous reste 62.28% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.