Archive dans 2023

« Quatre leviers d’action pour les entreprises soucieuses d’aligner leurs pratiques et leurs discours en faveur d’un développement plus durable »

La loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), adoptée en mai 2019, a créé le statut de société à mission permettant aux entreprises qui le souhaitent de se fixer une « raison d’être » et de viser, outre la performance économique, un impact social et environnemental positif évalué par une instance extérieure.

Quatre ans plus tard, plus de mille sociétés françaises, parmi lesquelles Danone, La Poste, Crédit mutuel, Arkéa ou la MAIF, ont opté pour ce statut.

Après un démarrage timide, ce nombre connaît, selon le Baromètre de l’observatoire des entreprises à mission de mars 2023, une progression régulière, d’autant plus que, dans un contexte de pénurie de jeunes talents, ce statut se révèle un atout pour recruter et fidéliser. Près des trois quarts des jeunes diplômés se déclarent en effet attirés par ces entreprises à mission (« Débuts de carrière des jeunes diplômés des grandes écoles », NewGen Talent Centre, Edhec, 2023).

Un certain succès semble donc au rendez-vous. Mais la conciliation entre objectifs financiers d’une part et mission d’autre part n’a cependant rien de simple. La recherche de la performance économique prend facilement le pas sur la mission qui, de son côté, requiert parfois des investissements à fonds perdu. La loi dit peu de choses de ces défis managériaux.

Communiquer en interne

Or, si ce statut doit accompagner la mutation du capitalisme, il est urgent de réfléchir aux modalités concrètes de sa mise en œuvre. Nos recherches nous ont permis d’identifier quatre leviers d’action pour les entreprises soucieuses d’aligner leurs pratiques et leurs discours en faveur d’un développement plus durable.

Communiquer largement en interne sur la mission poursuivie et traduire celle-ci en objectifs concrets et mesurables est tout d’abord indispensable, en se dotant des moyens humains et techniques nécessaires pour les mesurer. Dès lors, il devient possible de changer les systèmes d’incitation au sein de l’entreprise pour valoriser la performance sociale et environnementale au côté de la performance financière. Une condition nécessaire si l’on veut éviter que la raison d’être affichée par l’entreprise ne passe à la trappe en période de difficultés.

La structuration de l’entreprise doit également être réfléchie. Faut-il que toutes les équipes aient la charge d’activités liées à la fois à la poursuite du profit et de l’impact sociétal ? Ou bien faut-il répartir ces activités entre différentes équipes ? Et comment traiter les tensions qui émergeront inévitablement ? Les réponses peuvent varier d’une entreprise à l’autre, mais ces questions ne doivent pas être esquivées, sans quoi une partie des objectifs risquent d’être négligés.

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La semaine de quatre jours comme solution à la pénurie de main-d’œuvre en Europe, selon le commissaire européen à l’emploi

Le commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux, le Luxembourgeois Nicolas Schmit, ici au Parlement européen, en juin 2021.

Plus de productivité, de bien-être des salariés… et solution possible à la pénurie de main-d’œuvre ? L’idée de la semaine de travail de quatre jours progresse – elle est déjà testée dans certaines entreprises. Le commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux, Nicolas Schmit, suggère de la déployer dans les secteurs ayant « des difficultés à attirer [des employés] », dit-il dans un entretien à l’agence de presse portugaise Lusa publié jeudi 25 mai.

Nicolas Schmit considère que « le plus gros problème [dans l’Union européenne] n’est pas tant le chômage » mais plutôt la pénurie de main-d’œuvre. « De nombreux secteurs cherchent désespérément des employés et ne peuvent les trouver parce que les gens ne veulent pas y travailler ou n’ont pas les bonnes compétences », affirme-t-il. « Ils doivent devenir plus attractifs », selon le Luxembourgeois, qui souligne que « c’est quelque chose qui avance progressivement (…) parce que les nouvelles générations ont une certaine vision de l’équilibre entre le travail et la vie personnelle ». Il prévient toutefois qu’il « n’y a pas de position commune » au sein de l’UE sur cette question.

Cette démarche nécessite selon M. Schmit des « négociations entre les partenaires sociaux » et prend l’exemple de l’Allemagne, où le plus grand syndicat du pays, IG-Metall, plaide depuis plusieurs années pour une généralisation de la semaine de quatre jours dans le secteur de la métallurgie.

Lire le décryptage : Article réservé à nos abonnés La semaine de quatre jours, positive pour les salariés… et pour l’employeur

Cette déclaration survient au moment où le Portugal doit lancer un projet-pilote autour de la semaine de quatre jours, sur une base volontaire et sans perte de revenus. Quarante-six entreprises se sont dites intéressées par la mise en place de cette réforme – la plupart comptant jusqu’à dix salariés, cinq d’entre elles employant plus de 1 000 personnes, et évoluant dans les secteurs du conseil, des activités scientifiques et techniques, ou encore de l’information et de la communication.

En France, certaines entreprises – encore largement minoritaires – ont adopté la semaine de quatre jours, qui est également testée dans certains services publics, comme l’Urssaf ou la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV).

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le secteur public expérimente timidement la semaine de quatre jours

Le Monde

Emploi : comment la crise sanitaire a modifié le rapport au travail

Ethique, équilibre personnel, respect de l’environnement et utilité de leur travail pour l’intérêt général : la crise sanitaire a conduit les actifs à s’interroger sur le sens de leur travail.

Un monde du travail ébranlé. Le Covid, l’essor du télétravail et la prise de conscience des enjeux environnementaux et sociaux ont profondément bouleversé l’organisation des entreprises et les formes d’emploi au cours des dernières années. Peut-on pour autant parler de révolution du travail en France ?

Cet article est tiré du « Hors-Série Le Monde : 40 cartes pour comprendre comment va la France » 2023. Ce hors-série est en vente dans les kiosques ou par Internet en se rendant sur le site de notre boutique.

La vie professionnelle post-2020 s’est démultipliée en mille visages. Noémie -Burgard (45 ans) a passé ces vingt dernières années à changer d’activité et de mode de travail : salariée du secteur privé dans un cabinet de recrutement, elle a repris des études pour devenir sage-femme, son métier-passion de la fonction publique qu’elle a dû abandonner à l’épreuve des conditions de travail. En recherche permanente d’utilité sociale et du meilleur équilibre entre sa vie familiale et sa mission professionnelle, elle s’est finalement mise à son compte et a investi le travail indépendant dans une activité de coaching sportif. Mais elle n’exclut pas de se reconvertir à nouveau.

En revanche, pour Jean-Michel Casalonga, les choses ont moins changé. Maître bottier, salarié chez Berluti depuis vingt ans, il estime avoir acquis le geste sûr dans son travail de formier. Et la place de son métier dans le marché du travail est aussi stable que lui. Son métier a toujours été, par sa rareté, un de ces « métiers en tension » dont on parle bien souvent aujourd’hui dans le secteur du high-tech à propos des développeurs.

Enfin, Mathilde Le Coz, DRH France chez Mazars, appartient au nouveau monde des slasheurs : salariée du cabinet de conseil/(slash) présidente du Lab RH en autoentreprise pour 10 % de son temps, elle cumule les activités.

Le travail au clair de lune

La diversité du travail en 2023 semble devenue infinie, tant sur le fond que sur la forme. La carrière peut désormais être constituée d’une multiplicité d’activités qui se succèdent ou qui se développent en parallèle. La pluriactivité s’est banalisée. La fragmentation du travail en mode slasheur (assistante maternelle/illustratrice ; webmarketer salarié/coach numérique ; etc.) concernait déjà près de 6 millions d’actifs en 2022.

A ces activités générées au clair de lune (en dehors des heures de travail salarié), les « moonlight businesses », comme disent les Américains, s’ajoutent celles qui sont produites par la fragmentation maximale du temps des « atomisés du travail », les tristement célèbres 320 000 microtravailleurs rebaptisés « tâcherons du numérique » : 266000 travailleurs occasionnels, et 52000 dont c’est l’activité principale, selon le chiffrage réalisé par les trois chercheurs Clément Le Ludec (MSH Paris-Saclay), Paola Tubaro (CNRS/LRI) et Antonio A. Casilli (Télécom ParisTech). A moins d’un million, ces microtravailleurs, dont les tâches fragmentées et standardisées sont généralement payées à la pièce, sont toutefois «  plus nombreux que les chauffeurs VTC et les livreurs à vélo  », souligne Pôle emploi.

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Avec les non-grévistes de Vertbaudet : « Avec tout ce qu’il s’est passé, l’ambiance ne sera plus jamais comme avant »

Dans l'entrepôt Vertbaudet, à Marquette-lez-Lille (Nord), le 25 mai 2023.

De mémoire de journaliste, on n’avait jamais vu ça dans un conflit social : une conférence de presse de salariés non grévistes. Elle s’est déroulée vendredi 26 mai, dans l’entrepôt logistique de Vertbaudet, à Marquette-lez-Lille (Nord). Celui-là même qui est sous les feux de l’actualité en raison de la grève emblématique menée depuis plus de deux mois par 72 salariés pour des augmentations de salaire – l’accord des négociations annuelles obligatoires (NAO), signé début mars par les syndicats FO et CFTC, ne prévoit que des primes.

Qui a pris l’initiative de cette conférence ? Officiellement, des non-grévistes désireux de « réagir » aux « déclarations syndicales et politiques du début de semaine » – il y a eu à Tourcoing (Nord) et à Paris des rassemblements de soutien à la grève. Mais l’aide apportée par la direction floute le cadre de l’échange. C’est un mail du service communication qui a convié les journalistes. Et, vendredi matin, une assistante de direction les guide dans l’entrepôt. « Parce que les salariés sont encore à leur poste », explique-t-elle quand on s’en étonne.

Justement, un appel retentit à leur intention dans les haut-parleurs : « Votre attention s’il vous plaît, une communication aura lieu en C1 à 9 h 25. » Le C1, c’est l’endroit où quelques chaises ont été alignées pour accueillir la presse, devant un pupitre et un micro. Environ deux cents personnes convergent vers l’espace délimité par des palettes et des piles de carton plié, pas si loin de l’effectif non gréviste total (255 salariés).

Des prises de paroles sincères

Savent-ils seulement pourquoi ils viennent ? « La direction va communiquer sur le conflit, non ? Ils font ça régulièrement », croit un petit groupe d’intérimaires. Combien sont-ils, d’ailleurs, à ne pas encore être sécurisés par un CDI, demandons-nous ? Doucement, des mains se lèvent : la moitié de l’assemblée.

La conférence commence. Les délégués FO et CFTC n’y prennent pas part. Seulement trois salariées s’expriment tour à tour. Leur sincérité, elle, ne fait aucun doute. D’abord Caroline Binot, à l’emballage depuis vingt-deux ans. « Cette grève, j’aurais pu y aller. Le 0 % d’augmentation, moi aussi j’ai eu dû mal à l’avaler, explique-t-elle. Mais la NAO s’était conclue deux semaines avant, le moment n’était plus opportun. Et puis, j’ai vu des soutiens extérieurs, de la CGT, empêcher des camions de circuler de manière assez violente. Et les deux intrusions, ça a été extrêmement éprouvant, nous nous sommes senties agressées. »

Les 11 et 14 avril, selon la direction, des personnes extérieures ont commis dégradations et violences sur le site et six personnes ont été prises en charge « en état de choc » par les pompiers. « Quand on entend des appels au boycott, ça nous angoisse, ajoute la salariée. Cette société, c’est ce qui nous fait vivre ! » Louisa, contrôleuse qualité depuis 2002, s’élève, elle, contre les « mensonges » sur les réseaux sociaux : « La hiérarchie ne nous traite pas comme des esclaves. Ce n’est pas mon expérience. Je n’ai jamais été martyrisée. »

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La grève chez Vertbaudet, une bataille locale devenue nationale

Jean-Luc Mélenchon, lors d’une visite à des salariés de Vertbaudet, à Tourcoing (Nord), le 22 mai 2023.

Cela aurait pu rester un conflit local sur les salaires, semblable à ceux qui ont surgi dans de nombreuses entreprises depuis le début de l’inflation… s’il n’avait pas débuté en pleine bataille contre la réforme de retraites.

Le 20 mars, c’est d’ailleurs le blocage de l’entrepôt Vertbaudet de Marquette-lez-Lille (Nord) par la CGT de Tourcoing venue tracter contre le projet gouvernemental, qui motive 82 des 327 salariés de l’entreprise à se mettre en grève pour la première fois de leur vie. Ces préparatrices de commande, la plupart payées au smic après parfois vingt ans de maison, n’ont pas digéré que l’accord des négociations annuelles obligatoires (NAO) signé le 3 mars par FO et la CFTC ne prévoie que des primes. Pas d’augmentations de salaire.

Plus de deux mois plus tard, 72 sont toujours en grève. Mais le conflit focalise désormais l’attention politique et médiatique. C’est la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, qui, en se rendant sur place le 14 avril, à peine élue, donne le premier coup de projecteur. Elle érige ce piquet en symbole des luttes pour « l’émancipation des travailleuses par elles-mêmes » et appelle « les mamans à boycotter Vertbaudet ».

L’intervention de la police

« Malgré un mois de grève, le combat de ces femmes restait invisible. Il fallait montrer combien cette lutte était emblématique pour attirer des soutiens et créer le rapport de force qui leur manquait », explique au Monde Sophie Binet.

Ce jour-là, peu après son départ, des soutiens extérieurs à Vertbaudet entrent sur le site. La direction, qui fait part de « violences » et de salariés non grévistes « en état de choc », demande l’intervention de la police. Laquelle sera ensuite dépêchée régulièrement sur place pour lever les blocages ou déloger le piquet de grève, parfois sans ménagement.

Mais la tension monte d’un cran les 15 et 16 mai. Deux soutiens sont interpellés, dont l’un en étant violemment plaqué au sol, et placés en garde à vue. Le lendemain, un policier empoigne une gréviste par le cou : elle a quatre jours d’incapacité temporaire de travail. Le soir, la CGT Vertbaudet annonce sur Facebook que l’un de ses délégués syndicaux a été victime d’une « expédition punitive » d’individus en civil « prétendument policiers » qui l’ont embarqué dans un véhicule banalisé pour le frapper et le menacer. Une enquête est ouverte par la procureure de la République de Lille.

Ces violences policières rendent la lutte plus emblématique encore. Dans cette période d’entre-deux, loin de la dernière mobilisation contre la réforme des retraites, le 1er mai, et avant une dernière opportunité parlementaire pour faire tomber le texte, le 8 juin, la gauche s’empare du symbole.

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Chaleur au travail : à plus de 35 degrés, pas de permanente chez le coiffeur et le boulanger ferme boutique

Comme les agriculteurs ou les salariés du bâtiment et des transports, les commerçants, qui travaillent dans des conteneurs ou dans des vans totalement reconfigurés, sont très exposés aux fortes températures, à l’heure de la canicule – une question peu anticipée dans le monde du travail.

Avec sa table chauffante, aspirante et soufflante, Roselyne Remaud, 56 ans, en sait quelque chose. Après un stage dans une blanchisserie, cette ex-bijoutière dans la grande distribution s’est lancée, en avril 2022, dans une activité de prestations de repassage à bord d’un fourgon gris et rose garé près d’une zone d’activité. Jour après jour, elle fidélise une clientèle : quatre imposantes corbeilles se remplissent des habits et autres chemises des employés des alentours. En juin 2022, la température est montée à 45 degrés à l’intérieur du fourgon.

Impossible de continuer comme si de rien n’était. Avec la centrale vapeur haute pression, « j’avais déjà mis des baies coulissantes et investi dans un lanterneau [sorte de Velux] sur le dessus pour faire passer de l’air, mais c’était insuffisant », raconte cette habitante de la Chevrolière en Loire-Atlantique. Hormis trois semaines d’août en congés, la fatigue accumulée – accentuée par une posture debout prolongée – l’a conduite à partir repasser chez elle tous les après-midi, ventilateur à proximité. « Les clients étaient compréhensifs. Ils faisaient un petit détour pour récupérer leur linge. »

Envisager le risque canicule dès la conception

L’employeur a l’obligation de veiller à la santé et à la sécurité des salariés en cas de canicule. Si le code du travail ne définit aucune limite de température maximale, un droit de retrait peut être exercé dans le cas de situation de travail dans des conteneurs ou autres Algeco comme ailleurs, dès lors qu’ils sont insuffisamment isolés de la chaleur. Pour Roselyne, l’employeur, c’est elle. Mais les indépendants ont aussi leurs salariés. D’où l’intérêt d’envisager le risque canicule dès la conception des équipements, au bénéfice de tous.

Nicolas Faelli, cofondateur de Beau comme un camion, une entreprise qui fabrique annuellement plus de 200 food trucks et autres commerces ambulants, l’a très vite intégré dans l’offre adressée à ses clients. Sa première expérience de bar à pâtes « à cinq dans un camion », lorsqu’il était étudiant à Toulouse l’a considérablement marqué. « L’eau qui bout, les sauces qui chauffent, plus le bac à vaisselle et le frigo qui tournent, il n’y a pas besoin d’une canicule pour avoir très chaud », résume-t-il.

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Julie Landour, sociologue : « Le télétravail des hommes ne remet pas en cause l’organisation des tâches domestiques et parentales »

Le télétravail modifie-t-il le partage des tâches au sein du couple ? Les pères qui travaillent à domicile assument-ils plus de tâches domestiques et parentales que ceux qui exercent leur emploi à l’extérieur ? Pour le savoir, Julie Landour, maîtresse de conférences en sociologie à l’université PSL Paris-Dauphine et chercheuse au sein de l’Institut de recherches interdisciplinaires en sciences sociales, a mené en 2020, avec sept autres chercheurs, une enquête qualitative en France, en Suède et en Suisse financée par l’Agence nationale pour la recherche.

Au terme de cette investigation publiée par la Fondation pour les sciences sociales, la sociologue observe d’importants contrastes entre les trois pays. « La transformation des seules conditions de travail, et notamment sa localisation au sein des foyers, n’est pas suffisante pour agir sur la division sexuée du travail », analyse-t-elle.

Vous estimez que le partage des tâches domestiques et parentales est au cœur de l’égalité femmes-hommes. Pourquoi ?

La question de la répartition des tâches est l’une des clés de l’égalité entre les sexes. Pour qu’un homme ou une femme consacre du temps et de l’énergie à son activité professionnelle, il faut qu’il arrive, dans le même temps, à « produire » du quotidien : préparer à manger, nettoyer le linge, faire le ménage, s’occuper des enfants. Or, ce travail repose très largement sur les femmes, qui passent deux fois plus de temps que les hommes à s’occuper des enfants ou d’un adulte à charge à la maison. Elles ne peuvent donc pas s’investir dans la sphère professionnelle ou dans la sphère publique autant que leurs conjoints.

Tant que l’équation du partage des tâches ne sera pas résolue, les femmes auront du mal à s’engager pleinement dans leur carrière, en politique et dans des activités créatives ou récréatives. Leur taux d’activité est élevé – 67 % des Françaises de 15 à 64 ans exercent une activité professionnelle –, mais les inégalités domestiques, qui s’installent dès la mise en couple, explosent avec l’arrivée du premier, du deuxième et surtout du troisième enfant : près de 40 % des femmes en emploi connaissent une modification de leur activité professionnelle après une première naissance, près de 60 % au troisième enfant. Nombre d’entre elles, particulièrement les moins favorisées, sont contraintes de renoncer à leur activité professionnelle et ont ensuite du mal à se réarrimer à l’emploi.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée à la question du télétravail ?

Avant la crise sanitaire de 2020, j’avais consacré une enquête aux femmes qui créent des entreprises, les « mompreneurs ». La plupart d’entre elles exercent leur activité professionnelle à la maison, dans des espaces plus ou moins aménagés, parce qu’elles souhaitent à la fois s’investir dans leur travail et être présentes auprès de leurs enfants. Elles sont cependant très vite absorbées, voire noyées, dans le travail parental et domestique : leurs conjoints ont tendance à s’en exonérer au motif que leurs femmes passent leurs journées à la maison.

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Le télétravail fait peser un risque pour le dialogue social

Le télétravail éloigne-t-il les salariés de leurs représentants syndicaux ? La distance engendre-t-elle un affaiblissement du dialogue social ? Avant la crise sanitaire, ce n’était pas le cas : selon une enquête publiée en 2017, les télétravailleurs n’étaient, à l’époque, ni plus hostiles ni plus indifférents envers les syndicats que leurs collègues présents dans les locaux de l’entreprise, et ce dans tous les domaines de la vie syndicale : participation aux réunions, actions collectives, vote aux élections professionnelles.

La crise engendrée par l’épidémie de Covid-19 a changé la donne. « Le télétravail va désormais de pair avec des contacts moins nombreux avec les représentants du personnel », constate le politiste Tristan Haute, maître de conférences à l’université de Lille, dans une étude réalisée pour la Fondation pour les sciences sociales.

En 2021, toutes choses égales par ailleurs (sexe, âge, niveau de diplôme, catégorie socioprofessionnelle, contrat de travail, taille de l’entreprise, adhésion à un syndicat), les télétravailleurs, en cas de problème, sollicitent l’avis d’un élu syndical 1,3 fois moins que les salariés en présentiel.

Des nouveaux télétravailleurs

Pour Tristan Haute, cette mutation est due aux profondes transformations du travail à distance pendant la pandémie. Réservé, jusqu’au premier confinement de 2020, à des cadres bien intégrés professionnellement dans des entreprises qui les emploient depuis longtemps, il a été étendu, dans la précipitation de la crise sanitaire, à une grande partie des salariés. Or, ces nouveaux télétravailleurs avaient moins d’ancienneté et étaient moins bien insérés dans les collectifs de travail que leurs prédécesseurs : ils se trouvaient donc plus éloignés de la représentation collective.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le télétravail est-il adapté à l’activité des députés ?

Parce que ces nouveaux venus du télétravail ne pouvaient pas s’appuyer sur les relations sociales nouées avant la crise pour contacter les syndicats, ils ont souvent eu du mal à solliciter leurs représentants du personnel. « La démultiplication des expériences de télétravail dans les années à venir pourrait alimenter, comme durant la crise sanitaire, une distance déjà croissante entre les salariés et les organisations syndicales, conclut Tristan Haute. Le défi, pour les syndicats, est dès lors de réinventer les manières de s’adresser à un salariat de plus en plus éparpillé. »

L’emploi fait grise mine dans le commerce de détail

Camaïeu, San Marina, La Grande Récré… Tandis que les annonces de liquidation de grandes enseignes se succèdent, les vendeurs dans les petits commerces s’interrogent sur leur avenir face à Amazon et consorts. Parue le 16 mai, une publication du service des statistiques du ministère du travail (Dares) vient conforter ces craintes.

Plombé par l’inflation et les achats en ligne, l’emploi salarié dans le commerce de détail (hors apprentis) a connu une baisse inédite en 2022 (– 0,5 % sur un an), souligne le document. Un recul léger, mais qui contraste avec la bonne santé globale de l’emploi (+ 1,2 %) sur la période, portée en début d’année par le rebond économique de l’après-crise.

Envolée du nombre de PSE

D’autres signaux d’alerte confirment les difficultés structurelles du secteur. Ainsi, l’envolée du nombre des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) pour cause de liquidation : entre octobre 2022 et mars 2023, vingt-quatre PSE, portant sur 7 200 ruptures de contrat, ont été mis en place par des entreprises du secteur ; soit vingt fois plus de ruptures qu’un an plus tôt, lorsque neuf PSE enregistrés dans le commerce de détail avaient entraîné 360 ruptures de contrat, relève l’étude.

Ce qui représente 43 % du total tous secteurs confondus : 16 500 ruptures de contrat ont été envisagées dans le cadre de PSE, hors commerce de détail, mis en œuvre entre octobre 2022 et mars 2023. « Par ailleurs, sur cette période, 89 % des ruptures de contrat envisagées à l’initialisation de PSE dans le commerce de détail concernent des entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire, contre 32 % hors commerce de détail », soulignent les auteurs.

La hausse des prix plombe le pouvoir d’achat des clients : « Le secteur est confronté à une inflation forte, notamment sur les produits alimentaires, et à un recul quasi continu de la consommation de biens depuis dix-huit mois », rappelle l’étude. Au-delà des explications conjoncturelles, les commerces physiques sont bien sûr confrontés à la montée de l’e-commerce : « Les habitudes de consommation en ligne prises pendant la crise sanitaire perdurent, y compris dans l’alimentaire », affectant le commerce de proximité et ses emplois.

Et les décideurs ne sont pas optimistes : « Au-delà des seuls PSE, les enquêtes de conjoncture de l’Insee montrent que les entreprises du commerce de détail restent majoritairement pessimistes sur l’évolution de leurs effectifs », ajoutent les auteurs.

Moins de vendeurs, plus de caissiers

Ces difficultés se répercutent en premier lieu sur les postes de vendeur. Dans la structuration des emplois composant le commerce de détail, leur part chute entre fin 2019 et fin 2022 (– 1,2 point). A l’inverse, celle des caissiers et des employés de libre-service, postes souvent polyvalents et qui comprennent des tâches de magasinage, progresse (+ 0,8 point) ; de même que la part d’ouvriers qualifiés de la manutention (+ 0,2 point).

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Le télétravail est-il adapté à l’activité des députés ?

Comme beaucoup de Français, les députés ont découvert le télétravail pendant le premier confinement : du 17 mars au 27 avril 2020, seuls trois élus par groupe pouvaient accéder à l’hémicycle du Palais-Bourbon. Les activités ayant lieu hors de l’Assemblée nationale ont, elles aussi, été bouleversées par la crise due au Covid-19.

Pendant plusieurs mois, la « visioconférence s’est imposée dans la quasi-totalité des dimensions du travail parlementaire », retrace l’anthropologue Jonathan Chibois, dans une étude pour la Fondation pour les sciences sociales. Elle est devenue la règle dans les relations avec les groupes politiques, les cabinets ministériels, les préfectures et les partenaires socio-économiques, associatifs ou politiques, mais également dans certaines commissions permanentes de l’Assemblée.

Quel regard les députés portent-ils, avec le recul, sur ce moment inédit ? Leur activité est-elle, selon eux, soluble dans les nouvelles technologies de communication ? Jonathan Chibois les a longuement interrogés, à l’été 2022, sur cette expérience. Et leurs réponses sont très contrastées.

S’ils reconnaissent tous que le télétravail a apporté une souplesse dans leur quotidien, s’ils se félicitent qu’il ait permis de poursuivre, dans des circonstances exceptionnelles, les tâches parlementaires, s’ils affirment qu’il a accru l’autonomie des acteurs de l’Assemblée nationale, ils aboutissent à des conclusions divergentes : certains y voient une menace pour le travail parlementaire, d’autres, au contraire, une opportunité.

« Puissants » contre « exclus »

Pour les « puissants » de l’Assemblée (les députés de la majorité ainsi que les élus des circonscriptions urbaines, riches et proches de la capitale), la présence physique à Paris est d’une « importance cruciale », constate Jonathan Chibois. Parce qu’ils mènent leur combat politique, non seulement dans les commissions et dans l’Hémicycle, mais aussi en amont – « au travers de stratégies d’influence dans les cercles parisiens : les réunions ministérielles de travail et échanges informels qui entourent le travail en commission ou des événements mondains » –, le télétravail est, pour eux, une très mauvaise nouvelle : il les prive de précieux relais au sein du pouvoir exécutif.

Les députés de l’opposition, qui ne « possèdent pas véritablement les moyens de dialoguer à armes égales avec leurs collègues de la majorité », ainsi que les élus de circonscriptions éloignées de Paris, plébiscitent, en revanche, le travail à distance.

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