Archive dans 2023

Au Royaume-Uni, la semaine de quatre jours fait des adeptes jusque dans l’administration

A Londres, le 17 avril 2023.

Discrètement mais sûrement, la semaine de quatre jours de travail s’installe au Royaume-Uni. Une soixantaine d’entreprises (sociétés de conseil, start-up en robotique ou en informatique, associations caritatives, près de 3 000 salariés au total) ont participé à un premier test de six mois, entre juin et décembre 2022, le plus vaste organisé par la campagne « 4 Day Week Global », lancée à la fin des années 2010 dans plusieurs pays occidentaux. Le principe est le même partout : les employés travaillent 20 % d’heures en moins, mais conservent 100 % de leur paie et les mêmes objectifs de travail.

Publiés en février, les résultats du test sont largement positifs : selon une étude menée par l’université de Cambridge et le Boston College pour le compte de « 4 Day Week Global », 92 % des organisations ont choisi de poursuivre l’expérimentation : les personnels sont davantage motivés, leur productivité n’a pas chuté. Une vingtaine d’entre elles a même adopté la semaine de quatre jours de manière permanente.

Tyler Grange, une société de conseil en paysage et arboriculture, en fait partie. « Ce rythme de travail a été l’occasion de remettre à plat notre manière de fonctionner, d’être plus efficaces et plus créatifs : on ne peut pas abattre la même charge en travaillant un jour de moins sans changer nos pratiques », explique Simon Ursell, le directeur général de l’entreprise.

Moins de déplacements (l’entreprise dispose de six sites en Angleterre), moins de réunions : « Notre communication s’est nettement améliorée. La plupart de nos clients travaillent le vendredi, nous devons nous assurer que le jeudi soir, tous nos messages ont été parfaitement compris, sinon ils vont vous appeler durant votre week-end. »

« Toutes les entreprises vont devoir s’y mettre »

Les 85 salariés de Tyler Grange ne sont pas censés travailler le vendredi, à moins d’une urgence (un client angoissé, un problème sur une mission). Tout le monde n’a cependant pas adhéré d’emblée : « Au début, ce sont surtout les meilleurs de l’équipe qui étaient les plus réticents, ils étaient efficaces sur cinq jours, ils ne voyaient pas l’intérêt de changer », assure le dirigeant.

Quelques personnes ont même quitté l’entreprise, mais Tyler Grange n’a aucun problème de recrutement, assure M. Ursell, « contrairement aux autres sociétés du secteur ». Il table sur un gain de productivité de 3 % à 6 % sur l’année fiscale se terminant fin juillet. « Lors du premier mois à quatre jours, notre productivité a chuté de 6 %, j’étais inquiet. Mais, très vite, nous avons remonté la pente. Il faut bien de trois à six mois pour prendre le rythme : même avec une organisation optimisée, le travail est bien plus intense », reconnaît-il. Il en est persuadé : « Toutes les entreprises vont devoir s’y mettre, sinon elles n’arriveront plus à recruter. »

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En Allemagne, le syndicat IG Metall plaide pour la semaine de quatre jours à 32 heures

Bâtiment du syndicat allemand des métallurgistes IG Metall, à Francfort-sur-le-Main, en Allemagne, le 5 juin 2018.

En Allemagne, le puissant syndicat de l’industrie IG Metall a mis la semaine de quatre jours en haut de son agenda. Lors des prochaines négociations dans la sidérurgie, qui débuteront cet automne, cette réduction du temps de travail figurera au cœur des revendications. IG Metall veut obtenir pour les travailleurs du secteur une semaine de trente-deux heures, avec compensation complète du salaire.

Depuis 1995, dans les industries du métal et de l’électronique, couvertes par les conventions collectives négociées par le syndicat, la semaine de travail est à trente-cinq heures, contre quarante heures dans le reste de l’économie, mais IG Metall ne compte pas s’arrêter là. Le syndicat, soutenu par la coprésidente du Parti social-démocrate (SPD), Saskia Esken, a lancé un large débat sur l’introduction de la semaine de quatre jours, à trente-deux heures de travail au maximum, plus largement dans l’économie.

Ils s’appuient sur des études récentes qui montrent que bénéficier de trois jours de repos par semaine améliore la satisfaction et l’efficacité des salariés, réduit les jours d’arrêt maladie… et augmente ainsi la productivité générale. IG Metall avance que la semaine de quatre jours serait même une solution contre le manque de personnel, endémique outre-Rhin.

Promesse de hausse de la productivité

Cette nouvelle organisation permettrait, selon le syndicat, de mieux concilier vie professionnelle et vie privée, offrant la possibilité à des « millions de femmes » actuellement contraintes au temps partiel ou à ne pas travailler en raison de leurs responsabilités familiales de revenir vers des emplois à plein temps plus attractifs.

Il s’agit aussi de s’ouvrir aux jeunes, très nombreux à souhaiter réduire leur temps de travail pour réaliser leurs projets personnels. Un sondage réalisé en septembre 2022 par la compagnie d’assurances HDI évalue ainsi à 75 % le pourcentage des travailleurs allemands désireux de passer à la semaine de quatre jours avec la même rémunération, avec une pointe à 83 % chez les moins de 40 ans, qui sont par ailleurs 17 % à envisager comme possible une réduction à quatre jours sans compensation de salaire.

« Une semaine de quatre jours avec compensation salariale pourrait contribuer de manière décisive à ce que l’industrie reste attractive pour les jeunes professionnels, expliquait Jörg Hofmann, président d’IG Metall, dans une interview au quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung, mi-avril. Compte tenu de l’évolution démographique et de la concurrence toujours plus forte pour une main-d’œuvre rare, c’est un facteur de réussite décisif. »

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Semaine de quatre jours en entreprise : « Quand on y a goûté, on a du mal à revenir à l’ancien système »

C’est dans cet atelier discret de Saint-Viâtre (Loir-et-Cher), village solognot de 1 290 âmes et 135 étangs, que les fleurons du CAC 40 commandent leurs carnets à spirales, pochettes et étuis en cuir recyclé, le tout marqué à leur nom et accompagné souvent d’un flamboyant « Fabriqué en France ». Le Sénat, le Conseil constitutionnel, le tournoi de tennis de Roland-Garros figurent aussi parmi les clients de Material, fondée en 2000.

Depuis le 1er décembre 2022, les trois ouvriers de cette TPE travaillent du lundi au jeudi seulement. « Même pas eu besoin d’un avenant au contrat ! Aucun obstacle administratif, s’étonne encore Marc Lonchampt, le gérant. Si j’avais su, j’aurais adopté ce système dès le début, lors du passage aux 35 heures. » Après une période test d’un mois, et de légers ajustements, ses salariés ont donc accepté des journées allongées d’une heure et quarante-cinq minutes en échange d’un week-end de trois jours.

« On commence une heure plus tôt, on écourte la pause déjeuner d’un quart d’heure et on part une demi-heure plus tard », résume Annabelle Poirier, 33 ans, affairée au robot de couture. Depuis 8 heures, elle fabrique des étiquettes de bagage bleues pour un grand salon de voyagistes. Presque tout ici est produit à partir de chutes de cuir d’une maroquinerie italienne et de papier recyclé du Doubs. Les machines numériques se déploient dans chaque pièce.

Marc Lonchampt, PDG de Matérial, devant le planning de la semaine de quatre jours de l’atelier de l’entreprise. En zone grise les jours non travaillés.

« Du coup, mon vendredi, je le dédie à toutes les corvées, détaille cette femme sans enfant. Et le week-end est vraiment pour moi. » Son collègue Sébastien Frigola, 52 ans, est entré chez Material en 2022 : « Cette organisation me fait faire des économies d’essence, soit quarante-huit fois 30 kilomètres sur un an, explique-t-il. Et puis, l’autre jour, un artisan est venu poser des fenêtres chez moi. Forcément, c’était en semaine, mais grâce à mon vendredi chômé, j’ai pu l’accueillir et m’assurer que tout se passait bien. La proprio était soulagée. »

Pierre Lonchampt, fils du patron, découpe la matière première. Quand cesse le vacarme, il s’exprime : « Ma femme travaille dans la fonction publique hospitalière. Son service a opté pour des journées de douze heures et son planning varie tout le temps. Comme on a trois enfants, que je sois là du vendredi au dimanche la soulage beaucoup. »

Innover dans l’étalement du travail

Comme viennent le rappeler les affiches qui fleurissent en bord de départementales, la Sologne manque de bras, que ce soit dans l’armement – Nexter Munitions, à La Ferté-Imbault, et le missilier MBDA à Selles-Saint-Denis –, l’artisanat, ou les métiers de service. Quand le télétravail est impossible, cette pénurie de main-d’œuvre oblige à innover dans l’étalement du travail.

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« Le bilan social doit mettre en lumière les causes organisationnelles des problèmes sociaux dans les entreprises »

Les manifestations contre la réforme des retraites ont mis en lumière la crise du travail qui existe en France. Œuvrer deux ans de plus est apparu à beaucoup simplement insupportable. Cette mobilisation et cette exaspération doivent inciter à réévaluer les dispositifs censés améliorer les conditions de travail, au premier rang desquels le bilan social. Celui-ci fut instauré en 1977, dans une période, l’après-68, où le débat sur le travail, centré jusqu’alors sur des revendications ouvrières traditionnelles (temps de travail et partage de la valeur), s’élargissait à des besoins plus qualitatifs d’épanouissement.

A la suite des recommandations de la commission Sudreau, dans une démarche alors pionnière, les grandes sociétés françaises ont été dès lors obligées de transmettre chaque année aux instances salariales une batterie d’indicateurs sociaux. Instaurés en 2002, les rapports de responsabilité sociale de l’entreprise – transformés quinze ans plus tard en déclarations de performance extra-financière – se sont ajoutés, avec, cette fois-ci, une vocation à être rendus publics.

Mais les relations difficiles des Français au travail en témoignent, ce type de rapport ne semble pas avoir permis d’améliorations significatives de la vie en entreprise. Les dirigeants – ou leurs services chargés de produire ces documents obligatoires – se plaignent par ailleurs régulièrement du temps perdu à les remplir, parfois au détriment d’actions concrètes. Rendre ainsi compte dans le bilan social de la situation des salariés, de leur santé, de leur sécurité, de leurs formations… ne sert-il donc à rien ?

Mettre l’organisation du travail au cœur du débat

Faudrait-il en venir à supprimer cette « comptabilité sociale » ? Nous pensons au contraire que ces rapports peuvent jouer un rôle de levier pour améliorer les conditions de travail, à condition qu’ils soient complétés. La comptabilité dans sa forme la plus générale rend visible certaines problématiques et invisibilise les autres. Or, concernant la comptabilité sociale actuelle, il est frappant de constater que seule intéresse la situation des individus. Aucune indication quant à l’organisation du travail n’y figure.

Le bilan peut ainsi faire apparaître des accidents du travail, des absences ou un fort turnover, par exemple, mais sans donner aucune clé pour en comprendre les raisons. Est-ce un manque de chance, indépendant de l’organisation ? Ces troubles étant multifactoriels, la comptabilité sociale actuelle ne permet pas de savoir si le fonctionnement de l’entreprise est en cause.

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Mieux réguler pour mieux innover

Gouvernance. L’obligation d’innover est un des piliers de la mythologie économique contemporaine. Alors que les cultures traditionnelles s’en méfiaient et que Montaigne (1533-1592) la considérait encore comme une vanité, l’innovation est glorifiée depuis la révolution industrielle comme une démarche positive vers un progrès nécessairement vertueux.

Ce dogme proclame que la destruction qu’elle engendre est toujours créatrice d’un surcroît de richesses (la fameuse destruction créatrice) au point qu’elle est la condition de survie des entreprises : sans elle, point de salut.

Cette croyance est dotée d’un tel prestige qu’elle affecte tous les aspects de la vie sociale et économique, depuis la mise sur le marché de produits toujours nouveaux (les qualifier de « nouveaux » étant, en soi, un argument de vente), jusqu’aux organisations régulièrement converties à des « innovations managériales », en passant par les mantras sur les efforts d’innovation déplorés comme insuffisants ou par les « innovations disruptives » en tous genres que promettent les prophètes du bonheur.

Le spectre d’un retour à « la lampe à huile »

Dans un petit essai remarquable (L’Innovation. Mais pour quoi faire ?, Seuil, 256 pages, 19,50 euros), Franck Aggeri, professeur à Mines ParisTech, invite à une réflexion bien venue sur cette religion de « l’innovation pour l’innovation ».

Elle est si bien ancrée dans notre imaginaire, qu’il faut un sérieux effort pour prendre conscience que, dans la réalité, l’innovation n’est pas nécessairement source de progrès : la destruction n’est pas toujours créatrice, certaines innovations se sont révélées désastreuses pour l’humanité et imiter s’avère parfois moins coûteux et plus performant que d’innover.

Il ne s’agit évidemment pas de faire le procès des innovations, selon une logique du tout ou rien. Nombre d’entre elles sont utiles, mais toutes ne le sont pas. Pour exorciser le scepticisme critique, les dévots de l’innovation croient nécessaire d’agiter le spectre d’un retour à « la lampe à huile », si ce n’est de « l’âge de pierre ». Comme si, entre le fatalisme du laisser-faire et l’immobilisme technophobe, il n’y avait aucune place pour l’intelligence sur le sujet.

Le discernement est nécessairement politique et il passe, selon Franck Aggeri, par l’action collective, puisque les innovations intéressent l’avenir de la société. Elles doivent donc susciter des débats et, si nécessaire, des régulations. La réglementation publique est une modalité, mais pas la seule, d’une telle action collective.

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Les seniors se tournent de plus en plus vers l’intérim

Alors que l’emploi des seniors est au cœur des discussions entre Elisabeth Borne et les syndicats, le dernier baromètre sur l’emploi intérimaire en mars 2023 de Prism’emploi, l’organisation des professionnels de la branche du travail temporaire, met le doigt sur un phénomène méconnu : ces dernières années, la part des plus de 50 ans n’a cessé d’augmenter dans l’intérim. Cette catégorie d’actifs représentait 13,4 % des salariés intérimaires en 2022, contre 12,5 % en 2020.

Entre 1995 et 2015, leur proportion avait déjà quasiment triplé, constatait une précédente enquête de l’Observatoire de l’intérim et du recrutement publiée en mai 2022. Cette croissance accompagne le vieillissement de la population et les réformes reculant l’âge de départ à la retraite. Elle est aussi une conséquence du serrage de vis autour des préretraites et autres possibilités de dispense de recherche d’emploi pour les seniors.

Plus d’heures que la moyenne

Ayant peu d’espoir de retrouver un CDI, une partie de ceux qui se retrouvent au chômage en fin de carrière se tourne vers le travail temporaire. Selon l’enquête de l’Observatoire de l’intérim et du recrutement, près des deux tiers des intérimaires étaient au chômage au moment de leur inscription dans une agence et ils sont tout autant à rejoindre l’intérim après 40 ans. « Le souhait de revenir rapidement à l’emploi a constitué la raison principale de leur recours à l’intérim pour 52 % d’entre eux », souligne l’étude. Pour les seniors touchant une petite retraite, des dispositifs comme le cumul emploi retraite ont aussi pu favoriser cette forme de reprise d’activité.

Autre donnée notable soulignée dans le baromètre Prism’emploi : les seniors en intérim effectuent un nombre d’heures supérieur à la moyenne. Soit 635 heures par an pour les 55-59 ans en 2022, contre 464 heures tous âges confondus. Selon ce document, c’est cette catégorie d’âge qui effectue le plus d’heures en intérim, suivie par les 50-54 ans (620 heures). Pour cette tranche d’âge, le travail temporaire n’est pas un job d’appoint.

Les tensions dans le recrutement poussent aussi les employeurs à entrouvrir plus largement leurs portes aux seniors. Les soixantenaires représentent désormais 21 % de l’activité intérimaire du secteur de la construction en 2020, selon l’Observatoire de l’intérim. « Les 50+ sont de plus en plus “recherchés” (…) pour leurs qualités de comportement et de savoir-être, quand ce n’est pas pour leurs qualifications », ajoute l’enquête. Au niveau des postes d’encadrement, les années 2000 ont d’ailleurs vu naître des agences d’intérim spécialisées pour les seniors expérimentés.

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Getir, leader de la livraison ultrarapide en France, prépare un plan social drastique

Un magasin-entrepôt de Getir, à Lille, le 19 août 2022

« A-t-on affaire à une entreprise étrangère qui est venue en France exploiter des gens et qui les jette grâce aux dispositifs légaux, ou bien à une entreprise qui veut vraiment créer de l’activité ? » Cette question, Johann Tchissambou, le secrétaire du comité social et économique (CSE) de Getir en France, se la pose tous les jours. Et notamment depuis le 17 mai, après que la société de livraison express de courses à domicile (qui a avalé ses concurrents Gorillas et Frichti en décembre 2022) a présenté un plan de restructuration conduisant à la suppression de la moitié des effectifs du groupe en France.

L’annonce a laissé les 1 824 salariés que totalisent Getir, Gorillas et Frichti dans l’Hexagone, « bouleversés », « psychologiquement fragilisés ». Certains avaient contracté récemment « des emprunts immobiliers et de gros crédits pour leur voiture », selon ce délégué syndical CFDT. Jeudi 1er juin, M. Tchissambou aura un début de réponse lors de la première réunion de négociation concernant les modalités du plan de sauvegarde de l’emploi entre les organisations syndicales et la direction de ce groupe turc fondé en 2015 et arrivé en France en juin 2021.

La situation est emblématique de ce secteur d’activité appelé « quick commerce », où les acteurs disparaissent avec la même rapidité avec laquelle ils étaient arrivés il y a deux ans pour faire un hold-up sur le marché de la distribution alimentaire française. Leur promesse de livrer des courses alimentaires à partir d’entrepôts appelés « dark stores » en quelques minutes, sept jours sur sept, avait séduit une population de jeunes actifs habitués à acheter sur leur smartphone et dérouté les enseignes conventionnelles.

Les recettes ne couvrent pas les coûts

Sur la dizaine d’acteurs ambitionnant de conquérir les grands centres urbains, il ne reste aujourd’hui en France que deux groupes sur un créneau des courses express qui représente, fin 2022, selon le cabinet d’études Circana, 2,3 % des ventes du circuit de proximité : l’allemand Flink et le turc Getir (qui contrôle Gorillas et Frichti). En proie à des difficultés économiques et à un financement insuffisant, le premier a annoncé, le 24 mai, aux délégués du personnel qu’il allait procéder à une restructuration en réduisant ses effectifs. Et le second a obtenu du tribunal de commerce de Paris, le 2 mai, l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’égard de ses trois sociétés, assortie d’une période d’observation de trois mois, après avoir déposé une déclaration de cessation de paiements le 18 avril.

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La semaine de quatre jours fait son chemin en France, entre bien-être des salariés et attractivité des entreprises

A l’entrée de l’atelier de l’entreprise Matérial, à Saint-Viâtre (Loir-et-Cher), le 15 mai 2023.

Et si l’on ne travaillait plus que quatre jours par semaine ? Après le télétravail, qui s’est largement développé depuis la pandémie de Covid-19, l’idée de réduire, non pas le temps de travail, mais le nombre de jours sur lesquels il est effectué fait école partout en Europe. Au Royaume-Uni, en Espagne ou en Belgique, de nombreuses initiatives ont été lancées pour tester cette organisation.

En France, quelques entreprises pionnières permettent à leurs salariés d’effectuer leurs trente-cinq heures en quatre jours.

Selon le ministère du travail, environ 10 000 salariés sont concernés. Le secteur public n’est pas à l’écart du mouvement : en Picardie, les agents d’une caisse de l’Urssaf se sont vu proposer cette possibilité, en mars. Une expérimentation annoncée par Gabriel Attal dans le quotidien L’Opinion, le 1er février. « Je crois que beaucoup de Français aspirent aujourd’hui à travailler différemment », soulignait le ministre délégué chargé des comptes publics, alors que le gouvernement faisait face à une importante mobilisation sociale contre la réforme des retraites et le report de l’âge légal de départ à 64 ans.

Le commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux, Nicolas Schmit, a, pour sa part, appelé, dans un entretien à l’agence portugaise Lusa publié le 25 mai, les entreprises à déployer la mesure pour être plus attractives sur le marché du travail, arguant que « les nouvelles générations ont une certaine vision de l’équilibre entre le travail et la vie personnelle ». Message entendu, en tout cas à Lyon, où les 9 600 salariés de la ville basculeront, eux, au 1er septembre. Avec quelles conséquences ?

Des salariés plus heureux… en général

A l’heure où la qualité de vie au travail et la prévention des risques psychosociaux sont l’alpha et l’oméga du bon manageur, faire accomplir en quatre jours les tâches autrefois réparties sur cinq jours peut paraître au mieux absurde, au pire totalement délétère. Pourtant, les retours d’expérience – à prendre toutefois avec réserve, puisqu’elles proviennent d’entreprises volontaires, voire volontaristes – vont plutôt dans le sens d’un mieux-être pour les salariés.

Elmy, une petite entreprise lyonnaise spécialisée dans la gestion de l’énergie, a expérimenté la semaine de quatre jours pendant six mois, les cadres accomplissant trente-cinq heures, et les employés trente-deux heures. Evidemment, le travail s’est intensifié : les temps de pause quotidienne sont passés de près de quarante minutes à trente-quatre, et la pause déjeuner a été raccourcie d’une demi-heure, à une heure dix.

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« Que sait-on du travail ? » : en France, un niveau de risques physiques relativement élevé

En France, les risques physiques liés au travail sont 17 % supérieurs à la moyenne européenne, les risques biochimiques 13,8 %, l’intensité du travail 4 % et la qualité de l’environnement de travail est inférieure de 10 %.

En revanche, la sécurité de l’emploi y est supérieure de 6,1 % à la moyenne européenne, et la stabilité de 1,2 %.

C’est ce que révèle le travail des chercheurs pour le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp) de Sciences Po, qui viennent de lancer un « projet de médiation scientifique » pour rendre accessibles à tous les résultats de plusieurs travaux de sciences sociales (économie, gestion, sociologie, science politique…) concernant la situation du travail en France. Le Monde, en collaboration avec le Liepp et les Presses de Sciences Po, diffusera sur la chaîne Emploi de Lemonde.fr la trentaine de textes qui constituent ce projet.

La qualité de l’emploi et du travail ouvre cette série. Après avoir précisé ce que recouvre le concept, les trois chercheurs Mathilde Guergoat-Larivière, Malo Mofakhami et Christine Erhel font une analyse comparative européenne. Il en ressort que la France est plutôt mauvaise élève de l’Europe en qualité du travail, en formation et en perspectives de carrière, mais bonne élève pour la sécurité de l’emploi. Tandis que l’Italie est également mal classée pour l’évolution professionnelle, mais soigne les conditions de travail ; quant à l’Allemagne, sa faiblesse sur le sujet concerne la qualité de l’environnement de travail.

Forte exposition aux risques

Les pays observés ont un niveau de qualité d’emploi plus ou moins élevé, la France se situe au milieu, mais elle est « en décalage avec son niveau de richesse », notent les chercheurs. Et sa forte exposition aux risques est d’autant plus remarquable qu’elle « se démarque par une structure de l’emploi relativement peu industrielle ».

C’est à partir des enquêtes européennes sur les conditions de vie menées par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound), une agence de l’Union européenne, que les chercheurs ont établi un ensemble d’indicateurs pour mesurer la qualité de l’emploi et du travail sur plusieurs dimensions : conditions d’emploi (type de contrat, sécurité de l’emploi), conditions et qualité du travail, temps de travail et équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, et enfin accès à la formation et perspectives de carrière. Les écarts à la moyenne européenne sont construits sur l’ensemble des pays de l’Union européenne, plus le Royaume-Uni et la Norvège.

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« La qualité de l’emploi et du travail en comparaison européenne : une contre-performance française ? »

Trois chercheurs ont analysé la qualité de l’emploi et du travail en France. Christine Erhel, titulaire de la chaire Economie du travail et de l’emploi, est professeure au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM, Paris) et directrice du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET). Elle mène des recherches en économie du travail. Mathilde Guergoat-Larivière, également chercheuse au CEET du CNAM, est professeure en sciences économiques à l’université de Lille et chercheuse au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé). Elle travaille notamment sur la qualité du travail et l’impact des innovations. Malo Mofakhami, affilié au CEET du CNAM, est chercheur en sciences économiques, maître de conférences au Centre d’économie de l’université Paris Nord (CEPN). Ses travaux portent sur le rôle des nouvelles technologies dans les mutations du travail et de l’emploi. Leur étude comparative répond à un objectif de vulgarisation de l’économie.

La crise sanitaire due au Covid-19 a contribué à remettre sur le devant de la scène l’importance du travail en même temps que les conditions difficiles dans lesquelles il s’exerce en France pour certains travailleurs et travailleuses. La récente contestation de la réforme des retraites a également montré que les Français ne souhaitent pas prolonger leur durée de travail au-delà d’un certain âge. Ces événements ne sont pas tout à fait surprenants pour qui s’intéresse à la question de la qualité de l’emploi et du travail sur les dernières décennies, en particulier lorsque l’on compare la situation française à celle de ses voisins européens.

Si les questions du sens du travail et de la soutenabilité du travail ont été beaucoup évoquées dans ces deux crises, le concept de qualité de l’emploi et du travail recouvre un ensemble d’éléments plus large et peut être appréhendé comme un concept multidimensionnel. Dans ce texte, nous revenons sur la définition internationale de la qualité de l’emploi et du travail, puis nous situons la France au regard des comparaisons internationales, avant de souligner les défis que posent les transformations technologiques à la qualité de l’emploi et du travail.

Définir la qualité de l’emploi et du travail

Les institutions internationales et européennes qui se sont emparées depuis la fin des années 1990 de la question de la qualité de l’emploi et du travail ont chacune développé leur propre approche, mais toutes ont retenu une définition multidimensionnelle. Le Bureau international du travail a tout d’abord mis en avant le concept de « travail décent » susceptible d’éclairer et de comparer des situations de pays très différents, en développement, émergents ou développés. L’Union européenne a ensuite défini sa propre approche de la qualité de l’emploi au début des années 2000, mobilisant des indicateurs validés par l’ensemble des pays membres au sommet de Laeken (Bruxelles). Au niveau européen, la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound) ainsi que l’Institut syndical européen (ETUI) ont également développé des approches multidimensionnelles de la qualité de l’emploi et du travail, avant que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) n’en fasse de même en 2013.

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