Archive dans 2023

Carrefour ouvre une nouvelle vague de départs, les salariés s’inquiètent

A Rennes, le 25 février 2021.

Le groupe Carrefour ouvre la porte à une nouvelle réduction de personnel. Les syndicats du distributeur ont rendez-vous avec la direction, mercredi 7 juin, pour discuter d’un accord de méthode qui encadrera les modalités d’un futur plan de réorganisation de ses effectifs. En France, celui-ci pourrait concerner notamment les sièges de l’entreprise à Massy (Essonne), Evry, ou encore Mondeville (Calvados). Environ mille emplois seraient concernés.

Dans la messagerie interne, les salariés des sièges de l’entreprise ont été informés, le 30 mai, du démarrage d’une « première étape du dialogue social en vue de la transformation de nos sièges » pour aboutir à une « organisation plus simple », « plus agile », « plus efficace ».

Pas de détail sur le nombre de postes ni sur les services concernés. Et encore moins sur le dispositif envisagé par Carrefour : plan de départ volontaire, rupture conventionnelle collective, plan de sauvegarde de l’emploi, mobilité interne… Processus, calendrier, cadre juridique, tout reste à définir. Interrogée, la direction se refuse à tout commentaire.

Cette nouvelle cure d’amaigrissement inquiète au sein de l’entreprise. « Y a-t-il une vraie logique de réorganisation avec un projet concret derrière, ou est-ce que l’idée est juste de faire partir des gens pour réduire les frais de personnel ? », s’interroge Sylvain Macé, délégué syndical CFDT du groupe.

Discret mouvement d’externalisation

Pour les salariés, ce n’est toutefois pas une surprise. Le 8 novembre 2022, lors de l’annonce du plan stratégique pour quatre ans, baptisé « Carrefour 2026 », le PDG, Alexandre Bompard, avait laissé entrevoir de nouvelles coupes dans les effectifs. « Carrefour a besoin d’un choc de simplification », avait-il déclaré. Tout en précisant que cette nouvelle organisation se traduirait par « des réductions d’effectifs significatives » dans les sièges du groupe et que « chaque pays y contribuera[it] ». Cette transformation devait permettre au distributeur, implanté dans près de quarante pays, de dégager 4 milliards d’euros d’économies.

Le coup d’envoi de ce nouveau plan laisse « une drôle d’ambiance » avec des salariés « inquiets », voire « désabusés » par la contraction régulière de la masse salariale, et par l’idée de « récupérer, une nouvelle fois, la charge de travail » de ceux qui seront partis, rapporte Sylvain Macé. Car, depuis sa nomination en juillet 2017, Alexandre Bompard n’a cessé de réduire les effectifs du groupe. « Deux mille quatre cents postes lors du plan de départ volontaire de 2018 », « trois mille postes supprimés lors de la rupture conventionnelle collective de 2019 »…, liste M. Macé, pour qui les mesures de réduction des coûts « passent presque exclusivement par la masse salariale ou la suppression des avantages sociaux des salariés avec les mises en location-gérance ».

Il vous reste 47.48% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Les pilotes craignent d’être remplacés par l’intelligence artificielle aux commandes des avions

Sur le tarmac de l’aéroport international John F. Kennedy, à New York (Etats-Unis), le 2 juillet 2022.

« Le commandant ChatGPT et son équipage sont heureux de vous accueillir à bord… » Pour éviter qu’une telle annonce résonne un jour dans un avion, le Syndicat national des pilotes de lignes (SNPL), qui rassemble plus de 75 % des pilotes en France, a décidé de se mobiliser.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés L’aviation de ligne victime collatérale de la réforme des retraites

Depuis quelque temps, « à bas bruit, une petite musique laisse entendre que la réduction, ou même la suppression, du nombre de pilotes pourrait être une idée séduisante », dénonce Antoine Godier, commandant de bord chez Air France et porte-parole du SNPL. Le syndicat « lance l’alerte face au souhait de certains constructeurs de remplacer des pilotes par l’intelligence artificielle ». Et de citer Airbus, qui, selon lui, avance sur des technologies permettant de diminuer leur nombre à bord. Pas du tout, se défend le constructeur, qui dit, au contraire, « travailler sur des technologies pour améliorer la sécurité à bord ».

Parmi les programmes développés par Airbus, Dragonfly inquiète particulièrement les pilotes. Développé sur un long-courrier A350 par Airbus UpNext, filiale consacrée à l’innovation, il permet à un appareil de voler de façon autonome, c’est-à-dire sans pilote. Avec ce logiciel, développé depuis deux ans et en démonstration sur un A350 depuis cette année, l’avion peut « décoller et atterrir de façon automatisée ».

Une hérésie

Pour Airbus, le programme n’aurait pas vocation à se substituer aux navigants, sauf « en cas d’incapacité des pilotes, alors l’avion prend le relais et décide où il va atterrir ». Mieux, avec « une voix synthétique, l’avion peut même interagir avec le contrôle aérien », ajoute le constructeur. En clair, avec l’ajout de nouvelles technologies et d’une intelligence artificielle embarquées, l’engin pourrait désormais décoller, voler puis atterrir et rouler sur l’aéroport de son choix sans intervention humaine.

Dragonfly n’est pas le seul projet développé par Airbus susceptible de remettre en question le nombre de pilotes dans le cockpit. L’avionneur européen et l’Agence européenne de sécurité aérienne mettent au point le projet EMCO (Extended Minimum Crew Operations, « opérations d’équipage minimal étendues »). L’objectif, selon Airbus, est de « gérer la fatigue et les temps de repos des pilotes dans le cockpit ».

L’idée serait, pendant un vol long-courrier, de permettre à un pilote d’aller se reposer pendant que l’autre reste seul dans le cockpit et que les logiciels embarqués se chargent de « piloter » l’avion. Alléger les contraintes des pilotes leur permettrait aussi de « prendre des décisions plutôt que de piloter l’avion », avance-t-on chez Airbus.

Il vous reste 47.04% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Retraites : en publiant les premiers décrets d’application, le gouvernement concrétise sa réforme

S’il voulait de nouveau montrer que sa main ne tremble pas, le gouvernement a choisi le bon moment. Dans le Journal officiel du dimanche 4 juin, il a publié les deux premiers décrets d’application de la réforme des retraites. Ceux-ci ont notamment pour objet de préciser les conditions dans lesquelles est repoussé l’âge légal de départ – la mesure phare de la loi du 14 avril contre laquelle les organisations de salariés et de défense de la jeunesse manifestent, mardi, pour la quatorzième fois depuis le début de l’année. La parution de ces textes « est une provocation, un bras d’honneur envoyé au peuple, à deux jours de l’appel à mobilisation », a dénoncé Clémentine Autain, la députée La France insoumise de Seine-Saint-Denis.

Les décrets incriminés étaient très attendus car ils contiennent des dispositions dont l’entrée en vigueur, pour la quasi-totalité d’entre elles, est prévue le 1er septembre. Ces délais, relativement resserrés, mettent sous tension les services des quelque quarante régimes existants, dont la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV) au sein de laquelle émargent les ex-salariés du privé.

Les textes d’application déclinent la manière dont l’âge d’ouverture des droits à une pension sera progressivement relevé. Actuellement fixé à 62 ans pour les assurés soumis à la règle commune, il sera porté à 62 ans et trois mois pour ceux qui sont nés entre le 1er septembre et le 31 décembre 1961, puis augmentera d’un trimestre par année de naissance, atteignant 64 ans pour ceux qui ont vu le jour à partir du 1er janvier 1968.

Ce report graduel de deux années touche aussi les femmes et les hommes qui bénéficient de dérogations. Sont dans cette situation les fonctionnaires exerçant des métiers pénibles ou dangereux, qui relèvent des catégories dites « super-actives » et « actives » : l’âge minimal passera peu à peu de 52 à 54 ans, s’agissant des premières (policiers, égoutiers, personnels pénitentiaires, etc.), et de 57 à 59 ans pour les secondes (aides-soignantes, etc.).

Pression sur les agents de la CNAV

Les décrets concrétisent également la refonte du dispositif des « carrières longues », qui offre la faculté aux individus ayant commencé à travailler jeunes de partir plus tôt que les autres. Désormais, il y aura quatre âges d’ouverture des droits à la retraite, contre deux aujourd’hui : 58, 60, 62 et 63 ans, pour ceux qui ont commencé leur vie professionnelle à 16, 18, 20 et 21 ans (sous réserve d’avoir cotisé durant un certain nombre de trimestres). Une petite surprise, en faveur des assurés : ceux qui sont nés entre le 1er septembre 1961 et le 31 décembre 1963 auront la possibilité de se prévaloir d’une « clause de sauvegarde ». Elle permettra à ceux qui peuvent faire jouer le système des « carrières longues » avant le 1er septembre 2023 de rester éligible à celui-ci s’ils continuent de travailler au-delà de cette date (les conditions pour y avoir droit devenant plus exigeantes à partir du 1er septembre). Quelque 8 000 personnes sont concernées, selon un chiffrage révélé par Les Echos qui a été confirmé au Monde.

Il vous reste 18.9% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Que sait-on du travail ? » : En « seconde ligne », des salaires bien plus bas qu’ailleurs, et pour longtemps

En 2019, l’écart de rémunération entre les travailleurs occupant des emplois dits « de seconde ligne » et l’ensemble des salariés du privé était de 30 % (1 634 euros, contre 2 337 euros). Définis en parallèle des métiers « de première ligne » durant la pandémie de Covid-19 (santé, armée, policiers, pompiers), ceux de seconde ligne ont été tout aussi nécessaires à la continuité de la vie économique et sociale en France, mais ils ont parfois semblé être « invisibles ».

Ce manque de reconnaissance s’illustre par des conditions de travail difficiles et des salaires insuffisants, que mettent en évidence les travaux de recherche réalisés pour le projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp), diffusé en collaboration avec le Liepp et les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi de Lemonde.fr.

Le travail de l’économiste Christine Erhel fait état d’un décalage entre l’utilité sociale de ces professions et leurs faibles rémunérations (entre autres paramètres).

C’est à la suite de la pandémie qu’ont pu être définies les limites de cette vaste catégorie, notamment dans le cadre de la mission d’accompagnement des partenaires sociaux dans la démarche de la reconnaissance des travailleurs de la « deuxième ligne ». Cette dernière concerne, dans les faits, dix-sept familles de métiers, qui comptent 4,6 millions de salariés en 2019 dans le secteur privé, lesquels ont été exposés aux contaminations en raison de leurs conditions de travail et de leur présence sur site pendant le premier confinement. Il s’agit de travailleurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire, du commerce, de la sécurité, de la propreté, des transports ou encore du bâtiment.

Les aides à domicile, les plus précaires

La chercheuse met en évidence trois difficultés principales concernant l’ensemble de ces professions : les salariés connaissent des conditions d’emploi précaires (forts taux de CDD et d’intérim) et des salaires faibles ; ils rencontrent des conditions de travail plus difficiles (accidents du travail deux fois plus nombreux, exposition à des produits chimiques) ; enfin, ils sont confrontés à d’importantes contraintes horaires (temps partiel subi, travail plus fréquent la nuit ou le dimanche).

Par ailleurs, la part des bas salaires (inférieurs à 1 246 euros net en 2019) est plus élevée dans les métiers de la deuxième ligne que dans l’ensemble du secteur privé (18,0 %, contre 11,9 %). Chez les aides à domicile, de loin la profession la plus précaire, la part des bas salaires est de 43,5 % !

Il vous reste 21.48% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« La revalorisation des emplois de “seconde ligne” : une nécessité économique et sociale »

Christine Erhel est professeure au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM, Paris), titulaire de la chaire Economie du travail et de l’emploi, et directrice du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET). Elle mène des recherches en économie du travail, particulièrement sur les questions de réformes du marché du travail et de qualité de l’emploi. En 2020-2021, elle a rédigé le rapport de la mission pour la reconnaissance des travailleurs de la « deuxième ligne », avec Sophie Moreau-Follenfant.

La crise sanitaire liée au Covid a mis en exergue la contribution particulière de certains métiers au fonctionnement de la société et de l’économie. Une grande partie de ces métiers, le plus souvent qualifiés de « métiers-clés » ou « métiers essentiels » dans la littérature internationale, ne peuvent être réalisés en télétravail et impliquent donc des déplacements et un travail sur site, quelles que soient les conditions (y compris dans un contexte de pandémie où les contacts se traduisent par un risque accru de contamination).

Les travailleurs essentiels ont ainsi été le plus souvent sur le « front » du Covid, en « première » ou en « deuxième ligne », pour reprendre la distinction proposée par le président de la République dans un discours du 13 avril 2020.

Au-delà de la dimension politique et de l’affichage de politiques de revalorisation, telles que la revalorisation des rémunérations des métiers médicaux et non médicaux des établissements de santé et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) dans le Ségur de la santé (juillet 2020), le plan de revalorisation des rémunérations et des carrières des policiers (Beauvau de la sécurité, de février à mai 2021), ou encore la mission d’accompagner des partenaires sociaux dans la démarche de reconnaissance des métiers de la « deuxième ligne » (« Rapport de la mission d’accompagnement des partenaires sociaux dans la démarche de la reconnaissance des travailleurs de deuxième ligne », 19 décembre 2021), la crise sanitaire a conduit au développement de travaux de recherche portant spécifiquement sur ces métiers, que ce soit à l’échelon international (BIT, 2023) ou national (Thomas Amossé et al, 2021).

En France, les analyses se sont concentrées sur les emplois de « seconde ligne », pour lesquels le diagnostic en termes de conditions de travail et d’emploi restait parcellaire et qui apparaissaient également comme des « invisibles », selon les termes de Denis Maillard (Indispensables mais invisibles ?, Editions de l’Aube, 2021), alors même qu’ils sont nécessaires à la continuité de la vie économique et sociale.

Il vous reste 81.85% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’argot de bureau : pourquoi les « collaborateurs » ont-ils remplacé les salariés ?

« Notre raison d’être ? Nos collaborateurs. » « Notre groupe emploie 100 000 collaborateurs à travers le monde. » « La santé de nos collaborateurs est une priorité. » Dans la bouche des DRH, le mot n’est même plus questionné, tant il est présent : mais alors, où sont passés les salariés, relégués au rang de gros mot ?

Etymologiquement, des collaborateurs travaillent ensemble à une œuvre commune. Comme on pouvait s’y attendre, tous les dictionnaires renvoient aussi au sens lié à l’occupation nazie durant la seconde guerre mondiale. Mais l’Académie française tient à compléter sa définition ainsi : « Par extension, celui ou celle qui seconde une personne chargée d’importantes responsabilités. » Prenons l’exemple de Nicolas Sarkozy, qui qualifia en 2007 son premier ministre, François Fillon, de « collaborateur »… En ajoutant : « Le patron, c’est moi. »

Il est en effet difficile de placer tous les membres d’une organisation sous un dénominateur commun, puisque le contrat de travail est un « lien de subordination juridique permanente », selon le code du travail. La Cour de cassation a défini, depuis 1996, cette relation comme « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements du subordonné ». En contrepartie, ce dernier bénéficie de droits et d’une protection juridique. Le mot « collaborateur » n’existe pas dans le code du travail.

Mauvais genre

Et pourtant… Le terme a infusé, sans doute parce que la relation de subordination faisait mauvais genre dans un management moderne, qui tend à personnaliser les rapports entre entreprise et individu. Comme souvent dans le jargon, on cherche à embellir voire à édulcorer des situations, pour valoriser ceux qui les subissent : ici, on promeut des travailleurs soumis au rang de valeureux soldats, tous unis derrière la même bannière.

Si le terme pouvait auparavant désigner des hauts cadres, des bras droits, il est maintenant décerné à tous les bras adroits qui travaillent. Dans un fast-food, le collaborateur est parfois même appelé « équipier ». Tous les salariés seraient donc égaux dans leur labeur… Même si certains sont plus égaux que d’autres.

L’émergence de la fameuse question du « sens au travail » justifie l’usage de ce terme, qui feint l’égalité de traitement : une œuvre et des valeurs communes doivent motiver, donner l’impression que l’on est ici de son plein gré, et non pour être rémunéré. Le « chef » est ainsi devenu « leader », il n’exploite plus, il inspire ! Dans les moments difficiles, il responsabilisera ses « collaborateurs » à peu de frais, faisant d’eux des cadres indispensables (mais sans le statut de cadre).

Il vous reste 31.65% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

A Disneyland Paris, une nouvelle mobilisation salariale sous haute surveillance

Comme dans une pub, deux petites filles blondes vêtues de robes scintillantes accourent vers l’entrée du parc. Derrière elles, leurs parents, coiffés d’un serre-tête en oreilles de Mickey les rejoignent, un sourire euphorique aux lèvres. En ce samedi 3 juin, sur le parvis de Disneyland Paris, à l’entrée du site, les fontaines coulent à flot, sur fond de musique féerique et de palais aux façades roses, quand soudain, vers 11 h 30, l’atmosphère change. Des sifflets, puis des cris de revendication se font d’abord entendre. Avant que des hommes, vêtus de noir, brassard orange siglé « sécurité », surgis de nulle part, ne se dressent devant les visiteurs pour les obliger à s’écarter. Plusieurs journalistes cantonnés à l’extérieur du parc – en dépit des demandes d’autorisation auprès de la direction – sont aux aguets.

En l’espace d’un instant, les tensions d’un jour de grève contre les retraites se retrouvent transposées au pays de Mickey. Des centaines de manifestants – environ un millier d’après les grévistes – déferlent dans cette ambiance sucrée. Certains vêtus de gilet jaune, d’autres en tenue de travail – groom, serveuse ou autres déguisements – portent à bout de bras des banderoles aux slogans vengeurs. « Cinq ans à trimer pour la souris toujours payé comme un rat », lit-on sur une pancarte.

« Les grèves deviennent réalité », ironise une autre alors que les drapeaux rouge de la CGT et bleu ciel de l’UNSA se fondent dans la foule. C’est la deuxième fois cette semaine que des cast members de la multinationale (ainsi sont appelés les salariés des parcs à thème) débrayent pour réclamer une augmentation de 200 euros net par mois ainsi que le paiement double des dimanches et de meilleures conditions de travail. Une manifestation qui a valu l’arrêt de plusieurs spectacles et attractions.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés A Disneyland Paris, la mobilisation salariale reconduite ce samedi

Après avoir déambulé à l’intérieur des deux parcs, le cortège avance au-dehors dans le décor artificiel du village Disney. Sur son passage, des guests (« invités », c’est-à-dire les clients) filment avec leur portable, tandis que d’autres regardent, éberlués, cette parade d’un autre genre. Une femme avec un enfant dans les bras applaudit. « Moi je les soutiens. Je viens de Grande-Bretagne et nous aussi nous avons fait des grèves pour les salaires. Il n’y a pas d’autre moyen pour avoir son dû », explique-t-elle alors qu’un gréviste lui sourit. « Cela nous fait bien sûr plaisir. On sait que les gens paient cher leur place pour venir ici », relève le jeune homme employé comme photographe.

Il vous reste 59.62% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Secteur du livre : « Nous alertons les pouvoirs publics sur la dégradation de la situation économique des auteurs depuis des années »

Cent jours sans rien pour la « culture ».

Le mot est désespérément peu présent dans les trente-cinq pages précisant la feuille de route du gouvernement d’Elisabeth Borne pour les trois mois à venir. Pas une fois (sinon très marginalement), il ne surgit dans la tête de ceux qui détaillent les moyens qu’ils entendent mobiliser pour que l’ambitieuse et jolie formule de « France plus forte » devienne demain réalité.

Pourtant le mot « culture » méritait d’apparaître dès le début, autour de ce que le document identifie comme la « priorité 1 » de ce programme, c’est-à-dire « atteindre le plein-emploi et réindustrialiser la France ». Car le secteur du livre s’inscrit pleinement dans le champ de ce que la terminologie officielle nomme les « industries culturelles et créatives », et qui pèsent aujourd’hui davantage que l’industrie automobile. Parmi celles-ci son poids économique représente un chiffre d’affaires considérable, estimé à 4 milliards d’euros.

Le premier chantier ouvert par la feuille de route s’intitule « Transposer l’Accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur pour encourager le développement des différents outils à disposition des entreprises (participation, intéressement, prime de partage de la valeur, épargne salariale, actionnariat salarié) ». Une formulation qui nous touche en plein cœur. Elle fait écho à l’une de nos revendications fondamentales : le « partage de la valeur » au sein de la chaîne du livre.

Une fin de non-recevoir

Cela fait des années que nous alertons les pouvoirs publics sur la dégradation de la situation économique des auteurs et sur leur précarisation : enquêtes et rapports publics, observatoires et baromètres élaborés par nos organisations professionnelles la documentent régulièrement. Inlassablement. Inexorablement. Et cela fait des années que nous réclamons un meilleur partage de cette valeur : comment se fait-il que le secteur du livre se porte bien, voire très bien, alors que les écrivains, les traducteurs, les illustrateurs, les auteurs de BD, etc. se portent de plus en plus mal ?

Le sujet nous mobilise depuis des années. Mais nos partenaires éditeurs refusent de l’aborder avec nous : il y a quelques mois, ils nous ont opposé une fin de non-recevoir, au prétexte que nos propositions mettraient en péril toute l’économie du livre.

Dans ces conditions, face à une si noire prédiction, fondée sur les seules affirmations des grands groupes d’édition-diffusion-distribution dont la concentration et la financiarisation ne cessent de s’accentuer, pourquoi faudrait-il ouvrir le débat, examiner sérieusement le contenu même de ce que nous proposons pour améliorer la rémunération des auteurs de livres ?

Il vous reste 33.47% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Monoprix débouté par la justice de sa demande d’interdiction de toute manifestation dans ses magasins

C’est un coup de poker qu’avait tenté Monoprix en assignant en référé trente-neuf salariés de son magasin de Picpus (12e arrondissement de Paris), dont des élus CGT, après qu’ils ont manifesté pendant deux heures, à deux reprises, les 8 et 19 décembre 2022.

Les protestataires dénonçaient le manque chronique de personnel et ses conséquences. Ils s’inquiétaient notamment de voir des palettes de viande fraîche laissées à l’abandon des heures dans des allées non réfrigérées. Les débrayages sont survenus quand leur collègue du rayon boucherie, seul pour faire le travail de trois, a été convoqué pour un entretien préalable au licenciement.

Arguant que les deux manifestations, à l’intérieur du magasin, avaient été fort bruyantes – un enregistrement diffusé à l’audience, le 28 mars, avait permis d’attester du niveau sonore – et qu’elles avaient dérangé les clients, entravant ainsi la liberté du commerce et d’industrie, Monoprix n’avait pas seulement demandé des dommages et intérêt.

Effet « bâillon »

Craignant une nouvelle manifestation dès janvier, la société avait tout bonnement demandé au tribunal judiciaire de Paris « d’éviter la réitération » de ce « trouble manifeste à l’ordre public » en ordonnant à tout salarié, de la société ou d’une autre, « de ne pas renouveler leur participation » à un mouvement dans un magasin Monoprix Exploitation, à Paris ou ailleurs, sous peine d’être condamné à 1 000 euros par personne et par infraction, et ce pendant trois ans. Une somme conséquente, quand la plupart des paies avoisinent le smic (1 383 euros net).

Pour ce faire, Monoprix avait utilisé l’assignation en référé, une procédure d’urgence devant un juge unique qui permet de prescrire des mesures pour « prévenir un dommage imminent » ou « faire cesser un trouble illicite ». Monoprix s’appuyait en cela sur un précédent : c’est grâce à cette procédure que la société était parvenue à faire cesser, fin 2020, une série de manifestations, chaque samedi, dans le cadre d’un long mouvement baptisé « Samedis de la révolte ».

Mais le juge des référés n’a pas suivi le raisonnement de Monoprix et fait la différence entre la chronicité du mouvement de 2020 et la ponctualité des deux manifestations de 2022. Dans son ordonnance rendue le 23 mai, il estime que « le trouble manifestement illicite a cessé, puisque la société Monoprix ne démontre pas que des manifestations illicites à l’intérieur du magasin Picpus se sont poursuivies, ni qu’elles ont été réitérées après les dates litigieuses ».

Le juge des référés a donc débouté Monoprix de sa demande d’interdire toute nouvelle manifestation. Ainsi que de sa demande de faire payer aux salariés les 1 116 euros de frais d’huissiers engagés par la direction du magasin pour faire constater les troubles, les 8 et 19 décembre 2022. La décision n’aura cependant pas empêché l’effet « bâillon » de cette procédure, qui a bridé toute nouvelle volonté de manifester des salariés ces cinq derniers mois.

A Disneyland Paris, la mobilisation salariale reconduite ce samedi

Le château de la Belle au bois dormant à Disneyland Paris (Marne-la-Vallée), le 16 mars 2017.

Pour nombre d’entre eux, la magie n’opère plus. Après s’être mobilisés de manière inédite mardi dernier − un millier de personnes −, des « cast members » (nom donné aux salariés du groupe Eurodisney) s’apprêtent à reconduire leur mouvement, ce samedi 3 juin, dès 9 heures du matin, sur le site de Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne), faute d’avoir obtenu une réponse de la direction à la hauteur de leurs revendications salariales et de leurs demandes sur les conditions de travail.

« C’est historique », répète Ahmed Masrour, délégué syndical de l’UNSA. « On trouve des personnes issues de tous les corps de métiers, hôtellerie, restauration, billeterie animation ou gestion de flux, aussi bien des jeunes que des plus anciens », explique-t-il, alors que la mobilisation amorcée en avril n’a depuis pas cessé de grandir.

D’une poignée de personnes à ses débuts, il y a un mois et demi, elle en a depuis rassemblé 200, le 10 mai, puis 500, le 23 mai. Et, enfin, 954, mardi 30 mai, selon le décompte de la direction, et 1 800 (sur les 18 000 salariés), selon celui des syndicats.

Sentiment de « déclassement »

Issu à l’origine d’un collectif de salariés, ce Mouvement anti-inflation (MAI) a, par la suite, été rejoint par des syndicats, l’UNSA et la CGT en tête. Ensemble, ils réclament une augmentation de 200 euros net par mois des salaires, ainsi qu’un paiement double des dimanches travaillés et le doublement des frais kilométriques pour suivre l’inflation.

« Les tarifs pour entrer dans le parc ont augmenté ces derniers mois, l’activité se porte bien mais les salaires peinent à suivre l’inflation », rapporte David Charpentier, porte-parole du Syndicat indépendant des salariés du tourisme 77. Il souligne notamment le sentiment de « déclassement des salariés les plus anciens » qu’il justifie par un différentiel chaque fois plus faible entre leur salaire et celui des nouveaux embauchés au fil des revalorisations du SMIC.

En cause également, les conditions de travail. A ce titre, les salariés et plusieurs syndicats réclament la fin des horaires adaptés, lesquels avaient été mis en place dans le cadre d’un avenant sur le temps de travail en octobre 2020, et ce pour une durée de deux ans. « A l’occasion de la renégociation qui a eu lieu à l’automne dernier, les syndicats ont exprimé leur désaccord sur la poursuite de cette organisation », raconte Fabien Beiersdorff, représentant CGT, précisant que la direction a choisi de les imposer en passant en force au travers du CSE.

« Cette réorganisation a un fort impact sur la santé, la vie privée et la qualité du travail. On le voit avec l’augmentation des arrêts de travail », estime Ahmed Masrour alors que les salariés concernés se plaignent selon lui de la grande variabilité des horaires et du fait que les jours de repos ne sont pas forcément consécutifs. « Il peut leur arriver, après un jour de repos, de travailler deux jours pendant quatre heures, puis trois jours pendant neuf heures, et un sixième pendant six heures », renchérit le responsable CGT.

Il vous reste 37.25% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.