La querelle déchire les intellectuels et résonne dans la sphère médiatique. Autour du militantisme progressiste et des nouvelles approches en sciences sociales se cristallisent des oppositions idéologiques. Au-delà du clivage droite-gauche, elles révèlent des fractures françaises.
Le livre. Les murs des entreprises sont poreux face aux bouleversements du monde. Paru aux éditions La Découverte, L’Etat du management 2023 nous confirme combien les préoccupations qui parcourent notre société trouvent un écho dans les organisations du travail. Et, par ricochet, dans les travaux de recherche en sciences de gestion.
L’ouvrage, réalisé sous la direction des universitaires Sébastien Damart, Sarah Lasri et Céline Marie Michaïlesco, nous donne un aperçu des thématiques sur lesquelles se penchent les chercheurs du laboratoire Dauphine recherches en management (DRM), dévoilant ainsi les transformations attendues dans les entreprises. La question du changement climatique y occupe une place importante.
Les auteurs s’interrogent notamment sur le rôle des normes de communication de données (reporting) en matière de développement durable et sur le poids qu’elles peuvent avoir pour influer sur les comportements des organisations. Parmi les sujets abordés, un focus est proposé sur l’impact des crises, multiples, qui ont touché le secteur public. Le regard de l’auteur de ce chapitre, Léonard Gourbier, se porte plus spécifiquement sur les changements à l’œuvre concernant le contrôle de gestion. Le maître de conférences en sciences de gestion montre combien chaque bouleversement observé a pu entraîner le recours à de nouveaux outils ou à de nouvelles pratiques.
A partir de 2008, la crise économique a ainsi induit un contexte d’austérité qui « s’est traduit par le renforcement du contrôle de gestion, en particulier budgétaire, dans les collectivités territoriales ». Idem pour la « crise environnementale », avec « le déploiement de budgets verts » – permettant de mesurer l’impact environnemental des dépenses publiques – ou encore d’« indicateurs environnementaux ».
De multiples transformations
Le secteur public est aussi « confronté à une crise démocratique de plus en plus sensible », note M. Gourbier (le mouvement des « gilets jaunes » en a été l’une des expressions). Là encore, les organisations publiques ont dû s’adapter, « comme en témoigne l’explosion du nombre de budgets participatifs au cours des dernières années ». En parallèle, une succession de réformes impulsées par l’Etat depuis les années 1990 a « introduit dans le secteur public des outils et des pratiques issus du contrôle de gestion privé » (par exemple, les « projets de service » définissant les objectifs stratégiques), avec un souci d’optimisation budgétaire.
Face à ces multiples transformations, l’auteur s’interroge : ces adjonctions successives permettent-elles un pilotage cohérent des administrations ? M. Gourbier invite à repenser le déploiement de tels dispositifs. Leurs interconnexions doivent être, à ses yeux, davantage réfléchies. Par ailleurs, il importe que « les organisations publiques (…) pens[ent] leur performance de façon plus globale » – et non seulement en termes financiers –, en intégrant par exemple les impacts sociaux ou environnementaux au contrôle de gestion.
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Don’t call me Jennyfer a demandé son placement en redressement judiciaire au tribunal de commerce de Bobigny (Seine-Saint-Denis), mercredi 21 juin. L’enseigne de mode féminine, créée en 1985 sous le nom de Jennyfer par David Tordjman et Gérard Depagnat, est à la tête de 220 magasins en France. Elle emploie 1 112 personnes.
En dépit d’une restructuration et d’une relance menée tambour battant depuis 2019 par Sébastien Bismuth, président de l’enseigne de mode masculine Celio, avec l’appui d’un consortium d’actionnaires, Don’t Call me Jennyfer traverse une crise sévère de trésorerie. Son activité a dévissé de 8 % en 2022, pour atteindre un chiffre d’affaires annuel de 300 millions d’euros.
« Depuis le début de l’année 2023, l’activité est en repli de 6 % », précise son directeur général, Emmanuel Locati, qui refuse de révéler l’identité de ses actionnaires, ainsi que le montant de ses pertes et de son endettement, dû principalement à l’obtention d’un prêt garanti par l’Etat remboursable en 2025.
« Capacité à rebondir »
Ces contre-performances tombent mal alors que le commerce de l’habillement est confronté à une hausse de ses coûts de revient et d’exploitation. Chez Don’t call me Jennyfer, elle atteint « 10 % », estime M. Locati, lequel déplore un « effet ciseau ».
A en croire plusieurs observateurs du marché, l’enseigne, qui s’adresse aux jeunes filles de moins de 20 ans, fait partie des acteurs du marché sévèrement concurrencés par le site chinois Shein et ses prix plancher. D’ores et déjà, M. Locati vante les « solides atouts de la marque » et sa « capacité à rebondir » sur le marché français. Le tribunal de commerce devrait accorder sous peu une période d’observation de six mois à l’entreprise.
Cette mise en redressement judiciaire intervient quelques jours avant le coup d’envoi des soldes d’été 2023, pour quatre semaines. Plusieurs enseignes, dont Pimkie, autre distributeur en difficultés, cédé à un consortium d’investisseurs, espèrent renflouer leur trésorerie à la faveur de cette période de vente à prix cassés. Selon l’Institut français de la mode, la consommation d’habillement a chuté de 7,3 % au mois de mai dans l’Hexagone.
« Personne n’échappera à la transformation numérique : aucune profession, aucun niveau hiérarchique, aucun secteur d’activité, avertit Pascal Moulette, enseignant-chercheur en sciences de gestion à l’université Lyon-II. Il y a urgence. Les entreprises doivent anticiper et veiller à l’inclusion numérique de leurs salariés. » Car à l’heure du tout-numérique, « certains salariés se retrouvent en difficulté face, par exemple, à des bulletins de paie dématérialisés ou des votes électroniques pour les élections professionnelles, de même quand ils doivent poser leurs congés sur une plate-forme en ligne… », explique Hervé Fernandez, directeur de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme et l’illectronisme.
Même constat pour Isabelle Cadin, responsable formation et développement chez Disneyland Paris : « Certains salariés ont des difficultés pour déclarer un arrêt de travail sur notre plate-forme ou encore pour consulter leur planning. » Avec à la clé, pour ces salariés qui se sentent marginalisés, de la souffrance et du mal-être. « Il s’agit, dans une démarche de qualité de vie au travail (QVT), d’offrir aux salariés un travail de qualité et confortable, car maîtriser le numérique permet de diminuer la peur de se tromper et le stress qui va avec, mais aussi d’augmenter l’autonomie, » poursuit Hervé Fernandez.
Pour Ilhem Alleaume, directrice développement et formation de L’Oréal, « c’est une question de dignité ». L’enjeu pour les entreprises va donc au-delà de la seule productivité. Alors que les transformations numériques s’accélèrent, une partie croissante des salariés risquent de décrocher.
« La fracture numérique tend à croître, car les exigences des entreprises augmentent en la matière, explique Pascal Moulette. Historiquement, il ne s’agissait pas d’une compétence attendue. Maintenant oui ». Chez Carrefour, par exemple, plus de 100 000 salariés sont amenés à utiliser de nouveaux outils pour gérer les commandes dans les drives, mettre à jour des prix sur les étiquettes électroniques en rayon ou encore gérer les stocks en magasin.
« Il faut beaucoup de sensibilisation en amont pour embarquer tout le monde », note Christopher Sullivan, directeur général d’ICDL, organisme spécialisé dans la certification des compétences numériques. Pas si simple, car l’illectronisme reste tabou, même s’« il est moins teinté de honte que l’illettrisme », reconnaît Hervé Fernandez. Cependant, la crainte du jugement de la hiérarchie ou des collègues ou encore la peur de ne pas être capable d’apprendre demeure.
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Carnet de bureau. L’accéléromètre est-il nécessaire à la santé des salariés ? Ce petit capteur sensible aux déplacements et à l’inertie est placé dans les véhicules pour déclencher les airbags, dans les téléphones pour stabiliser les écrans ou dans les jeux vidéo pour détecter les mouvements des joueurs. Au bureau, c’est l’instrument de référence pour protéger les salariés d’une posture assise trop longue. Il mesure en effet la sédentarité des travailleurs, mais n’alerte pas encore de ses dangers.
Pourtant, 95 % de la population française serait exposée à un risque de santé parce qu’elle reste trop longtemps assise, selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire. La sédentarité double les risques de maladies cardiovasculaires et augmente les risques de diabète, de cancer et de troubles mentaux (anxiété, dépression, etc.). « Rester assis tue davantage que le tabagisme dans le monde », assurait même le Summit Happytech, qui a réuni à la mi-mai une quarantaine d’entreprises pour échanger sur les bonnes pratiques de l’innovation au service de la qualité de vie au travail. C’est « entre 4 et 5 millions de décès [qui] pourraient être évités chaque année si la population mondiale était plus active physiquement »,considère l’Organisation mondiale de la santé, contre 7 millions de décès dus au tabagisme sur la même période.
Mais l’enjeu de santé publique est considérable ets’est déplacé dans les entreprises, car « le travail est devenu le vecteur principal des postures sédentaires, loin devant les activités de loisirs (regarder la télévision depuis le canapé, par exemple) ou les déplacements (être assis dans le bus, le train…) », indique l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (« Les postures sédentaires au travail », par Laurent Kerangueven et Kévin Desbrosses, INRS, octobre 2022). Un salarié à 35 heures passe ainsi en moyenne au moins 5 heures 15 par jour assis. Tandis que pour bien faire, il ne faudrait pas être à son siège plus de 3 heures, selon l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité.
Quelques astuces
Les auteurs de l’étude de l’INRS recommandent aux entreprises d’intégrer une démarche d’évaluation des risques par métier au formulaire ad hoc, afin de mesurer la durée journalière des postures sédentaires et la fréquence des périodes postées de plus de trente minutes.
L’Association interprofessionnelle des centres médicaux et sociaux de santé au travail de la région Ile-de-France (ACMS) délivre, de son côté, quelques astuces pour limiter la sédentarité au travail. L’ACMS invite les salariés à « téléphoner debout ou en marchant », « se déplacer pour échanger avec les collègues », « alterner les tâches assises et celles debout » et aux employeurs de « proposer des postes de travail et des lieux permettant d’alterner les positions » et de « promouvoir la culture du sport en entreprise »,par exemple en mettant « à disposition des pédaliers ou des ballons dans les bureaux ».
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Dans une tribune au « Monde », le Collège des enseignants des écoles supérieures de paysage alerte les pouvoirs publics sur la forte dégradation des conditions dans lesquelles les professionnels de ce secteur sont aujourd’hui formés.
Image extraite du documentaire « Trop chaud pour travailler » (2023), de Mikaël Lefrançois et Camille Robert. TOURNEZ S’IL VOUS PLAÎT
ARTE – MARDI 20 JUIN À 20 H 55 – DOCUMENTAIRE
Chaleur et travail n’ont jamais fait bon ménage. Et dans un monde en surchauffe, le changement climatique, avec ses épisodes caniculaires de plus en plus fréquents, devient une menace concrète pour des centaines de millions de travailleurs de « première ligne ».
Santé en danger, productivité en baisse : comment continuer à travailler comme avant dans un monde plus chaud ? Le modèle économique fondé sur une forte productivité peut-il perdurer ? Parce qu’elle nous fait travailler moins vite et moins bien, la chaleur fait perdre plus de 2 000 milliards de dollars (environ 1 830 milliards d’euros) à l’économie mondiale chaque année.
Avec ce documentaire qui, du Qatar à la France en passant par les Etats-Unis, l’Inde, l’Italie ou le Nicaragua, éclaire le redoutable phénomène de stress thermique en analysant les enjeux sanitaires, économiques et environnementaux, Mikaël Lefrançois et Camille Robert ont réalisé un remarquable travail. Ils ont interrogé des médecins, des architectes, des économistes, des responsables d’ONG et des dirigeants politiques dont les analyses, couplées aux récits d’hommes et de femmes décrivant leurs conditions de travail inadaptées aux fortes chaleurs, permettent de mieux saisir l’urgence de la situation.
Décès, graves maladies rénales, évanouissements, les effets du climat sont terribles pour des travailleurs qui subissent souvent des cadences infernales et ne sont pas protégés des températures caniculaires. Principales victimes : les ouvriers du bâtiment, dans les pays du Golfe mais aussi en Europe. En Inde, les ouvrières du textile entassées dans de gigantesques hangars mal climatisés, ou les très nombreuses couturières à domicile, travaillant dans des bidonvilles où tôle et ciment piègent la chaleur.
Accidents cardiaques et maladies rénales
Autres victimes : les ouvriers agricoles, comme ces coupeurs de canne à sucre en Amérique centrale qui travaillent dans des conditions archaïques. Les fortes chaleurs associées au travail musculaire intense et aux pauses trop peu nombreuses provoquent accidents cardiaques et maladies rénales.
Autre exemple frappant, celui des chauffeurs-livreurs de la compagnie UPS aux Etats-Unis : harcelés en temps réel par des manageurs qui traquent la moindre minute perdue, ils doivent effectuer entre cent trente et deux cents livraisons par jour dans un camion non climatisé où la température peut monter jusqu’à 50 degrés ! Accusée à de nombreuses reprises par l’inspection du travail américaine, la direction d’UPS affirme se soucier de la santé de ses salariés en équipant les camions de ventilateurs et les livreurs de nouveaux uniformes plus confortables. Des mesures évidemment insuffisantes dans un pays où, en soixante ans, le nombre de vagues de chaleur a triplé.
La situation est devenue tellement inquiétante que Joe Biden et sa vice-présidente, Kamala Harris, se sont emparés du sujet, demandant à l’agence gouvernementale OSHA de plancher sur une réglementation destinée à prévenir le stress thermique au travail.
Judy Chu, représentante démocrate de Californie, se bat depuis longtemps pour faire entrer la menace du climat dans le droit du travail américain. En 2006, une loi a été appliquée en Californie, imposant aux entreprises des pauses et la mise à disposition d’eau lorsque la température atteint 35 degrés. Suffisant ? Spécialiste du stress thermique, l’épidémiologiste Tord Kjellström estime qu’à la fin du siècle, au rythme actuel du réchauffement, « 15 % des heures de travail vont être perdues ».
Trop chaud pour travailler, de Mikaël Lefrançois et Camille Robert (Fr., 2023, 93 min).
Les négociations amorcées avec la direction de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) n’ont pas cessé depuis l’annonce, le 14 février, d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), qui prévoit de supprimer un quart des effectifs : 85 postes dont 62 licenciements sur 240 salariés. « Une phase de dialogue social s’ouvre avec les organisations syndicales »,avait déclaré Séverine Salgado, la directrice générale de la FNMF.
Mais, après la stupéfaction puis la colère exprimées par les salariés, hormis un accord de méthode signé le 26 avril sur le calendrier de la procédure et des négociations, le blocage reste entier sur le fond. La signature par les organisations syndicales « ne marque pas, de leur part, une quelconque acceptation du projet présenté »,précise l’accord de méthode. « On milite toujours pour le retrait du PSE »,a confié au Monde un représentant du personnel.
Syndicats et élus du comité social et économique (CSE), qui devaient présenter les conclusions du rapport d’expertise comptable en conférence de presse mardi 20 juin, contestent le fondement économique du PSE, ainsi que sa motivation, « redresser [l]a situation économique en vue de sauvegarder [l]a compétitivité » de la FNMF. La direction souligne que « les parts de marché des mutuelles santé se détériorent continuellement ».
Une suite de décisions de gouvernance
Depuis vingt ans, les cotisations en contrats de santé passent progressivement aux mains des assurances, et le nombre de mutuelles santé s’est effondré (elles ne sont plus que 300), réduisant d’autant les revenus de la fédération : 85 % des recettes de la FNMF sont basées sur les cotisations des mutuelles adhérentes. Les projections à l’horizon 2025 qualifiées de « prudentes » par la direction annoncent un résultat net en déficit de11 millions d’euros, que le PSE ramènerait à 1,1 million.
L’expertise comptable du cabinet Ethix, désigné par le CSE, ne décrit pas la même réalité. Après avoir rappelé que « la FNMF exerce une activité qui ne rentre pas dans le champ concurrentiel »,le rapport dénonce un scénario construit sur « des hypothèses pessimistes », qui ne tiendraient pas compte des revalorisations des tarifs des mutuelles liées à l’inflation (l’assiette de la cotisation fédérale est constituée à 80 % par le chiffre d’affaires des mutuelles adhérentes), tout en majorant les charges de fonctionnement et la masse salariale de la FNMF de l’impact de cette même inflation. Une inflation prise en compte (ou pas), selon qu’on évalue les recettes ou les dépenses.
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Les groupes de BTP Vinci, Eiffage, Spie Batignolles et GCC, principaux maîtres d’ouvrage des futurs sites olympiques, ainsi que huit sous-traitants, ont été assignés aux prud’hommes de Bobigny (Seine-Saint-Denis) par dix ouvriers sans papiers qui ont travaillé sur les chantiers des Jeux.
Ces travailleurs, qui ont depuis été régularisés, dénoncent depuis plusieurs mois leur « exploitation » sur ces chantiers, où ils ont œuvré sans contrat de travail ni fiche de paie. Ils demandent « la reconnaissance d’un contrat de travail, requalifié en CDI à temps plein », a expliqué à l’Agence France-Presse le syndicaliste Richard Bloch, confirmant une information de Franceinfo. Défenseur syndical à la CGT, ce dernier avait accompagné ces ouvriers dans leur processus de régularisation.
« Emploi d’étranger sans titre en bande organisée »
Dans le dossier déposé le 31 mars, le syndicat et les ouvriers demandent également le versement des « arriérés » de salaires impayés, la reconnaissance d’un « licenciement sans cause réelle et sérieuse », et que soit engagée « la responsabilité des maîtres d’œuvre » dans le recours à ce travail irrégulier. D’autant que, d’ici à ce que l’affaire soit audiencée au conseil des prud’hommes en octobre, selon la CGT, les sous-traitants pourraient tout simplement s’évaporer dans la nature.
Il y a un an, le parquet de Bobigny avait ouvert une enquête préliminaire, notamment pour « travail dissimulé » et « emploi d’étranger sans titre en bande organisée », après que des contrôles avaient permis d’identifier plusieurs travailleurs irréguliers sur un chantier olympique.
Entreprises. Le 1er juin, quelques semaines après le dixième anniversaire de la catastrophe du Rana Plaza, le parlement européen a voté une directive sur le devoir de vigilance des entreprises multinationales. Après la loi française de 2017 et la loi allemande de 2021, cette prise de position ne garantit pas encore son adoption par l’Union européenne, mais elle manifeste avec force la progression en Europe d’une conception française de l’entreprise et de la mondialisation.
Le 24 avril 2013, dans une banlieue proche de Dacca, au Bangladesh, un bâtiment de neuf étages s’effondre, provoquant, avec plus de 1 100 tués et des milliers de blessés, la catastrophe la plus meurtrière de l’histoire de l’industrie textile. L’immeuble abritait des ateliers de couture travaillant pour les grandes enseignes de la mode. La tragédie déclencha une émotion très forte dans le monde entier et la quasi-totalité de ces donneurs d’ordre reconnurent avoir été aveugles face à la mise en danger de ces travailleurs par leurs sous-traitants.
Cette prise de conscience suscita une innovation française : la loi du 27 avril 2017 sur le devoir de vigilance des entreprises multinationales. Elle impose à celles-ci de mettre en place, sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement, un plan de prévention des atteintes aux droits fondamentaux des travailleurs. Cette loi n’a pas manqué de provoquer des critiques et des oppositions tenaces. On pouvait en effet contester la faisabilité d’un tel plan de vigilance lorsque les chaînes d’approvisionnement sont longues et complexes.
Une nouvelle approche sociale
Mais l’importance des enjeux humains concernés devait alors motiver la recherche de circuits plus maîtrisables. On reprochait surtout à la loi d’imputer aux entreprises des mises en danger qui n’étaient pas de leur fait. Or, la loi ne disait pas cela et rappelait un principe d’une grande force doctrinale. L’Etat est légitime à imposer des normes de « bonne gestion », lorsque l’activité ou le pouvoir d’une entreprise peuvent entraîner des dangers pour autrui.
Le loueur de voitures doit ainsi vérifier que son client possède un permis de conduire ! Ainsi, la loi n’exige de l’entreprise que la preuve qu’elle prend des mesures de prévention documentées et sérieuses pour éviter de travailler avec des fournisseurs qui ne respectent pas ces droits.
Cette conception a d’abord franchi les frontières de l’hexagone avec une loi similaire adoptée en Allemagne en juin 2021. Le vote récent du Parlement européen confirme donc la diffusion à l’échelle du continent d’une conception plus responsable du rôle des entreprises dans la mondialisation. Certes, la taille des entreprises concernées, l’étendue des droits sous vigilance, les sanctions associées au non-respect des prescriptions, sont encore à fixer et rien ne dit qu’une directive exigeante sera adoptée. Mais qui aurait parié en 2017 sur une telle réception européenne quand beaucoup voyaient dans cette loi un errement français ?
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