Archive dans 2023

Carrefour prévoit près d’un millier de départs volontaires dans ses sièges en France

Le groupe Carrefour a indiqué que jusqu’à « 979 départs seraient susceptibles d’intervenir » au niveau de ses sièges en France, « à l’exclusion des magasins et entrepôts », et sur « la base du strict volontariat », dans un message à l’Agence France-Presse lundi 26 juin en marge d’un CSE – instance de représentation du personnel. « Ces départs ne concerneront que les salariés des sièges à l’exclusion de ceux des magasins ou entrepôts », précise Carrefour qui a des sièges à Mondeville (Calvados), Massy et Evry (Essonne) .

Ces départs « ne pourront intervenir que sur la base du strict volontariat, et dans le cadre d’un accompagnement social de qualité », assure encore le distributeur. Mi-juin, la CFDT avait indiqué que « les premiers départs sur la base du volontariat pourraient avoir lieu fin août, voir bien avant pour les salariés produisant un CDI vers l’extérieur ».

Cet objectif de réduction des effectifs au niveau des sièges était connu, et le média spécialisé La Lettre A avait révélé fin mai qu’« un millier de postes » étaient « ciblés sur le seul périmètre France du groupe ».

Plan d’« économies de coûts » de 4 milliards d’euros

Cette réorganisation s’inscrit dans le cadre du plan stratégique à horizon 2026 concocté pour le distributeur par son PDG Alexandre Bompard. En novembre 2022, ce dernier avait annoncé un nouveau plan d’« économies de coûts » de 4 milliards d’euros passant notamment par « des réductions d’effectifs significatives dans chacun » des sièges européens.

Le PDG du groupe n’avait alors pas donné d’indication sur l’ampleur de ces réductions, indiquant simplement qu’« en Europe, il y a un potentiel énorme de mutualisation à exploiter » et que « tout ce qui doit être mutualisé dans notre organisation va l’être ». Les réductions d’effectifs au niveau européen ne sont pas encore connues.

Carrefour a réalisé en 2022 un chiffre d’affaires en hausse de 16 % à 90,8 milliards d’euros, et un bénéfice net bondissant à 1,35 milliard d’euros, soit 26 % de mieux que l’année précédente. Il doit publier ses résultats financiers pour le premier semestre 2023 le 26 juillet.

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Le Monde avec AFP

« Que sait-on du travail ? » : quand le sens disparaît, le salarié part

30 % : c’est le niveau d’augmentation du risque de départ volontaire d’un salarié en perte de sens, à métier, âge, sexe et niveau de diplôme équivalents. Un impact révélé par les travaux du statisticien Thomas Coutrot et de l’économiste Coralie Perez, dans le cadre du projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? », du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp), diffusé en collaboration avec le Liepp et les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi de Lemonde.fr.

Pour arriver à ce résultat, les deux chercheurs ont commencé par prendre la mesure du sens au travail avec les outils qui sont les leurs : statistique et économétrie.

En dix questions, ils ont construit trois indicateurs partiels (utilité sociale, cohérence éthique, capacité de développement) et un indicateur synthétique du « sens au travail » qu’ils ont croisés avec des données sur les conditions de travail des salariés extraites des enquêtes nationales de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (Dares).

Davantage les ouvriers que les cadres

Les corrélations leur ont permis d’établir les conséquences de la perte de sens du travail sur la décision de quitter un emploi et sur la santé des salariés, en éliminant le biais Covid-19 dans la mesure où les chiffres du ministère du travail couvrent la période de 2013 à 2016. « Le facteur le plus explicatif de la démission entre 2013 et 2016 est le fait que la personne trouvait peu de sens à son travail en 2013 », constatent les auteurs. « Une forte intensité du travail ou des conflits avec le supérieur poussent également à partir, mais pas le niveau de salaire ni même le sentiment d’être mal payé : contrairement à un préjugé courant, le salaire n’est pas le déterminant principal des mobilités », précisent-ils.

Et lorsque le départ est empêché, « la perte de sens du travail entre 2013 et 2016 est associée à une forte hausse de l’absentéisme pour maladie », jusqu’à 40 % pour les 20 % de salariés dont l’indicateur de sens a le plus baissé sur la période. Le sens du travail devient alors un enjeu de santé publique.

Par ailleurs, « ce n’est pas un problème de riches », assurent les chercheurs. Le risque dépressif, qui est multiplié par deux en cas de perte de sens au travail, touche, en effet, davantage les ouvriers que les cadres.

Enfin, après avoir longuement analysé les causes de la perte de sens au travail (management par les chiffres, changements fréquents, prises de décisions « hors sol », « déconnectées du terrain »), les chercheurs, dans une approche constructive, avancent quelques pistes de changement de gouvernance, de management et de dialogue social, pour renouer avec le sens au travail.

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« Le sens du travail, enjeu majeur de santé publique »

[Des changements permanents dans l’organisation du travail, un management trop vertical augmentent la perte de sens au travail et, dans un second temps, l’absentéisme pour maladie. C’est ce que démontrent le statisticien Thomas Coutrot, chercheur associé à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) et ex-directeur du département conditions de travail et santé à la Dares, et l’économiste Coralie Perez, ingénieure de recherche à l’université Paris-I, membre du Centre d’économie de la Sorbonne (CES), dont les travaux portent notamment sur les effets des changements technologiques et organisationnels sur les conditions de travail et d’emploi. Tous deux coauteurs de Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire (Seuil, collection « La République des idées », 2022), ils ont élaboré des indicateurs et mesuré les corrélations entre sens du travail et conditions de travail.]

« Grande démission », « métiers essentiels », « emplois à impact positif », « bifurqueurs écologiques »… Depuis une dizaine d’années, et plus encore depuis la crise liée au Covid-19, les interrogations sur le sens du travail montent dans la société, et pas seulement chez les jeunes. Longtemps, dans le débat public comme dans la recherche en économie, le travail en tant qu’activité a été négligé au profit de l’emploi – son volume, sa rémunération, sa durée, etc.

La thématique de la souffrance au travail (Christophe Dejours, 1998), puis celle des risques psychosociaux (Michel Gollac, 2011) se sont imposées dans le débat social comme un problème sanitaire majeur. Plus récemment, c’est la « perte de sens du travail » qui a focalisé la discussion.

Pour comprendre ce qui se joue là, nous commencerons par proposer une définition et une mesure du sens du travail ; nous examinerons ensuite les conséquences d’une perte de sens sur la santé des travailleuses et des travailleurs ; après avoir analysé les causes de cette perte de sens, nous conclurons sur quelques pistes d’action.

Détails techniques

Sens du travail : de quoi parle-t-on ?

Prendre au sérieux la question du sens du travail, c’est récuser la conception doloriste du travail – du latin tripalium, instrument de torture, étymologie d’ailleurs erronée (Marie-Anne Dujarier, 2021) – qui est sous-jacente dans l’apologie de la « valeur travail » par nombre d’acteurs politiques. Le travail n’est pas qu’une peine qui mérite salaire, c’est aussi une activité où les êtres humains engagent intelligence et subjectivité, et par laquelle ils peuvent construire leur santé.

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L’ONG Oxfam dénonce la « déconnexion » accrue entre dividendes et salaires depuis 2018

Les plus grandes entreprises françaises ont privilégié leurs actionnaires au détriment de leurs salariés dans la redistribution de la valeur ajoutée depuis 2018, selon l’ONG Oxfam, qui dénonce une « déconnexion », dans un rapport publié lundi 26 juin.

Entre 2011 et 2017, « les versements aux actionnaires et les dépenses par salarié·e [sic] évoluent de manière conjointe » avant une « nette rupture » en 2018, relève Oxfam dans cette étude sur « l’inflation des dividendes » des cent plus grosses entreprises françaises cotées en Bourse.

« Alors que les versements aux actionnaires font un bond de 40 % en ligne avec la croissance de la valeur ajoutée, les dépenses par salarié·e se mettent à stagner » à partir de 2018, observe l’ONG.

Manque d’investissements dans la transition écologique

Outre le déséquilibre dans le partage de la valeur, l’ONG regrette le manque d’investissement de ces entreprises, particulièrement dans la transition énergétique.

« En 2019, 45 % des dividendes et rachats d’actions versés aux actionnaires auraient suffi à couvrir leurs besoins en investissement dans la transition écologique », estime Oxfam, qui note qu’« en moyenne 71 % des bénéfices » de ces entreprises ont été redistribués à leurs actionnaires, de 2011 à 2021, sous forme de dividendes ou de rachats d’actions. Les politiques de l’énergéticien Engie, du fabricant de tubes sans soudure Vallourec et de l’entreprise minière Eramet sont visées, parmi d’autres.

Oxfam réclame que le versement des dividendes soit conditionné par la loi à la mise en place d’« un salaire décent sur l’ensemble de la chaîne de valeur », ainsi que d’« une stratégie climat ambitieuse » et d’un plan d’investissement décidé avec le comité social et économique de l’entreprise. L’ONG souhaite aussi l’abolition du prélèvement forfaitaire unique sur les dividendes (« flat tax ») et le conditionnement des aides publiques au plafonnement des revenus du capital.

Le Monde avec AFP

RSA : « La règle des 15 à 20 heures d’activité obligatoires est irréalisable, et le pouvoir le sait très bien »

France Travail, remplaçant de Pôle emploi, aura entre autres pour mission de veiller à ce que les attributaires du revenu de solidarité active (RSA) soient inscrits au chômage et établissent un contrat d’engagement.

A terme, il s’agirait officiellement d’imposer quinze à vingt heures hebdomadaires d’activité à celles et ceux qui perçoivent le RSA. Certains commentateurs considèrent que le président de la République et la première ministre se seraient partagé les rôles : à lui la version dure, de droite, à la Sarkozy (« droits et devoirs »), à elle la version plus humaine, de gauche (« accompagnement et insertion »).

Depuis bientôt trente-cinq ans (loi sur le revenu minimum d’insertion, décembre 1988), le principe du revenu minimum consiste en France à garantir à une personne sans ressources une allocation différentielle de faible niveau. Elle est fixée en effet à la moitié du seuil de pauvreté pour une personne seule, soit 534 euros mensuels (et non pas 608 euros comme si souvent colporté, en oubliant de déduire le forfait logement).

Un accompagnement social et professionnel

Il s’agit de lui permettre de survivre, bien loin des « moyens convenables d’existence » prévus par la Constitution ! Il n’a jamais été non plus expliqué clairement pourquoi le RSA est fixé à 60 % de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ou de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA ou minimum vieillesse), autres minima sociaux.

En contrepartie de cette allocation, un engagement d’activité (emploi, bénévolat, formation, création d’entreprise, soins) est signé par la personne en fonction de sa situation (car elle n’est pas toujours en capacité physique ou psychique d’assumer un travail). Cet engagement suppose un accompagnement social et professionnel. C’est du moins ce qu’indiquent les textes en vigueur depuis trente-cinq ans, sauf que les sommes qui y sont consacrées sont passées de 20 % du montant des allocations dans les années 1990 à 7 % aujourd’hui.

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Le RSA mis en avant par Nicolas Sarkozy avait pour but, tout comme la réforme annoncée par Emmanuel Macron, de « mettre les gens au travail », un discours autoritaire destiné à siphonner des voix à droite. Mais cela a été un fiasco, à part le renforcement de l’implication de Pôle emploi. En réalité, la mise en œuvre du RSA a entraîné des pertes majeures pour l’efficacité des accompagnements.

L’intéressement à une reprise d’activité existait déjà, il aurait suffi de l’améliorer. Le RSA activité a été une erreur : les ayants droit ne l’ont pas ou peu demandé, redoutant la stigmatisation du minimum social entretenue par les idéologues de la droite dure, à l’instar de Laurent Wauquiez. Il a d’ailleurs été remplacé plus efficacement par la prime d’activité, ce que de nombreux spécialistes de la question réclamaient depuis longtemps.

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A l’usine Bosch de Rodez, le projet de diversification de l’activité dans l’hydrogène est suspendu

Encore une épreuve pénible pour les salariés de l’usine Bosch installée à Onet-le-château, en proche banlieue de Rodez​ (Aveyron)​. Le projet d’industrialisation de piles à combustible destinées ​aux​ moteurs à hydrogène des conteneurs frigorifiques​​ ​qui​ équipent​ les​ ​semi-remorques​ est suspendu sine die. La décision a été annoncée par la direction de Bosch, mercredi 21 juin à Stuttgart, au siège social du groupe en Allemagne, à l’occasion d’une rencontre organisée à la demande de trois organisations syndicales (CGT, CFE-CGC et SUD) du site ruthénois et en présence d’Heiko Carrie, le président de Bosch France et Benelux.

Ce projet de diversification (appelé Fresh2) de l’activité de l’usine, consacrée jusque-là entièrement à la fabrication de pièces automobiles (injecteurs, buses, bougies) pour moteurs diesel, devait concerner ​130 salariés en 2025 puis​ ​230 à l’horizon 2028.

C’était du moins ​l’un des volets de l’accord ​de transition ​signé le 9 décembre 2021 avec les quatre organisations syndicales représentatives de Bosch France (CFE-CGC, CFDT, SUD et CGT). ​A cette date, dans un contexte marqué par le recul des ventes de véhicules diesel, le groupe ​entérinait un plan social de suppression de 750 emplois pour ​​n’​en ​conserver ​​que​ 513. Dans le même temps, pour tourner la page du diesel et ​garder ​occupée et productive ​une partie des salariés​ ​​encore​ en activité à Bosch-Rodez, le groupe ​​​avait fait le choix de​ réinternaliser ​la production de ​barres de torsion et ​de petits composants automobiles qui ​étaient ​sous-traités ​par des fournisseurs externes. Le groupe s’était également employé à​​​​ dénich​er​ une ​nouvelle ​piste : le marché de l’hydrogène.

​​« ​C’est une mauvaise nouvelle »

Mais, l’équipementier allemand en a décidé autrement. « ​Le groupe fait face à un manque de visibilité : le marché de l’hydrogène d​ans​ la mobilité prend du retard. Ce qui entraîne des volumes de production insuffisants et inférieurs à ce que nous avions prévu et une équation économique peu rentable​​​ »​, ​justifie​ une porte-parole de Bosch France. ​« ​Le groupe, qui a décidé de suspendre le projet probablement sur plusieurs années, reste cependant persuadé que le marché a besoin de cette solution innovante même si ce n’est pas le bon moment​ »​, tente de rassurer l​a direction​, rappelant que 11,5 millions d’euros ont été injectés dans le projet en 2021 et 2022 sur les 35 millions d’euros prévus.

​L’entreprise certifie vouloir tenir ses engagements notifiés dans le cadre de l’accord de transition : « jusqu’en 2028, l’emploi est assuré​​​ »​,​ promet le groupe qui cherche ​​« ​​à identifier une solution alternative d’ici la fin de l’année​ »​ pour remplacer le projet qui a échoué.

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Conditions de travail : « L’injonction permanente à se dépasser, à s’adapter et à être autonome est épuisante »

Enquêtes d’opinion et baromètres sociaux confirment une attente forte des salariés et des agents publics de réguler leur charge de travail. Les études convergent pour montrer que la moitié subit une charge excessive en permanence.

Pourquoi une telle plainte aujourd’hui ? Parce que le contexte de travail impose une charge mentale de plus en plus importante et qu’elle est difficile à saisir. On ressent de la fatigue, mais on ne sait pas comment s’en dépêtrer.

Ce n’est évidemment pas nouveau : on s’interrogeait sur le surmenage aux débuts de l’ère industrielle. Mais c’était avant la révolution numérique, qui impose de cohabiter avec une réalité virtuelle qui ignore notre rythme animal. Avant que le travail pour la plupart d’entre nous ne devienne invisible, sans bornes physiques et temporelles. Se représenter l’immatériel demande un effort cognitif.

Parallèlement, nous travaillons depuis une vingtaine d’années sous une pression croissante : faire plus en moins de temps. Peu d’activités sont épargnées par l’intensification. Peu de travailleurs échappent à la polyvalence : en plus de son métier, une cheffe de service hospitalier doit faire de la comptabilité, un livreur doit acheter et entretenir son vélo, une caissière doit inciter les clients à se fidéliser, un juriste doit savoir manipuler ses outils informatiques.

L’injonction permanente à se dépasser, à s’adapter et à être autonome est épuisante. Même les cadres ne sont pas épargnés, loin de là.

Une écoute du ressenti légitime

La question de la charge n’est pas une affaire de gestion, mais d’attention psychosociale, c’est-à-dire à la jonction de la personne et de l’organisation. Elle n’est plus seulement une recherche d’amélioration des conditions de travail physique et d’expertise ergonomique. Elle est une écoute du ressenti légitime de chacun dans un quotidien où travail et vie privée se mélangent sans pudeur.

Ce n’est pas pour rien que la loi (2016) impose depuis peu qu’elle soit « raisonnable » pour les travailleurs à distance et ceux au forfait en jours. C’est une affaire de santé et il n’est pas étonnant que les Assises du travail (2023) débouchent notamment sur la très bonne idée de placer l’écoute comme nouveau principe de prévention des risques professionnels.

Comment s’y prendre ? Sans définition légale, la charge est ce que le travail fait, demande mais aussi apporte au travailleur. L’analyser permet d’identifier les zones à risque de stress, mais aussi et surtout les points-appuis et la répartition pour bien travailler. Elle n’est pas négative en soi. Les actifs sous-employés et placardisés en savent quelque chose : il n’y a rien de pire que de ne pas être attendu sur ses compétences ou simplement ce pour quoi on a le goût de faire. Il n’y a pas de mesure objective, mais une évaluation subjective du sentiment de charge.

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L’aéronautique fait rêver les jeunes ingénieurs qui veulent inventer l’avion de demain

Frédéric Dehais (à g.), enseignant-chercheur en neuroergonomie à l’ISAE-SupAéro, étudie les mécanismes cérébraux en situation de stress afin de réduire le risque d’erreur humaine, à Toulouse, le 26 mars 2018.

Sommes-nous aux prémices d’une nouvelle ère de l’aviation ? C’est avec cette hypothèse exaltante que Bertrand Piccard s’est adressé aux 2 400 étudiants de l’école d’ingénieurs aéronautique et spatiale IPSA, lors de la cérémonie 2022 de remise des diplômes. L’explorateur, connu pour avoir été le premier à réaliser un tour du monde en ballon sans escale et en avion solaire sans carburant, a livré un récit de l’aéronautique décomposé en deux phases.

Une période téméraire, d’abord, inaugurée par le premier vol motorisé des frères Wright, il y a cent vingt ans, marquée par le franchissement du mur du son, ou encore l’atteinte de la Lune. Puis une seconde phase, plus tempérée, caractérisée par de l’optimisation, avec la conception d’avions plus efficients, sûrs et confortables, tout au long de ces soixante dernières années. L’aventurier suisse conclut en exhortant les étudiants à reprendre la voie de l’innovation : « C’est l’avion que vous allez construire qui pourra transporter des centaines de passagers de façon propre. Mettez-vous au travail. »

Le défi suscite des vocations. Au printemps 2022, plus de 10 000 jeunes diplômés ou étudiants ont été interrogés sur leurs entreprises préférées dans le cadre du palmarès Epoka-Harris Interactive en partenariat avec L’Etudiant. Alors que l’aéronautique battait de l’aile dans le classement précédent, elle figure désormais parmi les recruteurs potentiels privilégiés par les sondés.

Un effet « Top Gun »

Le groupe Airbus est le plus cité comme employeur de référence. Les écoles d’ingénieurs spécialisées en aéronautique connaissent également un regain d’intérêt. A l’IPSA, le nombre de candidats a augmenté de 12,5 %, entre 2022 et 2023. « Le marché recrute, et il y a eu un effet Thomas Pesquet dans l’accroissement de vocations pour le spatial, ainsi qu’un effet Top Gun pour l’aviation », résume Anne-Ségolène Abscheidt, directrice générale de l’IPSA.

Adrien Treille, 20 ans, étudiant à l’IPSA, met en avant l’envie de participer à la transition écologique du secteur : « J’ai fait un stage comme assistant ingénieur dans l’aviation d’affaires, de plus en plus décriée en raison des jets privés. Dès mon entretien d’embauche, on m’a questionné sur les impacts de l’aérien sur l’environnement. Comme pour beaucoup de mes camarades, cet enjeu n’est pas un frein à ma motivation, mais un moteur. Les aspirants ingénieurs en aéronautique ont toujours été des passionnés, là nous sommes des pionniers. »

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Alors que la filière renoue avec la croissance, les écoles travaillent sur leur attractivité. Les femmes représentent un vivier important de recrutement : elles ne représentent que 27 % des embauches – un résultat « à mettre en relation avec des taux de féminisation plafonnant à 20 % en moyenne dans nos principales formations scientifiques et techniques », selon le dernier rapport du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas). Les écoles multiplient les opérations de sensibilisation auprès des lycéennes et les partenariats avec des associations prônant l’égalité femmes-hommes dans les secteurs industriels.

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Dans les rues de San Francisco, les robots-taxis, sans humain au volant, sont arrivés… et ils ne font pas l’unanimité

Un véhicule Waymo, filiale de Google-Alphabet, à San Francisco, le 11  avril 2022.

Le taxi s’est garé devant la porte. Pas d’humain au volant. Pour monter dans la voiture, on déverrouille les portières d’un clic sur le portable. Pour démarrer, on presse « Start » sur l’écran de contrôle de la banquette arrière. Une musique cosmique accueille le passager, suivie d’une voix sortie de nulle part. « Cette expérience peut paraître futuriste, reconnaît la voix. Mais l’obligation d’attacher sa ceinture reste la même. » Bienvenue dans l’univers des robots-taxis, où le banal se mêle à la science-fiction.

Sans hésitation, la voiture se lance dans la circulation. C’est une Jaguar I-Pace de Waymo, la filiale de Google-Alphabet ; l’une des centaines de véhicules autonomes qui circulent désormais à San Francisco. L’ordinateur de bord indique la destination et l’heure d’arrivée prévue. Il est interdit de toucher le volant ou les pédales. « Le conducteur Waymo est en contrôle à tout moment, rassure la voix intergalactique. Détendez-vous. »

San Francisco est la ville natale des voitures sans conducteur. Le spectacle des prototypes n’étonne plus personne : les premières Waymo sillonnaient la voie publique dès 2014. Jusqu’en 2022, un conducteur dit « de sécurité » était obligatoirement présent : une doublure qui gardait officiellement les mains sur le volant.

Le centre-ville interdit

Depuis un an, l’expérience est passée au stade entièrement robotisé. Récemment, le nombre de véhicules s’est multiplié. Dans la rue, les passants se frottent les yeux au passage de la voiture qui glisse comme un fantôme. Personne sur le siège avant ? Un volant qui tourne tout seul ? Ont-ils rêvé ?

Deux constructeurs ont reçu l’autorisation de tester à San Francisco leur service de taxis sans chauffeur de sécurité : Waymo et Cruise, filiale de General Motors. Le cahier des charges établi par la California Public Utilities Commission (CPUC), qui supervise les véhicules autonomes, est précis : les zones et horaires d’opération sont limités ; le centre-ville interdit. Cruise, qui a déployé une soixantaine de voitures (des Chevrolet Bolt électriques), a obtenu le droit de faire payer les courses, mais seulement entre 22 heures et 6 heures du matin. Waymo, qui possède une centaine de véhicules, n’a pas encore le droit de facturer les trajets s’il n’y a pas de conducteur au volant. La vitesse est limitée à 45 km/h.

Les deux compagnies demandent maintenant à étendre leurs services. Elles estiment avoir fait leurs preuves en matière de sécurité. En mai, la CPUC a publié un projet de réglementation qui leur donne satisfaction. Il autoriserait Cruise et Waymo à offrir un service de transport de passagers dans toute la ville de San Francisco « de jour comme de nuit, sans la présence d’un conducteur de sécurité ».

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Le permis de conduire, plébiscité dans les campagnes, délaissé en ville, symbole de fractures territoriales et sociales

On n’est peut-être pas sérieux à 17 ans, mais on pourra bientôt passer son permis de conduire. Mercredi 21 juin, à Matignon, la première ministre, Elisabeth Borne, a confirmé que le gouvernement allait abaisser l’âge minimum pour le permis dès le 1er janvier 2024. Une mesure destinée notamment aux jeunes en apprentissage. Elle en ravira bien d’autres, puisque 86 % des 18-26 ans le jugent indispensable, selon une étude de l’Institut Montaigne, publiée en mai 2022.

Pour autant, le précieux sésame est plus important pour les populations éloignées des métropoles et des centres-villes. Les chiffres des rapports de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep) révèlent une fracture territoriale et sociale sur les questions de mobilité en France : 85 % des jeunes de 18-24 ans résidant en milieu rural avaient le permis en 2019, contre 41 % en agglomération parisienne. En 2014, ils étaient 77 % dans la première catégorie et 50 % dans la seconde.

A Vinzieux, commune de 450 habitants en Ardèche, les distances se calculent en « minutes en voiture ». Là-bas, l’automobile est reine et Elisa Ribeiro l’a bien compris. Cette lycéenne a passé et obtenu son permis le 5 juin, à 18 ans, après avoir enchaîné les heures de conduite accompagnée. « C’est un passage obligé, on ne se pose même pas la question. Il me le faut pour être indépendante, aller où je veux », témoigne-t-elle.

« Gouffre financier »

À son côté, Emmy Berne, 17 ans et 2 100 kilomètres de conduite accompagnée à son actif depuis décembre 2022, attend avec impatience de souffler ses dix-huit bougies, en mai 2024. Elle aimerait déjà pouvoir conduire seule, pour éviter à ses parents de « faire le taxi », mais aussi pour ne pas passer son examen en même temps que le bac, l’année prochaine.

Ce serait un euphémisme de dire que les transports en commun sont rares ici. Seul le car scolaire passe le matin et le soir (et uniquement en période scolaire). Pour rejoindre Annonay, la ville la plus proche, il faut compter une heure de marche puis quinze minutes de bus. En voiture, vingt minutes suffisent.

Le maire de Vinzieux, Hugo Biolley, peut témoigner que la question de la mobilité est la première préoccupation des jeunes dans sa commune. Il le peut d’autant plus que, à 22 ans, il est le plus jeune édile de France et le premier concerné. L’étudiant à Sciences Po Grenoble, possesseur de la carte rose dès 17 ans et demi, mais qui a dû attendre ses 18 ans pour prendre le volant tout seul, parcourt en moyenne 10 000 kilomètres tous les trois mois depuis son début de mandat. Déplorant les frais d’essence et d’entretien qui vont avec. « La voiture nous permet de nous émanciper, nous donne accès à la formation et à l’emploi et, en même temps, c’est un gouffre financier et écologique, créateur d’inégalités », regrette l’élu.

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