Archive dans 2023

Avant les JO 2024, Paris teste le démontage des caisses des bouquinistes

A Paris, le 12 août 2023.

La Mairie de Paris a prévu de procéder, vendredi 10 novembre, à « un test de faisabilité de démontage, vidage, remontage et remise en place à l’identique d’un jeu de quatre boîtes de bouquinistes et de leur contenu ». Cette opération s’inscrit dans la stratégie de la Préfecture de police de Paris destinée à sécuriser les quais de Seine lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, le 26 juillet 2024.

A partir de 20 h 15 – si la météo est clémente –, ce test digne de la complexe remise en place d’une vieille armoire Ikea s’effectuera entre les ponts de la Tournelle et de Sully. Selon l’Association culturelle des bouquinistes de Paris, cette opération doit permettre à la Mairie de statuer sur « l’enlèvement ou non des boîtes de bouquinistes situées sur le parcours fluvial » en juillet.

Dans un document de travail du 23 octobre, la Ville de Paris envisageait un retrait, entre le 13 et le 18 juillet, des 500 à 700 boîtes, selon le périmètre de sécurité retenu, ainsi qu’une repose, à partir du 3 août. Le choix du prestataire s’effectuera selon sa capacité à « intervenir sur des objets fragiles (des livres, mais aussi de la petite brocante, des affiches, des gravures…) et sur des boîtes parfois très dégradées », dont le poids, avec le contenu, est estimé à 250 kilogrammes chacune. La Ville a déjà identifié « une centaine de boîtes en mauvais état » qui « devront faire l’objet d’une réfection ».

Des socles sur mesure pour chaque boîte

C’est peu dire que les bouquinistes s’opposent de façon véhémente à un tel retrait, en brandissant une pétition de soutien, « Sauvegarde des bouquinistes des quais de la Seine », qui réunissait, mercredi 8 novembre, plus de 173 000 signatures. Les 200 bouquinistes attendent le résultat du test mais sont prêts à lancer une procédure en référé devant le tribunal administratif de Paris, dès le mois de décembre.

Pour vendredi, la Ville a fait construire un socle sur mesure pour chacune des quatre boîtes. Rien ne dit qu’un tel schéma sera retenu pour toutes. « L’idée de ce test ne vient pas de nous, précise Jérôme Callais, président de l’Association culturelle des bouquinistes de Paris. Notre seul espoir est de démontrer la non-faisabilité de l’opération. » Il redoute que certaines boîtes vert wagon, qui font partie du patrimoine parisien au même titre que les entrées de métro Guimard ou les fontaines Wallace, ne survivent à ce traitement. Et que la Ville ne les remplace par quelque chose de laid.

Selon lui, « si la Préfecture de police est dans son rôle, la Mairie de Paris sort un bazooka pour tuer un moustique. Quand Charles III ou le pape passent le long des quais ou lorsque le Tour de France arrive, rien ne nous est demandé. Pour la cérémonie d’ouverture des JO, il n’y a qu’à fermer les boîtes le jour J et mettre une barrière de sécurité devant ».

Il vous reste 25% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Par la fenêtre ou par la porte » : le long combat des salariés de France Télécom contre le harcèlement moral

Le premier jour du procès de France Télécom, en 2019, devant le tribunal judiciaire de Paris, avec, au centre, Patrick Ackermann, délégué central de la fédération SUD-PTT, qui a été à l’initiative de « Par la fenêtre ou par la porte ».

L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR

Le titre de ce film reprend les paroles, pour le moins obscènes, de Didier Lombard, PDG de France Télécom de 2005 à 2010, lors d’un séminaire de formation des cadres de l’entreprise en octobre 2006 à la Maison de la chimie, à Paris. Chargé avec ses seconds Louis-Pierre Wenès (« cost killer ») et Olivier Barberot (DRH) de rentabiliser l’entreprise alors que la guerre fait rage sur le marché français de la téléphonie, Didier Lombard entend ici motiver ses troupes de l’encadrement pour éjecter, donc, « par la fenêtre ou par la porte » 22 000 salariés, à défaut de convaincre ces derniers de la justification de leur départ volontaire.

Ce qui s’est ensuivi de cette offensive patronale fut, on s’en souvient, une vague de suicides inédite (vingt-trois pour la seule année 2009, sans parler de la recrudescence des crises cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux et autres dépressions chroniques) chez les salariés de cette entreprise, au point que le scandale de leur révélation mena, d’une part, à l’éviction du PDG et de ses sbires, et, d’autre part, à la tenue, bien des années plus tard, d’un procès en bonne et due forme. De sorte que le 20 décembre 2019, le tribunal correctionnel reconnut coupable Didier Lombard et Louis-Pierre Wenès, en faisant entrer la notion de « harcèlement moral institutionnel » dans la jurisprudence. La cour d’appel confirmera en septembre 2022 la condamnation mais allégera les peines à un an de prison avec sursis et 15 000 euros d’amende.

Ce film, qui ambitionne de raconter cette histoire et fait à ce titre suite à d’autres œuvres sur le sujet, a pour particularité d’avoir été réalisé à l’initiative d’un collectif de syndicalistes de France Télécom. Il révèle de fait le désir de faire entendre de l’intérieur le long et difficile combat mené, durant de longues années, par les syndicats de l’entreprise pour dénoncer, sous ses dehors de rationalité technocratique, la gestion sauvagement idéologique et décomplexée du triumvirat qui en avait pris la tête. Le film pourrait à cet égard faire penser à la création des groupes Medvedkine avec des ouvriers de la région de Sochaux et Besançon (Doubs) dans les années 1960 et 1970, expérience esthético-politique majeure du cinéma militant soutenue alors par Jean-Luc Godard et Chris Marker.

Profondeur historique

Ce n’est toutefois pas sur les mêmes bases utopiques de l’appropriation de l’outil filmique par les ouvriers que fonctionne Par la fenêtre ou par la porte. Il s’y agit essentiellement de faire partager, dans un document de forme classique confié à un homme de métier (le réalisateur Jean-Pierre Bloc), une expérience syndicaliste, ce en quoi le film remplit d’ailleurs très honnêtement sa mission. Il le fait d’abord en resituant l’histoire dans sa profondeur historique : l’entreprise étatique florissante des Postes, télégraphes et téléphones (PTT) dans les années 1960, son vieillissement, la privatisation lente à compter des années 1980, accélérée dans les années 1990 avec le départ de 40 000 fonctionnaires en dix ans et l’entrée en Bourse, l’endettement chronique, l’arrivée des chevaliers blancs du néolibéralisme de choc en 2005, la décision des syndicats, enfin, puisqu’il y a aussi bien mort d’homme, de porter l’affaire au pénal en 2009.

Il vous reste 25% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’intelligence artificielle, cet « ogre numérique » qui angoisse les travailleurs

Le jour où elle a découvert les images que le générateur Midjourney était capable de produire en s’appuyant sur l’intelligence artificielle (AI), Catherine est restée « bouche bée ». Une question est rapidement venue à l’esprit de la graphiste parisienne : « Comment arriver, encore, à exister ? » Face à ces créations de qualité, produites instantanément et quasi gratuitement, elle s’est sentie « dépossédée de [son] expertise. Sur un plan psychologique, c’est dévastateur, on perd confiance en soi ». Elle se dit « pessimiste pour l’avenir de [son] métier ».

Le sentiment d’« angoisse » ressenti par Catherine est le même que celui qui bouscule aujourd’hui Chloé, une chargée de communication, qui pense que son travail n’aura, d’ici à quelques années, « plus de valeur ». Ou celui qui amène Pierre, comptable, à réfléchir à une reconversion professionnelle. L’intelligence artificielle sera-t-elle cet « ogre numérique », comme la surnomme Chloé, qui absorbera les emplois dans certains secteurs d’activité ? La question reste aujourd’hui en suspens, tant les projections sur le sujet s’avèrent délicates. Nombre d’organisations reconnaissent d’ailleurs qu’en la matière, le flou domine, depuis des mois maintenant.

« L’impact direct de l’IA sur nos métiers demeure à ce jour énigmatique », résume Valérie Decaux, DRH du groupe La Poste. Les entreprises françaises en sont aujourd’hui essentiellement au stade de l’expérimentation. Et l’usage d’outils d’IA générative pour créer des contenus (ordre du jour d’une réunion…), s’il a rapidement progressé, reste encore peu structuré.

Impression de déclassement

Pour autant, le recours à des solutions basées sur l’IA (et plus généralement à des outils d’automatisation des tâches) trouble une part non négligeable des collaborateurs. Aux côtés des curieux, voire des enthousiastes, « un grand nombre de travailleurs (trois sur cinq) s’inquiètent de perdre leur emploi du fait de l’IA au cours des dix prochaines années, en particulier ceux qui travaillent déjà avec [elle] », selon une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) parue en juillet 2023 et centrée sur les secteurs de la finance et de l’industrie manufacturière.

Qu’il s’agisse d’une vision réaliste ou fantasmée, la peur d’être remplacé par la machine est là. Mais elle n’est pas la seule. De fait, l’arrivée des outils d’automatisation peut activer différents mécanismes psychiques chez les collaborateurs concernés. C’est le cas par exemple dans l’industrie, où des systèmes d’IA sont testés pour automatiser le contrôle de la qualité des pièces produites. Des solutions que les salariés jusqu’alors chargés de cette mission voient souvent arriver avec crainte.

Il vous reste 55% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Retrouver le sourire avec l’intelligence artificielle ?

Carnet de bureau. L’intelligence artificielle (IA) qui donne le sourire permanent aux vendeurs, aux agents de la fonction publique et autres salariés en contact avec la clientèle, c’est déjà du présent. Depuis trois ans, plusieurs start-up (Sanas, Krisp, Alta Voce) développent et commercialisent des logiciels qui permettent de modifier la prosodie des interlocuteurs, en partant d’un principe reconnu : le sourire de celui qui parle s’entend dans sa voix. Le ton stressé voire comminatoire de l’opératrice qui vient de passer un très mauvais moment avec le client précédent est remplacé par quelques phrases claires qui transpirent l’empathie grâce à l’« assistance sourire ». De quoi susciter l’intérêt de l’industrie des centres d’appels qui a fourni les premiers clients aux éditeurs de ces logiciels.

L’IA transforme en effet la voix des salariés avec des applications diverses. Celle de la start-up Sanas, développée en 2021 pour l’industrie des centres d’appels, gomme l’accent local des opérateurs auquel certains consommateurs réagissaient avec agressivité. Il s’agit de « briser les barrières linguistiques » et de « rendre les communications plus inclusives », assure le directeur d’exploitation, Sharath Keshava Narayana.

La solution Alta Call, développée par des chercheurs et des ingénieurs du son de l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam), améliore l’intelligibilité d’un message et simule un sourire en temps réel. « Dans les centres de contact, on vous demande de sourire toute la journée. Les ingénieurs ayant constaté que la prosodie de la voix peut avoir un impact émotionnel, l’idée a été d’aider les salariés à désamorcer l’agressivité de certains usagers par un sourire artificiel », explique Sarah Boujendar, maîtresse de conférences en ressources humaines et comportement organisationnel à l’université Toulouse-Capitole, autrice d’une thèse sur les conséquences de l’agressivité verbale sur la performance des salariés.

Acceptabilité éthique

Dernier exemple, Krisp, comme les deux précédents logiciels, supprime les bruits de fond : ceux de la rue ou des enfants qui jouent dans la pièce du télétravailleur, jusqu’aux clics de la souris. L’espoir d’une meilleure productivité des réunions en hybride, ou d’une plus grande efficacité d’une communication en télémédecine ou avec le SAMU.

L’intérêt économique pourrait être significatif. Si lors d’un premier bilan, il y a un an, Sanas ne faisait état que d’une amélioration de la satisfaction client de 21 %, la start-up Alta Voce a mesuré une hausse des ventes de 8 % à 30 % à l’issue d’une expérimentation d’un mois de son logiciel Alta Call dans un centre d’appels de 1 300 salariés.

Il vous reste 30% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’ex-directrice du régime de garantie des salaires n’obtient pas le statut de lanceuse d’alerte

C’est un coup dur pour celle qui affirmait avoir révélé le scandale des entreprises en difficulté. Mardi 7 novembre, Houria Aouimeur, l’ancienne directrice nationale du régime de garantie des salaires AGS, a été déboutée de toutes ses demandes par le conseil de prud’hommes de Paris. Elle réclamait, en particulier, le statut de lanceuse d’alerte dans une affaire de détournement de fonds, mais les juges, saisis en référé, ont refusé de lui donner gain de cause.

Cette décision constitue un nouveau rebondissement dans un dossier à tiroirs particulièrement complexe. Tout commence à l’automne 2018, lorsque Mme Aouimeur prend les rênes du régime AGS, un organisme de protection sociale au fonctionnement très atypique. Il permet aux salariés de sociétés battant de l’aile ou liquidées de continuer à être payés. L’argent est mis à disposition de mandataires judiciaires qui le redistribuent ensuite aux travailleurs concernés. Le dispositif est gouverné par une association patronale, tout en étant rattaché à l’Unédic, l’association paritaire qui gère l’assurance-chômage.

Début 2019, un audit réalisé par le cabinet E & Y, à la demande de Mme Aouimeur, juste après son recrutement à l’AGS, révèle des anomalies susceptibles de mettre en cause le prédécesseur de la directrice nationale (favoritisme à l’égard d’une société d’avocats et de prestataires de services de communications, etc.). Des plaintes sont déposées en mars 2019, notamment par le Medef et par l’Unédic, pour « corruption active et passive, prise illégale d’intérêt »…

Au fil des mois, les soupçons s’élargissent à d’autres protagonistes – en particulier à des administrateurs et mandataires judiciaires qui auraient été impliqués dans des manœuvres frauduleuses avec l’ancienne équipe à la tête de l’AGS. Une deuxième série de plaintes est déposée, fin 2019, pour « abus de confiance, faux et usage de faux »… En parallèle, Mme Aouimeur confie un autre audit au cabinet Advolis, qui s’interroge sur l’emploi de plusieurs milliards d’euros ayant transité entre les mains de mandataires judiciaires entre 2013 et 2018.

Le dossier n’est pas clos

L’affaire prend une nouvelle dimension lorsque l’Unédic – l’employeur des personnels du régime AGS, donc de Mme Aouimeur – s’intéresse aux « frais de mission, de réception et de déplacement » de la directrice nationale et de ses proches collaborateurs. Une première « évaluation » met en évidence des dépenses très élevées : notes de restaurants, courses en taxis… Une autre expertise – du cabinet PwC – parvient à des constats similaires tout en pointant du doigt des contrats et marchés passés avec des prestataires dans des conditions irrégulières. Du fait de tous ces « manquements », l’Unédic – qui est le patron de Mme Aouimeur – décide de la licencier, en février, pour « faute lourde ».

Il vous reste 40% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Les plus fortes contraintes auxquelles sont soumises les entreprises ne sont pas leurs engagements volontaires mais les limites planétaires »

Depuis la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) de 2019, l’article 1833 du code civil stipule qu’une entreprise doit être gérée « dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

Pour faire face à cette nouvelle exigence de manière efficace, cette même loi Pacte propose une solution : la société à mission. Ce cadre innovant et engageant leur permet de sortir des logiques financières trop court-termistes et de se fixer des objectifs de création de valeur globale dans la durée.

A ce jour plus de 1 400 entreprises ont adopté la qualité de société à mission. Dans la plupart des secteurs, des entreprises leaders sont devenues société à mission : Enedis, Danone, les deux groupes de Crédit mutuel (Crédit mutuel Arkea, et Crédit mutuel Alliance fédérale), Korian, Doctolib, etc.

Elle protège sa réputation

De nombreux dirigeants considèrent néanmoins que leur liberté est déjà suffisamment entravée par les nombreuses normes auxquelles ils sont soumis, et qu’ils n’ont pas d’intérêt à « s’infliger des contraintes additionnelles », en adoptant la qualité de société à mission. Les plus fortes contraintes auxquelles sont soumises les entreprises, ce ne sont pourtant pas leurs engagements volontaires mais bien les limites planétaires (biodiversité, changement climatique…) et l’aspiration légitime de justice sociale des populations.

La loi Pacte a entériné le fait que les entreprises devaient apporter des réponses à la hauteur des enjeux, qu’elles portaient toutes cette responsabilité. De la même manière, la généralisation de la directive CSRD (« Corporate Sustainability Reporting Directive ») sur le reporting de durabilité des sociétés qui impose des normes de reporting extra-financier à toutes les entreprises de plus de 250 salariés, vise à empêcher ces dernières d’aggraver par leurs pratiques les risques auxquels elles sont soumises.

La société à mission permet, à travers la formulation statutaire d’une raison d’être et d’une mission de fixer un cap pour transformer l’entreprise et rendre son modèle d’affaires compatible avec les limites planétaires. En agissant ainsi, l’entreprise se prémunit contre plusieurs risques. Elle se met en conformité avec l’article 1833 du code civil cité ci-dessus, en démontrant la manière dont cette nouvelle responsabilité est concrètement exercée, et se prémunit contre des attaques sur cette base juridique. Elle protège aussi sa réputation.

Des vigies de plus en plus affûtées

Il vous reste 35% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Faut-il répondre au désir de consommer pas cher ou assurer, par des produits innovants, la transition vers une économie plus sobre ? »

Gouvernance. La poussée de l’inflation depuis 2022 a montré combien notre imaginaire politique reste bercé par deux grands récits économiques opposés : l’un affirme la valeur suprême du pouvoir d’achat, quand l’autre prône l’impératif de revoir fortement notre manière de consommer.

Depuis les « trente glorieuses », les syndicats, les entreprises comme les politiques ont associé le progrès social, la croissance économique à la hausse du pouvoir d’achat des ménages et donc de la consommation de biens matériels. La satisfaction des besoins répondant à toutes sortes de désirs s’est imposée autant comme le moteur de l’économie que comme une exigence morale.

Aussi, quand la compétition internationale a pesé sur les niveaux de salaires, la baisse des prix de production a pris le relais pour maintenir le niveau du pouvoir d’achat des ménages occidentaux : d’où l’industrialisation massive des produits et des services ; la délocalisation des industries dans des pays à faible coût de main-d’œuvre ; les aides publiques pour assurer le prix bas des productions non délocalisables, notamment agricoles. Compression des prix d’autant plus nécessaire que le coût des dépenses incompressibles, tel celui des logements, explosait.

La consommation épuise le désir qu’elle crée

La période fut donc tirée par un accroissement constant de la consommation même éphémère, du fait du relatif bon marché des produits et de leur facilité de mise en marché par la grande distribution puis par les sites Internet diffusant le « pas cher ».

Dès les années 1970 pourtant, un autre récit s’est fait entendre, affirmant que le rôle suréminent attribué au pouvoir d’achat était structurellement contre-productif : la consommation épuise le désir qu’elle crée, et qui n’est maintenu que par l’addiction ou par le renouvellement constant des objets désirables.

Conséquence, nous dépensons toujours plus d’énergie à recycler les déchets sous lesquels nous croulons ; nous payons des impôts pour soutenir une surconsommation alimentaire source de maladies, creusant les déficits sociaux pour lesquels il faut payer d’autres impôts ; nous courons après le temps compressé par l’usage intensif de technologies supposées nous faire gagner du temps ; nous nous évadons en rejoignant les cohortes de touristes qui font de même…

Qualité et sobriété

Depuis l’origine, ce récit s’est posé comme un contre-discours écologique. Non qu’il se limite à une simple inquiétude pour l’environnement : par définition, l’écologie s’intéresse aux écosystèmes que produit le vivant, et, en particulier l’humain, et donc aux effets, tant sur la nature que sur cet humain lui-même, de la promesse d’une croissance fondée sur le pouvoir infini de consommer.

Il vous reste 25% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

WeWork, le spécialiste des bureaux partagés, dépose le bilan en Amérique du Nord

Les bureaux de WeWork dans le quartier new-yorkais de Manhattan, le 9 août 2023.

Le spécialiste américain des bureaux partagés WeWork, en grande difficulté depuis plusieurs années, a annoncé, lundi 6 novembre, déposer le bilan afin de négocier une réduction « significative » de sa dette avec ses créanciers.

« WeWork et certaines de ses filiales ont engagé [aux Etats-Unis] une procédure de mise sous protection du “chapitre 11” [la loi sur les faillites] et ont l’intention de déposer une procédure de reconnaissance au Canada dans le cadre de la loi sur les accords entre entreprises et créanciers », a annoncé le groupe dans un communiqué. La procédure ne concerne pas ses filiales hors de ces deux pays, a ajouté le groupe, qui estime que ses « opérations mondiales vont se poursuivre, comme d’habitude ».

La procédure américaine sous chapitre 11 permet à une entreprise de renégocier sa dette avec ses créanciers ainsi que de présenter un plan de réorganisation de son activité tout en restant sous la protection de la loi, pour une période qui peut s’étendre sur plusieurs années. Le groupe espère notamment « mettre fin aux baux d’un certain nombre d’emplacements » qui ne lui rapportent pas suffisamment d’argent, précisant que les entreprises propriétaires « ont déjà reçu un préavis ».

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés WeWork : l’agonie annoncée d’un géant du bureau partagé

« Il est temps pour nous de nous tourner vers l’avenir en nous attaquant énergiquement à nos anciens baux et en améliorant considérablement notre bilan », a affirmé le directeur général du groupe, David Tolley, cité dans le communiqué, pour qui « ces mesures nous permettront de rester le leader mondial d’espace de travail flexible ».

Des milliards de dollars perdus au premier semestre

WeWork avait averti au début d’août le gendarme boursier américain (SEC) qu’il craignait pour sa survie : « Il existe un doute substantiel sur la capacité de l’entreprise à poursuivre ses activités », avait déclaré le groupe. En cause, selon lui : les pertes financières, les besoins en liquidités et la baisse du nombre de locataires. WeWork avait expliqué avoir perdu des milliards de dollars au cours des six premiers mois de 2023, à cause de la baisse de la demande liée aux mauvaises conditions économiques.

Le sort de l’entreprise, dont le siège est à New York, dépend de « l’exécution réussie du plan de la direction visant à améliorer les liquidités et la rentabilité », avait-elle expliqué dans un document déposé à la SEC.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Aux Etats-Unis, l’immobilier au bord de la crise

L’agence de notation S&P a annoncé, le 1er novembre, abaisser la note du groupe dans la catégorie « défaut partiel », après que WeWork a fait le point sur ses problèmes de paiement d’intérêts sur sa dette. « De notre point de vue, cela constitue un défaut partiel sur plusieurs tranches de sa structure de capital, parce que WeWork est aux abois, n’a pas assumé ses obligations contractuelles en payant des intérêts dans les temps et n’a pas compensé de manière adéquate tous les créanciers pour avoir temporairement renoncé à leurs droits », a expliqué S&P dans un communiqué.

Essor du télétravail

Autrefois star des start-up, WeWork avait levé des milliards de dollars auprès de SoftBank Group. Mais la gestion controversée de son fondateur, Adam Neumann, a inquiété les investisseurs, qui ont fini par l’évincer en 2019. Puis la pandémie de Covid-19 a vidé les bureaux et l’entreprise n’est pas parvenue à se redresser alors que la demande pour des locaux professionnels a chuté avec l’essor du télétravail.

Le Monde Guides d’achat

Gourdes réutilisables

Les meilleures gourdes pour remplacer les bouteilles jetables

Lire

La chute de WeWork a également fortement déstabilisé le groupe japonais SoftBank Group et son fonds Vision Fund, qui y avaient fortement investi, obligeant même le groupe japonais à le sauver une première fois à grands frais, venant au passage écorner l’image de visionnaire de son patron, Masayoshi Son.

WeWork a été valorisé jusqu’à 47 milliards de dollars, mais son action ne valait plus que 80 cents (75 centimes d’euro), lundi soir, à la clôture de la Bourse de New York, pour une capitalisation boursière de 44,49 millions de dollars.

Le Monde avec AFP

Livreurs à vélo, VTC… les conditions de travail se dégradent

Un livreur Uber Eats sur la place Massena à Nice, le 26 janvier 2021.

« La semaine dernière, j’ai travaillé 63 heures pour 143 euros bruts, sur 25 courses ». Bastien, coursier à vélo pour Uber Eats dans la région d’Armentières (Nord), ne décolère pas. Pour Kylian, qui gagne mieux sa vie dans la région de Lens et Béthune, le constat est similaire. « La nuit, je gagnais entre 8 et 15 euros de l’heure. Avec les nouvelles règles, on est tombé entre 5 et 9. J’ai totalement changé mon rythme de travail pour limiter la casse, je me lève à 8 heures quand avant je me couchais à 5 heures. » Fabian Tosolini, délégué national d’Union-Indépendants (affilié à la CFDT), relaie lui aussi des chiffres « indécents » : « les tarifs baissent entre 10 et 40 % par rapport à 2019. Cela va jusqu’à des courses de trois kilomètres hier à 5,50 euros, et aujourd’hui à 3 euros ! »

A partir du 10 octobre, l’entreprise Uber Eats a progressivement mis en place un nouveau modèle de tarification pour ses 65 000 livreurs, qui s’applique désormais à tout le territoire. Le Nord étant un des premiers territoires concernés, il a vu certains livreurs se mobiliser spontanément après avoir constaté une chute de leur rémunération, comme à Armentières.

Face à cette situation, la CGT-livreurs a appelé à se « mobiliser » le week-end du 3 au 5 novembre. Son secrétaire, Ludovic Rioux, ne souhaitait pas uniquement appeler à faire grève : « C’est compliqué à structurer sur la durée, le niveau de précarité étant tellement élevé… Mais beaucoup de villes se sont mobilisées : Epinal, Bordeaux, Mâcon, une grosse grève à Montpellier dimanche… »

Six accords signés

La colère est palpable car cette mise à jour intervient en parallèle de l’émergence d’un dialogue social, censé améliorer les conditions de travail des travailleurs des plates-formes (livreurs à vélo et chauffeurs de VTC), ces autoentrepreneurs payés à la prestation, réglant eux-mêmes leurs charges, mais dépendants des décisions des plates-formes. Pour régler ces problèmes, l’Autorité des relations sociales des plates-formes d’emploi (ARPE), un établissement public sur-mesure, est née en 2021.

Elle a accouché de six accords. En janvier 2023, pour les VTC, un revenu minimum par trajet a été fixé à 7,65 euros nets sur toutes les applications. Au printemps, l’Association des plates-formes d’indépendants (API), seule organisation patronale et la Fédération nationale des autoentrepreneurs (FNAE), la plus importante des quatre organisations représentatives des livreurs à vélo, ont signé un accord promettant un salaire minimum horaire de 11,75 euros bruts pour les coursiers, en sachant qu’ils ne sont payés que sur le temps de commande. Cette garantie ne concerne pas le prix de chaque course, c’est une moyenne calculée à la fin du mois : si un livreur est en dessous, il a théoriquement le droit à un complément. « Ça fait 19 centimes la minute de prestation hors taxes, sans compter le temps entre deux commandes. C’est ridicule, car avant ça, on était souvent à une moyenne de 15-16 euros de l’heure », considère Leila Ouadah, livreuse Deliveroo à Mulhouse, qui siège pour Sud Solidaires à l’ARPE.

Il vous reste 50% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« La grande livraison » : six livreurs font Paris-Bruxelles à vélo pour défendre leur droit au salariat

Départ des livreurs de « La Grande Livraison », à Paris le 5 novembre. Ils pédalent jusqu’à Bruxelles pour défendre leurs droits.

C’est avec un peu de retard que le petit peloton de livreurs à vélo arrive sur la place René Goblet d’Amiens, lundi 6 novembre, sous les acclamations d’un groupe comprenant notamment le député local François Ruffin (La France insoumise). « Ils ont fait 74 kilomètres au lieu de 62 depuis Beauvais, car il a fallu passer par des petites routes », justifie Brahim Ben Ali, secrétaire général du syndicat de chauffeurs VTC INV, qui les suit à la manière d’une voiture-balai.

Six livreurs à vélo de cinq nationalités différentes, 384 kilomètres entre Paris et Bruxelles et cinq villes-étapes : tel est le programme de « La grande livraison », qui se tient entre dimanche 5 et jeudi 9 novembre. Son but ? Visibiliser la dégradation des conditions de travail des coursiers à vélo auto-entrepreneurs, et défendre un projet de directive européenne qui prévoit de transformer les travailleurs des plates-formes (livreurs et chauffeurs VTC en tête) en salariés.

Cette place du centre-ville d’Amiens a été choisie car c’est là que se regroupent de nombreux livreurs, pour une majeure partie d’entre eux d’origine afghane. Ces derniers disent gagner pour l’un 209 euros bruts par semaine en travaillant sept jours sur sept, pour un autre jamais plus de mille euros par mois. Ils aimeraient tous arrêter pour trouver un véritable emploi.

A ces faibles rémunérations s’ajoutent l’absence de congés payés, d’arrêts-maladie, ou d’une véritable sécurité de l’emploi, inhérents à l’autoentrepreneuriat. « L’enjeu plus large, c’est la transformation du marché de l’emploi, et la diffusion du modèle de l’autoentrepreneur qui est dangereuse, et menace de plus en plus de métiers, avance François Ruffin. S’il y a un donneur d’ordre qui fixe les rémunérations et les conditions de travail, cela doit être du salariat comme le veut la directive, pas des bouts de boulots non reconnus et sans protection sociale. »

Fixer des règles identiques à l’échelle de l’Union

Ce projet de législation, lancé fin 2021 par des eurodéputés de gauche, souhaite fixer des règles identiques à l’échelle de l’Union, alors que les réglementations sont encore très disparates selon les pays. Elle sera discutée jeudi 9 novembre à Bruxelles en trilogue, soit avec des représentants du Parlement européen, de la Commission européenne et du conseil de l’Union européenne. La France est l’un des pays les plus opposés à cette présomption de salariat, qui existe déjà en Espagne.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Des livreurs Uber Eats sans-papiers réclament leur régularisation

Les plates-formes sont les premières à désapprouver ce texte. « Nous saluons les efforts visant à apporter un cadre, plus de clarté et une protection renforcée aux travailleurs des plateformes, déclare un porte-parole d’Uber. Nous observons cependant que certaines des discussions actuelles risquent de n’apporter aucune amélioration, tout en allant à l’encontre de ce que la grande majorité des livreurs et chauffeurs nous dit valoriser le plus : la flexibilité offerte par le modèle indépendant. » Peut-être, mais pas à n’importe quel prix. « Il faudrait qu’on soit payé 22 euros brut de l’heure, donc au moins le double de ce qu’on touche actuellement, avec des congés pour que ce statut soit intéressant », répond Jérémy Wick, livreur Deliveroo et UberEats à Bordeaux.

Il vous reste 10% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.