Archive dans 2023

« Partout se dessine une réduction considérable des marges de manœuvre dont disposent syndicalistes et directions dans les négociations sociales »

Depuis les ordonnances travail de 2017, les accords d’entreprise l’emportent dans une majorité de domaines sur les accords de branche. S’agit-il pour autant de renforcer un dialogue social au plus proche des salariés et de développer, comme le souhaitaient les lois Auroux (1982), la citoyenneté au travail ? C’est en réalité tout le contraire qui se produit. La mise en place des comités sociaux et économiques a abouti à diminuer considérablement le nombre de représentants du personnel et à les éloigner davantage des salariés pour en faire des « professionnels » du dialogue social, seule une toute petite minorité d’entreprises (1,6 % en 2021) ayant fait le choix de conserver des « représentants de proximité ».

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Plus qu’un levier du progrès social, la priorité donnée à la négociation collective d’entreprise est d’abord pensée comme le moyen de subordonner encore davantage les règles du rapport salarial aux impératifs de compétitivité des entreprises, qu’elle serve à développer l’intéressement et les augmentations individuelles plutôt que les augmentations générales, à baisser le taux de majoration des heures supplémentaires ou à flexibiliser l’organisation des temps de travail.

Bien sûr, l’usage des dispositifs de négociation et leurs résultats restent variables. Dans les grandes entreprises, quand les salariés sont qualifiés et que les syndicats conservent un réel ancrage militant, leurs représentants restent en mesure de peser sur les décisions patronales. Cependant, sous la pression actionnariale, la nature des compromis se transforme. Les syndicats sont bien en peine, notamment, d’empêcher la généralisation des politiques de rémunérations liées à la performance, individuelle ou collective.

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Dans les grandes entreprises des secteurs du nettoyage, de l’aide à domicile ou de la logistique, les négociations sont encore plus déséquilibrées, tant il est difficile pour les syndicats de mobiliser des collectifs de travail morcelés, précarisés et constitués d’une main-d’œuvre interchangeable. Dans le secteur sanitaire et social, notamment, soumis à des politiques de réduction des coûts, les négociations salariales en entreprise restent purement formelles.

Inégalités amplifiées

En réalité, une même tendance se dessine partout : celle d’une réduction considérable des marges de manœuvre dont disposent les syndicalistes et les directions dans des négociations qui se déploient sous la pression des marchés financiers pour les uns, des donneurs d’ordre pour les autres, ou des contraintes budgétaires que l’Etat impose aux secteurs qu’il subventionne.

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« Le modèle économique et social qui s’est mis en place en France après la seconde guerre mondiale a vécu »

Les syndicats de salariés français sont exclus des décisions économiques, à l’échelon des entreprises comme des politiques gouvernementales, contrairement à ce qui se passe en Allemagne ou dans les pays nordiques, dont le modèle économique et social de codécision donne aux syndicats une place essentielle dans les conseils d’administration des entreprises : les négociations collectives régulent le fonctionnement du marché du travail et l’organisation du travail.

Denis Kessler [1952-2023], ancien vice-président du Medef, parlait de « Yalta implicite » pour décrire le modèle économique et social qui s’est mis en place en France après la seconde guerre mondiale : les patrons se réservaient les décisions concernant le modèle productif, la stratégie des entreprises et l’organisation du travail ; le personnel politique, les politiques publiques ; les syndicats, la gestion de la protection sociale. Comme le disait M. Kessler dans un entretien à la Revue de l’Institut de recherches économiques et sociales, « en France, le pacte social (…) a, en définitive, consacré la non-inclusion des syndicats (…) dans les domaines économiques et une formidable intégration de ceux-ci dans le domaine social » (« Pour une économie du paritarisme », Revue de l’IRES no 24, 1997).

En 1945, les conseils d’administration des caisses de Sécurité sociale comptaient une forte majorité de représentants des salariés, au nom du principe de « gestion par les intéressés ». On parle alors de « démocratie sociale », préférée à la gestion étatique, qui risquait d’imposer une logique budgétaire. Il s’agissait de permettre l’extension des droits sociaux, le financement devant être ajusté aux besoins par l’augmentation des cotisations.

Ce rôle gestionnaire des syndicats leur a donné une légitimité pour défendre la Sécurité sociale face aux tentatives gouvernementales de réforme, présentées comme autant de remises en cause des « acquis sociaux ». Dès les années 1950, malgré la faiblesse du taux de syndicalisation, les syndicats démontrent leur capacité de mobilisation sur la question. Elle est restée très forte, comme le montrent les mobilisations de décembre 1995 contre le plan Juppé, et celles de 2003, 2010, 2019 et 2023 contre les projets de réforme des retraites.

Etatisation de la gouvernance

Au fil du temps cependant, les syndicats de salariés perdent leur domination sur la gestion de la Sécurité sociale, au profit du paritarisme (représentation égale des salariés et des employeurs), voire du tripartisme (intervention de l’Etat). Avec le plan Juppé de 1995, l’étatisation de la gouvernance du système s’accélère, au nom du fait que la Sécurité sociale est moins directement liée au travail (universalisation des droits à la santé, retraite de base), que les impôts (notamment la CSG) représentent une part croissante de son financement, et que les partenaires sociaux ne prendraient pas les décisions difficiles… Le plan Juppé prévoit donc une réforme de la Constitution qui, adoptée en 1996, instaure le vote de la loi de financement de la Sécurité sociale par le Parlement.

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Industrie : le grand défi de l’emploi des jeunes

Roland Lescure, le ministre délégué en charge de l’industrie, avec des collégiens venus découvrir les métiers de l’industrie, à l’invitation du ministère de l’économie et des finances, à Paris le 30 novembre 2023.

L’usine occupe un hangar en duplex dans une rue discrète d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, à quelques minutes de Paris. Au centre de l’atelier de 1 500 mètres carrés, des kiosques « mobiles et solaires » sont en présentation. Bienvenue chez PicNic, jeune start-up française, lancée en 2018 par trois amis trentenaires qui rêvaient de « créer du lien social tout en faisant du bien à la planète », explique Raphäel Brochard, un des cofondateurs, casquette de titi sur la tête et sosie goguenard du comédien Félix Moati.

Autour de lui, une vingtaine d’étudiants, garçons et filles, de l’école privée parisienne School of impact, qui forme en alternance après le bac aux métiers du management en développement durable, l’écoutent sagement dérouler son argumentaire. En ossature bois et métal recyclés, dessinés et fabriqués en France, alimentés par des panneaux solaires, les kiosques, de trois tailles différentes, sont proposés à la vente ou à la location à des collectivités locales, à des commerces ou à des entreprises pour organiser des événements éphémères ou offrir des lieux de vente ou d’accueil.

« Ici, on fait de l’industrie, on maîtrise toute la chaîne de valeurs, de la conception à la livraison, le tout en circuit court et en matière recyclable », explique Raphaël Brochard, qui annonce fièrement le doublement du nombre de salariés, de 15 à 30, en 2024, et une future levée de fonds pour « viser notre prochaine étape, le marché européen ».

« L’industrie, ça décarbone, ça embauche et ça paie bien »

PicNic, comme beaucoup d’autres start-up créées en France, incarne une partie de l’industrie moderne, loin de l’image de l’usine à la Zola, avec la cheminée qui fume, le bruit et les cadences infernales. Exactement l’image du nouveau monde industriel que le gouvernement veut montrer à la jeunesse française, à l’occasion de « la semaine de l’industrie », un événement organisé du lundi 27 novembre au dimanche 3 décembre par le ministère de l’économie, avec Bpifrance comme principal opérateur.

« Dans les dix ans qui viennent, la réindustrialisation de la France et la décarbonation de notre industrie vont demander la création de 100 000 emplois par an, soit 1 million de personnes en tout. Il faut absolument que la jeunesse se tourne vers ces métiers », explique Roland Lescure, le ministre délégué en charge de l’industrie, qui a passé la journée du 30 novembre à déambuler parmi la cinquantaine de stands d’entreprises (dont les grands groupes EDF, Siemens, Dassault Systèmes ou RATP) installés au ministère pour faire découvrir leurs activités à 1 500 collégiens et lycéens d’Ile-de-France.

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Bruno Le Maire pousse à renouer avec la réforme pour affirmer son identité politique

Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, lors d’une conférence de presse, à Washington, le 7 février 2023.

Trois jours avant les dernières rencontres de Saint-Denis, Emmanuel Macron sonde, au cours d’un dîner des cadres de la majorité à l’Elysée, mardi 14 novembre, l’opinion des uns et des autres sur d’éventuelles évolutions institutionnelles. L’ancien premier ministre Edouard Philippe se dit favorable au retour du cumul des mandats, et opposé à l’élargissement du champ du référendum, au menu des discussions. De l’autre côté de la table, la réplique du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, fuse : « Tu veux remettre le cumul des mandats, restreindre le référendum… T’as plus qu’à proposer le retour du président du Conseil et c’est bon ! », ironise, grinçant, le numéro deux du gouvernement, renvoyant son possible rival pour 2027 aux institutions d’un autre temps. Emmanuel Macron, impassible, savoure.

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La scène est à l’image de l’automne de Bruno Le Maire. Après une rentrée atone, au cours de laquelle il a laissé ses jeunes collègues Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur, et Gabriel Attal, le ministre de l’éducation, occuper le devant de la scène, le ministre de l’économie, 54 ans, donne à son tour de la voix. Se pose en père Fouettard de l’orthodoxie budgétaire, après avoir distribué les chèques. S’offusque des « cadeaux » distribués par Elisabeth Borne aux oppositions dans le projet de loi de finances pour 2024. Propose de réduire la durée d’indemnisation chômage des plus de 55 ans, provoquant un front uni des partenaires sociaux. Convie un millier de maires à Bercy pour leur dire que la France a « un besoin criant d’autorité ». Bref, Bruno Le Maire a entrepris, dit-il au Monde, de « secouer le cocotier ».

L’objectif du plein-emploi fixé par Emmanuel Macron, « absolument stratégique pour la société française », est impossible à atteindre sans entreprendre des réformes structurelles potentiellement impopulaires, pense-t-il. « Le plein-emploi, ce n’est pas 7 % de chômage, c’est 5 % », énonce le ministre, alors que le chômage stagne autour de 7 %, voire remonte légèrement. Or « cela ne viendra pas tout seul, il faut remettre du charbon dans la machine ». A un moment où Emmanuel Macron cherche un second souffle, un an et demi seulement après le début de son second mandat, Bruno Le Maire l’exhorte à « tenir la ligne de la transformation », au lieu de se cantonner à la simple « gestion ».

« Il faut continuer de pédaler »

S’il tient ce discours volontariste, voire alarmiste, c’est que le ministre n’ignore rien, explique-t-il, de cette « tentation, qui touche tous les gouvernements et toutes les majorités », de lever le stylo une fois les premiers résultats engrangés. « La pente la plus naturelle, une fois qu’on a fait des réformes courageuses, c’est de se dire : on s’en tient là », philosophe l’ancien député Les Républicains de l’Eure, du haut de ses « vingt ans d’expérience politique ».

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Avec les futurs agents de sécurité des JO 2024 en formation : « Ceux qui me parlent de boxe thaïe, je les calme d’entrée de jeu »

Mike est instructeur chez Nouvel R Formation. Aujourd’hui, il coordonne une mise en situation liée à l’activité d’agent de protection rapprochée, à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), le 26 octobre 2023.

Le décor est dépouillé : une concession automobile désaffectée à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), devenue lieu de formation aux métiers de la sécurité privée, de vigile à agent de protection rapprochée, en passant par la surveillance vidéo. On y trouve des portiques utiles aux exercices de fouille et de palpation, des tatamis pour réviser les bases de l’autodéfense, des bureaux d’écolier. « Ceux qui me parlent de boxe thaïe, je les calme d’entrée de jeu. Le cadre légal ne permet pas de toucher les gens n’importe comment », affirme Mike, qui n’a pas souhaité donner son nom comme les autres personnes interrogées, ancien policier intervenant chez Nouvel R, à la fois école et entreprise de sécurité privée.

La formation initiale des agents est peu portée sur la force physique, ils apprennent surtout des articles du code de la sécurité intérieure, des notions de secourisme, La Marseillaise – l’hymne est punaisé en classe. C’est l’un des changements induits par la loi « sécurité globale » de 2021 modifiant les règles d’accès aux métiers de la sécurité privée, et notamment l’obligation pour les étrangers de disposer d’un titre de séjour depuis au moins cinq ans. « Cette loi a mis le bazar, on a perdu pas mal de monde », raconte Serdar Yergin, fondateur de la PME.

A la veille des Jeux olympiques, il y a urgence à garnir les rangs : il faudra 17 000 agents sur le terrain chaque jour en moyenne. En Ile-de-France, le secteur y est encouragé par le gouvernement, qui a investi pour l’accompagner dans le recrutement et la formation. Arnaud, 22 ans, est passé par un bac « système électronique », un temps d’errance, puis une école de la deuxième chance à Créteil. Il y a rempli « des tas de QCM » pour s’orienter, jusqu’à choisir la sécurité l’été dernier. La mission locale s’est chargée de l’inscription en formation d’agent de prévention et de sécurité : quatre semaines suivies d’une semaine pour obtenir le premier échelon de la sécurité incendie.

Des années postbac sans réelle direction

« Je m’attendais à être entouré d’armoires à glace. C’est plus varié que ça », remarque le jeune homme, assis dans une classe de onze élèves, dont trois femmes. Arnaud est « réaliste » : « Ce qui nous attend, c’est d’être au PC de sécurité et de faire des rondes. Evidemment que j’aimerais gagner plus que le smic, mais c’est déjà pas mal pour cette tâche. »

Mouhnir, 26 ans, vit à Epinay-sur-Seine ( Seine-Saint-Denis) et suit la formation sur les traces d’un ami. A Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), le 26 octobre 2023.

A ses côtés, Mouhnir, 26 ans, a l’ambition d’intégrer la protection rapprochée de l’Etat. Il est arrivé dans le secteur inspiré par un ami aperçu en costume d’agent événementiel sur Snapchat cet été, « je l’ai trouvé classe ». Mounir est passé par un DUT en sciences des données, interrompu par la pandémie de Covid-19 et jamais repris. « Après, j’ai tout fait : de la livraison, de l’inventaire, agent de piste à l’aéroport… Je n’en peux plus de ce manque de stabilité. »

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L’économie française plonge dans le rouge au troisième trimestre, l’inflation ralentit nettement

Dans un supermarché, à Toulouse, le 4 septembre 2023.

Le coup de frein enregistré dans certains secteurs a pesé sur la croissance française. Initialement estimée faible, mais positive par l’Insee, l’activité a finalement basculé dans le rouge au troisième trimestre. Les chiffres définitifs publiés jeudi 30 novembre font état d’un produit intérieur brut (PIB) en recul de 0,1 % au troisième trimestre par rapport au trimestre précédent, sur fond de baisse du pouvoir d’achat des ménages. L’inflation, elle, continue de ralentir. En novembre, la hausse sur un an s’est établie à 3,4 %, après 4 % en octobre.

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Malgré cette révision à la baisse de la croissance, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a indiqué, jeudi, sur France Inter maintenir sa prévision pour 2023 à 1 % et à 1,4 % pour 2024. Après un premier trimestre en stagnation (0 %), un second plus dynamique (+ 0,6 % ) et le coup de froid sur le troisième trimestre, l’acquis de croissance pour la France s’établit aujourd’hui à 0,8 %.

Ce qui signifie schématiquement que pour atteindre l’objectif de Bercy, le quatrième trimestre devra afficher une croissance d’un « gros » 0,6 %. Atteignable à la condition que l’économie reprenne de la vigueur sur les trois derniers mois de l’année, ce qui semble loin d’être simple. « Sur le fond, le diagnostic reste un peu gris », estime ainsi Nicolas Carnot, directeur des études et synthèses économiques à l’Insee. « L’activité reste, molle, peu allante. » Pour sa part, la Banque de France parie sur une hausse du PIB de seulement 0,9 % cette année. Et concernant 2024, l’Organisation de coopération et de développement économiques mise sur une croissance limitée à 0,8 %.

Le climat des affaires s’assombrit

Les indicateurs du climat des affaires, qui s’est encore assombri en novembre, ne semblent pas laisser espérer une fin d’année plus dynamique. La consommation des ménages, l’un des principaux moteurs de la croissance, puisqu’elle représente la moitié du PIB, a encore accusé une baisse en octobre (− 0,9 %), alors que le pouvoir d’achat a diminué de 0,2 % par unité de consommation (ce qui tient compte de la taille des ménages) sur le trimestre, indique l’Insee.

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A noter, toutefois, que sur l’ensemble du trimestre, la consommation reste positive (+ 0,6 %). Contraints par un budget de plus en plus serré, les Français commencent à piocher dans leurs économies. Le taux d’épargne des ménages, un indicateur très regardé, car il constitue une réserve de croissance, est passé de 17,9 % au deuxième trimestre à 17,4 %. Mais il reste supérieur de 2 points au niveau de 2019.

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Paris 2024 : cherche agent de sécurité privée désespérément pour les Jeux olympiques

A quelques encablures de l’autoroute A4, dans l’une des zones d’activités de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), se nichent les bureaux de Nouvel R, une PME du secteur de la sécurité privée créée en 2004 et disposant depuis près de dix ans d’un centre de formation. L’ensemble a des airs de ruche dont on découvre les recoins en suivant Loïc Duval, qui en est le responsable développement et insertion depuis 2020. Il passe la majeure partie de son temps à recruter et à accueillir des apprentis agents : jeunes en quête d’insertion, chômeurs poussés par Pôle emploi à rejoindre ce secteur « en tension », vigiles souhaitant monter en grade en obtenant de nouveaux certificats…

« Je ne leur vends pas du rêve, je parle des avantages et inconvénients, des horaires à rallonge, du salaire bas. Mais ça reste un secteur où l’on peut entrer et évoluer quel que soit son âge, son diplôme, sa nationalité, son genre », raconte celui qui a commencé comme vigile dans un supermarché Lidl, il y a quinze ans. Ici, des hommes, en majorité, sont encadrés par un aréopage de formateurs venus du secteur privé, mais aussi des retraités de la police et de la gendarmerie qui dispensent leur savoir théorique et pratique en classe ou dans la concession automobile désaffectée dont dispose l’entreprise.

En cinq semaines minimum, les apprentis obtiennent – sous condition de validation après enquête administrative par le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) – le titre professionnel d’agent de prévention et de sécurité (cent soixante-quinze heures de formation), les différents échelons du service de sécurité incendie et d’assistance à personnes ou la certification permettant d’encadrer une équipe.

A la mi-décembre, Nouvel R proposera en sus la formation express de cent six heures imaginée par le CNAPS en 2022 pour disposer d’agents dits « grands événements », dotés d’une carte professionnelle temporaire. Autrement dit, du renfort, en urgence, pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.

Mikaël, agent de sécurité à l’hôpital Georges-Pompidou, enseigne des notions liées au SSIAP (Service de sécurité incendie et d’assistance à personnes), à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), le 26 octobre 2023.

Ces derniers mettent le secteur de la sécurité privée en ébullition. Depuis deux ans, l’Etat déploie des efforts importants pour que la filière ne souffre plus d’un déficit de main-d’œuvre chronique (quelque 20 000 agents manquent au quotidien, selon les représentants du secteur). Ce sont 46 millions d’euros qui ont ainsi été débloqués par l’Etat depuis 2022 dont 31 millions pour l’année 2021, notamment pour investir dans les formations, comme l’a rappelé le préfet de la région Ile-de-France, Marc Guillaume, fin septembre. L’objectif étant que la sécurité privée puisse être au rendez-vous de Paris 2024. Celle-ci doit fournir la moitié des 17 000 agents qui devront être disponibles chaque jour en moyenne. L’autre moitié étant gérée en direct par les gestionnaires de site partenaires du comité (tel que le stade Roland-Garros, par exemple).

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L’économie sociale et solidaire, « béquille » des régimes socio-économiques en crise

Livre. C’est un mouvement de balancier qui s’observe sur le temps long historique. Il décrit une « oscillation entre la tentative d’un tout-Etat et l’espoir d’une autorégulation des marchés ». Et ne manque pas d’interroger les analystes de l’économie sociale et solidaire. Pourquoi cette troisième voie n’est-elle jamais parvenue à remettre en cause ce qui s’apparente à un mouvement perpétuel ? « Comment expliquer qu’elle ne se soit pas constituée en une alternative largement discutée dans la société et la sphère politique ? » C’est l’interrogation centrale portée par l’économiste Robert Boyer, l’un des pères de la théorie de la régulation, dans son nouvel ouvrage L’Economie sociale et solidaire. Une utopie réaliste pour le XXIe siècle ? (Les Petits Matins).

Une interrogation renouvelée aujourd’hui au vu de « l’intensité et la conjonction des crises sociales, financières, sanitaires et climatiques qui ont secoué le monde durant les dernières décennies. Elles “ouvrent la possibilité d’un (…) renouveau de la solidarité” », estime l’auteur. Le temps – l’« âge d’or » – de l’économie sociale et solidaire serait-il arrivé ? La conjoncture serait-elle, enfin, favorable à l’avènement d’un nouveau modèle socio-économique bâti autour d’elle ?

Pour répondre à cette problématique, M. Boyer livre au fil des pages une approche croisant théories économiques et analyses historiques. Ce faisant, il décrit les mécanismes qui ont, au fil du temps, présidé au développement de l’économie sociale et solidaire. Elle est avant tout, pour l’auteur, fille de crises. L’économie sociale et solidaire « se nourrit des limites tant des mécanismes marchands, incapables d’assurer la paix sociale, que des interventions d’un Etat central désarçonné par l’inadéquation et l’inefficacité de ses procédures face aux problèmes émergents qui risquent de saper sa légitimité ».

« Des solutions de second rang »

C’est ce qui s’est passé, par exemple, en Argentine, où les crises économiques ont vu se développer des monnaies locales. Des processus innovants qui ont soutenu « un minimum d’activité économique et limit[é] la chute dans la pauvreté extrême ». L’économie sociale et solidaire a, dans un second temps, reflué, à mesure que la crise s’effaçait et que le marché retrouvait ses capacités d’action.

L’économie sociale et solidaire ne serait ainsi que la « béquille » des systèmes socio-économiques en place, apportant son soutien grâce à des dispositifs novateurs, avant de regagner son lit lorsque les difficultés s’éloignent. M. Boyer en convient : « Jamais une crise, même sévère, n’a propulsé une transition d’une économie capitaliste vers un régime fondé sur la solidarité et la réciprocité. »

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L’objectif de plein-emploi d’Emmanuel Macron fait craindre une remise en cause du modèle social français

Emmanuel Macron, à Nantes, le 28 novembre 2023.

Printemps 2017. Le candidat Emmanuel Macron est en campagne pour être élu président de la République et le taux de chômage tourne autour de 9 % de la population active. Pour le faire baisser, l’ancien ministre de l’économie de François Hollande prône alors le « libérer, protéger », un slogan qui s’inspire du modèle de « flexisécurité » à la danoise.

Il s’agit de « flexibiliser » le marché du travail mais aussi de sécuriser les employés, avec un système de protection sociale étendu et efficace. Emmanuel Macron annonce sa loi sur le travail, facilitant les licenciements, promet d’ouvrir l’assurance-chômage aux démissionnaires et d’engager une réforme systémique des retraites.

Automne 2023. Après une réforme des retraites ayant repoussé l’âge légal de départ de 62 ans à 64 ans, Emmanuel Macron, réélu en 2022, donne l’impression de toujours chercher un cap. L’objectif d’atteindre le plein-emploi – autour de 5 % de chômage – d’ici à 2027 est martelé partout. Mais le chemin pour y parvenir est semé d’embûches. Après une baisse continue depuis six ans, celui-ci commence à remonter, à 7,4 % aujourd’hui, et les économistes anticipent même une hausse jusqu’à 8 % d’ici un ou deux ans. Le chef de l’Etat a donc exhorté les uns et les autres à poursuivre dans la voie des réformes. « Réveillez-vous ! Nous ne sommes pas arrivés » au plein-emploi, a-t-il lancé le 21 novembre, à l’Elysée.

Pour le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, le coupable est tout désigné. « Quelque chose cloche dans le modèle social français » et ce dernier doit, selon lui, devenir « moins attractif pour ceux qui ne travaillent pas ». Il a suggéré une mesure choc qui contribuerait, selon lui, à atteindre le plein-emploi : abaisser la durée d’indemnisation des chômeurs de plus de 55 ans pour l’aligner sur celle des autres.

D’autres pistes seraient dans les cartons de l’exécutif. Matignon aurait ainsi l’intention de réformer le dispositif des ruptures conventionnelles, comme l’a révélé La Tribune dimanche, le 26 novembre. Loin du macronisme originel, donc, qui prévoyait d’ouvrir les droits à l’assurance-chômage aux démissionnaires.

La première ministre, Elisabeth borne, et le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, à Paris, le 19 juin 2023.

Les doutes pointent dans une partie de la Macronie

« En affichant l’objectif de plein-emploi, je trouve qu’Emmanuel Macron revient à sa matrice initiale, analyse Brice Teinturier, directeur général délégué de l’institut de sondages Ipsos. En revanche, une fois cet objectif posé, il s’est accompagné très vite de mesures et d’annonces pour durcir le modèle social et pousser à une plus grande flexibilité, sans qu’il y ait en parallèle de mesures d’accompagnement sur la sécurité. » Comme si des deux jambes – la libérale et la sociale – du modèle ne subsistait finalement que la première.

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Fermeture d’Orange Bank : les syndicats craignent un plan de départs

Siège social d’Orange Bank dans l’immeuble anciennement occupé par les usines Dumas, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 28 février 2019.

Les syndicats d’Orange Bank (SNB et CFDT) ont appelé les 650 salariés de la filiale bancaire de l’opérateur télécoms à une journée de grève, jeudi 30 novembre. Une manifestation est prévue dans la matinée, au siège de la banque en ligne, à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Des salariés d’Amiens, second site de l’entreprise, doivent se joindre au mouvement.

Tous protestent contre les modalités du plan de sauvegarde pour l’emploi ouvert par la direction du groupe à la suite de sa décision, le 28 juin, de fermer sa banque en ligne et d’engager un processus de transfert de ses clients vers BNP Paribas. Malgré plusieurs mois de recherche, Orange n’avait pas réussi à trouver un repreneur pour cette activité.

L’opérateur télécoms s’était engagé à reclasser en son sein le maximum de salariés mais les réunions organisées ces dernières semaines n’ont pas permis de trouver un accord avec les représentants du personnel. Formés aux métiers de la banque ou de l’assurance, les salariés d’Orange Banque craignent de ne pas trouver leur place dans les services de la maison mère.

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Selon une source syndicale, Orange proposerait 240 offres de reclassement, dont 150 par créations de postes, ce qui laisserait près de 400 salariés sans solution. Les mesures financières compensatoires sont également jugées insuffisantes par les syndicats. Selon le calendrier, les deux parties ont jusqu’à la mi-janvier 2024 pour trouver un accord. Les salariés non reclassés seraient licenciables dès le 29 février 2024.

« La priorité pour Orange demeure l’accompagnement exemplaire de l’ensemble des salariés. Aujourd’hui, ces discussions se poursuivent et nous ne souhaitons pas rentrer dans les détails à ce stade », indique l’opérateur télécoms dans une déclaration écrite.

Orange Bank n’a jamais gagné d’argent

Orange Bank a été créée fin 2017, sous l’impulsion de l’ancien PDG, Stéphane Richard, mais cette activité n’a jamais pu trouver sa place au sein du groupe. Orange est le seul grand opérateur télécoms mondial à s’être lancé dans ce métier, espérant par ce biais conquérir des abonnés dans le mobile et les fidéliser. Orange Bank dispose d’un peu plus de 1,5 million de clients en France, détenant 1,7 milliard d’euros d’encours dans leurs comptes ordinaires ou d’épargne. Elle a aussi plusieurs centaines de milliers de clients en Espagne.

Insuffisant, ce nombre de clients n’a pas permis de rentabiliser l’activité, regrette l’opérateur. Depuis sa création, Orange Bank, qui n’a jamais gagné d’argent, a accumulé plus de 1 milliard d’euros de pertes d’exploitation et l’opérateur ne voyait pas comment inverser la tendance, face à la montée de la concurrence de nouvelles banques en ligne.

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