Archive dans mai 2023

Mieux réguler pour mieux innover

Gouvernance. L’obligation d’innover est un des piliers de la mythologie économique contemporaine. Alors que les cultures traditionnelles s’en méfiaient et que Montaigne (1533-1592) la considérait encore comme une vanité, l’innovation est glorifiée depuis la révolution industrielle comme une démarche positive vers un progrès nécessairement vertueux.

Ce dogme proclame que la destruction qu’elle engendre est toujours créatrice d’un surcroît de richesses (la fameuse destruction créatrice) au point qu’elle est la condition de survie des entreprises : sans elle, point de salut.

Cette croyance est dotée d’un tel prestige qu’elle affecte tous les aspects de la vie sociale et économique, depuis la mise sur le marché de produits toujours nouveaux (les qualifier de « nouveaux » étant, en soi, un argument de vente), jusqu’aux organisations régulièrement converties à des « innovations managériales », en passant par les mantras sur les efforts d’innovation déplorés comme insuffisants ou par les « innovations disruptives » en tous genres que promettent les prophètes du bonheur.

Le spectre d’un retour à « la lampe à huile »

Dans un petit essai remarquable (L’Innovation. Mais pour quoi faire ?, Seuil, 256 pages, 19,50 euros), Franck Aggeri, professeur à Mines ParisTech, invite à une réflexion bien venue sur cette religion de « l’innovation pour l’innovation ».

Elle est si bien ancrée dans notre imaginaire, qu’il faut un sérieux effort pour prendre conscience que, dans la réalité, l’innovation n’est pas nécessairement source de progrès : la destruction n’est pas toujours créatrice, certaines innovations se sont révélées désastreuses pour l’humanité et imiter s’avère parfois moins coûteux et plus performant que d’innover.

Il ne s’agit évidemment pas de faire le procès des innovations, selon une logique du tout ou rien. Nombre d’entre elles sont utiles, mais toutes ne le sont pas. Pour exorciser le scepticisme critique, les dévots de l’innovation croient nécessaire d’agiter le spectre d’un retour à « la lampe à huile », si ce n’est de « l’âge de pierre ». Comme si, entre le fatalisme du laisser-faire et l’immobilisme technophobe, il n’y avait aucune place pour l’intelligence sur le sujet.

Le discernement est nécessairement politique et il passe, selon Franck Aggeri, par l’action collective, puisque les innovations intéressent l’avenir de la société. Elles doivent donc susciter des débats et, si nécessaire, des régulations. La réglementation publique est une modalité, mais pas la seule, d’une telle action collective.

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Les seniors se tournent de plus en plus vers l’intérim

Alors que l’emploi des seniors est au cœur des discussions entre Elisabeth Borne et les syndicats, le dernier baromètre sur l’emploi intérimaire en mars 2023 de Prism’emploi, l’organisation des professionnels de la branche du travail temporaire, met le doigt sur un phénomène méconnu : ces dernières années, la part des plus de 50 ans n’a cessé d’augmenter dans l’intérim. Cette catégorie d’actifs représentait 13,4 % des salariés intérimaires en 2022, contre 12,5 % en 2020.

Entre 1995 et 2015, leur proportion avait déjà quasiment triplé, constatait une précédente enquête de l’Observatoire de l’intérim et du recrutement publiée en mai 2022. Cette croissance accompagne le vieillissement de la population et les réformes reculant l’âge de départ à la retraite. Elle est aussi une conséquence du serrage de vis autour des préretraites et autres possibilités de dispense de recherche d’emploi pour les seniors.

Plus d’heures que la moyenne

Ayant peu d’espoir de retrouver un CDI, une partie de ceux qui se retrouvent au chômage en fin de carrière se tourne vers le travail temporaire. Selon l’enquête de l’Observatoire de l’intérim et du recrutement, près des deux tiers des intérimaires étaient au chômage au moment de leur inscription dans une agence et ils sont tout autant à rejoindre l’intérim après 40 ans. « Le souhait de revenir rapidement à l’emploi a constitué la raison principale de leur recours à l’intérim pour 52 % d’entre eux », souligne l’étude. Pour les seniors touchant une petite retraite, des dispositifs comme le cumul emploi retraite ont aussi pu favoriser cette forme de reprise d’activité.

Autre donnée notable soulignée dans le baromètre Prism’emploi : les seniors en intérim effectuent un nombre d’heures supérieur à la moyenne. Soit 635 heures par an pour les 55-59 ans en 2022, contre 464 heures tous âges confondus. Selon ce document, c’est cette catégorie d’âge qui effectue le plus d’heures en intérim, suivie par les 50-54 ans (620 heures). Pour cette tranche d’âge, le travail temporaire n’est pas un job d’appoint.

Les tensions dans le recrutement poussent aussi les employeurs à entrouvrir plus largement leurs portes aux seniors. Les soixantenaires représentent désormais 21 % de l’activité intérimaire du secteur de la construction en 2020, selon l’Observatoire de l’intérim. « Les 50+ sont de plus en plus “recherchés” (…) pour leurs qualités de comportement et de savoir-être, quand ce n’est pas pour leurs qualifications », ajoute l’enquête. Au niveau des postes d’encadrement, les années 2000 ont d’ailleurs vu naître des agences d’intérim spécialisées pour les seniors expérimentés.

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Getir, leader de la livraison ultrarapide en France, prépare un plan social drastique

Un magasin-entrepôt de Getir, à Lille, le 19 août 2022

« A-t-on affaire à une entreprise étrangère qui est venue en France exploiter des gens et qui les jette grâce aux dispositifs légaux, ou bien à une entreprise qui veut vraiment créer de l’activité ? » Cette question, Johann Tchissambou, le secrétaire du comité social et économique (CSE) de Getir en France, se la pose tous les jours. Et notamment depuis le 17 mai, après que la société de livraison express de courses à domicile (qui a avalé ses concurrents Gorillas et Frichti en décembre 2022) a présenté un plan de restructuration conduisant à la suppression de la moitié des effectifs du groupe en France.

L’annonce a laissé les 1 824 salariés que totalisent Getir, Gorillas et Frichti dans l’Hexagone, « bouleversés », « psychologiquement fragilisés ». Certains avaient contracté récemment « des emprunts immobiliers et de gros crédits pour leur voiture », selon ce délégué syndical CFDT. Jeudi 1er juin, M. Tchissambou aura un début de réponse lors de la première réunion de négociation concernant les modalités du plan de sauvegarde de l’emploi entre les organisations syndicales et la direction de ce groupe turc fondé en 2015 et arrivé en France en juin 2021.

La situation est emblématique de ce secteur d’activité appelé « quick commerce », où les acteurs disparaissent avec la même rapidité avec laquelle ils étaient arrivés il y a deux ans pour faire un hold-up sur le marché de la distribution alimentaire française. Leur promesse de livrer des courses alimentaires à partir d’entrepôts appelés « dark stores » en quelques minutes, sept jours sur sept, avait séduit une population de jeunes actifs habitués à acheter sur leur smartphone et dérouté les enseignes conventionnelles.

Les recettes ne couvrent pas les coûts

Sur la dizaine d’acteurs ambitionnant de conquérir les grands centres urbains, il ne reste aujourd’hui en France que deux groupes sur un créneau des courses express qui représente, fin 2022, selon le cabinet d’études Circana, 2,3 % des ventes du circuit de proximité : l’allemand Flink et le turc Getir (qui contrôle Gorillas et Frichti). En proie à des difficultés économiques et à un financement insuffisant, le premier a annoncé, le 24 mai, aux délégués du personnel qu’il allait procéder à une restructuration en réduisant ses effectifs. Et le second a obtenu du tribunal de commerce de Paris, le 2 mai, l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’égard de ses trois sociétés, assortie d’une période d’observation de trois mois, après avoir déposé une déclaration de cessation de paiements le 18 avril.

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La semaine de quatre jours fait son chemin en France, entre bien-être des salariés et attractivité des entreprises

A l’entrée de l’atelier de l’entreprise Matérial, à Saint-Viâtre (Loir-et-Cher), le 15 mai 2023.

Et si l’on ne travaillait plus que quatre jours par semaine ? Après le télétravail, qui s’est largement développé depuis la pandémie de Covid-19, l’idée de réduire, non pas le temps de travail, mais le nombre de jours sur lesquels il est effectué fait école partout en Europe. Au Royaume-Uni, en Espagne ou en Belgique, de nombreuses initiatives ont été lancées pour tester cette organisation.

En France, quelques entreprises pionnières permettent à leurs salariés d’effectuer leurs trente-cinq heures en quatre jours.

Selon le ministère du travail, environ 10 000 salariés sont concernés. Le secteur public n’est pas à l’écart du mouvement : en Picardie, les agents d’une caisse de l’Urssaf se sont vu proposer cette possibilité, en mars. Une expérimentation annoncée par Gabriel Attal dans le quotidien L’Opinion, le 1er février. « Je crois que beaucoup de Français aspirent aujourd’hui à travailler différemment », soulignait le ministre délégué chargé des comptes publics, alors que le gouvernement faisait face à une importante mobilisation sociale contre la réforme des retraites et le report de l’âge légal de départ à 64 ans.

Le commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux, Nicolas Schmit, a, pour sa part, appelé, dans un entretien à l’agence portugaise Lusa publié le 25 mai, les entreprises à déployer la mesure pour être plus attractives sur le marché du travail, arguant que « les nouvelles générations ont une certaine vision de l’équilibre entre le travail et la vie personnelle ». Message entendu, en tout cas à Lyon, où les 9 600 salariés de la ville basculeront, eux, au 1er septembre. Avec quelles conséquences ?

Des salariés plus heureux… en général

A l’heure où la qualité de vie au travail et la prévention des risques psychosociaux sont l’alpha et l’oméga du bon manageur, faire accomplir en quatre jours les tâches autrefois réparties sur cinq jours peut paraître au mieux absurde, au pire totalement délétère. Pourtant, les retours d’expérience – à prendre toutefois avec réserve, puisqu’elles proviennent d’entreprises volontaires, voire volontaristes – vont plutôt dans le sens d’un mieux-être pour les salariés.

Elmy, une petite entreprise lyonnaise spécialisée dans la gestion de l’énergie, a expérimenté la semaine de quatre jours pendant six mois, les cadres accomplissant trente-cinq heures, et les employés trente-deux heures. Evidemment, le travail s’est intensifié : les temps de pause quotidienne sont passés de près de quarante minutes à trente-quatre, et la pause déjeuner a été raccourcie d’une demi-heure, à une heure dix.

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« Que sait-on du travail ? » : en France, un niveau de risques physiques relativement élevé

En France, les risques physiques liés au travail sont 17 % supérieurs à la moyenne européenne, les risques biochimiques 13,8 %, l’intensité du travail 4 % et la qualité de l’environnement de travail est inférieure de 10 %.

En revanche, la sécurité de l’emploi y est supérieure de 6,1 % à la moyenne européenne, et la stabilité de 1,2 %.

C’est ce que révèle le travail des chercheurs pour le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp) de Sciences Po, qui viennent de lancer un « projet de médiation scientifique » pour rendre accessibles à tous les résultats de plusieurs travaux de sciences sociales (économie, gestion, sociologie, science politique…) concernant la situation du travail en France. Le Monde, en collaboration avec le Liepp et les Presses de Sciences Po, diffusera sur la chaîne Emploi de Lemonde.fr la trentaine de textes qui constituent ce projet.

La qualité de l’emploi et du travail ouvre cette série. Après avoir précisé ce que recouvre le concept, les trois chercheurs Mathilde Guergoat-Larivière, Malo Mofakhami et Christine Erhel font une analyse comparative européenne. Il en ressort que la France est plutôt mauvaise élève de l’Europe en qualité du travail, en formation et en perspectives de carrière, mais bonne élève pour la sécurité de l’emploi. Tandis que l’Italie est également mal classée pour l’évolution professionnelle, mais soigne les conditions de travail ; quant à l’Allemagne, sa faiblesse sur le sujet concerne la qualité de l’environnement de travail.

Forte exposition aux risques

Les pays observés ont un niveau de qualité d’emploi plus ou moins élevé, la France se situe au milieu, mais elle est « en décalage avec son niveau de richesse », notent les chercheurs. Et sa forte exposition aux risques est d’autant plus remarquable qu’elle « se démarque par une structure de l’emploi relativement peu industrielle ».

C’est à partir des enquêtes européennes sur les conditions de vie menées par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound), une agence de l’Union européenne, que les chercheurs ont établi un ensemble d’indicateurs pour mesurer la qualité de l’emploi et du travail sur plusieurs dimensions : conditions d’emploi (type de contrat, sécurité de l’emploi), conditions et qualité du travail, temps de travail et équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, et enfin accès à la formation et perspectives de carrière. Les écarts à la moyenne européenne sont construits sur l’ensemble des pays de l’Union européenne, plus le Royaume-Uni et la Norvège.

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« La qualité de l’emploi et du travail en comparaison européenne : une contre-performance française ? »

Trois chercheurs ont analysé la qualité de l’emploi et du travail en France. Christine Erhel, titulaire de la chaire Economie du travail et de l’emploi, est professeure au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM, Paris) et directrice du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET). Elle mène des recherches en économie du travail. Mathilde Guergoat-Larivière, également chercheuse au CEET du CNAM, est professeure en sciences économiques à l’université de Lille et chercheuse au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé). Elle travaille notamment sur la qualité du travail et l’impact des innovations. Malo Mofakhami, affilié au CEET du CNAM, est chercheur en sciences économiques, maître de conférences au Centre d’économie de l’université Paris Nord (CEPN). Ses travaux portent sur le rôle des nouvelles technologies dans les mutations du travail et de l’emploi. Leur étude comparative répond à un objectif de vulgarisation de l’économie.

La crise sanitaire due au Covid-19 a contribué à remettre sur le devant de la scène l’importance du travail en même temps que les conditions difficiles dans lesquelles il s’exerce en France pour certains travailleurs et travailleuses. La récente contestation de la réforme des retraites a également montré que les Français ne souhaitent pas prolonger leur durée de travail au-delà d’un certain âge. Ces événements ne sont pas tout à fait surprenants pour qui s’intéresse à la question de la qualité de l’emploi et du travail sur les dernières décennies, en particulier lorsque l’on compare la situation française à celle de ses voisins européens.

Si les questions du sens du travail et de la soutenabilité du travail ont été beaucoup évoquées dans ces deux crises, le concept de qualité de l’emploi et du travail recouvre un ensemble d’éléments plus large et peut être appréhendé comme un concept multidimensionnel. Dans ce texte, nous revenons sur la définition internationale de la qualité de l’emploi et du travail, puis nous situons la France au regard des comparaisons internationales, avant de souligner les défis que posent les transformations technologiques à la qualité de l’emploi et du travail.

Définir la qualité de l’emploi et du travail

Les institutions internationales et européennes qui se sont emparées depuis la fin des années 1990 de la question de la qualité de l’emploi et du travail ont chacune développé leur propre approche, mais toutes ont retenu une définition multidimensionnelle. Le Bureau international du travail a tout d’abord mis en avant le concept de « travail décent » susceptible d’éclairer et de comparer des situations de pays très différents, en développement, émergents ou développés. L’Union européenne a ensuite défini sa propre approche de la qualité de l’emploi au début des années 2000, mobilisant des indicateurs validés par l’ensemble des pays membres au sommet de Laeken (Bruxelles). Au niveau européen, la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound) ainsi que l’Institut syndical européen (ETUI) ont également développé des approches multidimensionnelles de la qualité de l’emploi et du travail, avant que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) n’en fasse de même en 2013.

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« Quatre leviers d’action pour les entreprises soucieuses d’aligner leurs pratiques et leurs discours en faveur d’un développement plus durable »

La loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), adoptée en mai 2019, a créé le statut de société à mission permettant aux entreprises qui le souhaitent de se fixer une « raison d’être » et de viser, outre la performance économique, un impact social et environnemental positif évalué par une instance extérieure.

Quatre ans plus tard, plus de mille sociétés françaises, parmi lesquelles Danone, La Poste, Crédit mutuel, Arkéa ou la MAIF, ont opté pour ce statut.

Après un démarrage timide, ce nombre connaît, selon le Baromètre de l’observatoire des entreprises à mission de mars 2023, une progression régulière, d’autant plus que, dans un contexte de pénurie de jeunes talents, ce statut se révèle un atout pour recruter et fidéliser. Près des trois quarts des jeunes diplômés se déclarent en effet attirés par ces entreprises à mission (« Débuts de carrière des jeunes diplômés des grandes écoles », NewGen Talent Centre, Edhec, 2023).

Un certain succès semble donc au rendez-vous. Mais la conciliation entre objectifs financiers d’une part et mission d’autre part n’a cependant rien de simple. La recherche de la performance économique prend facilement le pas sur la mission qui, de son côté, requiert parfois des investissements à fonds perdu. La loi dit peu de choses de ces défis managériaux.

Communiquer en interne

Or, si ce statut doit accompagner la mutation du capitalisme, il est urgent de réfléchir aux modalités concrètes de sa mise en œuvre. Nos recherches nous ont permis d’identifier quatre leviers d’action pour les entreprises soucieuses d’aligner leurs pratiques et leurs discours en faveur d’un développement plus durable.

Communiquer largement en interne sur la mission poursuivie et traduire celle-ci en objectifs concrets et mesurables est tout d’abord indispensable, en se dotant des moyens humains et techniques nécessaires pour les mesurer. Dès lors, il devient possible de changer les systèmes d’incitation au sein de l’entreprise pour valoriser la performance sociale et environnementale au côté de la performance financière. Une condition nécessaire si l’on veut éviter que la raison d’être affichée par l’entreprise ne passe à la trappe en période de difficultés.

La structuration de l’entreprise doit également être réfléchie. Faut-il que toutes les équipes aient la charge d’activités liées à la fois à la poursuite du profit et de l’impact sociétal ? Ou bien faut-il répartir ces activités entre différentes équipes ? Et comment traiter les tensions qui émergeront inévitablement ? Les réponses peuvent varier d’une entreprise à l’autre, mais ces questions ne doivent pas être esquivées, sans quoi une partie des objectifs risquent d’être négligés.

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La semaine de quatre jours comme solution à la pénurie de main-d’œuvre en Europe, selon le commissaire européen à l’emploi

Le commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux, le Luxembourgeois Nicolas Schmit, ici au Parlement européen, en juin 2021.

Plus de productivité, de bien-être des salariés… et solution possible à la pénurie de main-d’œuvre ? L’idée de la semaine de travail de quatre jours progresse – elle est déjà testée dans certaines entreprises. Le commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux, Nicolas Schmit, suggère de la déployer dans les secteurs ayant « des difficultés à attirer [des employés] », dit-il dans un entretien à l’agence de presse portugaise Lusa publié jeudi 25 mai.

Nicolas Schmit considère que « le plus gros problème [dans l’Union européenne] n’est pas tant le chômage » mais plutôt la pénurie de main-d’œuvre. « De nombreux secteurs cherchent désespérément des employés et ne peuvent les trouver parce que les gens ne veulent pas y travailler ou n’ont pas les bonnes compétences », affirme-t-il. « Ils doivent devenir plus attractifs », selon le Luxembourgeois, qui souligne que « c’est quelque chose qui avance progressivement (…) parce que les nouvelles générations ont une certaine vision de l’équilibre entre le travail et la vie personnelle ». Il prévient toutefois qu’il « n’y a pas de position commune » au sein de l’UE sur cette question.

Cette démarche nécessite selon M. Schmit des « négociations entre les partenaires sociaux » et prend l’exemple de l’Allemagne, où le plus grand syndicat du pays, IG-Metall, plaide depuis plusieurs années pour une généralisation de la semaine de quatre jours dans le secteur de la métallurgie.

Lire le décryptage : Article réservé à nos abonnés La semaine de quatre jours, positive pour les salariés… et pour l’employeur

Cette déclaration survient au moment où le Portugal doit lancer un projet-pilote autour de la semaine de quatre jours, sur une base volontaire et sans perte de revenus. Quarante-six entreprises se sont dites intéressées par la mise en place de cette réforme – la plupart comptant jusqu’à dix salariés, cinq d’entre elles employant plus de 1 000 personnes, et évoluant dans les secteurs du conseil, des activités scientifiques et techniques, ou encore de l’information et de la communication.

En France, certaines entreprises – encore largement minoritaires – ont adopté la semaine de quatre jours, qui est également testée dans certains services publics, comme l’Urssaf ou la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV).

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le secteur public expérimente timidement la semaine de quatre jours

Le Monde

Emploi : comment la crise sanitaire a modifié le rapport au travail

Ethique, équilibre personnel, respect de l’environnement et utilité de leur travail pour l’intérêt général : la crise sanitaire a conduit les actifs à s’interroger sur le sens de leur travail.

Un monde du travail ébranlé. Le Covid, l’essor du télétravail et la prise de conscience des enjeux environnementaux et sociaux ont profondément bouleversé l’organisation des entreprises et les formes d’emploi au cours des dernières années. Peut-on pour autant parler de révolution du travail en France ?

Cet article est tiré du « Hors-Série Le Monde : 40 cartes pour comprendre comment va la France » 2023. Ce hors-série est en vente dans les kiosques ou par Internet en se rendant sur le site de notre boutique.

La vie professionnelle post-2020 s’est démultipliée en mille visages. Noémie -Burgard (45 ans) a passé ces vingt dernières années à changer d’activité et de mode de travail : salariée du secteur privé dans un cabinet de recrutement, elle a repris des études pour devenir sage-femme, son métier-passion de la fonction publique qu’elle a dû abandonner à l’épreuve des conditions de travail. En recherche permanente d’utilité sociale et du meilleur équilibre entre sa vie familiale et sa mission professionnelle, elle s’est finalement mise à son compte et a investi le travail indépendant dans une activité de coaching sportif. Mais elle n’exclut pas de se reconvertir à nouveau.

En revanche, pour Jean-Michel Casalonga, les choses ont moins changé. Maître bottier, salarié chez Berluti depuis vingt ans, il estime avoir acquis le geste sûr dans son travail de formier. Et la place de son métier dans le marché du travail est aussi stable que lui. Son métier a toujours été, par sa rareté, un de ces « métiers en tension » dont on parle bien souvent aujourd’hui dans le secteur du high-tech à propos des développeurs.

Enfin, Mathilde Le Coz, DRH France chez Mazars, appartient au nouveau monde des slasheurs : salariée du cabinet de conseil/(slash) présidente du Lab RH en autoentreprise pour 10 % de son temps, elle cumule les activités.

Le travail au clair de lune

La diversité du travail en 2023 semble devenue infinie, tant sur le fond que sur la forme. La carrière peut désormais être constituée d’une multiplicité d’activités qui se succèdent ou qui se développent en parallèle. La pluriactivité s’est banalisée. La fragmentation du travail en mode slasheur (assistante maternelle/illustratrice ; webmarketer salarié/coach numérique ; etc.) concernait déjà près de 6 millions d’actifs en 2022.

A ces activités générées au clair de lune (en dehors des heures de travail salarié), les « moonlight businesses », comme disent les Américains, s’ajoutent celles qui sont produites par la fragmentation maximale du temps des « atomisés du travail », les tristement célèbres 320 000 microtravailleurs rebaptisés « tâcherons du numérique » : 266000 travailleurs occasionnels, et 52000 dont c’est l’activité principale, selon le chiffrage réalisé par les trois chercheurs Clément Le Ludec (MSH Paris-Saclay), Paola Tubaro (CNRS/LRI) et Antonio A. Casilli (Télécom ParisTech). A moins d’un million, ces microtravailleurs, dont les tâches fragmentées et standardisées sont généralement payées à la pièce, sont toutefois «  plus nombreux que les chauffeurs VTC et les livreurs à vélo  », souligne Pôle emploi.

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Avec les non-grévistes de Vertbaudet : « Avec tout ce qu’il s’est passé, l’ambiance ne sera plus jamais comme avant »

Dans l'entrepôt Vertbaudet, à Marquette-lez-Lille (Nord), le 25 mai 2023.

De mémoire de journaliste, on n’avait jamais vu ça dans un conflit social : une conférence de presse de salariés non grévistes. Elle s’est déroulée vendredi 26 mai, dans l’entrepôt logistique de Vertbaudet, à Marquette-lez-Lille (Nord). Celui-là même qui est sous les feux de l’actualité en raison de la grève emblématique menée depuis plus de deux mois par 72 salariés pour des augmentations de salaire – l’accord des négociations annuelles obligatoires (NAO), signé début mars par les syndicats FO et CFTC, ne prévoit que des primes.

Qui a pris l’initiative de cette conférence ? Officiellement, des non-grévistes désireux de « réagir » aux « déclarations syndicales et politiques du début de semaine » – il y a eu à Tourcoing (Nord) et à Paris des rassemblements de soutien à la grève. Mais l’aide apportée par la direction floute le cadre de l’échange. C’est un mail du service communication qui a convié les journalistes. Et, vendredi matin, une assistante de direction les guide dans l’entrepôt. « Parce que les salariés sont encore à leur poste », explique-t-elle quand on s’en étonne.

Justement, un appel retentit à leur intention dans les haut-parleurs : « Votre attention s’il vous plaît, une communication aura lieu en C1 à 9 h 25. » Le C1, c’est l’endroit où quelques chaises ont été alignées pour accueillir la presse, devant un pupitre et un micro. Environ deux cents personnes convergent vers l’espace délimité par des palettes et des piles de carton plié, pas si loin de l’effectif non gréviste total (255 salariés).

Des prises de paroles sincères

Savent-ils seulement pourquoi ils viennent ? « La direction va communiquer sur le conflit, non ? Ils font ça régulièrement », croit un petit groupe d’intérimaires. Combien sont-ils, d’ailleurs, à ne pas encore être sécurisés par un CDI, demandons-nous ? Doucement, des mains se lèvent : la moitié de l’assemblée.

La conférence commence. Les délégués FO et CFTC n’y prennent pas part. Seulement trois salariées s’expriment tour à tour. Leur sincérité, elle, ne fait aucun doute. D’abord Caroline Binot, à l’emballage depuis vingt-deux ans. « Cette grève, j’aurais pu y aller. Le 0 % d’augmentation, moi aussi j’ai eu dû mal à l’avaler, explique-t-elle. Mais la NAO s’était conclue deux semaines avant, le moment n’était plus opportun. Et puis, j’ai vu des soutiens extérieurs, de la CGT, empêcher des camions de circuler de manière assez violente. Et les deux intrusions, ça a été extrêmement éprouvant, nous nous sommes senties agressées. »

Les 11 et 14 avril, selon la direction, des personnes extérieures ont commis dégradations et violences sur le site et six personnes ont été prises en charge « en état de choc » par les pompiers. « Quand on entend des appels au boycott, ça nous angoisse, ajoute la salariée. Cette société, c’est ce qui nous fait vivre ! » Louisa, contrôleuse qualité depuis 2002, s’élève, elle, contre les « mensonges » sur les réseaux sociaux : « La hiérarchie ne nous traite pas comme des esclaves. Ce n’est pas mon expérience. Je n’ai jamais été martyrisée. »

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