Les propos du président de la République, le 26 octobre sur France 2, sur la nécessité de mieux partager la valeur, relancent le débat – vieux de plus de 50 ans – sur les « dividendes du travail ». Depuis lors, le gouvernement a fortement marqué son intention d’avancer rapidement sur le renforcement des dispositifs concernés. Ces prises de position représentent une avancée majeure en vue de la concrétisation d’une réforme structurelle du dividende du travail.
Pour clarifier le débat, il convient d’abord de rappeler la distinction entre intéressement et participation, dont le rapprochement dans les discours ajoute parfois à l’incompréhension.
– L’intéressement est un salaire, quel que soit son mode d’évaluation et de diffusion, éventuellement différée dans le temps. Il est déductible directement des recettes de l’entreprise et contribue à la détermination de son bénéfice brut.
– La participation financière, elle, est assise sur le bénéfice net, ce qui, en soi, en fait un « dividende », même si sa formule de calcul la différencie des versements liés aux dividendes du capital.
Une confusion entre intéressement et participation
Plus fondamentalement, et au-delà des formules légales qui positionnent le débat sur un aspect technique, c’est bien l’idée gaullienne d’association capital travail qui incite à qualifier la participation financière de « dividendes du travail ». Le Général de Gaulle y voyait le moyen de réduire les effets négatifs du capitalisme pur et dur sur les droits et statuts des travailleurs, et sans doute surtout un obstacle à l’expansion du communisme.
La plupart des caciques du parti gaulliste y étaient cependant hostiles, au motif plus ou moins avoué que cela affectait le caractère souverain du pouvoir de direction. On se souvient de la phrase de Georges Pompidou, alors premier ministre, répondant, à la sortie de l’Elysée le jour de l’adoption de l’ordonnance de 1967 [créant la participation financière], à la question d’un journaliste « Qu’en pense le Général ? » : « Vous savez, le Général n’a jamais mis les pieds dans un conseil d’administration ! ».
Dès lors, le débat n’a eu de cesse d’entretenir une confusion entre intéressement et participation, pour éviter de franchir le pas vers « l’entreprise-institution » chère au professeur de droit Paul Durand (1908-1960), l’un des pères fondateurs de l’approche sociétale de l’entreprise, dans laquelle les salariés ne sont pas des tiers. Jacques Chaban-Delmas était un des rares gaullistes à défendre la « participation pure et dure » au nom du progrès économique et social grâce à une prise en considération de la collectivité des travailleurs.
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Après la libéralisation à tous crins, voici venu le temps du recadrage. Depuis plusieurs mois, le gouvernement faisait part de son intention de réguler le compte personnel de formation (CPF), un dispositif profondément modifié sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron pour en faciliter l’accès. Il est finalement passé à l’acte en déposant, samedi 10 décembre, un amendement au projet de loi de finances pour 2023, très légèrement réécrit le lendemain : le texte « propose d’instaurer une participation du titulaire, quel que soit le montant de droits disponible sur son compte ». En d’autres termes, fini les formations dispensées gratuitement à travers ce mécanisme : les salariés devront aussi mettre la main à la poche. En laissant un reste à charge aux personnes concernées, cette mesure se présente comme un ticket modérateur, dont l’une des finalités est de museler la dépense liée au CPF.
L’amendement défendu par l’exécutif indique que la contribution réclamée au travailleur pourra être proportionnelle « au coût de la formation, dans la limite d’un plafond ou fixée à une somme forfaitaire ». Un point important à souligner : les demandeurs d’emploi n’auront pas à payer. Idem pour les individus qui mobilisent leur CPF dans le cadre d’un projet « coconstruit avec leur employeur » et moyennant des financements apportés par ce dernier (« abondements »).
Pour Carole Grandjean, la ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels, une telle démarche vise « à poursuivre l’amélioration de l’efficience du CPF, en complément des nombreuses mesures déjà prises et qui donnent des effets » (lutte contre la fraude et le démarchage abusif, amélioration de la qualité de l’offre par le biais d’une sélection renforcée des organismes de formation).
« Le contraire du projet politique macronien »
Créé en 2014, le CPF a été réformé en novembre 2019 par Muriel Pénicaud, la ministre du travail de l’époque. Un système de crédit en euros – et non plus en heures – a vu le jour avec une plate-forme en ligne ouvrant la porte à un large éventail de titres, diplômes et certifications. Résultat : un succès considérable, qui s’est traduit par « plus de cinq millions d’inscriptions en formation » durant les trois dernières années, selon l’exécutif.
Cet essor a eu un coût – quelque 6,7 milliards d’euros –, contribuant ainsi au déficit de France Compétences, l’instance de pilotage du secteur, même si le « trou » résulte en grande partie de dépenses imputables à l’apprentissage. L’engouement pour le CPF s’est, par ailleurs, accompagné de son lot d’abus : formations bidon, sollicitations intrusives d’entreprises qui ont multiplié les coups de fil et les SMS, arnaques… A tel point que le catalogue de formations a été nettoyé pour se concentrer sur celles qui peuvent mener rapidement à un emploi.
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Dans le monde très masculin de la marine marchande, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles rencontre des vents contraires. Le 18 novembre, une élève de l’US Merchant Marine Academy, l’école américaine de la marine marchande, révélait avoir été victime, en 2021, de harcèlement sexuel et d’attouchements lors de sa formation à bord de l’Alliance-Fairfax, un navire de transport de véhicules, propriété de l’armateur danois Maersk.
La jeune femme, qui témoigne sous le nom de « Midshipman Y », a décidé de porter l’affaire devant la justice, comme l’avait déjà fait une autre élève dénommée Hope Hicks, qui a finalement trouvé un accord avec l’armateur. Depuis 2016, Maersk annonce haut et fort mettre tout en œuvre pour que de tels comportements ne se produisent pas.
En France aussi, le combat semble connaître des ratés. Fin novembre, l’Ecole nationale supérieure maritime (ENSM), qui forme, sur quatre sites (Le Havre, Nantes, Saint-Malo et Marseille), les officiers de la marine marchande, a annulé un programme de formation consacré à la prévention des violences sexuelles et sexistes.
« Beaucoup de misogynie »
François Lambert, le nouveau directeur de l’ENSM depuis le 1er septembre, reproche à l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), l’organisme choisi quelques mois plus tôt par sa prédécesseure, Caroline Grégoire, son « militantisme » lors de séances de formation qui ont eu lieu les 6 et 18 octobre sur les campus de Nantes, puis de Saint-Malo.
« Il y a un réel besoin de féminiser la profession et de combattre les violences sexuelles et sexistes, explique M. Lambert, mais les formatrices ont manqué de pédagogie en ne prenant pas suffisamment en compte le fait que la marine était un milieu clos, avec des difficultés liées à une bonne cohabitation. Elles s’en sont prises aux chants marins qui doivent être dépassés dans le temps, mais n’envoient personne en prison. » Ainsi de Fanchon, par exemple, un classique du répertoire entonné lors de multiples soirées, où les participants reprennent en chœur « salope », après chaque couplet ?
M. Lambert avait fait connaître ses réserves à l’AVFT dans deux courriers successifs – que Le Monde a pu consulter –, ce qui a poussé l’association à suspendre, le 8 novembre, son programme, en attendant que la situation s’éclaircisse. « La suspension n‘existe pas sur le plan juridique. Elle n’est pas prévue dans le contrat. Or j’avais un plan à tenir, donc nous nous sommes tournés vers un autre organisme de formation », a tranché le directeur de l’ENSM, qui compte 1 200 étudiants, dont 16 % de femmes. Si l’entretien prévu avec les responsables du nouvel organisme se passe sans difficultés, les sessions débuteront dès le 4 janvier.
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En ces temps de sobriété, faut-il préférer James Bond ou MacGyver ? D’un côté, un pompeux et coûteux agent secret, qui emploie l’équivalent d’une PME pour construire des joujoux sophistiqués qui ne serviront qu’une fois, probablement avant d’exploser. De l’autre, un aventurier malin, sauvant le monde en n’utilisant que son couteau suisse et du ruban adhésif.
Ce qui est certain, c’est que le second sait bien faire avec peu. En cela, le héros télévisé des années 1980 est un pionnier de ce que l’on nomme en gestion « l’innovation frugale ». Le concept, présenté comme un impératif stratégique pour les entreprises, dans un contexte de transition écologique, désigne en management de l’innovation le fait de faire au mieux… avec le moins possible. L’innovateur frugal est souvent sans le sou.
Cette notion d’innovation frugale trouve d’ailleurs son origine dans les pays émergents, contraints de rivaliser de créativité pour trouver leur place sur de grands marchés, et plus particulièrement l’Inde. Il découle du mot familier jugaad, signifiant « détournement » en tamoul, et souvent assimilé au fait d’être créatif ou ingénieux.
Paiement par mobile M-Pesa
L’entrepreneur franco-américain Navi Radjou, né à Pondichéry (Inde), a théorisé l’innovation frugale au début des années 2010, s’appuyant sur le concept de jugaad. Il met en avant que le produit ou la solution organisationnelle « frugale » doit répondre à un besoin aussi simple que l’énergie, l’éducation ou la santé, en agissant sur la chaîne de valeur existante pour l’adapter au public visé.
Par exemple, en développant le système de paiement par mobile M-Pesa via un téléphone basique, qui a permis à des millions d’Africains d’accéder à certains services bancaires, en alternative au dernier smartphone et ses 1 754 fonctionnalités qui leur étaient financièrement inaccessibles.
Le produit frugal peut être construit à travers la réutilisation de matériaux : c’est le cas par exemple du Jerry Do-It-Together, un ordinateur fabriqué avec des composants informatiques de réemploi, assemblés dans un bidon de vingt litres, qui visait à réduire la fracture numérique en Afrique notamment. En France, durant le Covid-19, on peut citer le « détournement » de masques de plongée Decathlon, reconvertis en respirateurs pour les hôpitaux. Cette idée ne sort pas de nulle part : depuis 2016, le géant du sport en France possède une équipe projet qui se consacre à l’innovation frugale et au jugaad, pour répondre à sa volonté de proposer des produits basiques pouvant toucher le plus grand nombre.
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Fini les formations gratuites ? Pour réduire le coût pour les finances publiques du compte personnel de formation (CPF), le gouvernement veut instaurer un « reste à charge » pour le salarié qui en bénéficie. Un amendement au projet de loi de finances a été déposé samedi 10 décembre par l’exécutif.
Le texte précise que « la participation [du salarié] peut être proportionnelle au coût de la formation dans la limite d’un plafond ou fixée à une somme forfaitaire », et sera demandée à tous les titulaires de compte, hormis les demandeurs d’emploi.
Les conditions plus détaillées, notamment la possibilité de faire financer ce reste à charge par un tiers, seront fixées par décret.
Le CPF a remplacé le droit individuel à la formation, et se présente depuis novembre 2019 sous forme d’un crédit en euros, permettant de souscrire facilement à des offres par le biais d’une plate-forme en ligne. Selon le gouvernement, il a généré depuis son ouverture cinq millions d’inscriptions pour un coût de 6,7 milliards d’euros. Mais les pouvoirs publics s’inquiètent de leur bon usage et souhaitent que « les formations s’inscrivent dans un projet professionnel solide ».
Le dispositif a généré de nombreuses escroqueries : arnaques, ventes forcées ou formations de piètre qualité. Pour renforcer la sécurité et éviter les fraudes, le CPF a été rattaché au service d’authentification FranceConnect+ depuis fin octobre. Le Sénat a définitivement adopté jeudi une proposition de loi déjà votée à l’Assemblée nationale pour interdire le démarchage commercial d’un titulaire de CPF, espérant tarir le flux de sollicitations subi par les particuliers.
L’amendement sur le CPF devrait être voté par le Parlement ce week-end, selonLe Parisien. Le projet de loi de finances pour 2023 a fait l’objet d’une huitième procédure de 49.3 à l’Assemblée nationale jeudi 8 décembre. En réaction, La France insoumise a déposé une motion de censure contre le gouvernement qui doit être examinée dimanche en séance publique.
« Nous n’avons pas vraiment besoin de ça… » L’ambiance était à la consternation, vendredi 9 décembre, lorsque la rédaction de La Provence a pris connaissance d’une enquête du site d’information Marsactu, rapportant une série de témoignages mettant en cause le futur directeur de la rédaction du journal marseillais. Officiellement nommé le 5 décembre, David Blanchard, rédacteur en chef du quotidien gratuit 20 Minutes jusqu’à sa démission la semaine dernière, devait prendre ses fonctions le 16 janvier 2023. Selon nos informations, son recrutement n’aura finalement pas lieu. La direction de La Provence, qui n’a pas encore communiqué officiellement, a jugé les témoignages suffisamment précis pour décider de ne pas donner suite à l’embauche de son nouveau patron des rédactions.
Dans cet article, le journaliste est notamment accusé par trois anciennes collaboratrices de harcèlement moral au travail et, pour deux d’entre elles, de « comportements inappropriés » au cours de soirées arrosées. L’une de ces trois témoins a alerté les syndicats du journal marseillais à l’annonce de la nomination de David Blanchard. « Cet homme, il faut l’empêcher de nuire », explique-t-elle à Marsactu, après avoir raconté le « long travail de sape » que son supérieur hiérarchique lui aurait fait subir, jusqu’à la pousser à quitter le journal. D’autres anciens collaborateurs évoquent également un « management toxique », des « brimades » et « vexations » qui les auraient, eux aussi, poussés à la démission.
« Le SNJ La Provence a mené son enquête et recueilli une série de témoignages, anonymes ou à visage découvert, qui corroborent ces accusations », a confirmé le syndicat dans un tract envoyé vendredi en début de soirée aux salariés, réclamant à la direction du journal « une réponse rapide et à la hauteur de cette situation intenable ». « Les équipes se disent consternées et s’inquiètent de l’impossibilité de bâtir un projet dans ces circonstances », poursuit le texte. Une position que la direction du journal a rapidement partagée, annonçant à certains membres de la rédaction sa décision de ne pas donner suite au recrutement de David Blanchard. « Il y a eu action-réaction », se félicite un responsable syndical du journal.
« Je ne doute pas ne pas avoir fait l’unanimité »
« Vu le ton du papier, à charge, je comprends la réaction des syndicats, réagissait vendredi soir David Blanchard, qui conteste fermement l’ensemble des faits (qui remontent à 2015 pour les principaux), et la façon dont ils sont présentés. Je suis désolé pour Rodolphe Saadé[le patron de la CMA-CGM, propriétaire de La Provence] et tous ceux qui ont participé à mon recrutement, mais je trouve cela profondément injuste. » Si son comportement avait été si répréhensible, argue-t-il, 20 Minutes ne l’aurait pas gardé en poste. « Je ne doute pas de ne pas avoir fait l’unanimité, et je ne dis pas que mon management a été parfait, poursuit-il. Mais il s’agit de 3 témoignages sur 200 personnes, aucun n’est pénalement répréhensible, et les faits ne sont pas étayés. » Il réfléchit à l’éventualité de porter plainte pour diffamation.
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« On s’attendait à quelque chose, on s’inquiétait, et puis voilà : 45 départs, dont 26 journalistes. » Le comité social et économique (CSE) extraordinaire qui s’est tenu le 8 décembre à Midi Libre (Groupe Midi libre, propriété du Groupe La Dépêche depuis 2015) a confirmé les inquiétudes de la déléguée SNJ, Cathy Rocher, ainsi que celles de tout le quotidien régional aux 14 éditions, basé à Montpellier (Hérault). « Crise de la filière » aggravée par « deux années de Covid et le déclenchement de la guerre en Ukraine », régression de la diffusion et de la publicité, « transition numérique plus longue qu’attendue », « hausse des matières premières »… dans le long mail adressé dans la soirée aux salariés, le directeur général Jean-Benoît Baylet a répété l’inventaire des « éléments de contexte » qui l’ont convaincu de lancer ce plan de départs volontaires.
« En un an, le prix du papier a augmenté de 135 %, l’énergie de 190 %, l’aluminium de 50 %, et le carburant dans les proportions que nous connaissons tous », a détaillé le fils de l’ancien ministre et patron de La Dépêche, Jean-Michel Baylet, annonçant la couleur – sombre – des perspectives qui attendent Midi Libre. Le résultat économique sera « déficitaire à hauteur de 1,6 million d’euros» à la fin de l’année, et de 2,8 millions en 2023. Outre les 26 journalistes sur 120 équivalents temps plein (ETP) à la rédaction, selon Cathy Rocher, l’emploi de 9 secrétaires est menacé, ainsi qu’une dizaine d’employés aux services généraux, à la logistique, la promotion, etc. L’effectif total s’élevait à 246 ETP à la fin de 2021.
Pour certains délégués syndicaux, la casse sociale pourrait être amortie si la négociation sur les conditions de départ se déroule correctement, en jouant sur la pyramide des âges. Pour d’autres, c’est la situation qui prévaudra une fois la réduction des effectifs opérée qui suscite des craintes. Lors d’une assemblée générale organisée en catastrophe en début de soirée, jeudi 8 décembre, à laquelle plus de 80 salariés ont assisté, « il y avait une part d’abattement, une part de sidération, mais de la colère aussi, devant le plan de réorganisation proposé », assure ainsi Guy Trubuil, le secrétaire du CSE. Car pour l’élu SNJ – syndicat majoritaire à Midi Libre –, « notre inquiétude va à ceux qui vont rester ».
Inquiétude sur la charge de travail à venir
Selon les premières projections, la locale de Nîmes pourrait ainsi passer de 15 journalistes à 8, celle de Montpellier de 11 à 8, celle d’Alès de 6 à 4, et ainsi de suite. Si la pagination devrait, en conséquence, être réduite, l’animation du site Internet ne devrait pas permettre de diminuer la charge de travail. « C’est tellement décourageant qu’on s’est demandé si ce plan n’a pas été pensé pour susciter davantage de candidats au départ qu’annoncé », suggère M. Trubuil. En décembre 2021, un rapport d’expertise réalisé par le cabinet Syndex sur le projet « Web first » (en cours depuis mi-2021, et non remis en cause par le CSE) avait « alerté sur la nécessité de moyens additionnels pour la réalisation du travail, en santé et en sécurité ».
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Professeur assistant à Montpellier Business School (MBS), Thomas Simon a soutenu en juin une thèse de gestion consacrée à la manière dont les jeunes diplômés réagissent à « l’absurdité » en entreprise. Outre des entretiens approfondis menés auprès de jeunes âgés de 24 ans à 30 ans, diplômés de grandes écoles de commerce et d’ingénieurs en poste depuis cinq ans maximum, le chercheur s’est appuyé sur un récit de voyage en Afrique de l’écrivain Michel Leiris pour rendre compte des désillusions de ces jeunes, perdus en plein « désert » organisationnel et managérial.
Pourquoi avoir choisi de travailler sur ce thème de l’absurdité ?
D’abord pour des raisons autobiographiques ; j’ai 30 ans, je suis moi-même diplômé d’une école de commerce, où j’ai suivi des cours totalement nébuleux. Dans mon environnement proche, beaucoup de jeunes actifs ont été gagnés par un sentiment d’absurdité en arrivant en entreprise, que ce soit à cause de réunions inutiles, d’ordres contradictoires venant de la hiérarchie ou d’objectifs impossibles à atteindre. La recherche en management donne des clés pour aider les entreprises à mieux fonctionner, mais il y a également un courant plus critique, celui des Critical Management Studies [CMS], qui permet de prendre du recul, dans le sillage du travail de l’anthropologue David Graeber sur les bullshit jobs.
Vous parlez d’une désillusion qui commence avant même l’entreprise, dès l’entrée dans les grandes écoles…
Surstimulés en classes préparatoires, les étudiants que j’ai interrogés se heurtent ensuite à un double fossé, de la prépa à l’école, puis de l’école à l’entreprise. Ils sont déçus par leurs cours mais pensent que ça ira mieux une fois qu’ils seront insérés dans le monde professionnel et immergés dans la « vraie vie » des adultes.
« Les jeunes s’imaginent qu’ils deviendront des aventuriers de l’entreprise, chargés de missions exaltantes »
Les écoles alimentent un discours grandiloquent sur les postes qu’ils occuperont après leur formation, et les jeunes s’imaginent qu’ils deviendront des aventuriers de l’entreprise, chargés de missions exaltantes avec une dimension internationale. Or ils vivent bien souvent une nouvelle désillusion, parce que l’écart entre ce qu’on leur a promis en entretien et le travail concret une fois en poste est immense.
Votre constat va au-delà de l’ennui au travail : certains jeunes évoquent de véritables injustices, voire des mensonges encouragés par leur hiérarchie…
Pour certains, il se produit un événement datable, à partir duquel ils atteignent la limite de ce qui est tolérable. Une jeune diplômée à laquelle on a interdit d’assister à la soutenance de thèse de sa sœur une après-midi, une autre qui, après un AVC, s’est retrouvée comme une inconnue au milieu de ses collègues à son retour… Certains ont dû mentir sur leur profil LinkedIn et ajouter des expériences sur leur CV, pour justifier les tarifs d’entreprises de conseil qui vendent à leurs clients des prestations de jeunes consultants en réalité inexpérimentés.
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« Aujourd’hui, soyons lucides, est-ce qu’on pense sincèrement que la restauration, les travaux agricoles et beaucoup d’autres secteurs tournent sans immigration ? (…) La réponse est non ! », a affirmé Emmanuel Macron au Parisien, alors qu’il était interrogé sur le futur projet de loi immigration, qui doit être présenté par le gouvernement début 2023 et qui a fait l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale, mardi 6 décembre.
Les travailleurs immigrés sont surreprésentés dans certains secteurs d’activité. Ainsi, près de quatre employés de maison sur dix (38,8 %) sont issus de l’immigration, d’après la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares, qui dépend du ministère du travail), une proportion quatre fois plus élevée que la part des immigrés dans la population en France, estimée à 10,3 %.
Dans l’ensemble de la population active, le taux d’emploi des immigrés est inférieur à celui des non-immigrés (56,1 % contre 65,8 %). Pourtant, parmi les 87 familles d’activité professionnelles (FAP) distinguées par la Dares, plus d’un tiers (35) emploie une proportion d’immigrés supérieure à la moyenne.
Outre les employés de maison, les immigrés sont surreprésentés dans le bâtiment, les travaux publics, la sécurité ou l’hôtellerie-restauration. Principalement, il s’agit d’emplois peu qualifiés ou d’ouvriers qualifiés et non qualifiés. Mais on trouve aussi des cadres et artisans dans des secteurs en tension. Plus anecdotique, le nombre d’immigrés dans la catégorie des « professionnels de la politique et du clergé » est aussi supérieur à la moyenne, en raison d’une forte proportion de religieux étrangers.
L’importance des travailleurs immigrés dans l’économie est encore plus nette en Ile-de-France, où ils représentent 22,1 % de la population active (1,25 million de personnes en 2018), et même jusqu’à 37 % dans le département de la Seine-Saint-Denis, selon une étude de l’Insee. Ce taux est bien supérieur aux autres régions métropolitaines, où il oscille entre 4 % en Bretagne et 11,7 % en Corse.
Dans la région Ile-de-France, douze métiers sont occupés par des immigrés à plus de 39 %, dans des secteurs d’activités comparables à la situation nationale : métiers de services, de la sécurité et du bâtiment.
Comme le rappelle l’étude de l’Insee, ces professions se définissent par un « niveau de qualification plutôt faible, (…) des conditions de travail plus contraignantes que la moyenne, avec des efforts physiques nombreux, des tâches répétitives dans le travail ainsi que des horaires décalés (tardifs, décalés ou morcelés). (…) La tension de recrutement est source d’enjeux d’autant plus forts qu’il s’agit, pour partie, de métiers-clés, dits “essentiels” pour le bon fonctionnement d’un territoire. Certains ont même été en “première ligne” lors de la crise sanitaire. »
« En moyenne, les actifs immigrés sont moins diplômés que les actifs non immigrés. Les métiers les plus contraignants ont une probabilité plus grande d’être occupés par des actifs moins diplômés », résume Mustapha Touahir, responsable de l’étude et chef du service des études de l’Insee Ile-de-France, interrogé par Le Monde.
Les métiers en tension et les conditions de travail contraignantes
D’après l’étude de la Dares, deux facteurs principaux expliquent la présence accrue d’immigrés dans des secteurs spécifiques : la pénibilité du travail et la tension sur le recrutement. Lorsqu’un métier est « en tension » (ce qui est défini par la Dares comme « un excès de demande de travail »), des facilités peuvent être utilisées par les employeurs pour pallier le manque d’effectif en se tournant vers des immigrés. Une liste est établie dans un arrêté d’avril 2021, qui sera révisée « début 2023 », selon le ministre du travail, Olivier Dussopt.
Quant aux métiers aux conditions d’exercice contraignantes, « la population non-immigrée est réticente à [y] travailler », explique au Monde Odile Rouhban, chargée d’études au sein de la cellule Statistiques et études sur l’immigration de l’Insee. Sur les trente-cinq familles professionnelles dans lesquelles les immigrés sont surreprésentés, six sont des professions exclusivement ouvrières, qui cumulent contraintes et tensions de recrutement supérieures à la moyenne.
Des métiers réservés aux Français ou aux citoyens de l’UE
A l’inverse, certaines familles professionnelles connaissent un taux de travailleurs immigrés plus faible que la moyenne. C’est le cas dans la fonction publique, où les postes de titulaires sont ouverts aux seuls citoyens européens et où « les étrangers non européens peuvent être recrutés en tant que contractuels », précise l’étude. Certains emplois publics (militaire, policier, etc.) sont même réservés aux seuls Français.
En y ajoutant des professions privées régies par des règles particulières (buraliste, huissier), des métiers nécessitant un diplôme français (médecins, dentistes, avocats) ou dans des entreprises publiques (Banque de France, Commissariat à l’énergie atomique), l’Observatoire des inégalités a calculé en 2019 que plus d’un emploi sur cinq était inaccessible aux non-ressortissants de l’Union européenne.
Au-delà des restrictions légales, les auteurs de l’étude de la Dares expliquent aussi la sous-représentation des travailleurs immigrés par plusieurs facteurs : « pratique de la langue française, équivalence des diplômes, logiques de recrutements, comportements discriminatoires des recruteurs ou des publics dans le cas des professions de contact ».
La nuit est encore noire en ce matin de la mi-novembre. Les réverbères éclairent des rues désertes. Ou presque. Derrière la mairie de Puteaux (Hauts-de-Seine), retentissent les éclats de voix des hommes et femmes de ménage des bâtiments municipaux. D’habitude, à 6 heures, leur journée à eux a déjà commencé. Mais ils sont en grève, depuis quatre jours déjà. Car Arc-en-ciel Ile-de-France ouest 2, le sous-traitant qui les emploie, a une semaine de retard sur le versement de leurs salaires.
« C’est pas gratuit le travail ! », lance une femme. « C’est au moins la troisième fois que ça arrive cette année. Un coup ils ont été piratés, un coup c’est un problème informatique… Y’a toujours une bonne raison ! Mais chaque virement rejeté sur mon compte me coûte 20 euros ! », s’inquiète un employé. « En plus, il manque toujours des heures dans la fiche de paie », déplore une autre. « Et certains font moins d’heures que le minimum autorisé! »,ajoute sa voisine. Ils sont une quarantaine d’hommes et de femmes, la plupart immigrés.
A quelques kilomètres, un autre piquet de grève sur le site Pierre-Mendès-France de l’université Paris-I, aussi appelé Tolbiac. Des agents de nettoyage au même profil. Travaillant pour Arc-en-ciel Environnement, autre filiale du même groupe, dans le cadre d’un marché public attribué par l’université.
Pas de salaire versé non plus. Des heures supplémentaires manqueraient également sur les fiches de paie (on parle d’heures « complémentaires » quand le salarié travaille à mi-temps), là aussi on prolongerait des CDD sans faire signer de contrat. C’est le licenciement pour « faute grave » de Sivamohana, agent de maîtrise de 59 ans, le 28 octobre, qui les a décidés à cesser le travail. Employée sur le site depuis cinq ans, tout dégénère, selon elle, lorsque Arc-en-ciel remporte le marché début 2021.
Dans le monde du nettoyage, quand une entreprise remporte un appel d’offres, la convention collective prévoit qu’elle reprenne les salariés de la société sortante, déjà présents sur le site. Ces travailleurs sont ainsi habitués à changer d’employeur tous les trois ou quatre ans. Et à comparer les pratiques.
Main courante pour harcèlement
« Arc-en-ciel fait beaucoup de bêtises… glisse une employée à Puteaux. Les sociétés qu’on avait avantétaient plus correctes. » A Tolbiac, Sivamohana estime qu’elle a payé pour son opposition à un projet de réduction de l’équipe du soir (18 heures-22 heures) de douze à neuf personnes.
« Pour moi, c’était impossible de faire le travail demandé à trois de moins. A partir de là, ils n’ont cessé de créer des problèmes, en changeant mes horaires par exemple. Je finissais le vendredi à 22 heures et devais revenir le samedi à 6 heures. Même pas le temps de repos légal ! » Elle dit avoir déposé une main courante pour harcèlement en juillet. Arc-en-ciel lui a annoncé à la rentrée sa mutation sur un autre site. Ce que Sivamohana a refusé. Son licenciement pour « faute grave » a suivi.
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