Archive dans 2022

Les salariés de Worldline, leader du paiement en ligne, en grève pour le « Black Friday »

Les salariés de Worldline le reconnaissent volontiers : « la culture de la grève » n’est pas dans leur « ADN ». Mais dans cette entreprise du CAC 40 comme ailleurs, l’inflation a réveillé la mobilisation collective. Pour la première fois depuis douze ans, la société spécialisée dans le paiement en ligne a connu six demi-journées de grève, cet automne, pour protester contre les propositions d’augmentations de salaire, jugées très en deçà des attentes, lors des négociations annuelles obligatoires anticipées pour 2023.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés En 2022, les salaires augmenteront moins vite que l’inflation

A savoir, 0,58 % d’augmentation générale, 3,57 % pour les augmentations individuelles et promotions. Quand l’inflation a atteint 6,2 % sur un an, et que le groupe se porte bien, avec un résultat brut d’exploitation en hausse de 25 % en 2021. « Franchement, 0,58 %, dans une boîte qui marche comme la nôtre, c’est se moquer de nous », s’indignaient des grévistes au pied de l’entreprise, à la Défense, à Puteaux, le 8 novembre.

Tout en affirmant avoir écouté « attentivement » les revendications des syndicats, la direction de Worldline explique au Monde, par écrit, devoir garder « à l’esprit qu’elle doit aussi garantir tout le reste des équilibres économiques de l’entreprise dans le contexte macroéconomique actuel incertain ». L’intersyndicale CFTC-CFDT-FO-CGT-CFE-CGC a lancé deux nouveaux appels à la grève, pour le « Black Friday », vendredi 25 novembre, et le « Cyber Monday », lundi 28 novembre, deux journées de soldes durant lesquelles l’activité explose sur les plates-formes de paiement.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « L’ensemble des salaires doit évoluer au rythme de la hausse générale des prix, au moins jusqu’à fin 2023 »

1 050 signatures

Tout est automatisé, mais les grévistes préviennent qu’ils ne seront pas là pour rétablir le service en cas d’incident. Lors de la dernière grève, le 8 novembre, l’intersyndicale a compté près de 400 participants aux assemblées générales, sur 4 000 salariés en France (et 18 000 dans le monde). En outre, 1 050 d’entre eux ont signé la pétition qui rassemble leurs revendications. Soit un quart de l’effectif.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Négociations salariales : on n’est pas tous égaux devant l’inflation

Ils demandent 150 euros brut d’augmentation par mois pour tous (contre entre 10 euros et 70 euros, proposés par la direction en deux fois, d’ici à juillet 2023) pour « couvrir l’inflation galopante », et 2 500 euros d’intéressement, pour une « plus juste redistribution de la marge réalisée par l’entreprise ». En juin, c’est le rejet commun d’un accord d’intéressement jugé « incohérent » qui a soudé l’intersyndicale. Aujourd’hui, la direction propose une « prime de partage de la valeur » de 1 600 à 2 000 euros, qu’elle conditionne à l’amélioration de la marge du groupe.

Il vous reste 63.02% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Les visages de l’Etat social » : aux origines des assistantes sociales

Les années 1920 voient naître, en France, les premiers services sociaux. Portés majoritairement par des initiatives privées, ils doivent « moderniser les méthodes de la charité ». Leurs initiateurs nourrissent de grandes ambitions : « La réponse aux maux des classes populaires doit passer, selon eux, par un accompagnement individuel des familles en difficulté », afin de « redresser moralement » les milieux ouvriers touchés.

Une figure va incarner ce renouveau de l’action sociale dans l’entre-deux-guerres : l’assistante sociale. C’est à elle, et aux relations avec les Français suivis par leurs services, que Lola Zappi consacre un ouvrage, Les Visages de l’Etat social (Les Presses de Sciences Po). Maîtresse de conférences à l’université Paris-I, l’historienne décrit avec minutie le travail de ces femmes issues de la bourgeoisie, « nouvelles actrices institutionnelles », qui s’invitent dans l’intimité des familles des milieux populaires.

Elles forment un « petit contingent », mais en augmentation constante : « Limitées à des promotions de quelques dizaines d’étudiantes par an dans les années 1920, elles sont désormais quelque 1 500 à exercer dans la région parisienne [dans les années 1930] », indique l’autrice. Ce sont, pour l’essentiel, « des jeunes filles de bonne famille soucieuses d’“aller au peuple” », « le métier auquel elles aspirent les enjoi[gnant] à une “mission” sociale proche de la mission religieuse ». Chez cette nouvelle catégorie de travailleuses, la volonté d’améliorer les conditions de vie des milieux populaires se mêle à une ambition de « rééducation morale » des familles.

C’est un métier dur, à bien des égards – l’étude du service social de l’enfance est une plongée concrète dans le quotidien des assistantes. Elles connaissent la « pénibilité physique du travail de terrain », notamment lors des enquêtes qu’elles doivent mener auprès des familles et de leur entourage. Une pénibilité physique qui peut être mêlée à une douleur morale : le « face-à-face avec la misère confronte les assistantes sociales à l’une des limites de leur métier : l’impossibilité, dans certains cas, d’espérer à leur seule échelle pouvoir la résoudre ».

Diplôme en 1932

Dans le même temps, le métier est, pour les jeunes femmes souhaitant devenir travailleuses sociales, une voie ouverte vers l’indépendance. Il leur permet de gagner leur vie et, pour certaines, de s’émanciper de leur milieu familial. Une médaille qui peut avoir son revers : « Leurs journées de travail harassantes leur laissent peu de temps pour mener une vie personnelle, notamment une vie de famille. » Concilier ce métier et une vie de couple et, plus encore, une maternité, n’est pas chose aisée, ce qui amène certaines professionnelles à renoncer à leur activité.

Il vous reste 27.49% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Nouvelle fronde chez Plon contre les méthodes de management de Lise Boëll

Le comité social et économique (CSE) de Place des éditeurs, entité d’Editis (Vivendi) s’est saisi, mardi 15 novembre, de son droit d’alerte en cas d’atteinte aux droits des personnes après le placement en arrêt de travail de deux salariés, confirmant une information parue mardi 22 novembre dans La Lettre A. Cette procédure vise une nouvelle fois les méthodes de management de Lise Boëll, la codirectrice de Plon.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Les inconnues de la mise en vente d’Editis par Vivendi

Voici tout juste un an, la nomination de cette éditrice d’Eric Zemmour et de Philippe de Villiers, venue d’Albin Michel à la direction de Plon avait provoqué un sérieux malaise dans les équipes de la maison d’édition. Elle avait, chose rare, imposé deux de ses adjoints – Estelle Cerutti et Mickaël Palvin – eux aussi venus d’Albin Michel. L’ancienne directrice générale de Plon, Céline Thoulouze, qui ne souhaitait pas travailler avec elle, s’était mise en retrait et, en attendant de prendre les rênes de Nil, une autre filiale d’Editis, avait été rétrogradée au poste de directrice générale adjointe chargée de la fiction de Plon.

Lire notre enquête : Article réservé à nos abonnés Comment Vincent Bolloré mobilise son empire médiatique pour peser sur la présidentielle

Les méthodes de management de Lise Boëll et de ses adjoints tout comme leur défense d’auteurs d’extrême droite ont suscité de forts clivages. Auto-édité, le dernier ouvrage d’Eric Zemmour qui a bénéficié d’un extraordinaire tremplin médiatique grâce aux chaînes de télévision de Vincent Bolloré, a été distribué par Editis. Pour la majorité des salariés de Plon qui, par le passé a publié Claude Lévi-Strauss ou Jean Malaurie, la greffe n’a pas pris. Une première enquête indépendante a alors été diligentée par le CSE d’Editis sur le management dans l’entreprise. Lise Boëll et Estelle Cerutti ont alors été priées de télétravailler pendant la durée de cette enquête. Ses conclusions révélées par oral aux salariés ont évoqué des dysfonctionnements, une perte de confiance des salariés, une direction humiliante et agressive. A tel point qu’il a été demandé à Lise Boëll et Estelle Cerutti de ne plus travailler avec les anciennes équipes.

Lire aussi Albin Michel décide de ne plus éditer les livres d’Eric Zemmour

Bicéphale

Dans le même temps, Mickaël Palvin, directeur général adjoint de Plon a été mis à pied avant d’être licencié lorsque la direction d’Editis a découvert qu’il avait été remercié de son précédent poste chez Albin Michel pour harcèlement moral, en février 2021 (Le Monde du 10 décembre 2021).

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Edition : la direction de Plon sur la sellette

Parallèlement, Michèle Benbunan, directrice générale d’Editis, a réinvesti Céline Thoulouze dans ses anciennes fonctions de directrice générale de Plon. Cette maison d’édition est depuis la seule de la place parisienne à être bicéphale. Une détestation non feinte oppose les deux équipes. Celles de Lise Boëll sont installées dans le 6e arrondissement de Paris, celles de Céline Thoulouze au siège d’Editis dans le 13e. Chacune travaille avec ses auteurs, ses équipes d’une douzaine de salariés et prévoit ses propres rentrées littéraires. Une guerre inédite dans l’édition qui se joue par exemple dans la déprogrammation des posts sur Instagram de « Plon B » et de « Plon Historique ».

Il vous reste 38.36% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Le harcèlement au travail n’épargne pas la fonction publique

Dans la police, à la RATP, dans les mairies et jusqu’aux plus hauts grades de l’Etat : aucun versant de la fonction publique ne semble épargné par le problème du harcèlement au travail. Mais ce sont les agents de la fonction publique territoriale qui sont les plus exposés à ce fléau, nous apprend une enquête de Qualisocial.

A l’occasion du Salon des maires et des collectivités locales, organisé du 22 au 24 novembre à Paris, ce cabinet de conseil spécialisé dans la santé au travail a dévoilé les résultats dédiés au secteur public de sa grande enquête sur le harcèlement au travail, réalisée en septembre avec Ipsos auprès d’un échantillon représentatif de 2 000 actifs travaillant dans une structure privée ou publique d’au moins cinq personnes. Parmi ceux-ci, 482 travaillent dans le public (fonction publique, établissement public ou entreprise publique).

Un agent sur trois victime de harcèlement

Tous versants confondus (fonction publique d’Etat, territoriale et hospitalière), pas moins d’un agent sur trois interrogé dans le cadre de ce baromètre dit avoir été victime de harcèlement au travail. Une proportion importante, mais qui s’avère similaire à celle des salariés du secteur privé interrogés dans l’autre volet de l’enquête. Propos humiliants, mises au placard, critiques incessantes… 70 % des situations conflictuelles évoquées par les agents ont trait à du harcèlement moral.

Davantage que leurs pairs, les agents de la fonction publique territoriale semblent victimes de rabaissements ou d’humiliations : 40 % des agents territoriaux déclarent avoir déjà été confrontés à une situation de harcèlement au travail, contre 28 % dans la fonction publique d’Etat et 27 % dans la fonction publique hospitalière. Au vu du faible nombre de fonctionnaires interrogés dans le cadre de ce baromètre, ces résultats sont à interpréter avec précaution. Toutefois, l’écart entre les réponses au niveau des trois versants de la fonction publique semble suffisamment significatif pour qu’on puisse y voir une exposition accrue des agents de la fonction publique territoriale.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés La fonction publique à l’heure de la transformation managériale

« Les agents territoriaux sont aussi deux fois plus nombreux [20 %] à déclarer avoir été confrontés plusieurs fois à des situations de harcèlement, en tant que victimes ou témoins, que les agents de la fonction publique d’Etat et ceux de la fonction publique hospitalière [respectivement 10 % et 8 %], ajoute Camy Puech, directeur général de Qualisocal. Sur tous les chiffres, on voit que la fonction publique territoriale est plus exposée. »

Il vous reste 34.25% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Les entreprises européennes devront passer au crible l’ensemble des activités de leurs sous-traitants et des sous-traitants de leurs sous-traitants »

Alors que le déroulement de la Coupe du monde de football au Qatar suscite d’intenses polémiques, que les conditions de travail inhumaines faites aux ouvriers sur des chantiers de construction des stades sont pointées du doigt, l’heure est en Europe à un renforcement des règles. Les grandes entreprises européennes – et donc françaises – vont bientôt devoir rendre compte publiquement du respect des droits humains et de l’environnement, non seulement en leur sein, mais tout au long de leurs chaînes mondiales d’approvisionnement.

Plus précisément, si la directive sur le « devoir de vigilance », en cours de discussion au Parlement européen est adoptée, ces entreprises devront passer au crible l’ensemble des activités de leurs sous-traitants et des sous-traitants de leurs sous-traitants, avec des procédures d’alerte permettant que les pratiques prohibées comme le travail forcé soient dénoncées et stoppées, y compris dans les plus petits ateliers sans visibilité en toute fin de chaîne.

La France s’était déjà engagée sur cette voie avec une loi votée en 2017. Mais le texte européen va beaucoup plus loin. Seules 265 compagnies hexagonales sont aujourd’hui concernées par la loi de 2017. La directive s’appliquera à 17 000 sociétés. Les exigences seront aussi beaucoup plus fortes. Il s’agissait d’analyser les pratiques des fournisseurs directs, il va falloir désormais étudier celles de l’ensemble des sous-traitants.

0,6 % de leur chiffre d’affaires annuel

Pour les dirigeants des entreprises, ce projet de directive constitue un défi. Au cours de la phase de consultation, plusieurs organisations patronales ont exprimé leurs inquiétudes, concernant notamment la charge administrative et la perte de compétitivité pouvant en résulter.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Les ambitions contrariées de la directive européenne sur le devoir de vigilance

Pourtant, le Handelsblatt Research Institute, en Allemagne, a estimé que le « devoir de vigilance » allait leur coûter seulement 0,6 % de leur chiffre d’affaires annuel. Le fait que toutes les entreprises agissant dans l’Union européenne subissent la même réglementation réduit les désavantages concurrentiels. Et cette réglementation va avoir l’avantage d’atténuer les risques de réputation, si vitaux pour les entreprises dans une période où les consommateurs sont de plus en plus préoccupés par la question du respect des droits humains.

En réalité, cette directive peut constituer, pour les compagnies européennes, une véritable opportunité de se distinguer vis-à-vis de leurs concurrentes d’autres continents, à condition que ces compagnies se mobilisent dès à présent. Il s’agit d’abord d’améliorer la transparence des chaînes d’approvisionnement. Une enquête McKinsey de 2022 a révélé que seules 17 % des entreprises ont aujourd’hui une visibilité au-delà des premiers deux niveaux de sous-traitance.

Il vous reste 50.42% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Assurance-chômage : une réforme discutable

Le projet de réforme de l’assurance-chômage, dont les détails ont été présentés aux partenaires sociaux, lundi 21 novembre, par le ministre du travail, Olivier Dussopt, vise à faire varier la durée d’indemnisation selon l’orientation du marché du travail. Lorsque le chômage baisse, les conditions se durcissent, quand il remonte sensiblement, elles s’allègent.

Si l’effet de balancier peut paraître logique, ses modalités sont discutables et son efficacité à moyen terme n’est pas garantie.

Le gouvernement a décidé de réduire d’un quart la durée d’indemnisation pour tous les demandeurs d’emploi dont les droits s’ouvriront à partir du 1er février. Au-dessus d’un taux de chômage de 9 % (7,3 % actuellement) ou dans le cas d’une brusque détérioration supérieure ou égale à 0,8 point sur un trimestre, le barème redeviendra celui qui est appliqué aujourd’hui. En revanche, le durcissement entrera en vigueur automatiquement sous ces seuils.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Assurance-chômage : la durée d’indemnisation baissera de 25 % au 1er février

La volonté de réformer le marché du travail est alimentée par deux frustrations. La première : malgré une nette amélioration depuis cinq ans, le taux de chômage en France reste deux fois plus élevé que celui qui est constaté en Allemagne, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni. La seconde : malgré plus de trois millions de demandeurs d’emploi, 360 000 postes restent non pourvus.

Le raisonnement selon lequel l’instauration d’un régime d’indemnisation plus sévère conduirait mécaniquement à réduire les tensions sur le marché du travail peut sembler cohérent. Sa limite est qu’il ne s’appuie sur aucune étude sérieuse et détaillée pour démontrer que le nombre d’emplois non pourvus est corrélé au degré de générosité du système d’allocation-chômage.

Des facteurs nombreux

Les raisons pour lesquelles les offres d’emploi ne trouvent pas preneurs relèvent de nombreux facteurs. Elles peuvent tenir à l’inadéquation entre les compétences requises et le niveau de formation des chercheurs d’emploi, à des conditions de travail insuffisamment attractives, à des contraintes géographiques ou familiales.

Il ne s’agit pas de nier que des personnes peuvent choisir de continuer à être indemnisées au lieu d’accepter une offre disponible. Mais il est difficile d’en faire une généralité et surtout d’en faire la solution unique au problème des difficultés de recrutement dans certains secteurs. D’autres pays, qui disposent de systèmes avec des durées d’indemnisation plus courtes, connaissent les mêmes tensions pour embaucher. L’autre question est de savoir s’il est équitable de durcir les conditions d’indemnisation à partir de chiffres du chômage nationaux, alors que la capacité et la rapidité à retrouver un emploi dépendent étroitement de la situation spécifique de chaque bassin d’emploi.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Les demandeurs d’emploi doivent faire face à des sanctions plus musclées : radiations, suppressions d’allocations…

Cette réforme suscite, à juste titre, l’inquiétude des syndicats. Mais son efficacité ne pourra être jugée que dans le cadre plus global de la politique menée actuellement pour tenter d’en finir avec le chômage de masse. Beaucoup de leviers sont simultanément activés : réforme du lycée professionnel, développement de l’apprentissage et de la formation tout au long de la vie, gestion des fins de carrière, amélioration des capacités d’accompagnement de Pôle emploi…

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Après une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, les syndicats dénoncent une remise en cause du paritarisme

Si ces mesures ont le mérite de la cohérence, leurs effets sur le marché de l’emploi risquent d’être bousculés par le ralentissement de la croissance qui menace. Or la justification d’un recul sur des acquis sociaux ne peut tenir que si les résultats sur le front de l’emploi sont très nets en fin de quinquennat. Le pari n’est pas gagné.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Après une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, les syndicats dénoncent une remise en cause du paritarisme

Le Monde

Assurance-chômage : les syndicats dénoncent une remise en cause du paritarisme

Le ministre du travail, Olivier Dussopt (au centre), lors d’une réunion avec les syndicats sur la nouvelle réforme de l’assurance-chômage, au ministère du travail, à Paris, le 21 novembre 2022.

Les partenaires sociaux vont-ils rester sur le siège passager ou reprendre le volant ? Alors que le gouvernement a présenté, lundi 21 novembre, une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, les syndicats s’interrogent sur les marges de manœuvre – de plus en plus limitées – qu’ils détiennent, avec le patronat, au sein de ce dispositif. Ils craignent d’être relégués dans une position subalterne, face à l’Etat devenu quasi omnipotent.

En temps ordinaire, les organisations d’employeurs et de salariés fixent les paramètres d’indemnisation des chômeurs, dans le cadre de conventions conclues après négociations entre elles. Il leur appartient également d’administrer le système, par le biais d’une association : l’Unédic. C’est ce qu’on appelle le « paritarisme de gestion ». L’exécutif a, certes, toujours occupé une place aussi importante que discrète : pour que les conventions s’appliquent, le ministère du travail doit donner son agrément, ce qui lui permet d’« en contrôler le contenu et au besoin de jouer le rapport de force », décrypte Jean-Pascal Higelé, sociologue à l’université de Lorraine. En outre, les pouvoirs publics apportent leur garantie financière à l’Unédic quand celle-ci emprunte de l’argent pour combler des déficits.

Mais l’Etat a accentué son emprise au cours des dernières années. En 2019, il a durci les conditions d’accès au régime tout en modifiant les règles de calcul de l’allocation, avec comme conséquence une baisse du montant mensuel versé à certains chômeurs. De plus, une loi promulguée en septembre 2018 impose aux partenaires sociaux de suivre une lettre de cadrage quand ils discutent du contenu d’une convention.

« On passe du paritarisme au tripartisme »

La réforme dévoilée lundi par Olivier Dussopt, le ministre du travail, prolonge ce mouvement de fond. Concrétisant une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, elle aura notamment pour effet de diminuer de 25 % la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi dont le contrat de travail a pris fin à partir du 1er février 2023. M. Dussopt a précisé qu’il saisirait prochainement les organisations d’employeurs et de salariés, afin qu’elles négocient sur la « gouvernance » de l’assurance-chômage : « Ce sera l’occasion de réinterroger la place du paritarisme, la place de l’Etat, la place du Parlement [dans le système] », a-t-il dit.

Le ministre a aussi indiqué que les syndicats et le patronat ouvriront, fin 2023, des tractations à propos des modalités d’indemnisation : ils « souhaitent retrouver leurs prérogatives, ce que nous partageons », a-t-il ajouté. Mais les protagonistes devront se conformer au principe de modulation, désormais inscrit dans la loi, qui fait varier la durée de versement de l’allocation en fonction de la conjoncture économique. M. Dussopt a même évoqué des scénarios avec des paramètres encore plus stricts dans l’hypothèse où le taux de chômage baisserait à « 4,5 % ou 5 % » (contre 7,3 % aujourd’hui).

Il vous reste 49.34% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Accidents du travail : une réalité persistante, témoin de la dégradation du travail

« Où est-ce que ça a dysfonctionné ? », se demande Franck Refouvelet, élu CGT Orange dans le Cantal. Le 15 octobre, un homme de 30 ans est mort électrocuté par une ligne à moyenne tension à Talizat (Cantal), alors qu’il travaillait sur une ligne téléphonique située juste en dessous.

Ce chantier se distingue par une incroyable situation de sous-traitance en cascade : Orange sous-traite les travaux à Eiffage, qui elle-même sous-traite à un sous-traitant, qui sous-traite à une entreprise du Val-d’Oise, d’où venait la victime. « On peut donc se poser des questions sur les conditions d’intervention de ces personnes. Je ne suis pas certain qu’on se rende compte des conditions de travail chez les sous-traitants d’Orange », insiste l’élu, qui met en évidence un accident mortel similaire survenu en février dans les Alpes-de-Haute-Provence.

Six cent quarante-cinq salariés du secteur privé sont décédés dans un accident du travail – survenu par le fait ou à l’occasion du travail – en 2021, pour moitié des suites d’un malaise, révèle le dernier bilan de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) publié jeudi 17 novembre. C’est moins qu’en 2019, mais plus qu’en 2017 ou 2018.

48,5 millions de jours d’arrêt

Après des décennies de progrès, les chiffres chutent moins vite depuis 2013 : la CNAM dénombre 604 565 accidents de travail dans l’année (31 accidents avec arrêt et/ou incapacité pour 1 000 salariés). C’est 12 % de plus qu’en 2020, 8 % de moins qu’en 2019 (656 000), et un niveau semblable à 2013 (618 850). La baisse entre 2019 et 2020/2021 est liée au recours au chômage partiel et au télétravail, précise la CNAM. Dans la construction, les transports ou l’agriculture, les accidents sont plus fréquents.

Autre facteur d’inquiétude, le taux de gravité des accidents est au plus haut depuis 2010 : 48,5 millions de jours d’arrêt ont été pris à la suite d’un accident du travail en 2021. Ce qui équivaut à plus de 200 000 salariés arrêtés toute l’année. Déjà considérables, ces chiffres ne concernent que les 19,5 millions de salariés du secteur privé.

La gravité des accidents affecte davantage les salariés âgés que les jeunes, mais moins fréquemment, selon une analyse du ministère du travail publiée en novembre. Les accidents graves et mortels touchent davantage les ouvriers, victimes de 1 813 accidents graves et 46 accidents mortels par milliard d’heures rémunérées en 2019, contre respectivement 259 et 10 pour les cadres.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Quel accident du travail pour le salarié en télétravail ?

Un véritable « fait social » pour la sociologue et enseignante-chercheuse à l’Ecole des hautes études en santé publique, Véronique Daubas-Letourneux : « Le travail reste dangereux, et le risque de se blesser au travail est très inégalement réparti. C’est le reflet d’une organisation du travail où perdurent les risques : le travail s’intensifie. »

Il vous reste 56.1% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Les « mad skills », ces compétences « folles » qu’on enseigne dans les grandes écoles d’ingénieurs

Oser montrer sa part de créativité et son sens critique : autant de compétences que les étudiants ont tout intérêt à acquérir, notamment par le biais du théâtre, avant de chercher du travail.

Exercices de création artistique, cours de théâtre, de photographie, de danse, de musique ou d’histoire de l’art, associations étudiantes de dessin, de couture, etc. : comme de nombreux étudiants en école d’ingénieurs, Lily Houël, 20 ans, a été quelque peu « surprise » quand elle a découvert en 2020 la pédagogie originale de l’Ecole de biologie industrielle (EBI). Outre les connaissances en biologie, en chimie, en mathématiques ou en physique durant la prépa, puis le génie industriel en cycle ingénieur, l’établissement a en effet choisi de développer la sensibilité artistique, l’originalité et la créativité débridée chez ses diplômés.

« Lorsqu’on nous donne par exemple dix minutes pour inventer et raconter devant nos camarades une histoire de notre choix avec une intrigue, un développement et un dénouement, on se dit, de prime abord, que c’est bizarre comme exercice en école d’ingénieurs, et qu’on ne va pas s’en sortir, illustre Lily Houël, mais en fait si : il en ressort des récits très originaux. » En plus d’apprendre à parler en public, « on se découvre soi-même grâce à cette approche, apprécie l’étudiante. On comprend qu’on peut se permettre de faire des choses un peu folles sans avoir un retour négatif, qu’on peut sortir des sentiers battus, assumer notre originalité, et surtout appliquer cela au travail ».

Attend-on désormais des jeunes futurs ingénieurs qu’ils sachent aussi « faire des choses un peu folles », comme elle dit ? Si elle ne connaissait pas le concept de mad skills avant qu’on ne lui en parle, expression à la mode désignant littéralement les compétences « folles » ou « atypiques » d’un employé ou d’un candidat à un poste, ces dernières seraient pourtant de plus en plus recherchées par les entreprises aujourd’hui. La Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) leur a même consacré une discussion lors de son colloque annuel, en juin, qui se penchait sur « les métiers et compétences d’avenir » à développer chez les futurs ingénieurs.

Regard issu des entreprises américaines de la tech

Alors que les hard skills désignent les compétences scientifiques et techniques attendues des recruteurs, ces derniers s’intéressent depuis une vingtaine d’années aux soft skills, soit le savoir-être et les compétences comportementales (communication, empathie, curiosité, etc.). Or « les mad skills sont comme les soft skills mais avec ce grain de folie en plus qui permet d’apporter un autre regard, plus décalé et global, sur les problématiques qui se présentent en contexte professionnel, d’imaginer des choses qui n’existent pas encore », commente Isabelle Patroix, docteure en littérature, responsable des serious games à Grenoble Ecole de management, et coautrice d’un récent article sur le sujet.

Il vous reste 67.99% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’UE adopte enfin sa directive pour féminiser davantage les conseils d’administration

Mieux vaut tard que jamais. Le Parlement européen a voté, mardi 22 novembre, en faveur de la directive sur l’équilibre hommes femmes parmi les administrateurs d’entreprises cotées de plus de 250 salariés. Les conseils d’administration de sociétés européennes devront compter au moins 40 % d’administratrices d’ici à la mi-2026. Cette proposition de directive avait été présentée en 2012, après l’adoption en France de la loi Copé-Zimmermann de janvier 2011, qui avait instauré de tels quotas.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Les femmes gagnent petit à petit leur place dans les instances dirigeantes des grandes entreprises

Il y a dix ans, la Commission relevait que les femmes n’occupaient que 13,7 % des sièges d’administrateurs dans les sociétés cotées. Depuis, une dizaine d’Etats membres de l’Union européenne (UE) ont pris des mesures contraignantes, à l’image de la France, ce qui a permis de porter ce taux à 30,6 % des « boards » sur le Vieux Continent.

« Dix-sept pays n’ont pas encore pris de mesures, calcule l’eurodéputée néerlandaise socialiste Lara Wolters, corapporteuse du texte. Et cela a été une très longue bataille pour convaincre ces Etats, mais également le Parlement, majoritairement conservateur, de soutenir cette politique progressiste. »

« Il était urgent de prendre enfin des mesures pour rectifier le déséquilibre entre les sexes aux postes de direction, tout en insistant sur le fait que le mérite devait rester un critère-clé dans les procédures de sélection des administrateurs », assure Geoffroy Didier. L’eurodéputé Les Républicains (Parti populaire européen) souligne les effets positifs de la loi en France, où plus de 45 % des postes d’administrateurs sont désormais occupés par des femmes – au-delà des objectifs que l’Europe vient de se donner. D’autres Etats sont encore loin du compte. A Chypre, ce taux plafonne toujours à 8,5 %, tandis qu’en Estonie, il s’établit à 10 %.

« Une très longue bataille »

« Pour faire bouger ces pays, nous avions besoin de ce texte. Mais cela a été une très longue bataille », assure l’eurodéputée autrichienne socialiste Evelyn Regner, l’autre corapporteuse de la loi, laquelle prévoit des amendes, voire une dissolution des conseils en cas de non-respect de la loi.

Lire la tribune : Article réservé à nos abonnés Dans les entreprises, la longue lutte contre l’invisibilité des femmes

Pendant dix ans, l’UE s’est fracassée sur le « non » allemand. Angela Merkel et la CDU (Union chrétienne-démocrate) ne voulaient pas entendre parler de mesures contraignantes contre les grandes entreprises. Son départ de la chancellerie et l’arrivée du social-démocrate Olaf Scholz, en décembre 2021, ont permis d’obtenir au premier semestre 2022 un accord politique au Conseil, puis au Parlement.

Il vous reste 20.9% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.