Archive dans novembre 2022

« Le Grand Déclassement » : faire face au sentiment de déchéance

Le livre . Lorsque l’on se penche sur le déficit de reconnaissance dont se plaignent les salariés, une évidence s’impose : celui-ci est plus prononcé en France que dans de nombreux pays étrangers. « Vingt points de plus qu’en Grande-Bretagne et au-dessus de trente points de plus qu’en Allemagne ou aux Etats-Unis », détaille Philippe d’Iribarne, citant une étude sur le sujet.

Pour comprendre cette spécificité hexagonale, et plus largement l’importance du sentiment de perte de sens qui peut toucher les salariés français, le sociologue a souhaité se pencher sur leur rapport au travail. Quelle place prend-il, au sein de l’entreprise, mais également hors de ses murs, dans la société ? Son ouvrage, Le Grand Déclassement (Albin Michel) se présente comme une recherche des origines du « malaise actuel ».

L’auteur part d’un constat : « La position que l’on occupe dans la société (…) doit beaucoup au caractère plus ou moins noble des fonctions que l’on exerce, de la formation que l’on a reçue. » En somme, présenter son métier en France, ce n’est pas seulement évoquer son activité professionnelle, c’est également se définir soi-même au sein de son espace social, et affirmer son rang.

Dans son essai, M. d’Iribarne remonte le cours des siècles pour expliquer la force et l’ancrage d’une telle approche. Il montre aussi son renouvellement perpétuel : « La création, en plein XXe siècle, de la catégorie si typiquement française des “cadres” constitue une parfaite illustration de ce mouvement d’invention de catégories aussi ardentes à défendre leur autonomie vis-à-vis de la hiérarchie que la grandeur de leur état. »

Autonomie restreinte

Problème : les transformations contemporaines qui secouent le monde de l’entreprise menacent l’édifice ainsi constitué. La dégradation du sens du travail dans notre pays trouve ainsi en grande partie sa source dans « l’évolution des modes de délégation et de contrôle, le poids des procédures et de la bureaucratie, le sentiment de sous-utilisation des compétences et des capacités d’initiative ». Au fil des années, l’autonomie, si importante pour nombre de salariés français, a pu se restreindre.

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Beaucoup d’entre eux ont ainsi la sensation que leurs marges de manœuvre dans l’application des tâches se sont réduites, que ce qui constitue « l’honneur du métier » s’est trouvé menacé par le risque pénal croissant (parmi les pompiers par exemple). Le sentiment de déclassement et d’absence de reconnaissance professionnelle guette, alors qu’il « s’est produit un développement vertigineux de l’enseignement supérieur, très au-delà de la croissance du nombre de postes perçus comme dignes d’être occupés par ses diplômés ». Une bonne partie des cadres vit depuis plusieurs décennies une forme de déchéance, appuie M. d’Iribarne.

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Changer le système de l’intérieur plutôt que déserter : l’engagement social et environnemental des entreprises attire les jeunes

Debout face à une assemblée de quelque deux cents membres de l’association Collège des directeurs de développement durable (C3D), qui réunit les responsables du développement durable de presque autant d’entreprises de toutes tailles, Thibaud, 27 ans, a le verbe haut : « Pourquoi vos boss ne bougent pas aussi vite que vous le voudriez et qu’ils le devraient ? Parce qu’ils doivent se prendre un coup de pied au cul pour le faire. Il ne s’agit pas de dire que le réformisme, c’est mal, ni que ce que vous faites, c’est mal, mais, désormais, une révolution est nécessaire et inévitable… »

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La scène a lieu au cœur de l’été à la Fondation GoodPlanet, dans le bois de Boulogne (16e arrondissement de Paris), qui accueille le colloque annuel du C3D. Deux mondes s’y s’opposent : d’un côté, des salariés convaincus que les services de responsabilité sociale et environnementale (RSE) ou de développement durable dans lesquels ils travaillent ne sont pas « accessoires » et contribuent à répondre aux enjeux environnementaux en revoyant l’activité et le business model des entreprises ; de l’autre, Thibaud, jeune militant du collectif écologiste Dernière Rénovation. Il est venu rappeler aux premiers l’urgence d’agir face à la crise environnementale. « On n’a plus le temps de prendre le temps du changement lent et de la conviction, comme ils le font, résume-t-il, en aparté. S’ils sont vraiment sensibles aux questions écologiques, ils doivent entrer en résistance dans ou à l’extérieur de l’entreprise. »

Une fois n’est pas coutume, cette prise de parole ne se fait pas sous la forme de happening, comme le tout jeune collectif en a l’habitude, mais à l’invitation de Fabrice Bonnifet. Charismatique président du C3D, ce dernier a des propos relativement radicaux sur l’urgence de la transition écologique des entreprises, eu égard à son poste exposé de responsable du développement durable du groupe Bouygues. « Le discours de ces jeunes nous aide. La pression à l’embauche qu’ils mettent sur les entreprises, de l’extérieur, en disant “Désertez les boîtes écocides !”, est complémentaire de celle que nous essayons de déployer en interne pour les faire évoluer », affirme-t-il. De quoi leur donner du grain à moudre et matière à réflexion pour le reste du colloque…

« De vagues recommandations dans un PowerPoint »

« Moi aussi j’ai été dans ce paradigme de la RSE… », reprend Thibaud, qui a « bifurqué » après des études à Sciences Po et deux années d’exercice professionnel « sur des missions de type RSE » dans un grand groupe publicitaire. « Les ambitions louables du service s’amenuisaient un peu plus à chaque strate managériale supplémentaire, jusqu’à devenir, in fine, de vagues recommandations dans un PowerPoint de la direction… », déplore-t-il.

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« La Voix du Nord » pourrait licencier une centaine de salariés

 Le siège du quotidien régional « La voix du Nord », à Lille, le 4 janvier 2017.

« Si nous avions pu faire ce plan en 2021, il aurait été plus modéré. » Cette parole du PDG de La Voix du Nord, Michel Nozière, a le mérite de la transparence. Prévue dès 2021 mais décalée pour cause de simultanéité avec le plan dit de modernisation des imprimeries (PRIM), une vague de départs de grande ampleur se dessine au quotidien basé à Lille (Nord). « On savait que ça se profilait, mais on ne pensait pas que ça arriverait si vite », laisse tomber un représentant syndical.

Une centaine de postes (sur 600 selon les syndicats, 660 selon la direction) pourrait être concernée, dont 70 à la rédaction (qui compte 310 personnes). L’intersyndicale (SNJ, SNJ-CGT, CFDT, Filpac-CGT et CFE-CGC), qui a publié un communiqué le 7 novembre pour dénoncer ces projets, évoque « un plan social d’une violence inédite ».

« Ce plan n’exclut pas les départs contraints »

« En 2017, lors du précédent plan de départs, 25 % de l’effectif était concerné, explique l’un des représentants syndicaux (132 postes avaient été supprimés, contre 178 annoncés). C’était une grosse saignée, mais sans commune mesure avec aujourd’hui car il s’accompagnait d’un projet rédactionnel. Cette fois, on est dans une phase de destruction. » Le nombre d’éditions, déjà passé de vingt à dix-sept en 2020 en raison du Covid-19 (et jamais rétabli par la suite), serait ramené à treize.

Le bureau de Calais, pourtant la plus grosse ville du Pas-de-Calais, serait fermé, les pages locales mutualisées avec celles de l’autre quotidien de la zone, Nord Littoral, également propriété du groupe belge Rossel – « une insulte pour l’équipe en place et tout le travail réalisé », souligne le communiqué. Divers services sont promis à la disparition (le « prémédia » qui avait déjà failli être englouti en 2017, la centrale de réservation, et une partie des services généraux) et « pour la première fois, ce plan n’exclut pas les départs contraints » proteste l’intersyndicale. Autant de précisions que le PDG ne dément pas, mais ne souhaite pas détailler, afin de ne pas commettre de délit d’entrave, avant le comité social et économique (CSE) du 13 décembre.

Contexte : Article réservé à nos abonnés A La Voix du Nord, des journalistes « abasourdis »

« On est à l’os »

Dernier point d’achoppement, sinon de rejet complet de la part de l’intersyndicale : le projet de création d’une « agence de presse » interne (comme il en existe une à La Dépêche du Midi, à Nîmes). Une façon, anticipe-t-elle, d’« externaliser une partie des tâches de la rédaction », et d’embaucher les futurs arrivants à des conditions moins-disantes. Sept postes pourraient être créés dans l’opération, sans qu’ils puissent prétendre compenser les diminutions d’effectifs : « On est à l’os », résume une journaliste. « Ce sont des prénégociations », insiste Michel Nozière, sans s’avancer davantage.

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Une filiale de Vinci mise en examen dans le cadre d’une enquête sur les conditions de travail de ses ouvriers au Qatar

Des employés de QDVC, la branche qatarie du géant français de la construction Vinci, sur un chantier de la capitale Doha, en mars 2015.

A moins de deux semaines du lancement de la Coupe du monde de football au Qatar, une filiale du groupe Vinci ayant mené des chantiers dans le pays a été mise en examen, mercredi 9 novembre, dans le cadre d’une enquête sur les conditions de travail d’employés sur certains chantiers liés au Mondial 2022 au Qatar.

Vinci constructions grands projets (VCGP) a été mise en examen par un juge d’instruction de Nanterre (Hauts-de-Seine) des chefs de « soumission à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité », d’« obtention de la fourniture d’une personne en situation de vulnérabilité ou de dépendance de services, avec une rétribution sans rapport » et de « réduction en servitude », a fait savoir le parquet de Nanterre.

Lors de sa convocation devant le juge d’instruction, le représentant du groupe français de BTP s’est « borné à exprimer une protestation portant sur l’insuffisance du délai consenti aux avocats pour élaborer les réponses utiles et le choix intempestif de la date à quelques jours de l’ouverture de la Coupe du monde de football », a fait savoir son conseil, Me Jean-Pierre Versini-Campinchi.

VCGP « va immédiatement former un appel tendant à voir prononcer par la chambre de l’instruction de Versailles la nullité de cette mise en examen », a averti l’avocat, en raison notamment d’une infraction visée qui n’existait pas dans le code pénal au moment des faits reprochés. Le magistrat a cependant « réduit la période de prévention » de cette infraction pour cette raison, a expliqué l’avocat.

Lundi, en annonçant dans un communiqué sa future convocation par la justice française, le groupe français de BTP avait nié les accusations de « travail forcé » et de « traite d’êtres humains » sur ses chantiers qataris. Il déclarait par ailleurs n’avoir construit aucun stade ni hôtel en vue de la Coupe du monde, affirmant que ses projets ont porté « à l’essentiel sur des infrastructures de transport ».

« Vous pouvez être [tenus] responsables de ce qui se passe dans vos filiales »

Le dossier remonte à 2015, et une première plainte a été classée sans suite en 2018. Mais des plaintes émanant des associations Sherpa et Comité contre l’esclavage moderne (CCEM), ainsi que de sept ex-employés indiens et népalais de ces chantiers, ont entraîné l’ouverture d’une enquête par un juge d’instruction en novembre 2019. Les plaignants accusent Vinci, Vinci construction grands projets (VCGP), sa filiale Qatari diar Vinci construction (QDVC) et leurs représentants, de « réduction en servitude, traite des êtres humains, travail incompatible avec la dignité humaine, mise en danger délibérée, blessures involontaires et recel ».

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« On se félicite de cette mise en examen. C’est la première fois qu’une maison mère est mise en examen sur ces fondements pour les activités d’une de ses filières à l’étranger. Le magistrat envoie un signal fort pour les acteurs économiques : “Vous pouvez être [tenus] responsables de ce qui se passe dans vos filiales” », s’est réjouie mercredi Sandra Cossart, directrice de Sherpa France.

Et d’ajouter que c’est « un signal fort de l’institution judiciaire » car « ce n’est pas rien, en France, de s’attaquer à une entreprise du CAC40 ». Mais « ce n’est pas une victoire, car ce n’est qu’une mise en examen, l’enquête continue », a-t-elle précisé.

Trois chantiers

Pour organiser la compétition de football, le Qatar a confié la concrétisation de gigantesques travaux de construction (stades, routes, hôtels…) à une armée de travailleurs migrants. Dès les premiers coups de pioches, des ONG ont dénoncé les conditions de travail imposées à ces ouvriers.

Trois chantiers de Vinci sont décriés par ces plaignants : celui du « métro léger » ralliant Doha à Lusail, ville nouvelle qui accueillera la finale de la Coupe du monde de football ; celui des parkings souterrains de Lusail ; ainsi que ceux du chantier de l’hôtel de luxe Sheraton, au cœur de Doha.

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Selon les témoignages de plaignants collectés par Sherpa, que Le Monde avait pu consulter en novembre 2018, les ouvriers effectuaient jusqu’à soixante-dix-sept heures de travail par semaine sous des températures comprises entre 40 et 50 degrés, pour une rémunération très faible. « A cause de la chaleur et de l’humidité, j’ai vu des personnes vomir, et tomber comme ça sur le sol », racontait l’un d’eux. Les témoins évoquaient également des confiscations de passeports, mais aussi avoir été entassés dans des chambres exiguës aux sanitaires insuffisants et menacés de licenciement ou de renvoi dans leur pays en cas de revendications.

Un audit réalisé en janvier 2019 par plusieurs organisations syndicales (CGT, CFDT et CFE-CGC) au sein des activités qataries de Vinci a néanmoins conclu à l’existence de bonnes pratiques sur place en matière d’emploi. La directrice de l’ONG Sherpa estime cependant que, s’il y a eu des « améliorations volontaires (…), ça ne dédouane pas l’entreprise des actions répréhensibles qui auraient été commises entre 2011 et 2014 ».

Le Monde avec AFP et Reuters

Réforme de l’assurance-chômage : les députés et les sénateurs trouvent un accord

Un compromis à tout prix. Députés et sénateurs ont trouvé, mercredi 9 novembre, un accord en commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi qui ouvre la voie à une nouvelle réforme de l’assurance-chômage. Le gouvernement donne ainsi des gages à la droite et pourra mettre en avant la nouvelle méthode de concertation promise par l’exécutif. « Dialoguer et construire ensemble, c’est pouvoir agir pour le plein-emploi. C’est ce que montre l’accord trouvé par les députés et sénateurs », a ainsi réagi la première ministre, Elisabeth Borne, sur Twitter.

Rien n’a été facile pour arriver à un équilibre sur ce texte qui permet en premier lieu au gouvernement de prolonger les règles actuelles de l’assurance-chômage issues de la réforme de 2018. Il donne aussi la possibilité à l’exécutif de mettre en place, par décret, le principe de modulation des règles d’indemnisation en fonction de la conjoncture économique, promesse de campagne d’Emmanuel Macron.

Car la majorité sénatoriale – Les Républicains (LR) et Union centriste – a fait preuve d’abnégation pour maintenir les mesures qu’elle avait ajoutées pour durcir le texte et qui prévoyaient de ne plus indemniser les salariés qui refuseraient trois propositions de contrat à durée indéterminée (CDI) à l’issue d’un contrat à durée déterminée (CDD) et les intérimaires dès le premier refus. Le compromis trouvé en CMP les reprend finalement en alignant les règles : désormais, deux refus de CDI après un CDD ou un contrat d’intérim sur le même poste entraîneront la perte de l’indemnisation chômage.

Arbitrage de Matignon

Un revers pour le ministre du travail, Olivier Dussopt, qui avait répété son opposition à ces deux principes depuis les premières discussions au Parlement. Après de longues heures de tractation mardi soir jusqu’à mercredi matin, le compromis a finalement été trouvé après arbitrage de Matignon. « La question des refus de CDI a été le point dur des négociations », avoue le rapporteur (Renaissance) du texte à l’Assemblée, Marc Ferracci, qui réaffirme néanmoins sa « réserve » au sujet d’une mesure « dont l’opportunité est discutable et qui sera difficile à appliquer », soulignant le risque de mettre en place « une usine à gaz ». Mais pour le député des Français de l’étranger, « il était important de trouver un compromis, et les sénateurs tenaient absolument à ce point ».

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Réforme de l’assurance-chômage : la droite ne compte pas revenir sur ses mesures pour durcir le texte

C’était en effet une « ligne rouge » pour la corapporteuse (LR) du projet de loi au Sénat, Frédérique Puissat, pour qui ces mesures « rappellent que l’assurance-chômage est un système assurantiel » dans lequel « les demandeurs d’emploi peuvent avoir droit à l’allocation de retour à l’emploi dès lors qu’ils sont privés de façon involontaire d’emploi », ce qui n’est pas le cas lorsqu’on refuse un CDI. Le député MoDem d’Eure-et-Loir, Philippe Vigier, qui a porté cette mesure, se félicitait également de cet accord qui « illustre ce que la majorité doit faire : trouver un compromis sans compromission ».

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Les licenciements chez Meta, un revers pour Mark Zuckerberg

Devant les bureaux de Meta, à Londres, mercredi 9 novembre 2022.

« C’est un des changements les plus difficiles que nous ayons faits dans l’histoire de Meta », a concédé Mark Zuckerberg, mercredi 9 novembre, en annonçant 11 000 licenciements dans la maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp, qu’il a fondée en 2004. Cette vague de licenciements, qui représente 13 % des 87 000 employés, n’est certes pas la plus importante du secteur de la tech. Elon Musk, le nouveau propriétaire de Twitter, vient d’en réduire les effectifs de moitié. Mais les départs chez Meta sont le plan social le plus important des dernières années en valeur absolue dans cette industrie. Il est aussi symbolique : c’est la première fois que l’entreprise, fondée il y a dix-huit ans, licencie. Pour M. Zuckerberg, c’est un revers.

« Je veux assumer la responsabilité de cette décision et les raisons qui nous ont fait en arriver là », a écrit dans une lettre aux employés le dirigeant de 38 ans, se disant « désolé » pour les licenciés. Les salariés écartés recevront quatre mois d’indemnité, plus quinze jours par année d’ancienneté et leur assurance-santé sera conservée pendant six mois. Mais tous ont vu leur accès informatique aux données de l’entreprise coupé immédiatement, par souci de « sécurité », comme chez Twitter.

Pour expliquer la situation, Zuckerberg a reconnu avoir fait une « erreur » d’analyse, avoir trop investi après la pandémie de Covid-19, en raison de la hausse des usages en ligne et de l’e-commerce. « Beaucoup de gens – dont moi – prédisaient que cette accélération serait permanente. Malheureusement, cela ne s’est pas passé comme je l’avais prévu : non seulement l’e-commerce est revenu à sa tendance précédente, mais la dépression macroéconomique, le renforcement de la concurrence et la perte de signaux importants pour la publicité ont fait chuter nos revenus bien plus bas que je l’avais anticipé », argumente le dirigeant, faisant allusion au succès du réseau social TikTok ou à la limitation du ciblage publicitaire par Apple.

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Spirale négative

Meta n’est certes pas la seule entreprise touchée par ces vents contraires : outre Twitter, le service de transport VTC Lyft et la solution de paiement Stripe vont licencier plus de 10 % de leurs salariés. Passé à 1,6 million d’employés, Amazon vient d’annoncer une « pause » des embauches. Même TikTok s’est réorganisé et a licencié quelques cadres en raison du ralentissement économique, selon le Financial Times. Le secteur de la tech a déjà supprimé plus de 100 000 postes cette année, plus que les 80 000 de 2020, année de la pandémie, selon le site Layoffs.

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« Avec le régime actuel d’assurance-chômage des travailleurs frontaliers, les entreprises françaises subventionnent de fait des employeurs étrangers »

L’un des objectifs de la nouvelle loi sur l’assurance-chômage est de rendre l’indemnisation « contracyclique » – c’est-à-dire de faire varier le niveau d’indemnité en fonction inverse de l’état du marché de l’emploi –, au risque de bâtir une nouvelle usine à gaz. Mais, dans le même temps, des chantiers qui permettraient de réaliser d’importantes économies demeurent en déshérence. Par exemple, le régime d’assurance-chômage des frontaliers.

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La France compte près d’un demi-million de résidents qui travaillent chez nos voisins, essentiellement ceux des frontières est et nord. La France est liée à ces pays par une convention multilatérale européenne : l’employeur étranger d’un résident français frontalier acquitte les cotisations dans son pays ; ce frontalier cotise au régime d’assurance-chômage du pays d’emploi. Mais s’il perd son emploi, alors il dépend du régime d’assurance français.

Par exemple, si Marie, habitante d’Annemasse, perd son emploi à Genève, c’est l’agence Pôle emploi d’Annemasse qui la gérera et lui versera une assurance-chômage sur la base des revenus qu’elle percevait en Suisse, et cela même si Marie est citoyenne helvète. Les caisses suisses ne remboursent au maximum que cinq mois d’indemnisation (seulement trois si elle a travaillé moins de douze mois), alors que les durées d’indemnisation des frontaliers licenciés sont bien plus importantes. Comme il n’y a pas de transmission transfrontalière des informations d’embauche, Marie peut même oublier d’avertir Pôle emploi qu’elle a retrouvé un travail en Suisse et continuer un temps à percevoir l’assurance-chômage française.

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Avec toujours plus de Français frontaliers partis répondre aux pénuries de main-d’œuvre de nos voisins, mais aussi de ménages suisses s’établissant en France pour fuir le prix du foncier de leur pays, la France a versé, en 2020, 1,1 milliard d’euros de prestations chômage aux frontaliers et récupéré à peine 200 millions des caisses étrangères. Un trou abyssal, dont les trois quarts avec la Suisse, qui devrait se réduire cette année, mais avoisiner tout de même 600 millions d’euros. Avec ce système, les entreprises françaises subventionnent de fait des employeurs étrangers. Et comme les prestations versées aux frontaliers sont proportionnelles à leurs salaires, les employeurs français des zones frontières peinent à convaincre ces chômeurs de prendre les emplois vacants. Ce phénomène est plus marqué à la frontière suisse : la prestation moyenne mensuelle des frontaliers indemnisés est d’environ 2 700 euros, alors que la moyenne des allocations est, en France, de 1 200 euros.

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« Quelque chose est définitivement reconfiguré par l’urgence écologique » : comment une partie des jeunes ingénieurs sont devenus « technocritiques »

Des militants du groupe écologiste Greenpeace manifestent devant l’Ecole polytechnique contre le lien entre la compagnie pétrolière Total et l’X, à Palaiseau, le 12 mars 2020.

Cérémonies de remise de diplômes « hackées » par des discours anticapitalistes et technocritiques, désertions en série et reconversions de jeunes ingénieurs en quête de sens : un vent de contestation souffle chez les jeunes ingénieurs et dans leurs grandes écoles. Sur ces campus souvent isolés, majoritairement peuplés de garçons formés pour devenir une petite élite activement recherchée par les entreprises, de nouveaux débats ont lieu sur la place de la technologie dans la lutte contre le changement climatique. Comment les jeunes ingénieurs se sont-ils politisés ? Antoine Bouzin, ancien ingénieur devenu doctorant en sociologie au Centre Emile-Durkheim (université de Bordeaux), donne des pistes d’explication.

Entre le discours critique, en novembre 2018, de Clément Choisne, jeune diplômé de Centrale Nantes, et celui des « agro bifurqueurs » d’AgroParisTech en avril, près de quatre ans se sont écoulés, et le malaise des jeunes ingénieurs semble s’aggraver. Comment expliquer ces tensions ?

Mon hypothèse, c’est que dans ces espaces que sont les écoles d’ingénieurs, il y a des prémisses théoriques et conceptuelles qui ne sont plus explicitées. L’évidence veut que tout progrès reste bon en soi et implique nécessairement du progrès social. Cet axiome ne fait plus débat, il est même de mauvais goût de le questionner et cela peut vous faire passer pour un farfelu.

Lors d’un entretien mené dans le cadre de mes recherches sur l’engagement écologique des ingénieurs, un ingénieur en thèse sur les low tech a partagé avec moi le « dégoût » qu’inspirait son sujet aux membres de son laboratoire. Or ce mythe du progrès – qui a été construit pour légitimer la modernisation de la société – a toujours été questionné. La révolte des luddites [des artisans anglais du textile qui, en 1811-1812, se sont attaqués aux machines à tisser] constitue à cet égard une lutte presque archétypale.

Tout au long du XXe siècle, des intellectuels ont questionné cet implicite, comme Jacques Ellul, Ivan Illich ou Bernard Charbonneau. Parmi les ingénieurs, une idée gagne du terrain : les mesures politiques et économiques, prises ces dernières années pour répondre à l’urgence de la crise, n’ont pas été efficientes.

Dans son discours de fin d’études, Clément Choisne, très critique du capitalisme de « surconsommation », concluait par « je doute et je m’écarte ». Quatre ans plus tard, les « agro bifurqueurs » ont la volonté de pointer la chaîne des responsabilités, et de citer la liste de « coupables » : le capitalisme, le techno-solutionnisme, les cadres sup, les sciences et la technique… C’est comme si le rapport à la science était de nouveau discuté alors que les notions de progrès technologiques étaient jusqu’à présent indiscutables.

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Aux Etats-Unis, de jeunes patrons de la Silicon Valley s’en vont

Avis de gros temps sur la côte ouest des Etats-Unis. Plusieurs jeunes patrons de la Silicon Valley s’en vont, poussés dehors par leurs actionnaires, ou tout simplement lassés par la vie d’une start-up devenue adulte. Parag Agrawal vient ainsi d’être remercié à la tête de Twitter par son nouveau propriétaire Elon Musk. Son départ suit de peu celui de Jack Dorsey, et avant lui Dick Costolo.

Ben Silbermann, cofondateur du site Pinterest, a démissionné de son poste de directeur général. Emily Weiss, créatrice du site de produits de beauté Glossier, a abandonné ses responsabilités de directrice générale au jour le jour pour s’occuper de son bébé. Joe Gebbia, l’un des trois piliers d’Airbnb, entend de même se consacrer à sa nouvelle start-up : son enfant. Il évoque avec gourmandise la production future de documentaires, tout en restant conseiller et membre du conseil d’administration de son entreprise.

Pour comprendre ces multiples départs, ou tout du moins ces prises de distance, Josh Lerner, professeur à la Harvard Business School, évoque le cycle de vie de l’univers des capital-risqueurs, les financiers des start-up du high-tech. Quand l’argent circule en abondance, ce qui fut encore le cas durant l’année record de 2021 avec des investissements à hauteur de 344 milliards de dollars (environ 348,5 milliards d’euros), ces financiers sont « enthousiastes, optimistes et laissent les mains libres aux fondateurs ».

« Mentalement épuisant »

En revanche, lorsque pointe la crainte d’une récession, « ils sont beaucoup plus inquiets pour leur retour sur investissement ». « Ils veulent savoir comment et pourquoi les décisions sont prises, insiste le professeur. Ils s’arrogent beaucoup plus de droits de contrôle. Et pour l’entrepreneur, cela devient moins amusant. Il perd la liberté d’adopter des mesures audacieuses et se sent poussé vers la sortie. » Surtout quand la start-up a suffisamment grandi pour atteindre le statut de « Licorne » – valorisée à plus d’un milliard de dollars –, la donne change.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Recrutement : face aux pénuries de candidats, les entreprises se tournent vers l’international

« Le fondateur de start-up doit montrer beaucoup de courage et de résolution pour bousculer le statu quo, dit Sebastian Mallaby, l’expert en économie internationale du Council on Foreign Relations (CFR), auteur du livre The Power Law. Venture Capital and the Art of Disruption (Allen Lane, non traduit). Le patron d’une entreprise mûre est censé être responsable. Ce n’est donc pas étonnant que des fondateurs couronnés de succès ne le soient plus quand leur entreprise entre en Bourse. » D’où l’éventuel changement de leader.

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Dividende salarié : le coup de pouce de l’inflation

Carnet de bureau. « Ce n’est pas acceptable qu’il y ait, d’un côté, les patrons et l’Etat-patron, et, de l’autre, les ouvriers, en situation d’antagonisme permanent. Il faut que tous ceux qui participent au fonctionnement de l’économie, à la création de richesses, comprennent qu’ils sont embarqués sur le même bateau. » Ces propos ne sont pas ceux d’un syndicaliste revendicatif, mais appartiennent au président Charles de Gaulle, à l’origine de l’ordonnance de 1959 qui posa le principe de l’intéressement des travailleurs aux bénéfices de l’entreprise, puis de celle de 1967 qui créa la participation obligatoire pour les entreprises d’au moins 100 salariés.

« Equilibrer la relation entre rémunération du capital et du travail. C’est l’objectif initial qui était envisagé par le général de Gaulle lors de la création de ces dispositifs », expliquent les auteurs du rapport « Partage de la valeur » de l’Institut Montaigne. C’est toujours le cas, au moment de trouver des solutions pour maintenir le pouvoir d’achat des travailleurs face à l’inflation, avec l’idée d’instaurer un « dividende salarié », moins contraignant que l’intéressement et touchant plus de salariés que la participation actuelle.

Car, après plus d’un demi-siècle, il faut se rendre à l’évidence, le rééquilibrage du partage de la valeur avance à pas de fourmi. Le dernier bilan de la direction générale du Trésor ne comptait toujours que 9 millions de salariés couverts par un dispositif de partage de la valeur en 2018 (soit 50,9 % des salariés du privé), qu’il s’agisse de l’intéressement facultatif ou de la participation obligatoire.

Un nouvel élément de rémunération

Le retour de la hausse de l’inflation serait-il susceptible de déclencher enfin ce rééquilibrage ? Emmanuel Macron a annoncé une prochaine grande conférence sur le partage de la valeur : « Quand il y a une augmentation des dividendes pour les actionnaires, il doit y avoir un mécanisme identique pour les salariés », justifiait-il, le 26 octobre, sur France 2. Et ses équipes d’enchaîner : « Je souhaite qu’avec les partenaires sociaux, nous avancions plus rapidement sur notre proposition de dividende salarié, qui doit donner rapidement des résultats concrets. Une entreprise qui distribue des résultats à ses actionnaires doit aussi distribuer à ses employés », a déclaré le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, à l’ouverture des débats au Sénat le 2 novembre sur la loi de programmation budgétaire.

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La volonté politique est affichée. La majorité des partenaires sociaux sont ouverts à la négociation, mais pas avant fin janvier 2023. Les sujets complexes exigent du temps. Et pour la CGT, la priorité est d’augmenter les salaires. C’est à ce propos qu’un nouveau dispositif pourrait intéresser les DRH. Le dividende salarié est à la fois une prime liée à la performance collective, qui peut nourrir l’engagement des salariés, et un nouvel élément de rémunération.

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