Archive dans novembre 2022

« Les cadres en télétravail avec enfants quittent rarement l’Ile-de-France pour s’installer dans un petit village »

Si tous les cadres supérieurs et les jeunes diplômés ne sont pas partis télétravailler à la campagne, la crise sanitaire liée au Covid-19 a accéléré la volonté des Français de s’éloigner des métropoles pour vivre en milieu périurbain et dans les villes intermédiaires. Et, pour une minorité d’entre eux, de construire un projet de vie alternatif en lien avec le monde rural. La géographe Hélène Milet pour la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu) et coordinatrice d’une étude qui croise analyses statistiques et enquêtes de terrain pour mesurer l’impact de la crise sanitaire sur les déménagements des Français, revient sur les principaux résultats de cette première phase.

La crise sanitaire et les confinements ont-ils chamboulé la géographie résidentielle française ?

Non, car le premier enseignement de nos études, c’est que les grands flux de déménagements continuent de se faire à l’intérieur des grandes villes : des Parisiens qui déménagent à Paris ou dans les communes proches, d’autres entre grands pôles urbains. Lors du premier confinement, par exemple, le flux de recherches le plus important entre deux communes sur Leboncoin était constitué de Parisiens qui regardaient des biens immobiliers à vendre à Marseille. Pour autant, on peut repérer un « effet Covid-19 » dans l’accélération de certaines migrations qui préexistaient à la crise sanitaire.

Les départs des grandes villes sont en augmentation, et les Français qui les quittent se dirigent vers quatre types de territoires : les couronnes périurbaines, principalement dans les espaces pavillonnaires, les villes petites et moyennes, les littoraux – en particulier la façade atlantique – et, enfin, certains territoires ruraux.

Lire aussi l’enquête : Article réservé à nos abonnés « Sans possibilités de télétravail, certains ne postulent même pas » : pour retenir les jeunes diplômés, le pari de l’ultraflexibilité

Qu’est-ce que l’analyse des consultations d’annonces immobilières en ligne nous apprend des envies de déménagement des Français ?

L’étude menée grâce aux données du site Meilleurs Agents montre une augmentation du rythme des recherches depuis le déclenchement de la crise : les Français ont consulté plus d’annonces, ce qui peut traduire une envie de changement plus marquée. On note aussi un attrait plus fort pour les zones rurales et pour les maisons. Sur Leboncoin, les consultations d’annonces de ventes de biens immobiliers ont progressé pendant les deux premiers confinements et la distance entre la commune d’origine de l’internaute et celle où se situent les biens consultés a augmenté, dépassant les 200 kilomètres en moyenne après la crise sanitaire, alors qu’elle était de 175 kilomètres en 2019.

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Quand les jeunes diplômés sont victimes d’« âgisme » en entreprise

Estelle a vécu sa première mauvaise expérience à 21 ans, lors d’une année en alternance dans une maison d’édition. Dès son arrivée, sa maître de stage lui fait faire le tour des bureaux. Elles finissent par le pôle marketing, exclusivement composé de femmes. « Elles m’observent, pouffent et commentent : “Mais cest légal ?” Sous-entendu : je nai pas lair majeure, je ne devrais pas travailler ici. » S’ensuivent deux années pendant lesquelles Estelle, ignorée de tous, a le sentiment d’être transparente.

Cinq ans plus tard, diplômée de master, elle est embauchée dans une autre maison d’édition. « Ma responsable me présente au service comptable, où un homme d’une quarantaine d’années me regarde et répond, en riant : “Ah, j’ai cru que c’était ta petite-fille !”, sans me parler, ni même m’avoir dit bonjour. Dans les deux cas, ces phrases ont été prononcées sur le ton de la rigolade, sans s’adresser directement à moi. Les gens se sont permis un commentaire sur mon apparence, comme si je n’avais pas été présente physiquement dans la même pièce », se désole-t-elle.

Ces expériences pénibles ont fait totalement perdre à Estelle sa confiance en elle et l’ont incitée, pour compenser, à travailler davantage que les autres, afin de « paraître crédible ». Selon une enquête sur les discriminations dans l’emploi menée en 2021 auprès des jeunes actifs de 18 ans à 34 ans par le Défenseur des droits et l’Organisation internationale du travail (OIT), plus d’un sur trois affirme avoir vécu une situation de discrimination dans le cadre de sa recherche d’emploi ou de sa carrière, contre une personne sur cinq dans la population générale, avec l’âge (23%) comme deuxième critère de stigmatisation juste après le genre (27%) . « On savait quil y avait une grande conscience des jeunes sur ces questions, mais la réalité est encore plus alarmante que ce quon pouvait imaginer », admet la Défenseure des droits, Claire Hédon, qui a commandé l’enquête.

« Notre culture attache une importance capitale au respect des aînés, au point d’omettre des réalités embarrassantes. » Laelia Benoit, pédopsychiatre et sociologue

Le baromètre confirme que près de 90 % des sondés déclarent avoir déjà connu une situation de dévalorisation au cours de leur vie professionnelle, avec principalement une sous-estimation de leurs compétences, une mise sous pression pour en faire toujours plus, et le fait de se voir confier des tâches inutiles et ingrates. Un haut niveau d’études ne permet pas d’être plus protégé. Au contraire, même : les salariés avec une équivalence master ou plus seraient les plus exposés dans le monde professionnel (40,6 %).

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Coupe du monde 2022 : au Népal, la désillusion des ouvriers migrants des chantiers qataris

La route étroite et sinueuse reliant Katmandou au district de Dhanusha, dans l’est du Népal, est encombrée de bus et de camionnettes hors d’âge ; les premiers ramènent des travailleurs au village, les secondes transportent jusque sur leur toit des chèvres apeurées, qui seront bientôt sacrifiées. En cette fin septembre, le pays s’apprête à célébrer Dashain, la plus grande et longue des fêtes hindoues. En quelques heures, 1,4 million de personnes ont quitté la capitale pour rejoindre leur famille et prier la déesse Durga, symbole de la victoire du bien contre le mal, qui peut assurer la prospérité. L’occasion, pour les familles séparées, de se réunir autour de délicieux mets, d’embellir les maisons, d’acheter de nouveaux vêtements. La plupart des foyers comptent au moins une personne partie pour travailler, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.

Urmila Devi Pandit, 35 ans, dans sa maison à Rupaitha, au Népal, le 28 septembre. Son époux, Budhan Pandit, est décédé au Qatar.

Après six heures de virages serrés dans les montagnes, le paysage change radicalement. Le district de Dhanusha, à la frontière avec l’Inde, est la seule partie plate du petit pays himalayen. Dotée d’une végétation tropicale, la flat valley est encore accablée, à cette période de l’année, par des températures torrides. Ce n’est pas la région la plus pauvre, mais c’est d’ici qu’est parti, ces dernières années, le plus fort contingent de travailleurs népalais pour le Qatar.

Depuis 2010, année où l’émirat a été choisi pour accueillir le Mondial 2022 de football, des centaines de milliers de Népalais sont allés travailler sur place. Les chantiers ne manquaient pas : il a fallu construire ou rénover huit stades, mais aussi toutes les infrastructures afférentes, routes, autoroutes, métro, hôtels, villes nouvelles… Réputés bons travailleurs, peu chers, car peu qualifiés, les ouvriers népalais se sont vu assigner les tâches les plus difficiles, les plus dangereuses.

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Budhan Pandit, un paysan, était l’un de ceux-là. Il venait de Rupaitha, un village agricole sans charme du Dhanusha, situé à une vingtaine de kilomètres de la frontière indienne. Il a travaillé dur, quatre ans durant, sur divers chantiers du Mondial. L’ouvrier népalais est revenu dans un cercueil. C’était il y a douze mois. Sa veuve, Urmila, 35 ans, prostrée sur le pas de sa maisonnette, laisse son plus jeune fils, Dinesh, raconter leur calvaire. La dernière fois qu’elle a vu son mari, c’était quelques secondes avant sa mort.

« Ma mère était au téléphone avec lui, en visio, confie l’adolescent. C’était l’heure de sa pause. Il travaillait à la construction d’une piste d’atterrissage à l’aéroport international Hamad, à Doha. Il était assis devant un bulldozer, ce qui avait inquiété ma mère. Mais il lui avait dit : “Ne t’inquiète pas, tout le chantier est à l’arrêt.” » Le couple discutait des ennuis de santé d’Urmila, sujette à des évanouissements, quand, soudain, un nuage de poussière a envahi l’écran. Puis, plus rien. Après deux jours d’angoisse, un collègue lui a annoncé la nouvelle : son mari avait été écrasé par le bulldozer, tué sur le coup. C’est un oncle qui a rapatrié le corps, deux semaines après. Il ne restait que le tronc.

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Assurance-chômage : la modulation des droits définitivement adoptée

Le ministre du travail, Olivier Dussopt, prend la parole lors de la séance des questions au gouvernement, à l’Assemblée nationale, le 3 novembre.

Le Parlement a définitivement adopté jeudi 17 novembre, le projet de loi ouvrant la voie à une modulation de l’assurance-chômage selon la conjoncture, une perspective qui hérisse la gauche, l’extrême droite et les syndicats. Les sénateurs ont entériné jeudi midi un compromis trouvé avec les députés sur ce texte, qui n’a pas nécessité le recours à l’arme constitutionnelle du 49.3 grâce à un accord conclu avec la droite.

Le projet de loi du ministre du travail, Olivier Dussopt, prévoit dans un premier temps de prolonger les règles actuelles de l’assurance-chômage, issues d’une réforme contestée du premier quinquennat Macron. Un décret a été pris en ce sens par anticipation à la fin d’octobre. Il permet, par ailleurs, de moduler par décret certaines règles de l’assurance-chômage afin qu’elle soit « plus stricte quand trop d’emplois sont non pourvus, plus généreuse quand le chômage est élevé », conformément à la promesse de campagne d’Emmanuel Macron.

Une concertation est en cours avec les partenaires sociaux et le gouvernement fera connaître « les arbitrages retenus » le 21 novembre, pour une application de la modulation au début de 2023. « Nous travaillons sur une modulation de la durée maxim[ale] d’indemnisation », actuellement de vingt-quatre à trente-six mois selon l’âge, a déclaré mardi M. Dussopt aux députés. Ainsi « nous ne prévoyons pas de modifier les conditions d’affiliation au système d’assurance-chômage ».

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Il faut six mois de travail sur une période de référence de vingt-quatre mois pour l’ouverture des droits. L’exécutif estime qu’il y a urgence du fait des difficultés de recrutement des entreprises et fait de cette réforme une première pierre de sa stratégie pour atteindre le plein-emploi en 2027, soit un taux de chômage d’environ 5 %, contre 7,4 % actuellement.

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« Nous n’avons pas plié »

Députés et sénateurs sont parvenus à un compromis sur ce texte en commission mixte paritaire la semaine dernière, au prix d’un durcissement imposé par les sénateurs Les Républicains (LR), auquel le ministre était initialement opposé. Il a été ajouté que le refus à deux reprises en un an d’un contrat à durée indéterminé (CDI) après un contrat à durée déterminée (CDD) ou un contrat d’intérim au même poste, au même lieu et avec la même rémunération entraînerait la perte de l’indemnisation chômage. Ce sera à l’employeur (ou aux deux employeurs) d’en informer Pôle emploi, ce qui pose une « difficulté technique » pour que ce ne soit pas une « usine à gaz », a jugé M. Dussopt. « Le gouvernement n’en voulait pas, mais nous n’avons pas plié », s’est félicitée Frédérique Puissat (LR), rapporteuse du texte au Sénat. Son homologue à l’Assemblée, Marc Ferracci (Renaissance), trouve la mesure « peu opérationnelle et fragile juridiquement », et y voit « une démarche un peu idéologique, même s’il y a un vrai sujet sur le refus de CDI ».

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Une autre disposition, ajoutée par des amendements de la majorité présidentielle et des députés LR, fait encore débat : « L’abandon de poste » sera désormais assimilé à une démission, pour limiter l’accès à l’assurance-chômage. Les élus de droite « ont été force de proposition, tant à l’Assemblée qu’au Sénat », insiste le député LR Stéphane Viry, qui estime cependant que le projet de loi « n’épuise pas » les réformes à mener.

A l’unisson des syndicats, la gauche critique, elle, « une réforme de droite » dont l’objectif serait de faire « baisser les indemnités des chômeurs ». Avant le vote définitif mardi à l’Assemblée, acquis par 210 voix contre 140, les « insoumis » ont défendu, en vain, une dernière motion de rejet de ce texte qui, selon eux, donne « une vision jetable des salariés ». Les socialistes ont annoncé une saisine du Conseil constitutionnel. Les députés Rassemblement national (RN) ont également voté contre le texte, qui met, selon eux, « punition et culpabilisation à l’ordre du jour ». Le projet de loi prévoit, en outre, l’ouverture d’une concertation sur la gouvernance de l’assurance-chômage et une « simplification drastique » de la validation des acquis de l’expérience (VAE), selon la ministre déléguée, Carole Grandjean.

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Le Monde avec AFP

Comment dépasser les 6 % de salariés handicapés en entreprise : l’exemple de Thales

Chaque année, la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH) donne lieu à un tour d’horizon sur l’actualité des politiques du handicap des entreprises. Malheureusement, pour constater que les progrès sur l’intégration en milieu de travail ordinaire sont ténus.

Les chiffres sont toujours là pour l’édition 2022, qui se tient depuis le 14 et jusqu’au 20 novembre dans toute la France : le taux de chômage est bien passé de 19 % à 13 %, mais il est toujours le double du taux de l’ensemble de la population, à 7,4 % au second trimestre, selon l’Insee. La dernière enquête de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) dénombre 460 131 demandeurs d’emploi en situation de handicap.

Les difficultés de recrutement ont apporté du changement. « Les employeurs sont davantage prêts à intégrer des personnes en situation de handicap. Ils sont de plus en plus nombreux à solliciter tous azimuts Pôle emploi, Cap emploi, les sociétés d’intérim, les entreprises adaptées et le réseau des référents handicap de l’Agefiph », explique Véronique Bustreel, directrice de l’innovation, de l’évaluation et de la stratégie de l’Agefiph.

Un petit tiers des entreprises (29 %) atteignent ou dépassent 6 % de personnes handicapées dans leur effectif

Pourtant, la moyenne nationale du taux d’emploi dans le secteur privé plafonne toujours à 3,5 %. Le taux d’emploi direct est plus élevé dans les grandes entreprises et très variable – du simple au double – selon les secteurs d’activité, précise le ministère du travail. Un petit tiers des entreprises (29 %) atteignent ou dépassent 6 % de personnes handicapées dans leur effectif.

A titre d’exemple, le groupe d’aérospatiale et de défense Thales affiche un taux de 6,69 %, avec 2 400 salariés handicapés. L’objectif est donc atteignable. Mais comment ?

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Il n’y a pas de pensée magique, c’est à la fois le résultat d’une politique de long terme et d’une panoplie d’actions convergentes : accord d’entreprise, réseau d’interlocuteurs, formations, accessibilité des immeubles et des postes de travail. « Le taux était déjà à 6,5 % quand je suis arrivé dans le groupe, en avril 2021 », souligne l’actuel DRH, Clément de Villepin.

Au niveau institutionnel, un premier accord avait été signé en 1992 ; dix ans après, une mission d’insertion a été créée, ainsi qu’un réseau de référents handicap, qui compte aujourd’hui un peu plus d’un représentant par site (52 pour 41 sites). « A cette étape, on a touché du doigt les compétences nécessaires à une bonne intégration pour l’aménagement du poste, l’accompagnement par le manageur et la maîtrise du processus administratif. Les référents, parce qu’ils connaissent le site et les métiers, ont fait le lien entre l’entreprise et l’extérieur », explique M. de Villepin. Plus précisément entre l’entreprise et l’éducation nationale, pour mettre en place des formations aux métiers dont le groupe a besoin, ainsi qu’avec Pôle emploi, Cap emploi, l’Agefiph et les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) pour le recrutement.

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SNCF : en sous-effectif, certains conducteurs pratiquent des « grèves à la carte » pour pouvoir se reposer

Sur la ligne TER entre Lille-Flandres et Hazebrouck, dans le Nord, le 27 septembre 2022.

Cet article peut être écouté dans l’application «  La Matinale du Monde  »

La pratique inquiète et bruisse sur « radio ballast », le surnom du bouche-à-oreille à la SNCF : de plus en plus de conducteurs de train ont recours à des « grèves à la carte » pour obtenir les jours de congé qui leur sont refusés du fait des sous-effectifs, et ce afin de protéger leur vie personnelle dans des métiers où l’on est mobilisé tous les jours de l’année, week-end, vacances scolaires et jours fériés inclus. Ce phénomène est difficile à quantifier, mais il existe, admettent syndicats et DRH, sans toutefois communiquer de chiffres. En s’ajoutant à d’autres – démissions et difficultés de recrutement d’aiguilleurs, par exemple –, il fait boule de neige et peut amener, dans les régions tendues, à des suppressions de trains.

Cette « grève à la carte » est un produit dérivé de la loi de 2007 sur le service minimum dans les services publics, texte emblématique du quinquennat Sarkozy. Elle impose aux syndicats de faire une demande de concertation immédiate (DCI), qui ouvre un délai d’une quinzaine de jours avant le dépôt d’un préavis et la grève. Cela laisse théoriquement le temps à la direction de la SNCF d’organiser un service minimum. Chaque agent qui souhaite faire grève doit ensuite faire une déclaration individuelle d’intention – « D2i », dans le jargon maison – quarante-huit heures avant sa prise de service.

Les syndicats ont trouvé une faille pour contourner ces préalables et pouvoir mobiliser rapidement : les « préavis dormants », à savoir des préavis sans date de fin qui permettent aux agents de se mettre en grève à tout moment, avec une simple « D2i ». « Il y en a quatre au niveau national », confirme la direction des ressources humaines de la SNCF. Le premier, déposé par SUD-Rail, date de 2018, au moment de la réforme de la SNCF, transformée en société anonyme. Les trois autres, émis par SUD-Rail, la CGT et l’UNSA ensemble, et la CFDT, remontent au 4 décembre 2019, au moment de la contestation de la réforme des retraites. FO a aussi un préavis qui court jusqu’en 2050 sur l’axe TGV Nord.

« Un argument pour souligner le ras-le-bol »

Il est ainsi devenu courant qu’un conducteur de train qui se voit refuser un jour de congé pour des raisons de service contourne ce refus en déposant une « D2i ». Il se libère en se mettant en grève. Bien sûr, il n’est pas payé, mais, selon un témoignage, certains agents sont prêts à perdre ponctuellement de 80 à 200 euros pour pouvoir passer un samedi, un dimanche en famille, ou faire un pont. Car, à cause des sous-effectifs, « les douze week-ends minimum de repos par an promis aux conducteurs seraient devenus douze week-ends maximum », assure Frédéric Meyer, secrétaire fédéral traction de l’UNSA-Ferroviaire.

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Les jeunes de la finance dans la machine de l’« overwork » : « Tu es dans les tranchées avec tes compères »

Leur milieu ne souffre aucun pas de côté. Avant d’accepter de nous en dévoiler les coulisses, les jeunes loups de la finance que nous avons approchés ont tous demandé que leur identité soit tue. « Dire publiquement que notre entreprise ne respecte pas les 35 heures, cela peut très mal passer dans nos directions », souligne l’un d’eux, banquier de 27 ans à Paris, qui a plutôt l’habitude d’un rythme hebdomadaire équivalent à trois fois ce quota légal. Pourtant, lui ne s’en plaint pas. Comme la plupart de ses jeunes acolytes travaillant dans une banque ou dans un cabinet d’avocats d’affaires, il est tout à fait prêt à « jouer le jeu » de ces secteurs où les heures de travail à rallonge et une forte pression restent la norme. Quitte à délaisser sa vie privée et à voir son état physique et psychique en pâtir.

Pourquoi consentir à ce rythme infernal ? « La situation de ces jeunes est d’autant plus surprenante qu’ils ont tout le loisir de se diriger vers des activités qui ne compromettent pas leur santé, puisque leurs diplômes leur permettraient de changer de profession sans menacer leur position sociale », s’étonne François Schoenberger, doctorant en sociologie à l’EHESS et à l’université de Lausanne, qui étudie les ressorts de l’engagement dans le métier de banquier d’affaires.

Alors que le discours d’une génération désireuse de plus d’équilibre a émergé ces dernières années, ces jeunes issus de formations prestigieuses demeurent, eux, toujours acquis à la culture du surtravail – ou « overwork », selon l’argot qui commence à traverser l’Atlantique –, dans laquelle ils voient un investissement pour le futur.

« On apprend sous stéroïdes, c’est grisant. » Un avocat d’affaires de 27 ans

Quentin (les prénoms des témoins ont été modifiés), 27 ans, raconte ainsi s’être « habitué » à dormir peu. Avocat dans un grand cabinet d’affaires parisien, il travaille six jours sur sept et termine régulièrement après minuit. « L’excitation créée par les dossiers permet de tenir malgré le manque de sommeil, assure ce diplômé de l’école de droit de Sciences Po Paris. Et puis on a un rythme tellement intense qu’on ne risque pas de s’endormir dans la journée. » Pour lui, accepter de telles amplitudes horaires va de soi : « Pour se former au mieux au métier, il faut être sur les bons dossiers et avec les bons avocats. Peu de cabinets conjuguent les deux, ils sont donc très exigeants. On apprend sous stéroïdes, c’est grisant. »

Cette intensité du travail constitue d’ailleurs en elle-même un « élément attirant » pour ceux qui se projettent dans ces carrières, remarque François Schoenberger. « Il y a une vraie émulation, de l’adrénaline : tu es comme dans les tranchées avec tes compères », explique Naël, sorti de l’ESCP, qui a passé plusieurs années dans une « boutique » de fusions-acquisitions au rythme hebdomadaire de plus de 100 heures de travail. « Ils disent s’être “pris au jeu” : battre des records, être en compétition, manier des abstractions sous contrainte de temps, “comme en prépa”, constate la sociologue du travail Marie-Anne Dujarier. C’est ce jeu qui crée autant de zèle chez ces jeunes, arrivés souvent sans vocation préalable. »

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Pauline Grosjean : « Les femmes tirent aujourd’hui plus de sens de leur travail que les hommes »

La nature du travail a fortement changé au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. Les hommes ont quitté les secteurs agricoles et industriels pour occuper des métiers plus spécialisés, plutôt dans le secteur des services. Les femmes, elles, ont rejoint les rangs des cadres et des spécialistes. Mais comment le rapport des individus à leur travail a-t-il évolué ? Répondre à cette question semble particulièrement important aujourd’hui, alors que le niveau historiquement faible du chômage et la « grande démission » exercent de fortes tensions sur le marché du travail et sur l’inflation.

Une vision réductrice du travail basée essentiellement sur la rémunération n’apporterait cependant qu’une réponse partielle. Comme l’expliquait le psychanalyste autrichien Viktor Frankl (1905-1997) dans Man’s Search for Meaning : An Introduction to Logotherapy
(Beacon Press, 1962), la quête de sens, plutôt que la quête d’argent, de plaisir ou de pouvoir, est la principale motivation humaine. Aussi est-il important de comprendre comment le sens du travail a évolué, et les inégalités que cette évolution a pu générer (« The Gender Gap in Meaningful Work : Explanations and Implications », de Vanessa Burbano, Olle Folke, Stephan Meier et Johanna Rickne, CEPR Working Paper DP17634).

Le sens du travail tel que défini par cette étude est constitué de quatre dimensions : l’autonomie ; la compétence – le sentiment d’utiliser pleinement ses connaissances et ses capacités –, les relations sociales au travail et le sentiment de contribuer à la société de manière positive. Il s’avère, selon cette étude, que les hommes ont subi une forte perte de sens au travail au cours des dernières décennies, en particulier concernant la dernière de ces quatre dimensions. Cette perte de sens a principalement affecté les hommes peu éduqués, dans des professions peu rémunérées. Alors que, pour les femmes, le sens du travail a peu évolué. Ainsi, les femmes tirent aujourd’hui plus de sens de leur travail que les hommes, bien qu’elles gagnent toujours moins qu’eux en moyenne.

Effets politiques

Les femmes, plus que les hommes, occupent en effet des métiers perçus comme contribuant de façon positive à la société, par exemple l’enseignement ou les métiers de soins. De plus, bien que les femmes et les hommes perçoivent le sens social des métiers de la même façon, les femmes qui exercent des métiers plus positifs pour la société en tirent plus de bien-être que les hommes. Autrement dit, une infirmière et un infirmier s’accordent sur la valeur sociale de leur profession, mais les infirmières en retirent plus de bien-être. Cela s’explique, selon les auteurs, par les stéréotypes de genre et la faible rémunération de ces occupations. Les hommes souffrent non seulement du fait que ces métiers soient perçus par la majorité comme des métiers féminins, mais encore plus du fait que ces emplois soient peu rémunérés, étant donné que les hommes accordent, en moyenne, plus d’importance à la rémunération que les femmes.

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Quels emplois pour les seniors ? De rares perspectives de recrutement se font jour

« Les seniors, ça n’existe pas ! Il n’y a pas de seniors dans les entreprises, mais une pyramide des âges à surveiller. Ce n’est pas l’âge, mais une série de facteurs qui font qu’on continue à travailler. » C’est en ces termes qu’Annie Jolivet, chercheuse associée à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) et au Centre d’étude de l’emploi et du travail (CEET), a introduit les Rencontres RH du 8 novembre. Ce rendez-vous mensuel de l’actualité RH, créé par Le Monde en partenariat avec ManpowerGroup et Malakoff Humanis, a réuni à Paris une dizaine de DRH pour débattre de la place des seniors dans l’entreprise, dans la perspective d’une éventuelle nouvelle réforme des retraites.

Au dernier bilan du ministère du travail, à fin décembre 2021, 56 % des 55-64 ans étaient en emploi, et plus précisément 75,1 % des 55-59 ans. Le décrochage intervient à l’approche des 62 ans, l’âge légal de départ à la retraite : le taux d’emploi descend à 35,5 % pour les 60-64 ans et chute à 8,6 % entre 65 et 69 ans. La différence du taux d’emploi des « seniors » en France et dans d’autres pays européens où l’on prend sa retraite plus tard est toujours mise en avant dans les débats autour de la réforme des retraites par les partisans d’un report de l’âge de départ. Mais pour les DRH, la question de l’emploi des seniors se pose en d’autres termes : exposition à la pénibilité, transmission des compétences, départs progressifs.

Pour en parler, « la référence employeur est souvent 45 ans. Le ministère du travail avait indiqué cet âge non pas pour fixer un seuil, mais pour inciter les entreprises à anticiper la retraite et à mettre en place toute une série de mesures. Aujourd’hui, on peut travailler jusqu’à 67 ans. Mais on ne peut raisonnablement pas considérer que la fin de carrière s’étend de 45 à 67 ans ! », remarque Annie Jolivet. Le ministère du travail a fixé à 45 ans le début de la deuxième partie de carrière, l’Union européenne considère que les seniors ont entre 55 et 64 ans, et pour l’Assurance-maladie, on est ainsi qualifié à partir de 60 ans.

« On n’a pas tous la même représentation, reconnaît Olivier Ruthardt. Pour le directeur général adjoint chargé des ressources humaines de Malakoff Humanis, leur valorisation passe par une inversion de nos représentations. Une des difficultés est que les entreprises sont guidées par les références légales, mais les seniors sont avant tout des compétences, une source de savoir-faire, une adaptabilité. »

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La chercheuse Annie Jolivet souligne l’intérêt à se pencher sur le recrutement des seniors, comme il se pratique couramment dans d’autres pays. Son propos est de libérer l’entreprise de la catégorisation par l’âge. En France, le marché du travail a beaucoup évolué : augmentation des emplois pénuriques, envolée des CDD pour recruter… « Il y a des secteurs, comme le transport scolaire ou l’immobilier, où on a déjà pris l’habitude de voir arriver des recrues tardivement sans que ça pose de problèmes », dit-elle. Certains s’y mettent depuis peu, parce qu’ils sont confrontés à la pénurie de candidats.

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Des primes de parrainage pour les salariés qui aident leur entreprise à recruter

Dans les couloirs du service d’oncologie pédiatrique, à l’hôpital de la Timone à Marseille, le 28 octobre 2022.

Qu’il s’agisse de recruter des chauffeurs, des infirmiers, des commerciaux ou des consultants, les entreprises font feu de tout bois pour trouver des candidats. Dans un contexte de tensions sur le marché du travail, elles (re) découvrent la cooptation, technique consistant à faire appel au réseau de leurs propres salariés dans l’espoir de dénicher de bons profils.

Pour nombre d’entreprises, l’outil n’est pas nouveau. Ainsi, au sein du groupe Up, qui propose des solutions de paiement à destination des salariés et des citoyens (titres-repas, chèques-cadeaux…), « la cooptation s’est toujours pratiquée, mais de façon informelle. L’idée est que, comme on se connaît, on se fait confiance, ce qui est très important dans une coopérative comme la nôtre où le collectif est fondamental », explique Virginie Linard, directrice des opérations de ressources humaines (RH) et expérience collaborateur France.

Puis l’entreprise a grossi et la pratique s’est délitée. « Mais, depuis le début de l’année, nous avons décidé pour faire face à notre besoin en recrutement de commerciaux – qui sont des métiers en pénurie – d’en faire un outil de motivation en interne. Nos salariés sont nos meilleurs ambassadeurs. »

Autre secteur durement touché par les pénuries de main-d’œuvre : celui de la santé. Ce qui a décidé le Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph à mettre en place, dans le cadre d’un accord avec les syndicats, un programme de cooptation afin de pourvoir les emplois en tension : infirmier de bloc opératoire, infirmier anesthésiste, manipulateur en électroradiologie médicale, kinésithérapeute, médecin anesthésiste… L’opération, commencée en avril 2021, s’étendra jusqu’à la fin de l’année.

« Un levier pertinent »

La Régie autonome des transports parisiens (RATP) a aussi mis en place des dispositifs de cooptation : fin août, pour les chauffeurs de bus et, mi-octobre, pour les métiers de conducteur et d’agent de station et de gare. « Nous avons ajouté une nouvelle corde à notre arc pour élargir notre vivier de candidats », explique Rozenn Boëdec, responsable RH du département services et espaces multimodaux de la RATP.

« La cooptation est un levier de recrutement particulièrement pertinent, estime Mathilde Le Coz, DRH de l’entreprise d’audit Mazars et présidente du Lab RH, pas en volume, mais en performance. Le recrutement est plus qualitatif. » A ce jour, 15 % des recrutements de Mazars sont réalisés par ce biais, l’objectif étant d’atteindre de 25 % à 30 %.

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« Nos clients parlent de recrutements “fiables”, c’est-à-dire de qualité », explique César Recher, cofondateur de Basile (groupe HelloWork), solution de recrutement par cooptation, qui compte une cinquantaine de clients dont Safran, Bouygues, Etam… « Ils constatent davantage de validations de la période d’essai, et les personnes ainsi recrutées restent plus longtemps dans l’entreprise. Plus de 60 % des candidats cooptés passent des entretiens et le taux d’embauche moyen est de 15 %. L’économie de temps, et donc d’argent, est importante. » « La cooptation est le gage d’une intégration réussie car la personne cooptée partage les mêmes valeurs », poursuit Virginie Linard du groupe Up.

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