Carnet de bureau.« Mobilisation générale », c’est en ces termes guerriers que le gouvernement a introduit le plan de sobriété énergétique lancé jeudi 6 octobre pour engager toute la France à faire des économies d’énergie.
Plus prosaïquement, ce plan d’actions de lutte antigaspi recommande aux entreprises d’« éteindre la lumière », de « sensibiliser les salariés », de nommer un « référent » sobriété, et d’adapter l’organisation du télétravail en cas de tension sur les réseaux. De la guerre à la maîtrise de l’interrupteur, où se situe la sobriété en entreprise du point de vue des salariés ?
Une étude publiée mercredi 12 octobre, réalisée par l’institut Viavoice pour le collectif Pacte civique, y répond. « Le regard des salariés sur la sobriété en entreprise » révèle tout d’abord que moins d’un salarié sur deux (47 %) a une idée précise de ce qu’est la sobriété en entreprise, 28 % n’en ont même jamais entendu parler. Avec des différences importantes selon les générations. Chez les jeunes, le sujet est sensible : 60 % des 18-24 ans voient bien de quoi il s’agit.
Malgré le manque de maîtrise de cette notion, plus des deux tiers des salariés interrogés estiment que la sobriété existe déjà dans leur entreprise et 79 % affirment personnellement adopter ou essayer d’adopter des « comportements sobres » dans leur vie professionnelle. Ils parlent, dans cet ordre, de « trier les déchets », « respecter les collègues », « éteindre la lumière en partant le soir ».
Dialogue social et réduction des inégalités
Quand on les interroge sur les priorités que devrait se fixer leur entreprise, hormis les mesures de bon sens que de nombreuses entreprises appliquent déjà, comme celle d’éteindre la lumière pour réduire la consommation, ils ne ciblent pas forcément les mêmes actions que le plan de sobriété énergétique du gouvernement. Ils abordent cette notion avec un prisme plus large.
Juste derrière la réduction de la consommation d’énergie et d’empreinte carbone (30 % des salariés), la gestion des stocks (26 % des salariés), viennent en effet la bonne qualité des relations entre dirigeants et collaborateurs (25 %) et l’encadrement de l’échelle des rémunérations (24 %). Deux mesures plutôt liées à la qualité du dialogue social et à la réduction des inégalités qu’à la note d’électricité, mais que les salariés intègrent dans le concept de sobriété en entreprise. L’écart maximal entre les rémunérations devrait se situer dans une fourchette de 1 à 20 pour 64 % des salariés répondant à cette étude.
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En réponse aux mouvements sociaux qui persistent sur fond de pénurie de carburant, le gouvernement met à exécution sa principale menace. La première ministre, Elisabeth Borne, a annoncé, mardi 11 octobre, la réquisition des personnels pour le déblocage des dépôts du groupe Esso-ExxonMobil. Un accord salarial avait pourtant été conclu la veille au sein du groupe pétrolier. Mais les deux organisations syndicales signataires, majoritaires à l’échelle du groupe, ne le sont pas au niveau des raffineries, où la grève a été reconduite.
« Le dialogue social c’est avancer, dès lors qu’une majorité s’est dégagée. Ce ne sont pas des accords a minima. Les annonces de la direction sont significatives. Dès lors, j’ai demandé aux préfets d’engager, comme le permet la loi, la procédure de réquisition des personnels indispensables au fonctionnement des dépôts de cette entreprise », a déclaré la cheffe du gouvernement devant l’Assemblée nationale.
En réponse, la CGT d’Esso-ExxonMobil a dénoncé « une remise en cause du droit de grève » et une décision « bafouant un droit constitutionnel des travailleurs en lutte ».
Le gouvernement décrète la #réquisition dans les #raffinerie bafouant ainsi un droit constitutionnel des travailleu… https://t.co/Cb2njdaelj
— cgtexxonmobil (@cgt exxonmobil)
Sous quelles conditions l’Etat-il peut-il réquisitionner des salariés d’une entreprise privée ? Que risquent les travailleurs réfractaires ?
Une réquisition strictement encadrée
Dans le droit français, deux textes permettent théoriquement la réquisition de salariés. En s’appuyant sur l’article L.1111-2 du code de la défense, l’exécutif peut, par décret pris en conseil des ministres, mobiliser des personnes et des biens « en cas de menace portant notamment sur une partie du territoire, sur un secteur de la vie nationale ou sur une fraction de la population ». Des conditions extrêmement limitatives et guère envisageables dans le cas du blocage d’une partie des dépôts et des raffineries du territoire.
En précisant avoir « demandé aux préfets d’engager la procédure de réquisitions », Elisabeth Borne renvoie plutôt vers l’article L.2215-1 du code général des collectivités territoriales. Ce dernier donne pouvoir aux préfets, par arrêté, de « requérir toute personne nécessaire » quand « l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige ».
S’agissant des dépôts d’Esso-ExxonMobil, les représentants de l’Etat devront donc justifier dans leur arrêté l’atteinte à l’ordre public à l’origine de la réquisition, et préciser les lieux, durée et nombre de travailleurs concernés par les mesures. Ceux qui, parmi ces derniers, refuseraient de s’y conformer encourraient jusqu’à six mois de prison et 10 000 euros d’amende.
Ces arrêtés préfectoraux constituent-ils, comme le dénoncent certains syndicats, une entrave au droit de grève, consacré par le préambule de la Constitution ? La question s’était déjà posée en 2010, lors des dernières réquisitions de salariés intervenues en France, déjà motivées à l’époque par des pénuries à la pompe.
En octobre 2010, une vague de protestations contre la réforme des retraites déferle sur la France, alors présidée par Nicolas Sarkozy. Les douze raffineries du pays sont bloquées. L’Etat décide alors de réquisitionner, par la voie d’arrêtés préfectoraux, des salariés grévistes dans la raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne) et dans les dépôts pétroliers de Donges (Loire-Atlantique) et de Gargenville (Yvelines), offrant à la justice administrative l’occasion de préciser les conditions d’application de l’article L.2215-1.
En Seine-et-Marne, le tribunal administratif de Melun, saisi par l’intersyndicale de la raffinerie de Grandpuits, suspend dès le mois d’octobre un premier arrêté préfectoral de réquisition. Le juge considère que ce dernier porte une « atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève ». En cause : le préfet a réquisitionné 170 salariés, soit « la quasi-totalité du personnel de la raffinerie », instaurant, de fait, un « service normal ».
Toujours en octobre, le Conseil d’Etat confirme qu’un arrêté de réquisition doit se limiter aux strictes « équipes nécessaires » à la reprise d’activité permettant le maintien de l’ordre public. Son arrêt apporte alors deux autres précisions. Le juge apprécie, pour valider un arrêté, l’exhaustivité des conditions de réquisition du préfet : « les motifs de la réquisition, sa durée, les prestations requises, les effectifs requis ainsi que leur répartition ». L’atteinte à l’ordre public doit être enfin finement justifiée : en l’espèce, les grèves menaçaient « la sécurité aérienne » à l’aéroport Charles-de-Gaulle et le « ravitaillement des véhicules de services publics et de services de première nécessité ».
Le risque d’aggraver la crise
Envisagée pour le moment sur les seuls dépôts d’Esso-ExxonMobil, et non sur les sites plus nombreux encore de Total, la réquisition pourrait durcir le bras de fer engagé entre les représentants de salariés et les directions d’entreprises. « Ce serait la guerre », avait prévenu mardi sur Franceinfo Emmanuel Lépine, secrétaire général de la Fédération professionnelle de pétrole de la CGT, qui représente des stations Esso et Total.
« Nicolas Sarkozy avait commis cet acte illégal et la France a été condamnée en 2011, l’année suivante, puisque ça enfreint la convention 87 de l’Organisation internationale du travail [sur le droit de grève et la liberté syndicale], donc si Emmanuel Macron veut également faire condamner l’État (…) qu’il le fasse », avait également mis en garde le syndicaliste.
Dans les faits, la France n’a pas été « condamnée » par l’Organisation internationale du travail pour ses réquisitions de 2010. Saisie d’une plainte par la CGT, l’agence spécialisée de l’ONU avait toutefois recommandé au gouvernement français, « à l’avenir », de « privilégier la participation des organisations de travailleurs et d’employeurs concernées (…) et de ne pas recourir à l’imposition de la mesure par voie unilatérale ».
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Première réforme sociale du second quinquennat d’Emmanuel Macron et première étape de la feuille de route du gouvernement vers le plein-emploi, le projet de loi Assurance-chômage a été adopté en première lecture, mardi 11 octobre, par l’Assemblée nationale, avec 303 voix pour, 249 contre et 11 abstentions. Un vote lors duquel les députés de la majorité – Renaissance, MoDem, Horizons – ont reçu le soutien des élus du parti Les Républicains (LR). L’appui des députés de droite ne faisait guère de doute depuis que l’amendement qu’ils avaient déposé au sujet des abandons de poste avait été adopté, mercredi 5 octobre, lors de l’examen du texte en séance. Un court texte de cinq articles présenté comme technique mais pas dénué d’une forte portée politique, compte tenu des changements qu’il va engendrer.
Prolongement des règles d’indemnisation
L’objectif premier de ce projet de loi était de permettre au gouvernement de proroger par décret les règles d’indemnisation chômage issues de la réforme de 2019 jusqu’au 31 décembre 2023. Celles-ci, qui n’ont été appliquées qu’à partir de 2021 en raison de la crise liée au Covid-19, arrivaient à terme le 31 octobre. Sans ce décret, les demandeurs d’emploi se seraient donc retrouvé sans indemnisation au 1er novembre.
Modulation en fonction de la conjoncture économique
En adoptant ce projet de loi, les députés permettent au gouvernement de prendre un autre décret, afin de changer une nouvelle fois les règles d’indemnisation. Mesure annoncée par Emmanuel Macron lors de son interview du 14-Juillet, la modulation des indemnités doit être mise en place début 2023. Avec ce système, l’indemnisation des chômeurs évoluera selon la conjoncture économique. « Quand les choses vont très bien, il faut que les règles soient incitatives, et, quand les choses vont moins bien, il faut qu’elles soient plus protectrices », a répété plusieurs fois depuis septembre le ministre du travail, Olivier Dussopt.
Si les indicateurs de la santé du marché du travail (taux de chômage, nombre d’offres d’emploi disponibles comparé au nombre de chômeurs) et les paramètres de la modulation ne sont pas encore arrêtés, M. Dussopt en a toutefois précisé les contours. Il est ainsi exclu de toucher au montant des indemnités mais « on peut en revanche s’interroger sur les conditions d’entrée dans le régime – six mois travaillés sur vingt-quatre aujourd’hui – et sur la durée d’indemnisation », a-t-il affirmé au Journal du dimanche, le 9 octobre. Ce périmètre donnera le cadre de la concertation avec les partenaires sociaux qui doit démarrer la semaine du 17 octobre, alors qu’elle était promise pour mi-septembre. Un retard à l’allumage qui s’explique notamment par des réflexions liées à une possible territorialisation de la modulation pour les outre-mer, où le taux de chômage peut être deux fois supérieur à celui de la métropole.
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Tanuja Gupta garde un souvenir ému du « Walk Out », qu’elle a coorganisé au sein de Google le 1er novembre 2018 : ce jour-là, avec près de 20 000 autres employés du géant du numérique, elle a marché contre le harcèlement sexuel et pour les droits des femmes. A New York, où elle se trouvait, mais aussi au siège de Google, en Californie, à Singapour, à Londres, à Zurich ou à Toronto, les protestataires sont sortis de leurs bureaux pour battre le pavé. Une manifestation inédite pour un fleuron de la « tech » qui comptait déjà 85 000 employés mais restait très étranger à toute culture syndicale. « Cela a été le début d’un mouvement », se rappelle Mme Gupta, qui à l’époque était cheffe de projet au service Google Actualités.
Sur les pancartes des salariés de Google, on pouvait lire « Don’t be evil », un clin d’œil au slogan de l’ancienne start-up californienne jurant de « Ne pas faire le mal ». Ou encore : « Parlez fort, osez parler », ou « Je quitterais l’entreprise avec plaisir pour 90 millions de dollars – pas besoin de harcèlement sexuel. » Une référence au scandale qui a déclenché le Walk Out : quelques jours plus tôt, le New York Times avait révélé que le dirigeant Andy Rubin, père du système Android, avait quitté l’entreprise en 2014 avec un généreux chèque et les hommages de la direction, alors qu’il était soupçonné d’agression sexuelle : une employée avec qui il entretenait une relation extraconjugale l’avait accusé de l’avoir forcée à pratiquer une fellation dans une chambre d’hôtel – ce qu’il niait. Selon le quotidien, un autre cadre mis en cause dans une autre affaire était parti avec un chèque et un autre avait été promu.
La discrétion de Google sur ces cas gênants a été associée à une pratique : « l’arbitrage forcé ». Dans la plupart des entreprises, il rendait obligatoire, pour un salarié portant une plainte pour harcèlement sexuel, de passer par une médiation, avec une transaction. La victime renonçait à aller devant les tribunaux et signait une clause de confidentialité.
Sans apaiser l’indignation
« Mettre fin aux arbitrages forcés était une des premières revendications du Walk Out », raconte Mme Gupta, qui s’est spécialisée sur cette cause. En réaction, dès le 1er novembre 2018, le PDG Sundar Pichai a assuré être « profondément désolé pour les actions passées ». Et début 2019, Google a mis fin à ces procédures. « Ensuite, tout un mouvement national s’est construit contre cette pratique, raconte Mme Gupta, rejointe dans sa lutte par Gretchen Carlson (qui a porté plainte pour harcèlement sexuel à Fox News), ou Susan Fowler (qui a dénoncé la culture toxique chez Uber). Finalement, nous avons réussi à la rendre illégale ! Cela a pris cinq ans. » L’activiste était à la Maison Blanche en mars, quand Joe Biden a signé la loi interdisant ces arbitrages. « C’est un grand pas. Mais cela reste un premier pas. Il y a encore tant à faire », soupire-t-elle.
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A quoi reconnaît-on une journée chez Braaxe ? Une salle de réunion toujours fermée à clé ; des godemichés disséminés dans l’open space ; enfin, un dirigeant qui demande régulièrement à ses salariées s’il peut leur « bouffer les seins » ou « la chatte », dégrafe souvent leur soutien-gorge, les oblige à regarder un film pornographique sur le vidéoprojecteur à la pause déjeuner, ou leur envoie parfois, le soir, des SMS comme « Tu m’envoies une photo de ton anus pour 1 000 euros ? »
Le 29 septembre avait lieu, devant le conseil de prud’hommes de Paris, le procès emblématique du #metoo de la publicité : Julien Casiro, fondateur de l’agence parisienne Braaxe, désigné par une trentaine de témoignages anonymes, à la fin de 2020, sur la page Instagram « Balance ton agency » (« BTA »), est attaqué par son ancienne directrice conseil, qui souhaite faire reconnaître le harcèlement sexuel d’ambiance entretenu par son supérieur. Neuf anciens salariés ont témoigné dans le dossier.
A son éclosion, l’affaire avait stoppé net la croissance de Braaxe : face à l’afflux de témoignages, l’agence Australie, qui devait racheter sa consœur, a abandonné ce projet en décembre 2020, mentionnant le résultat des enquêtes internes intervenues entre-temps, et qui avaient confirmé l’omniprésence du harcèlement.
« Je vois assez peu de conséquences sur les appels d’offres »
Si, dans l’univers de l’entreprise, plusieurs secteurs ont été particulièrement montrés du doigt (médias, jeux vidéo, restauration…), deux d’entre eux ont vu le « name and shame » (« nommer et couvrir de honte ») prendre une dimension quasi industrielle : les start-up et la publicité, dénoncées sur Instagram par les comptes « Balance ta start-up » (193 000 abonnés à ce jour) et « Balance ton agency » (320 000), la plupart du temps pour leurs conditions de travail parfois désastreuses.
Dans les agences de publicité, les cas de harcèlement sexuel sont plus nombreux. L’association Les Lionnes, née en mars 2019 pour pousser les entreprises à agir, a été au cœur d’une première vague de révélations : elle a, par exemple, recueilli une vingtaine de témoignages mettant en cause un haut dirigeant de la filiale française de l’agence américaine McCann pour agissements sexistes, avant de les rendre publics face à l’inaction de l’entreprise.
BTA a suivi, fin 2020. Pour sa créatrice, Anne Boistard, une ancienne salariée de Braaxe, dont l’initiative divise le milieu, l’anonymat était nécessaire pour libérer la parole, car « on a affaire à des salariés très jeunes, qui veulent juste éviter d’être licenciés ». Elle relève un problème systémique, dans un milieu professionnel caractérisé par son côté « cool », ses soirées arrosées, ses syndicats inexistants et ses représentants du personnel factices.
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Lancées en 2021, ces classes préparatoires qui préparent à des concours de cadres de la fonction publique peinent à se remplir, dans un contexte de baisse d’attractivité de ces carrières. La sélectivité des concours de catégorie A n’a jamais été aussi faible.
Alors que les signalements d’agissements sexistes et de harcèlement sexuel augmentent, le nombre de saisines aux conseils de prud’hommes ne cesse de baisser. La chute est de 55,6 % en dix ans. Un paradoxe qui trouve en partie son explication du côté des évolutions législatives. Depuis la création du « barème Macron », né des ordonnances de 2017 (ordonnance n° 2017-1387, art. 2), les dossiers de licenciement sans cause réelle et sérieuse de salariés ayant peu d’ancienneté aboutissent à des indemnisations minimales, qui ne prennent plus en compte la nature du préjudice.
« Mais s’il y a une situation qui apparaît pouvoir être qualifiée de harcèlement, on sort du barème Macron. Le licenciement étant très mal indemnisé, on va de plus en plus sur du harcèlement », explique Me Elise Fabing, avocate au barreau de Paris. Et, parce qu’« une victime de harcèlement sexuel a besoin de sortir digne de son entreprise et de temps pour retrouver un emploi, on va aller chercher un matelas financier ».
« Le prix de la paix »
Les affaires ne passent pas pour autant par les prud’hommes, ou ne débouchent pas sur une sanction pénale. « Dans le harcèlement sexuel, il y a énormément de transactions. Par exemple, dans mon cabinet, j’ai entre 80 % et 90 % d’issues amiables », témoigne Me Fabing, par ailleurs autrice d’un Manuel contre le harcèlement au travail (Hachette Pratique, 2021). Cela pour deux raisons principales : d’une part parce que les victimes ont peu confiance dans la justice sociale, à cause des délais très longs ; d’autre part car les entreprises ne veulent pas que les affaires de harcèlement sortent de leurs murs.
« Au nom de la confidentialité, la transaction peut aboutir à des sommes supérieures au risque contentieux, car le présumé harceleur reste en poste. L’entreprise fait partir la victime avec un chèque, c’est le prix de la paix. Mais c’est un vrai problème, car ça ne permet pas aux entreprises de modifier leur comportement, regrette Me Fabing. Certaines victimes préfèrent obtenir justice, mais peu en ont les moyens. » Celles qui y parviennent ont souvent quitté leur entreprise avant d’attaquer.
Le monde du travail semble découvrir le sexisme ordinaire. « T’es enceinte ? ENCORE ?? », « T’es passée sous le bureau pour avoir le poste ? » Ces deux SMS reçus par des salariées et recueillis par l’avocate Elise Fabing en disent long sur l’ampleur du problème de harcèlement auquel les employeurs doivent faire face.
Les entreprises partent de loin. « On a beaucoup de boulot »,constate Yann Illiaquer, responsable diversité et référent harcèlement d’EDF. « Le groupe ressemble à la société française avec sa culture un peu machiste. Je me félicite de l’augmentation des dossiers de signalement, ça signifie qu’on en met de moins en moins sous le tapis », poursuit M. Illiaquer, présent au colloque organisé le 28 septembre par le cabinet Technologia pour faire le bilan du rôle de « référent harcèlement », une nouvelle fonction créée en 2018 pour «lutter contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes au travail ».
La prise de conscience des employeurs est relativement récente. Moins de dix ans. Elle a été déclenchée par l’entrée dans le code du travail, en 2015, du concept d’« agissements sexistes », « ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».
Deux ans plus tard, en 2017, #metoo a commencé à libérer la parole des salariés, tout doucement. Car « à la différence du harcèlement moral, la parole de la victime [d’agissements sexistes ou de harcèlement sexuel] est plus difficile à recueillir. C’est souvent la rumeur qui parvient d’abord aux DRH », souligne Me David Guillouet, du cabinet d’avocats MGG Voltaire. Mais l’enjeu a pris de l’ampleur cette année, avec l’entrée en vigueur, en mars, d’une nouvelle loi qui permet de qualifier les comportements sexistes de harcèlement sexuel.
« Petit à petit, ça évolue »
Mais c’est surtout depuis quatre ans que les entreprises ont commencé à bouger. Pas toujours aisément. Les grandes organisations ont souvent un ou des référents harcèlement rattachés à la direction et d’autres au comité social et économique (CSE). Ces référents employeur, d’une part, et référents CSE, d’autre part, réagissent aux alertes des salariés ou des élus, parfois ensemble, souvent en parallèle. « Depuis quatre ans que je suis référent harcèlement, la référente employeur, je ne l’ai pas vue », déplore Ahmed Berrahal, le référent harcèlement CGT-RATP, réintégré à l’entreprise sur décision de justice après avoir été licencié alors qu’il défendait une victime d’agression sexuelle.
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Droit social. « La libre communication des pensées et des opinions est l’un des droits les plus précieux de l’Homme » (1789). Au pays de Voltaire, la jurisprudence se montre très libérale lorsqu’elle statue sur de très, très vifs propos tenus par les salariés. La situation des manageurs est spécifique, et de plus en plus en fonction de leur niveau hiérarchique.
Depuis la loi du 4 août 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise, le salarié-citoyen, hier avant tout subordonné, est devenu un citoyen-salarié (Pouvoirs du chef d’entreprise et libertés du salarié, de Laurence Pécaut-Rivolier, Yves Struillou et Philippe Waquet, Economica, 568 pages, 67 euros).
Toutefois, l’entreprise n’étant pas une place publique, mais un lieu de production par une communauté de travail, et les dérapages de quelques-uns pouvant coûter cher à tous : « Même si la bonne foi contractuelle n’implique pas une obligation de réserve entraînant la sujétion du travailleur aux intérêts de l’employeur, certaines manifestations du droit à la liberté d’expression qui pourraient être légitimes dans d’autres contextes ne le sont pas dans le cadre de la relation de travail » (cour de Strasbourg (CS), 12 septembre 2011).
C’est l’arrêt fondateur du 14 décembre 1999 de la Cour de cassation, qui a inversé la logique d’hier, résumée par un ancien ministre de l’industrie [Jean-Pierre Chevènement, en 1983] : « Un ministre, ça démissionne, ou ça ferme sa gueule. » Un directeur financier ayant diffusé un document fort critique au comité de direction est licencié pour faute : « Sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression. Il ne peut être apporté à celle-ci que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Chargé d’une mission financière de très haut niveau, M. P. pouvait être amené à formuler, dans le cercle restreint du comité directeur dont il était membre, des critiques, même vives, le document litigieux ne comportant pas de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs. »
370 000 euros
L’injure ou la diffamation étant des infractions pénales, le débat judiciaire porte sur ce caractère « excessif », mais aussi l’audience éventuelle du message (risque maximum : Twitter). La formulation peut aussi jouer, a fortiori pour un cadre supérieur : « Les termes étant déloyaux et malveillants à l’égard de l’employeur, M. Y. , directeur artistique, avait abusé de sa liberté d’expression » (faute grave, CS, 11 avril 2018).
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Alors que les députés s’apprêtent à voter un projet de loi qui durcit les règles d’assurance-chômage, le gouvernement envisage de nouvelles mesures sur le fonctionnement du régime. Dans un entretien au Journal du dimanche (JDD) du 9 octobre, le ministre du travail, Olivier Dussopt, évoque plusieurs pistes dont le but est de maintenir en activité les travailleurs âgés d’une soixantaine d’années. L’une des hypothèses à l’étude pourrait consister à diminuer la durée d’indemnisation des seniors privés d’emploi, qui, à l’heure actuelle, est allongée.
M. Dussopt a tenu ces propos juste avant l’ouverture du premier « cycle de concertation » sur la réforme des retraites. A partir de mardi, le ministère du travail reçoit des représentants syndicaux et patronaux pour plancher sur « l’emploi des seniors et la prévention de l’usure professionnelle ». Un enjeu majeur en France, puisque la part des 60-64 ans ayant un poste s’avère faible : 32,7 % en 2019, contre 70 % en Suède et 61,8 % en Allemagne.
« Nos mauvais résultats s’expliquent par plusieurs causes », confie M. Dussopt au JDD. Le ministre cite notamment des « dispositifs qui peuvent être perçus comme des encouragements, pour les employeurs, à se séparer des seniors ». C’est le cas, « par exemple », de la durée maximale d’indemnisation chômage, qui, à partir de 55 ans, passe à trente-six mois, contre trente mois pour les personnes de 53 et 54 ans, et vingt-quatre mois pour les autres. « S’il est légitime d’avoir des règles spécifiques, cette perspective peut être vue comme une voie de délestage », observe-t-il. De façon implicite, M. Dussopt laisse ainsi entendre qu’il pourrait être pertinent de mettre fin au système dérogatoire dont bénéficient les demandeurs d’emploi les plus âgés.
« La méthode ne va pas »
D’autres options sont mises en avant, en particulier la possibilité, pour « un senior qui accepte un emploi moins bien payé, de conserver une partie de son indemnité chômage afin de compenser le manque à gagner » par rapport à sa précédente activité. Le ministre mentionne une autre incitation, destinée, cette fois-ci, aux patrons : les « exonérations de cotisations sociales » pour l’embauche de femmes et d’hommes en fin de carrière.
Au cabinet de M. Dussopt, on affirme que les discussions sur l’indemnisation des personnes ayant au moins 55 ans « ne sont, a priori, pas prévues dans le cadre du projet de loi assurance-chômage ». Ce texte, qui fixe notamment des règles plus strictes pour les salariés abandonnant leur poste, doit être adopté, mardi 11 octobre, en première lecture à l’Assemblée nationale.
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