Archive dans octobre 2022

L’écosystème des start-up affirme vouloir renforcer la lutte contre les discriminations

Photo : les différents acteurs du monde des start-up présents au ministère de l’économie à Bercy, le lundi 17 octobre 2022.

Inciter les plus gros fonds d’investissement à mettre au premier plan les questions de diversité, pour espérer que cela pousse les start-up à s’interroger davantage sur le sujet : telle est la stratégie du programme Tech Your Place, mené par l’association d’égalité des chances Diversidays et la fondation Mozaïk RH.

Ce mouvement a accueilli, lundi 17 octobre, douze nouveaux adhérents, tous des fonds (parmi lesquels Eurazeo, Alter Equity ou encore Ring Capital), qui se sont engagés à mettre en place une série de mesures en interne pour lutter contre toutes formes de discriminations (handicap, genre, origine, orientation sexuelle…), notamment à l’embauche.

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Si le secteur associatif et les initiatives pour plus de diversité foisonnent déjà dans la « tech », les résultats sont plus qu’insuffisants. C’est d’ailleurs le constat d’une étude menée par Diversidays, et présentée en amont des annonces du soir, au ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Une démarche nécessaire

Réalisée en ligne début 2022 avec Occurrence et PwC auprès de 1 004 salariés français, auxquels s’ajoute un échantillon de 95 répondants travaillant ou ayant travaillé dans une start-up, cet état des lieux de l’inclusion dans l’écosystème montre un paradoxe : alors que 78 % des salariés ont une bonne opinion des start-up, seuls 20 % d’entre eux ont déjà envisagé de postuler au sein d’une de ces « jeunes pousses » (le chiffre tombe à 9 % pour les répondants sans diplôme, 8 % pour ceux entre 46 et 60 ans).

Quand on leur demande les critères susceptibles de restreindre le recrutement au sein de ces entreprises, les salariés évoquent le niveau de diplôme (pour 50 % d’entre eux), l’âge (48 %), l’origine géographique (16 %), l’origine sociale (15 %), l’origine ethnique (14 %) et enfin le genre (14 %). Autre donnée marquante, les salariés en start-up sont 39 % à déclarer avoir été victimes d’au moins une situation de discrimination lors de leur embauche, et 40 % ont été témoin d’une discrimination.

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Les nombreux dirigeants présents à Bercy ont tous évoqué librement ce « problème ». « Les fondateurs sont quand même souvent des mâles blancs qui ont fait de belles études, ça me terrifie, assume Benoist Grossmann, CEO d’Eurazeo. On a donc choisi d’intégrer ces processus d’inclusion de manière officielle. »

De l’importance du passage à l’acte

Pour progresser, le mouvement Tech Your Place impose aux adhérents qu’il accompagne − notamment sur la formation à la lutte contre les discriminations et le recrutement inclusif − de respecter une dizaine de principes, parmi lesquels : insérer systématiquement une clause « inclusion et diversité – égalité des chances » dans les pactes d’investissement, comprenant notamment la mise en place d’une politique inclusion et diversité au sein des entreprises financées ; mettre en œuvre une politique d’inclusion et diversité dans leur propre organisation et, surtout, « mesurer l’efficience de cette politique avec des indicateurs chiffrés pertinents et outils adaptés », ainsi que publier leurs résultats annuels sur leur site internet ; ou encore, nommer au moins un référent inclusion et diversité.

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Assurance-chômage : l’Unédic analyse les effets à attendre de la réforme du système d’indemnisation

Quels seront les effets de la modulation des règles d’indemnisation de l’assurance-chômage ? La question est plus que jamais posée alors que le ministre du travail, Olivier Dussopt, a ouvert, lundi 17 octobre, un cycle de concertation avec les organisations syndicales et patronales sur le sujet. L’Unédic, l’association coadministrée par les partenaires sociaux qui pilote le système d’indemnisation des demandeurs d’emploi, en a profité pour donner un début de réponse dans une étude présentée vendredi 14 octobre.

Le document, auquel Le Monde a eu accès, « vise à présenter l’état des lieux des indicateurs reflétant l’état conjoncturel du pays ainsi que les mécanismes à l’œuvre lorsque certains paramètres sont modifiés ». Pour rappel, en appliquant un principe de « contracyclicité », le gouvernement souhaite durcir les règles d’indemnisation lorsque le marché du travail se porte bien afin d’inciter au retour à l’emploi ; et les rendre plus protectrices quand la situation est plus défavorable. L’étude de l’Unédic fait une analyse juridique de la situation et donne ensuite un chiffrage des mesures envisagées par le gouvernement. « Des ordres de grandeurs à considérer avec prudence », précise le document, car ils peuvent considérablement varier selon les choix qui seront faits.

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Dans un premier temps, le document se penche sur les indicateurs qui pourraient être retenus pour définir l’état de la conjoncture. Trois types d’indicateurs peuvent être choisis : ceux qui concernent l’activité économique, ceux sur l’ampleur du chômage et, enfin, ceux en rapport avec les tensions sur le marché du travail. L’Unédic, qui liste les avantages et inconvénients pour chacun, propose de combiner des indicateurs afin « de prendre en compte différents aspects du marché du travail », de les observer sur plusieurs trimestres et de retenir ceux qui présentent des résultats « en niveau et évolution » pour différencier les débuts et fins de cycles économiques.

« Les moins qualifiés » touchés

L’organisme paritaire s’intéresse ensuite aux cinq paramètres que le gouvernement pourrait choisir de moduler. Deux concernent les conditions d’accès à l’assurance-chômage. D’abord celui qui consiste à augmenter ou à baisser le nombre de mois de travail nécessaires (six actuellement) pour bénéficier d’une indemnisation. Un paramètre qui toucherait d’abord « les fins de CDD et d’intérim, les moins qualifiés et les jeunes », selon le document. Mais dont les effets seraient immédiats et entraîneraient une diminution des dépenses de 400 à 500 millions d’euros par an par mois supplémentaire d’affiliation requise. Car une hausse d’un mois d’affiliation requise entraînerait une baisse de 100 000 ouvertures de droits.

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Assurance-chômage : le gouvernement reste flou sur la modulation des règles d’indemnisation

Le ministre du travail, Olivier Dussopt, à Matignon, à Paris, pour des entretiens sur la réforme des retraites avec le premier ministre et les présidents des groupes parlementaires, le 13 octobre 2022.

Des précisions qui ne dissipent pas le brouillard. Alors que le projet de loi ouvrant la voie à une réforme de l’assurance-chômage a été adopté à l’Assemblée nationale, mardi 11 octobre, et sera examiné au Sénat, le 25 octobre, le ministre du travail, Olivier Dussopt, recevait, lundi 17 octobre, les partenaires sociaux en ouverture du cycle de concertations consacré à la modulation des règles d’indemnisation en fonction de l’état du marché du travail.

Lors d’une réunion de deux heures, M. Dussopt a présenté à toutes les organisations syndicales et patronales – à l’exception de la CGT, qui avait annoncé dans un communiqué son refus de participer à une concertation dont « l’issue est contrainte » – les pistes privilégiées pour la mise en place de la modulation. Malgré cet exposé, une impression de flou entoure toujours les critères d’application.

Moduler les règles d’indemnisation

Le gouvernement compte pourtant aller vite : la concertation doit se poursuivre avec des rencontres bilatérales, avant de se conclure par une nouvelle réunion multilatérale le 21 novembre, afin de présenter les arbitrages du ministère pour une application de la réforme, par décret, début 2023. Car selon l’exécutif, il y a urgence à agir, alors que les difficultés de recrutement ne diminuent pas en même temps que le taux de chômage reste stable, autour de 7,5 % de la population active. C’est dans ce contexte qu’il souhaite donc intégrer des mécanismes de modulation des règles d’indemnisation pour rendre ces dernières incitatives quand la situation du marché du travail est considérée comme favorable, et plus protectrices quand elle se détériore.

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Un principe de « contracyclicité », avec lequel les organisations syndicales ont de nouveau manifesté leur profond désaccord. « Nous avons rappelé au ministre que nous sommes opposés à un système de modulation, quel qu’il soit », a indiqué Michel Beaugas, secrétaire confédéral de FO, après la rencontre. Même son de cloche du côté de la CFDT : « On a l’intention de discuter du bien-fondé de la réforme avant de discuter des critères », a affirmé la secrétaire générale adjointe de la centrale, Marylise Léon. Jean-François Foucard, secrétaire national de la CFE-CGC s’est dit, lui, « très dubitatif sur le fait que cette modulation puisse résoudre les problèmes de recrutement. » « Des jours sombres s’annoncent pour les demandeurs d’emploi », a de son côté lancé le secrétaire confédéral de la CFTC, Eric Courpotin.

La nécessité de faire simple

En revanche, le patronat s’est montré, de manière assez inattendue, divisé sur la question. Michel Picon, vice-président de l’Union des entreprises de proximité (U2P) – qui représente les artisans, professions libérales et commerçants – a ainsi évoqué « les doutes » de son organisation, « notamment sur la corrélation entre la contracyclicité et [la] capacité à recruter plus facilement. Il nous paraît plus important de travailler sur la formation, a poursuivi M. Picon. Les gens qui arrivent dans nos petites entreprises sont bien loin du niveau d’employabilité qu’on attend. On a donc émis un certain nombre de réserves. » Le Medef, par l’intermédiaire d’Hubert Mongon, a, lui, « clairement exprimé que ces propositions allaient dans le bon sens pour répondre aux problèmes de recrutement » selon l’organisation patronale ; tout comme Jean-Michel Pottier, pour la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) : « Nous nous inscrivons dans cette réflexion sur la modulation, de manière très nette. »

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L’argot de bureau : « brown out », le travail en sous-tension

Bienvenue dans l’ère du travailleur basse consommation : son corps bouge, ses mains tapotent son clavier, il marche pour se rendre jusqu’à son bureau… Mais aucune dépense d’énergie n’est superflue pour ce salarié zombie. A l’intérieur de son crâne, c’est le désert de Gobi : rien ne s’y passe, et une fois sorti du travail, il ne sait dire ce qu’il a concrètement fait de sa journée.

Cette description ressemble peu ou prou au synopsis de la série dystopique Severance (Apple TV), qui alerte sur l’évolution du travail : dans une entreprise fictive, les employés subissent une opération de séparation entre leurs souvenirs professionnels et privés, car ils ne veulent pas connaître le sens de ce qu’ils font au bureau. Cette invention serait-elle une (sinistre) solution au « brown out », nouveau terme qui décrit la perte de sens au travail ?

Entre burn out et black-out

A mi-chemin entre burn out et black-out, le salarié victime de brown out fait tout sauf des étincelles. Le salarié en brown out voit son énergie chuter à petit feu, car le phénomène physique désigne justement une baisse de courant (volontaire ou non) dans un circuit électrique, afin d’éviter la surchauffe.

Moins célèbre que le burn out, phénomène plus brutal puisque le surinvestissement d’un salarié est subitement rattrapé par sa santé, le brown out est aussi plus difficile à repérer. Les symptômes sont aujourd’hui bien établis : perte de concentration, de motivation, de confiance en soi. Certains psychologues citent un excès de cynisme ou de désinvolture. Le travailleur broie du noir, ou en l’occurrence du marron (brown).

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C’est le grand frère, et le versant pathologique de l’expression qui inonde les médias et les discours des DRH inquiets en cette rentrée : le « quiet quitting » (ou démission silencieuse), qui consiste à considérer le travail à sa juste valeur, et dès lors à réaliser le minimum syndical à son poste. Le brown out est parfois traduit par « démission mentale ».

Ici, l’épuisement professionnel relève d’une perte de sens, quand le « bore out » (encore un cousin, mais probablement le plus similaire) est synonyme d’ennui chronique. Plus qu’un problème de management, le brown out a souvent à voir avec la fiche de poste du salarié : répétitives, les tâches sont bien en dessous du niveau de diplôme et du potentiel de son exécutant.

Des métiers à plus faible sens

Le concept est indissociable de celui de « bullshit jobs », ces emplois inutiles qui ne servent qu’à occuper des travailleurs et ne créent rien, théorisés par l’anthropologue David Graeber (1961-2020). On attribue d’ailleurs la paternité du brown out à l’anthropologue américain.

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Atsem : éduquer, nettoyer, câliner… Vingt-quatre heures avec les petites mains des écoles maternelles, en mal de reconnaissance

Quatre jours par semaine, Nathalie Ciesielski a rendez-vous avec « maîtresse Claire », dans la classe de toute petite section (TPS) de l’école Mont-Saint-Quentin de Péronne (Somme). Elle est Atsem, pour « agente territoriale spécialisée des écoles maternelles ». Le bras droit de la professeure des écoles, dont elle accompagne les ateliers pour les écoliers de 2 ans. Au programme aujourd’hui : cuisine et peinture.

Nathalie Ciesielski, à l’école Mont-Saint-Quentin, à Péronne (Somme), le 6 octobre 2022.

La matinée passe en un éclair. Il faut sortir sucre et farine, ranger farine et sucre, nettoyer la table, déplacer la table, protéger la table des projections de gouache avec des pages du Courrier picard, glisser une barrette dans les cheveux d’une toute petite, montrer comment on se sert du lavabo en appuyant fort sur le bouton-poussoir, répondre à l’interphone, récupérer un bulletin de vote pour l’élection des parents délégués, retrouver les peluches – Charlotte la marmotte, Quentin le bouquetin – et à chaque minute câliner, rassurer, stimuler. « J’arrête, je reprends, j’arrête et je reprends », détaille Mme Ciesielski, 52 ans, que ce ballet fait beaucoup marcher : « Il faudrait des rollers ! »

Il s’agit aussi de changer les couches. Sur treize enfants, trois sont propres. Aux plus dégourdis, l’agente explique le bon usage des sanitaires. « J’ai des parents qui me disent : “Elle ne veut pas aller aux toilettes !” Je leur réponds : “On va y arriver.” » En s’occupant des enfants, on soutient aussi les pères et les mères de ce quartier populaire, planté de barres d’immeubles et classé en réseau d’éducation prioritaire.

Nathalie Ciesielski (à gauche), Claire Savary, la maîtresse (à droite), et des élèves de la toute petite section de l’école Mont-Saint-Quentin, à Péronne (Somme), le 6 octobre 2022.

Assistance éducative

L’éducation à l’hygiène reste la spécialité de celles qu’on a longtemps appelées « femmes de service », mais ces fonctionnaires de catégorie C endossent, depuis une trentaine d’années, des fonctions d’assistance éducative auprès du corps enseignant. Plusieurs décrets ont entériné cette mutation sans qu’elle s’accompagne, aux yeux des syndicats, de la reconnaissance nécessaire. Les Atsem étaient appelées à la grève, les 5 et 29 septembre, par la CGT-Fonction publique et l’UNSA-Territoriaux, pour demander des hausses de salaires, la reconnaissance de la pénibilité et de meilleures perspectives de carrière.

Les agentes diplômées commencent au smic et peuvent escompter 1 600 euros net après quinze ans de métier, selon Delphine Depay, référente fédérale (concernant les services publics) de la CGT pour les Atsem. A Mont-Saint-Quentin, aucune des cinq agentes n’a participé à la grève : la plupart sont en contrat à durée déterminée, ce qui n’encourage pas les revendications.

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« Nos entreprises prisonnières d’une époque révolue nourrissent un sentiment d’absurdité chez un nombre croissant de travailleurs »

« Donner du sens au travail. » Quoi qu’on en dise, les employeurs ne s’en soucient qu’en minorité et en surface. Même les entreprises qui ont fait l’effort de formuler leur « raison d’être » passent à côté de l’essentiel : le retour des enjeux vitaux, véhiculé notamment par la violence climatique et la précarité des ressources.

À l’exception de quelques actions de sobriété déclenchées par la flambée des prix de l’énergie, le quotidien des employés n’a pas changé durant ces dernières années. La hiérarchie des priorités qu’on leur donne est étonnamment stable. Les indicateurs jugés clés restent les mêmes.

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Les projets internes, les procédures, les outils, les formations… rien de tout cela n’a évolué fondamentalement. En réalité, nos organisations restent prisonnières d’une époque révolue, et nourrissent ainsi un sentiment d’absurdité chez un nombre croissant de travailleurs. Comment expliquer une telle inertie ? Et surtout, comment en sortir pour redonner du sens ?

Du problème de l’obsolescence individuelle

Beaucoup a été dit sur les causes de cette inertie, et il n’est pas question ici de toutes les passer en revue. J’insisterai sur l’une d’entre elles, passée sous silence malgré son caractère déterminant dans les organisations productives. Les projecteurs sont aujourd’hui braqués sur les menaces environnementales et industrielles. Ce choix est compréhensible, mais il laisse dans l’ombre une autre menace : l’obsolescence individuelle.

Pour en mesurer le poids, il faut tout d’abord considérer que chacun de nous a longuement et lourdement investi pour acquérir un savoir-faire. Ce savoir-faire est un ensemble de solutions dont la valeur dépend de la persistance des problèmes qu’il permet de résoudre. Autrement dit, notre existence en tant que producteur dépend entièrement des problèmes qui nous ont vu mûrir.

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Agir vigoureusement en faveur du climat et de la sécurité des approvisionnements revient à abandonner les problèmes passés, donc à dévaluer brutalement les solutions que nous incarnons… Il est vrai que d’autres avant nous ont vécu l’obsolescence individuelle, mais à un moment donné de l’histoire ils n’étaient qu’une minorité dominée.

Le danger du statu quo

Dans le cas présent, la menace concerne un nombre écrasant de décideurs et d’« influenceurs », c’est-à-dire les ingénieurs, les cadres, les professeurs et autres têtes pensantes à l’origine de ce qui structure la vie quotidienne des organisations.

De surcroît, ces acteurs se tiennent les uns les autres. Nous sommes tous entourés de patrons, de clients, d’actionnaires… bref de donneurs d’ordre. Prendre seul l’initiative de sortir de l’immobilisme revient à faire sécession. Cela implique de dire aux donneurs d’ordre : « vos préoccupations anciennes sont dérisoires ». Le verrouillage est systémique !

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« Pour les grands groupes européens, partager les risques avec leurs sous-traitants est la seule manière de s’assurer des approvisionnements stables »

L’envolée des prix de l’énergie en Europe va-t-elle aboutir à une grande migration des industries intensives en énergie vers des cieux où les tarifs énergétiques sont plus bas ? L’explosion actuelle des prix est en train de mettre en difficulté de nombreux secteurs d’activité. L’Allemagne est frappée de plein fouet. En France, des sociétés comme Duralex ou Arc, dans le secteur de la verrerie, ont d’ores et déjà réduit leur production. La métallurgie est globalement à la peine. Partout, en Europe, des aciéries sont mises à l’arrêt.

Certaines de ces industries vendent directement aux consommateurs mais, en réalité, les premiers acheteurs de verre, d’acier, de pièces métalliques ou d’autres productions gourmandes en énergie sont les grands groupes européens du bâtiment, de l’aéronautique, de l’automobile, de l’agroalimentaire…

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Face à la hausse brutale des prix de l’énergie en Europe, et donc des coûts de production de leurs sous-traitants habituels, ces acteurs majeurs de l’économie vont-ils se tourner vers d’autres fournisseurs, recourir par exemple à des producteurs américains qui bénéficient aujourd’hui d’une électricité à demi-tarif, ou à des entreprises asiatiques ou sud-américaines, également moins touchées par la hausse des prix de l’énergie ?

De l’intérêt à se montrer solidaires de ses fournisseurs

Même si le coût du transport peut freiner les velléités de changement de fournisseur, l’optimisation des achats est un réflexe naturel dans les grands groupes, d’ordinaire sans grands états d’âme pour leurs sous-traitants. Pourtant, les donneurs d’ordre européens peuvent avoir intérêt à se montrer solidaires de leurs fournisseurs, comme le montre l’étude de certaines pratiques pendant la pandémie de Covid-19 (Philipp Sauer, Minelle Silva et Martin Schleper, « Supply chains’sustainability trajectories and resilience : a learning perspective in turbulent environments », International Journal of Operations and Production Management, vol. 42, n° 8, 2022).

Les rares grands groupes qui, pendant la période de crise sanitaire, ont « joué collectif », prenant en compte non seulement leurs actionnaires et leurs salariés, mais aussi leurs fournisseurs, y compris lointains, ont en effet été gagnants au bout du compte. En les soutenant, grâce à leur puissance financière, ils ont permis à ces sous-traitants de traverser l’épreuve avec moins de casse, et cela a amélioré leur propre résilience au moment où l’économie est repartie.

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Ceux qui avaient « lâché » leurs fournisseurs du bout du monde, les contraignant à licencier leur personnel sans indemnisation pendant les confinements, se sont trouvés pour leur part très dépourvus lorsque a sonné l’heure de la reprise. Les salariés de ces fournisseurs s’étaient évaporés dans leurs régions d’origine, emportant avec eux leur savoir-faire. La conjoncture est aujourd’hui différente.

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Dominique Méda : « L’exécutif a une conception obsolète des politiques d’emploi »

Conformément aux annonces du candidat Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle en 2022, les trois réformes sociales à l’agenda du second quinquennat (assurance-chômage, RSA et retraites) sont lancées. La première entrera sans doute en vigueur fin 2022, la seconde fera l’objet d’une expérimentation dès janvier 2023, la troisième est en phase de concertation. Mais, alors qu’elles sont censées moderniser et dynamiser l’emploi et le marché du travail, on peut légitimement se demander si ces mesures, en particulier les deux premières, ne relèvent pas d’une conception obsolète des politiques d’emploi.

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Les réformes de l’assurance-chômage et du RSA sont toutes deux guidées par l’idée que les allocataires sont, sinon des fraudeurs – les sources administratives montrent qu’il s’agit d’un phénomène très minoritaire –, du moins des calculateurs qu’il faudrait « inciter » à prendre des emplois en réduisant le montant et/ou la durée de leurs allocations ou en exigeant d’eux des contreparties. Ce raisonnement est peu convaincant. De nombreux bénéficiaires potentiels ne réclament pas les prestations auxquelles ils sont éligibles, le nombre des chômeurs indemnisés est en forte diminution, les emplois vacants sont trop peu nombreux pour satisfaire toutes les demandes, et les difficultés de recrutement concernent en partie des postes dont les conditions de travail et d’emploi ne sont pas de bonne qualité.

De surcroît, nous avons aujourd’hui un recul suffisant pour voir que ces politiques, à la mode au tournant des années 2000 et mises en œuvre par Tony Blair au Royaume-Uni ou par Gerhard Schröder en Allemagne, ont certes donné des résultats spectaculaires en matière de taux de chômage mais se sont accompagnées d’une extension de la pauvreté (y compris des seniors) et d’une forte dégradation de la qualité de l’emploi. En Allemagne, les lois Hartz, qui ont organisé la réduction de la couverture chômage et fusionné l’indemnité chômage et l’allocation d’assistance pour obliger les chômeurs de longue durée à prendre des emplois à bas salaire, ont donné des résultats très mitigés.

Gigantesque gâchis

Est-ce vraiment la politique de l’emploi dont nous avons besoin et qui convient à notre temps ? Sans doute pas. D’abord, parce qu’elle fait porter le poids des choix publics et privés français – celui des délocalisations et de l’insuffisance d’investissement dans les compétences – sur des salariés transformés dans un premier temps en chômeurs, ensuite en demandeurs d’aide sociale et peu à peu stigmatisés ou désignés comme « assistés ». Ensuite, parce que ce malheur et cette injustice, vécus majoritairement par les classes populaires, provoquent ressentiment et vote pour les extrêmes. Enfin, et surtout, parce que cette politique constitue un gigantesque gâchis de compétences, compétences dont nous avons pourtant besoin pour la reconstruction de notre économie.

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Pénurie de carburants, en direct : 28,5 % des stations françaises « en difficulté »

Rassemblement à la raffinerie TotalEnergies de Donges, en soutien aux grévistes

Un rassemblement à l’appel de la CGT et de FO a réuni quelque 200 personnes, principalement des salariés, des représentants syndicaux et des élus, devant la raffinerie TotalEnergies de Donges (Loire-Atlantique), vendredi matin, pour soutenir le personnel de cette raffinerie en grève depuis mardi, a constaté l’Agence France-Presse (AFP).

« Il n’y a pas de blocage (…). Les seuls qui bloquent aujourd’hui, c’est la direction de Total (…). La pénurie, c’est pas les travailleurs en grève qui la causent », a insisté David Arnould, délégué syndical CGT à la raffinerie de Donges.

« C’est quoi, la réalité d’un opérateur en trois-huit ? C’est des horaires décalés, c’est bosser le week-end, c’est bosser la nuit. C’est être exposé de manière continue à des produits chimiques », a énuméré au micro M. Arnould.

Des salariés de la raffinerie, des représentants syndicaux de plusieurs entreprises de la région de Saint-Nazaire (Chantiers de l’Atlantique, Airbus, centrale thermique de Cordemais) étaient présents, ainsi que des membres du collectif Alliance écologique et sociale.

Des élus avaient également fait le déplacement, à l’instar du député La France insoumise de Loire-Atlantique, Matthias Tavel.

« Cette grève, c’est une grève d’intérêt général. Tout le monde sait que si les salariés de Total ne gagnent rien, alors aucun salarié dans le pays ne gagnera, parce que s’il y a bien une entreprise qui peut augmenter les salaires, c’est Total », a déclaré à l’AFP M. Tavel.

Des syndicalistes et des employés en grève devant le site de la raffinerie TotalEnergies de Donges, le 14 octobre 2022.

« L’économie française ne dispose pas des compétences nécessaires à l’accroissement de sa productivité »

On lit parfois que la productivité du travail en France est élevée : ce constat n’est pourtant plus d’actualité, bien au contraire. Les données d’une récente note du Conseil d’analyse économique révèlent un ralentissement marqué depuis une quinzaine d’années par rapport à l’Allemagne et aux Etats-Unis. Alors qu’au milieu des années 2000 la productivité du travail en France était plus élevée qu’aux Etats-Unis et au même niveau qu’en l’Allemagne, quinze ans plus tard, le tableau n’est plus si rose : la productivité du travail en France a décroché, et nous sommes désormais distancés à la fois par l’Allemagne et par les Etats-Unis.

Quelle est l’ampleur du problème ? Pour s’en rendre compte, supposons que le décrochage n’ait pas eu lieu et que la France ait maintenu sa productivité relative par rapport à l’Allemagne et aux Etats-Unis. Dans ce cas, selon nos estimations, le produit intérieur brut (PIB) de la France en 2019 aurait été supérieur de 140 milliards d’euros. C’est là un immense manque à gagner pour le pouvoir d’achat des Français, mais aussi pour les finances publiques, qui engrangeraient 65 milliards de recettes fiscales supplémentaires chaque année si la productivité n’avait pas décroché.

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Ce résultat va à rebours d’un discours encore assez fréquent selon lequel la faiblesse du taux d’emploi en France serait l’alpha et l’oméga des problèmes structurels de notre économie. En fait, les enjeux macroéconomiques du ralentissement de la productivité et de la faiblesse du taux d’emploi sont très similaires. Par exemple, si en 2019 le taux d’emploi en France avait atteint celui de l’Allemagne, c’est-à-dire environ 10 points plus élevé, alors le PIB aurait augmenté d’environ 120 à 170 milliards d’euros (selon la méthodologie retenue), soit un effet proche de celui d’une meilleure productivité. Conclusion : il est au moins aussi important de faire accélérer la productivité que d’augmenter le taux d’emploi.

Dégradation en maths

Pourquoi la productivité connaît-elle un tel ralentissement en France ? L’analyse empirique montre que ce n’est pas le fait d’un petit nombre de secteurs d’activité. Tous y contribuent, y compris l’industrie, la construction, le commerce et les services qualifiés. De même, on ne peut pas dire que certaines catégories d’entreprises expliquent la tendance – les TPE-PME, ETI et grandes entreprises y contribuent.

Si tous les secteurs et toutes les entreprises voient leur productivité décrocher, d’où vient alors le problème ? Notre analyse identifie le « capital humain » comme le facteur principal, selon deux aspects : d’une part, de mauvaises compétences mathématiques et sociocomportementales (la capacité à travailler en équipe, à négocier, à gérer des ressources) ; d’autre part, une insuffisante orientation des jeunes vers les métiers d’avenir, notamment les filières scientifiques.

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