Archive dans 2020

Le gouvernement présente son vade-mecum pour la reprise dans le privé

Conférence de presse de Muriel Penicaud, ministre du travail, vendredi 1er mai, à l’Elysée.
Conférence de presse de Muriel Penicaud, ministre du travail, vendredi 1er mai, à l’Elysée. POOL / REUTERS

Toutes les entreprises disposent désormais d’un guide pour redémarrer leur activité. Dimanche 3 mai, le ministère du travail a diffusé un « protocole national de déconfinement », huit jours avant la levée partielle des mesures restreignant le fonctionnement de notre économie, du fait de l’épidémie due au Covid-19. Ce document d’une vingtaine de pages recèle une série d’instructions que les employeurs du secteur privé sont invités à suivre afin de garantir « la santé de leurs salariés », lorsque ceux-ci retournent à leur poste. Il s’ajoute à la cinquantaine de « fiches conseils » que les services de l’Etat ont déjà rédigées, dans le même but, pour plusieurs branches professionnelles. La mise en application des consignes communiquées dimanche s’annonce ardue, tant elles bouleversent les habitudes et impliquent des aménagements parfois très contraignants.

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Le 11 mai ne sera pas synonyme de retour à la normale. Les patrons doivent, autant que possible, continuer à privilégier le travail à distance (ou télétravail), comme l’a encore rappelé Muriel Pénicaud, ministre du travail, lundi 4 mai. Pour ceux qui n’ont pas d’autre choix que de faire venir leurs personnels, des « mesures de protection collective » sont préconisées. Elles prévoient notamment un critère d’« occupation maximale » de l’espace, de manière à ce que les personnes présentes sur un même lieu se conforment aux « règles de distanciation physique ». Les employeurs seront, du même coup, amenés à se livrer à de savants calculs pour que chaque individu puisse disposer de quatre mètres carrés uniquement pour lui et éviter ainsi une trop grande promiscuité avec un collègue ou un client.

« Sens unique dans les ateliers, couloirs, escaliers »

Des orientations très précises sont également fixées sur la « gestion des flux » : étalement des horaires afin d’empêcher « les arrivées trop nombreuses » sur un site, « sens unique dans les ateliers, couloirs, escaliers », plafonnement du nombre de personnes dans un ascenseur… L’objectif est de limiter, autant que faire se peut, « les croisements ».

Si de telles dispositions ne peuvent pas être prises ou si elles s’avèrent insuffisantes pour assurer la sécurité du travailleur, le recours aux équipements de protection individuelle (EPI) est alors envisageable « en dernier recours » : il s’agit d’un « complément [aux] mesures de protection collective », insiste le protocole. Ainsi, « le port d’un masque devient obligatoire » dans les situations où un écart d’au moins un mètre entre deux individus n’est pas respecté. L’employeur « peut » fournir ce type d’accessoires, complète le guide – ce qui laisse entendre que ce n’est pas une obligation pesant sur les patrons. En revanche, les gants sont déconseillés « car ils donnent un faux sentiment de protection » et sont susceptibles de se transformer en « vecteurs de transmission » du virus.

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Le gouvernement présente son vade-mecum pour la reprise dans le privé

Conférence de presse de Muriel Penicaud, ministre du travail, vendredi 1er mai, à l’Elysée.
Conférence de presse de Muriel Penicaud, ministre du travail, vendredi 1er mai, à l’Elysée. POOL / REUTERS

Toutes les entreprises disposent désormais d’un guide pour redémarrer leur activité. Dimanche 3 mai, le ministère du travail a diffusé un « protocole national de déconfinement », huit jours avant la levée partielle des mesures restreignant le fonctionnement de notre économie, du fait de l’épidémie due au Covid-19. Ce document d’une vingtaine de pages recèle une série d’instructions que les employeurs du secteur privé sont invités à suivre afin de garantir « la santé de leurs salariés », lorsque ceux-ci retournent à leur poste. Il s’ajoute à la cinquantaine de « fiches conseils » que les services de l’Etat ont déjà rédigées, dans le même but, pour plusieurs branches professionnelles. La mise en application des consignes communiquées dimanche s’annonce ardue, tant elles bouleversent les habitudes et impliquent des aménagements parfois très contraignants.

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Le 11 mai ne sera pas synonyme de retour à la normale. Les patrons doivent, autant que possible, continuer à privilégier le travail à distance (ou télétravail), comme l’a encore rappelé Muriel Pénicaud, ministre du travail, lundi 4 mai. Pour ceux qui n’ont pas d’autre choix que de faire venir leurs personnels, des « mesures de protection collective » sont préconisées. Elles prévoient notamment un critère d’« occupation maximale » de l’espace, de manière à ce que les personnes présentes sur un même lieu se conforment aux « règles de distanciation physique ». Les employeurs seront, du même coup, amenés à se livrer à de savants calculs pour que chaque individu puisse disposer de quatre mètres carrés uniquement pour lui et éviter ainsi une trop grande promiscuité avec un collègue ou un client.

« Sens unique dans les ateliers, couloirs, escaliers »

Des orientations très précises sont également fixées sur la « gestion des flux » : étalement des horaires afin d’empêcher « les arrivées trop nombreuses » sur un site, « sens unique dans les ateliers, couloirs, escaliers », plafonnement du nombre de personnes dans un ascenseur… L’objectif est de limiter, autant que faire se peut, « les croisements ».

Si de telles dispositions ne peuvent pas être prises ou si elles s’avèrent insuffisantes pour assurer la sécurité du travailleur, le recours aux équipements de protection individuelle (EPI) est alors envisageable « en dernier recours » : il s’agit d’un « complément [aux] mesures de protection collective », insiste le protocole. Ainsi, « le port d’un masque devient obligatoire » dans les situations où un écart d’au moins un mètre entre deux individus n’est pas respecté. L’employeur « peut » fournir ce type d’accessoires, complète le guide – ce qui laisse entendre que ce n’est pas une obligation pesant sur les patrons. En revanche, les gants sont déconseillés « car ils donnent un faux sentiment de protection » et sont susceptibles de se transformer en « vecteurs de transmission » du virus.

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« Pour organiser la France déconfinée, il faut que la société participe massivement à la gestion de crise »

Tribune. Pendant la période de confinement, le quotidien du citoyen français a été rythmé par des décisions gouvernementales étayées par les avis d’un conseil scientifique constitué majoritairement de médecins. Le confinement a été remarquablement orchestré, en un temps record. La technostructure française excelle dès lors qu’il faut bâtir des règlements et des plans. Le citoyen a été ainsi provisoirement mis sous tutelle.

Il est vrai que l’urgence et l’impréparation de la France ne permettaient guère, dans un premier temps, de consultation démocratique sur la gestion de crise. Mais nombre de commentaires ont alors traité comme une évidence la transformation du citoyen en « patient » (« celui qui endure » passivement, au sens étymologique) ; ces discours, souvent infantilisants, sont aussi dangereux, car confinement et déconfinement posent à un gouvernement démocratique des questions de nature très différente.

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Pour organiser la France déconfinée, il semble primordial que la société participe massivement à la gestion de crise et que le gouvernement ne tente pas d’énoncer des plans et prescriptions détaillés.

Gestion erratique des approvisionnements

Si les actions de confinement ont évidemment permis de ralentir la diffusion de la maladie, d’autres aspects de cette première phase nous semblent intéressants à analyser pour la suite des opérations.

Dans l’urgence, les efforts de l’Etat centralisé se sont naturellement concentrés sur ce qui est perçu comme le centre du système de santé : les structures hospitalières, prenant faiblement en compte les autres composantes plus dispersées du système de santé, comme les infirmières libérales, les pharmaciens, l’hospitalisation à domicile et la médecine de ville, contrairement à ce qui s’est passé, par exemple, en Allemagne, où les médecins de ville ont joué un rôle essentiel, notamment pour le dépistage.

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Le gouvernement a privilégié l’expertise médicale et scientifique. Mais des compétences de terrain dans des domaines non médicaux, essentielles pour assurer l’applicabilité opérationnelle des mesures envisagées, comme par exemple la compétence logistique, ont manifestement cruellement manqué au gouvernement, si l’on en juge par la gestion erratique des approvisionnements en masques ou en solution hydroalcoolique.

L’impulsion et l’orchestration d’une large mobilisation sociale n’ont pas été jugées prioritaires, contrairement à d’autres pays européens où les autorités publiques et sanitaires ont très tôt incité les acteurs privés qui le pouvaient à produire des masques ou des surblouses, ou les pharmaciens d’officine à produire leur propre solution hydroalcoolique pour la mettre à disposition du public.

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Aides économiques, plan de relocalisation… Face à la crise, les régions sonnent la mobilisation

Le président (LR) de la région PACA Renaud Muselier devant les cinq millions de masques arrivés de Chine, à Marseille, le 22 avril.
Le président (LR) de la région PACA Renaud Muselier devant les cinq millions de masques arrivés de Chine, à Marseille, le 22 avril. GILLES BADER / PHOTOPQR/LA PROVENCE/MAXPPP

Si le coronavirus a frappé les régions françaises de manière inégale, ce n’est pas le cas du tsunami qui s’est abattu sur l’économie hexagonale. Difficile d’en trouver une qui ne compte pas un secteur sinistré, qu’il s’agisse du tourisme, de la sous-traitance automobile, de la viticulture…

Deuxième région économique après l’Ile-de-France, l’Auvergne-Rhône-Alpes l’est aussi pour le nombre de salariés en chômage partiel (environ 1 million). L’arrêt complet du tourisme hisse la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) au troisième rang des demandes, alors qu’elle ne compte que 9,3 % des salariés de l’Hexagone. Les Pays de la Loire, d’ordinaire cités comme le bon élève sur le front du chômage, ont vu flamber les nouvelles inscriptions au Pôle emploi, en mars : + 9,6 %, juste après la Bretagne, la plus affectée…

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Face au choc causé par la pandémie de Covid-19, les exécutifs régionaux ont rapidement complété le plan massif de soutien lancé par l’Etat, d’un montant total de 110 milliards d’euros. Au 30 avril, ils avaient engagé au total 1,2 milliard d’euros de dépenses.

« On peut aligner des chiffres, mais ce n’est pas l’essentiel, remarque toutefois Xavier Bertrand, président des Hauts-de-France. Le plus important, pour les entrepreneurs, c’est de savoir s’ils vont tenir le coup. Et c’est à nous d’identifier quels sont les trous dans la raquette pour n’oublier personne. »

Cellule de suivi et d’action

C’est ce qu’a fait sans tarder Jean Rottner, président (Les Républicains, LR) de la région Grand-Est, particulièrement touchée par l’épidémie. Par ailleurs ancien maire de Mulhouse (Haut-Rhin) et médecin urgentiste, il avait de bonnes raisons d’être omniprésent sur le terrain. Un concours de circonstances lui aura même permis de jouer un rôle précurseur en matière de soutien aux entreprises.

Depuis un an, la collectivité réfléchissait à la création d’un fonds pour venir en aide à la filière automobile locale, pénalisée par la crise du diesel et le retard pris dans le développement de solutions électriques. La convention passée dans cet objectif avec Bpifrance, la banque publique d’investissement, a vite été élargie à l’ensemble de l’économie et, dès le 11 mars, la région Grand-Est proposait près de 25 millions d’euros de prêts de trésorerie pour les TPE et PME, une somme portée depuis à 75 millions.

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A l’autre bout du pays, la région PACA a aussi réagi avec célérité, peut-être en raison de sa proximité avec l’Italie, son premier partenaire économique, ou parce que plusieurs dirigeants de la collectivité ont été contaminés par le virus. Dès la semaine du 2 mars, le président (LR) de la collectivité, Renaud Muselier, également médecin urgentiste et propriétaire de cliniques, a constitué une cellule de suivi et d’action. Le 11 mars, un plan de soutien aux TPE et PME, qui représentent 95 % du tissu économique régional, était annoncé.

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« L’angoisse du chômage risque de servir d’épouvantail pour reconduire le monde d’hier »

Dans l’usine d’assemblage Toyota à Onnaing (Nord), près de Valenciennes, où le travail a repris le 21 avril.
Dans l’usine d’assemblage Toyota à Onnaing (Nord), près de Valenciennes, où le travail a repris le 21 avril. PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

Directeur de recherche au CNRS, professeur à l’Ecole nationale des ponts et chaussées et prêtre jésuite, l’économiste Gaël Giraud appelle à lancer une réindustrialisation verte et une relocalisation de l’économie française après la crise du Covid-19. Cet ancien chef économiste de l’Agence française de développement estime que cette relance verte pourrait être financée par l’annulation partielle des dettes publiques européennes.

Une relance verte est-elle la solution pour sortir de la crise tant sanitaire qu’économique et climatique ?

Cela me paraît une évidence. Cette pandémie est la réponse des écosystèmes naturels aux ravages que nous leur infligeons. Si l’on ne profite pas du déconfinement pour tourner la page de la société thermo-industrielle et de la destruction de la biodiversité, pour renégocier totalement notre rapport à la nature, je ne sais pas ce qu’il nous faudra comme alerte pour y parvenir.

En quoi consisterait la construction du « monde de demain » à vos yeux ? Quelles seraient les urgences à la sortie du confinement ?

Actuellement, 50 % des services et de l’industrie sont à l’arrêt et 85 % du BTP. Il faut les remettre en marche le plus vite possible. Mais pas n’importe comment. Il faut mettre en place une réindustrialisation verte et une relocalisation de l’économie française. Ce que montrent la pandémie et les confinements sur la planète, c’est que nos industries sont extrêmement dépendantes de chaînes de valeur internationales très fragiles, à flux tendus, qui ne sont pas résilientes à la défaillance du moindre chaînon.

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Comment s’y prend-on pour relocaliser ?

Paradoxalement, je pense qu’il ne faut pas commencer tout de suite par l’industrie, car c’est le plus complexe. La relance pourrait débuter par l’accélération de la rénovation des bâtiments publics et privés, qui est un extraordinaire bassin d’emplois non délocalisables. Cela coûterait 30-40 milliards d’euros par an pour le bâti public, qui pourraient être financés par les banques françaises en faisant usage de la garantie publique – l’Etat vient de concéder 300 milliards d’euros de garanties. On peut lancer ce chantier dans deux ou trois régions car nous n’avons pas assez d’ouvriers qualifiés pour l’ensemble du territoire. Le secteur du BTP pourrait créer des filières d’apprentissage avec l’aide de l’Etat et, dans trois ans, nous aurons les bataillons d’ouvriers qualifiés nécessaires pour étendre ce chantier à l’ensemble de notre territoire.

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Coronavirus : le télétravail pourrait accélérer la délocalisation des emplois qualifiés

Une femme travaille de chez elle, le 7 avril, au 22e jour du confinement décrété par les autorités françaises pour lutter contre la propagation du coronavirus.
Une femme travaille de chez elle, le 7 avril, au 22e jour du confinement décrété par les autorités françaises pour lutter contre la propagation du coronavirus. JULIEN GOLDSTEIN POUR « LE MONDE »

Et si la crise liée au coronavirus sonnait le glas du rituel « métro-boulot-dodo » ? Peut-être bien. Du moins pour une partie des cadres massivement passés au travail à distance ces dernières semaines. « L’une des conséquences du confinement sera peut-être, à travers la création de nouvelles habitudes, la généralisation du télétravail », explique Cyprien Batut, doctorant à l’école d’Economie de Paris, dans une note publiée vendredi 1er mai par le Groupe d’études géopolitiques (GEG), un groupe de réflexion indépendant fondé à l’Ecole normale supérieure de Paris, aujourd’hui présent dans plusieurs universités.

Or, ce phénomène pourrait avoir des conséquences profondes sur les rapports entre salariés et employeurs – et favoriser, entre autres, la « délocalisabilité » des emplois qualifiés. On pourrait même assister à l’émergence de la figure du « télémigrant », selon le concept forgé par Richard Baldwin, économiste à l’Institut des hautes études internationales de Genève. A savoir « de nombreux free-lances compétents, notamment issus des pays du Sud, étant dorénavant capables de rentrer en compétition avec les salariés qualifiés », décrit M. Batut.

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Jusqu’ici, rappelle-t-il, la mondialisation telle qu’observée depuis les années 1980 s’est surtout traduite par la délocalisation des emplois peu qualifiés. Nombre de multinationales ont, en effet, choisi de fragmenter leurs chaînes de production et d’implanter leurs usines dans des pays où le coût du travail est moins élevé. Ainsi, « la compétition avec la Chine a probablement entraîné la disparition d’environ 2,5 millions d’emplois aux Etats-Unis et explique une part non négligeable de la désindustrialisation dans ce pays », rappelle l’auteur.

« Une nouvelle ère »

Lorsqu’elles peinaient à recruter pour des postes exigeant un haut niveau de diplôme, les entreprises préféraient jusqu’ici faire venir des spécialistes de l’étranger plutôt que délocaliser ces emplois qualifiés, estimant la manœuvre trop complexe en termes de supervision. Mais la généralisation du travail à distance pourrait « ouvrir une nouvelle ère », où « les télémigrants prendraient de plus en plus d’emplois dans les services, au détriment de nos cols blancs nationaux ». Deux économistes de l’université de Princeton, Alan Blinder et Alan Krueger, estiment ainsi qu’aux Etats-Unis, 35 % à 40 % des emplois nécessitant un diplôme seraient délocalisables…

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« Un mois de fraises, c’est 1 500 euros pour 170 heures. Pas l’idéal, mais convenable »

Dans le Tarn-et-Garonne.
Dans le Tarn-et-Garonne. Patricia Huchot-Boissier / Hans Lucas via AFP

« Avant le confinement, mon activité principale était celle de régisseur plateau dans la production audiovisuelle en région parisienne. Le samedi 14 mars, vers 18 heures, mon patron m’a appelé pour me dire que tous les projets étaient suspendus sine die et qu’il fallait que je trouve autre chose. Je me suis souvenu d’une annonce d’emploi d’un exploitant agricole à Saint-Rémy-de-Provence, dans les Bouches-du-Rhône, que j’avais repérée fin janvier sur les réseaux sociaux. Je l’ai appelé, mais cela n’a pas fonctionné. J’ai téléphoné à tous les maraîchers dans la même zone géographique. L’un d’entre eux m’a dit oui, ses salariés marocains ne pouvant quitter leur pays. Dès le dimanche, j’ai cherché un appartement sur Internet et lundi à 18 heures, juste avant l’interdiction des déplacements, je me suis mis en route. Le mardi matin, j’étais à Saint-Rémy-de-Provence. L’après-midi, l’employeur m’a proposé un contrat et j’ai attaqué le lendemain matin dans les serres de fraises.

Professionnellement, je suis “multicarte”. Régisseur dans le spectacle, moniteur de canoë-kayak, VTC… Mais, même si mes grands-parents étaient agriculteurs en Bretagne, je n’avais plus travaillé dans les champs depuis mes 17 ans. À l’époque, c’était pour la récolte de pommes. J’ai fait quelquefois les vendanges aussi. J’ai même rencontré ma compagne à cette occasion.

Pour les fraises, on est à genoux de 7 heures à 19 heures, avec une heure de pause. C’est dur, mais je suis résistant physiquement. Les fraises sont dans des serres de cent mètres de long, la température y monte jusqu’à 35 degrés. Il n’y a pas de formation : on vous dit juste de ne pas mettre les doigts sur la fraise pour éviter de la dégrader, de couper la queue à la base du fruit et de le déposer délicatement dans une barquette. Pour remplir un plateau de 20 barquettes, vous avez trente minutes environ. Il n’y a pas de pression, mais il faut que le produit soit bien présenté. Un mois de fraises, c’est 1 500 euros pour 170 heures. Pas l’idéal, mais convenable.  

« On monte les serres, on dispose les tuyaux d’eau, on plante. Ce n’est pas comme dans un entrepôt Amazon, mais il y a du monde ! »

Au début, mes collègues étaient tous marocains. Ensuite, l’équipe s’est agrandie. Des gens des villes environnantes, qui ont perdu leur emploi, sont arrivés. Comme on ne nous fournissait pas de masque, je m’en suis procuré un grâce à mon amie. J’ai obtenu du gel hydroalcoolique après trois semaines. Mais j’ai eu du mal à accepter que l’on ne nous propose pas de courtes pauses ou simplement de l’eau pour nous hydrater. Ce premier contrat n’a pas été renouvelé. Je me suis inscrit sur la plateforme mise en place par le gouvernement, mais je n’ai eu aucun retour. En ce moment, je suis pour un mois dans une grosse exploitation qui fait pousser des courgettes. On monte les serres, on dispose les tuyaux d’eau, on plante. Ce n’est pas comme dans un entrepôt Amazon, mais il y a du monde ! Les autres employés sont presque tous équatoriens. Sauf un, roumain, avec qui je travaille en duo. Ce n’est pas l’ambiance des vendanges, faut pas rêver, mais ça se passe bien. Je ne me considère pas altruiste. J’ai pensé à mon autonomie financière. Mais, en ayant trouvé un autre travail, en continuant à consommer, je contribue à aider les agriculteurs et je participe à l’économie du pays. »

Matériaux, télétravail, espaces modulables… le bureau à l’heure du Covid-19

« PlayTime », de Jacques Tati (1967).
« PlayTime », de Jacques Tati (1967). Les Films de Mon Oncle – Specta Films CEPEC

« Si un lieu n’est pas pensé pour avoir une deuxième ou une troisième vie, c’est foutu d’avance. » L’architecte Patrick Rubin répond au téléphone au milieu des gravats, dans son petit hôtel du XVIIe siècle qui lui sert à la fois de logement, d’agence et de galerie, dans le quartier du Marais, à Paris. L’architecte – qui a autrefois installé dans un ancien garage hélicoïdal les locaux du journal Libération – met ainsi en pratique ce qu’il ne cesse, depuis, de théoriser : un lieu n’a pas une seule affectation, il doit être ­réversible. « Pourquoi construit-on des logements d’un côté et des bureaux de l’autre ? Pourquoi pas tout ensemble ? Un bâtiment doit être capable de muter à tout moment. »

Muter : c’est le défi qui semble ­attendre, à l’heure du Covid-19, les bureaux d’entreprises. A la poubelle, les open spaces qui ont fait le bonheur des « trente glorieuses » ? Exit le « flex office » (partage des bureaux), conçu pour améliorer l’utilisation des espaces qui, dans la plupart des entreprises, peinent à dépasser un taux d’occupation de 50 % ? Et quid des lieux de coworking, présentés hier comme la panacée, avec leurs canapés en partage, quand le coronavirus interdit aujourd’hui toute promiscuité ? Changement de paradigme : là où on réunissait, voilà que l’architecte est sommé de distancier.

« Là où on nous demandait autrefois un porte-parapluies, on nous réclame un distributeur de solution hydroalcoolique. » Robert Acouri, de La Manufacture du design

« Il y a trois pistes », affirme de sa voix au débit rapide Vincent Dubois, le directeur général d’Archimage, agence d’architecture spécialisée dans l’organisation des espaces de travail, chargé ­notamment du nouveau siège du Groupe Le Monde, à Paris. « La première concerne le toucher : pour ne plus effleurer les machines – ascenseurs, téléphones, photocopieuses –, on va chercher de plus en plus à leur parler. La deuxième, c’est le télétravail. Plus que jamais, le bureau sera avant tout un lieu d’échanges et de rencontres, et l’accent sera mis sur les ­stations de télé-présence permettant de reconstituer des salles de réunion aux quatre coins du monde. Enfin, pour ce qui concerne les bureaux mêmes, on va aller vers des aménagements à géométrie variable, avec par exemple une version hors crise à dix bureaux et une, pour temps de crise, à trois bureaux. »

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« Jusqu’ici, observe-t-il encore, on concevait les espaces pour ceux qui les utilisaient, pas pour ceux qui les entretenaient. Il va falloir s’adapter. » Adieu les joints creux, ces interstices entre deux matières, très élégants, mais nids à microbes. Bienvenues les patères pour accrocher son masque dans son sachet sous vide, les étagères pour poser les lingettes et les protections pour chaussures… « Là où on nous demandait autrefois un porte-parapluies, on nous réclame un distributeur de solution hydroalcoolique », résume Robert Acouri (La Manufacture du design), qui équipe les sièges sociaux d’Altarea-Cogedim et d’Hermès. Quel sera demain mon bien le plus ­précieux, s’interrogent ainsi ces designers, obligés de travailler dans l’urgence : est-ce mon clavier, avec lequel je vais désormais me déplacer ?

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« Open space » : la première fois que « Le Monde » l’a écrit

Les locaux déserts de la rédaction de « M Le magazine du Monde », le 20 mars 2020, à Paris.
Les locaux déserts de la rédaction de « M Le magazine du Monde », le 20 mars 2020, à Paris. Julie Balagué/Signatures

C’est l’une des rares critiques qu’on ne lui avait pas encore faite. Parce qu’il suppose la présence dans une pièce sans cloison de plusieurs dizaines de salariés, l’open space pourrait favoriser la propagation du Covid-19. De quoi redouter le déconfinement des salariés du tertiaire, majoritairement installés dans ce genre d’espace. Et, espèrent ses détracteurs, donner un coup d’arrêt à ce type d’organisation du travail.

Lorsqu’il fait son apparition dans Le Monde, le 8 mai 1971, l’open space porte aussi le joli nom de « bureau paysage ». « Mot devenu magique pour des milliers de citadins privés d’arbres et de pelouses et qui, accolé à n’importe quel autre, évoque espace, verdure et liberté », s’amuse Michèle Champenois, pas dupe : « Bureau paysage (…) Un mot dont la poésie cache une technicité un peu terne puisqu’il désigne tout simplement des bureaux non cloisonnés. Les Allemands qui ont inventé, dit-on, ce mode d’organisation, l’appellent “Grossroundbüro”, les Anglais et les Américains, qui l’utilisent beaucoup, “landscape” ou “openspace”. »

La journaliste met déjà en garde : « Que cherchent les chefs d’entreprise qui s’intéressent au bureau paysage ? Pas à gagner de la place en supprimant les couloirs inutiles, les coins perdus et les pièces mal commodes, car ils seraient déçus. Un bureau paysage bien conçu, affirment les spécialistes, ne doit pas être “plein comme un œuf”. Au contraire. La distance remplace les cloisons, et l’on se sépare de son voisin en s’en éloignant. Pas à économiser de l’argent, car celui qu’on gagne en se passant de murs et de portes doit être consacré à d’autres dépenses : climatisation et insonorisation sont indispensables. »

Il n’empêche : « L’aménagement des bureaux non cloisonnés est meilleur marché, assurent pourtant les ­installateurs, que celui des “cellules” classiques à confort égal. Simplement, en choisissant d’installer une centaine de personnes sur plus de mille mètres carrés, on doit prendre certaines précautions pour que la “vie communautaire” ne devienne pas l’enfer des “pools” de dactylos », prévient la journaliste.

Lieu d’enfermement

Après cet article précurseur, l’open space va disparaître des colonnes du Monde jusque dans les années 1990 : c’est seulement à ce moment-là qu’il commence vraiment à faire partie du paysage des salariés français. Le quartier de la Défense en est le symbole. Au retour de sa visite chez IBM, installé dans la tour Descartes, Philippe Godard constate le 24 octobre 1991 : « Plus répandu dans les entreprises anglo-saxonnes et nippones (y compris celles installées en France), l’open space rencontre de nombreux détracteurs… principalement chez les salariés qui acceptent mal de “devoir voir tout en étant vu”. Le débat est loin d’être clos. »

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Une conversion au télétravail plutôt réussie, selon une étude

Mis en place pour des millions de salariés depuis le début du confinement, le télétravail semble avoir le vent en poupe. C’est le principal enseignement d’une note diffusée, jeudi 30 avril, par le think tank Terra Nova. Elle s’appuie sur une enquête lancée par l’« agence conseil » Res Publica qui a permis de recueillir, durant les trois premières semaines d’avril, l’avis de quelque 1 860 personnes exerçant leur activité à distance : 58 % d’entre elles « souhaitent à l’avenir travailler plus souvent » de leur domicile.

Le but de l’étude est d’identifier les « bénéfices » et les « difficultés » d’une expérience « totalement inédite », provoquée par la crise liée à l’épidémie de Covid-19. A partir de la mi-mars, des salariés ont, du jour au lendemain, dû travailler depuis leur logement, « en improvisant de nouvelles manières de coopérer avec leurs collègues et de cohabiter avec leurs conjoint et enfants, tout en ayant un ordinateur sur les genoux et un téléphone à la main », comme le souligne la note.

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Ce changement soudain n’est pas toujours évident à affronter. D’abord parce que 42 % des sondés ne disposent pas d’un « espace de travail dédié » à la maison, si bien qu’ils accomplissent leurs tâches dans une pièce partagée avec leurs proches. Une telle situation peut s’avérer particulièrement « inconfortable » pour ceux qui vivent avec au moins deux autres personnes sous le même toit, ce qui est le cas d’un peu plus de deux tiers des répondants (près de 30 % d’entre eux ayant au moins un enfant de moins de 12 ans). En outre, une bonne partie des personnes interrogées (42 %) n’avaient jamais pratiqué leur métier de cette manière, jusqu’à présent.

Plus de difficultés pour les femmes et les personnes âgées

Malgré ces écueils, le constat est positif pour une très large majorité : les trois quarts des répondants disent, en effet, remplir leur mission « dans des conditions  “faciles” ou “très faciles” ». La plupart (75 %) affirment être familiarisés avec les « outils du travail à distance » et la quasi-totalité (88 %) « ont le sentiment d’être complètement ou partiellement équipés ».

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Ceux qui rencontrent des difficultés sont « un peu plus souvent » des femmes et des personnes âgées de 30 à 49 ans : les « perturbations sont d’autant plus probables pour [elles qu’elles] vivent plus souvent dans des foyers plus nombreux ». Les problèmes posés tiennent à la vie quotidienne : attention à accorder aux enfants, gestion des « charges domestiques ». Ils peuvent aussi résulter d’un équipement insuffisant et d’un manque d’expérience au télétravail. Sont ainsi mis en évidence les inconvénients, « voire les impossibilités », « d’un complet mélange » entre vie familiale et vie professionnelle.

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