Archive dans 2020

En Europe, les pays du Sud sont plus affectés par les destructions d’emplois

Célébration sans pélerins lors du 103e anniversaire des apparitions de la Vierge Marie au sanctuaire catholique de Fatima (Portugal), le 13 mai.
Célébration sans pélerins lors du 103e anniversaire des apparitions de la Vierge Marie au sanctuaire catholique de Fatima (Portugal), le 13 mai. PATRICIA DE MELO MOREIRA / AFP

Partir à l’étranger, pour tenter sa chance là où la conjoncture est un peu meilleure. Depuis que la boutique de souvenirs où elle travaillait, près de Lisbonne, a baissé le rideau, Joana Ribeiro y réfléchit sérieusement. La jeune femme tourne en rond dans le petit appartement qu’elle partage avec sa sœur. Elle compte les jours. Et angoisse : « La saison touristique est morte et je ne suis pas près de retrouver un job dans le secteur. » En 2008, lors de la précédente crise, nombre de ses amis avaient émigré au Royaume-Uni ou au Brésil pour échapper au chômage. Elle avait choisi de rester auprès de ses parents, aujourd’hui à la retraite, et de terminer ses études de lettres. « On va revivre les mêmes galères, les fins de mois difficiles avec, en plus, la peur d’attraper le virus. Autant partir. Mais quel pays, aujourd’hui, est épargné par la maladie ? »

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« Les destructions de postes risquent d’exploser lorsque les dispositifs de chômage partiel seront levés », analyse Nadia Gharbi, économiste chez Pictet WM

A l’heure où le Vieux Continent entame un déconfinement prudent, les inquiétudes de nombreux Européens, au Portugal comme ailleurs, se cristallisent désormais autour de l’emploi. « Les pays membres de la zone euro ont retenu les leçons de la crise de 2008 et ont tous adopté le chômage partiel pour protéger les salariés », observe Nadia Gharbi, économiste chez Pictet WM. En cela, le modèle européen est plus protecteur que celui des Etats-Unis, où le taux de chômage a bondi de 3,5 % en février à 14,7 % en avril, au plus haut depuis juin 1940. Il n’empêche : « L’Europe n’est pas épargnée pour autant par les destructions de postes, et celles-ci risquent d’exploser lorsque les dispositifs de chômage partiel seront levés », ajoute Mme Gharbi.

De fait, le taux de demandeurs d’emploi est passé de 7,3 % à 7,4 % dans la zone euro en mars, et il devrait franchir la barre des 10 % d’ici à décembre, estime le Fonds monétaire international (FMI), dans ses dernières prévisions. La hausse s’annonce particulièrement marquée en Espagne (de 14,1 % en 2019 à 20,8 % sur l’ensemble de 2020), en Grèce (de 17,3 % à 22,3 %), en Italie (de 10 % à 12,7 %), au Portugal (de 6,5 % à 13,9 %) ou encore en Irlande (de 5 % à 12,1 %). En revanche, elle sera sans doute plus modérée en Allemagne (de 3,2 % à 3,9 %), en Autriche (de 4,5 % à 5,5 %) ou aux Pays-Bas (de 3,4 % à 6,5 %). En France, le taux de chômage devrait passer de 8,5 % à 10,4 %, prévoit le FMI.

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Face à la crise, les économistes angoissés par « l’économie du trou noir »

Dans le centre commercial Westfield Vélizy 2 à Vélizy-Villacoublay (Yvelines) lors du troisième jour de déconfinement, le 13 mai.
Dans le centre commercial Westfield Vélizy 2 à Vélizy-Villacoublay (Yvelines) lors du troisième jour de déconfinement, le 13 mai. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

Un intense moment de découragement. Lorsqu’il a compris à quel point l’activité s’effondrerait dans le sillage de la pandémie et des mesures de confinement, Christopher Dembik, économiste chez Saxo Banque, a d’abord eu le vertige. « Comment inclure une analyse épidémiologique dans nos modèles ? Au début, nous ne nous sentions pas légitimes pour le faire, il a fallu trouver rapidement de nouvelles façons de travailler », confie-t-il. Comme lui, beaucoup d’économistes racontent avoir été déstabilisés par cette crise bouleversant aussi leurs outils. Et parlent « d’angoisse » ou de « fascination inquiète » face à l’ampleur de cette récession sans précédent.

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A certains égards, celle-ci rappelle le choc de 2008, vécu comme un traumatisme par la profession. « A l’époque, les économistes étaient un peu sur la sellette : on leur reprochait de ne pas avoir vu venir la crise, se rappelle Olivier Garnier, chef économiste à la Banque de France. Certains de leurs modèles étaient remis en question. Cette fois, les doutes sont d’une autre nature : ils portent sur les scénarios épidémiologiques et l’évolution de la pandémie. » Avec une question-clé : « Comment une économie que l’on a presque complètement mise à l’arrêt pourra redémarrer ? », résume Philippe Waechter, chez Natixis AM.

Impossible de prédire comment se comporteront les ménages qui ont mis de l’argent de côté pendant le confinement

Pour y répondre, ses confrères et lui ont d’abord tenté de mesurer la profondeur du plongeon subi par l’activité. « C’est l’économie du trou noir : la plupart des indicateurs classiques ne fonctionnent pas, ou moins bien », explique Ludovic Subran, chez Allianz. Il a donc fallu en utiliser d’autres, comme les transactions par carte bancaire ou les données de Google Trends, qui fournissent une indication du niveau de l’activité en temps quasi réel.

Mais cela ne suffit pas. « Jamais, auparavant, une crise n’avait affecté autant de secteurs et de pays de façon quasi simultanée », ajoute Véronique Riches-Flores, économiste indépendante. Résultat : les modèles traditionnels permettant de prévoir comment l’économie d’un pays chute, puis repart, sont perturbés. Et, contrairement à la crise de 2008, dont les enchaînements évoquaient ceux du krach de 1929, il n’existe pas de précédent historique pertinent auquel se référer. Dès lors, il est impossible de prédire, par exemple, comment se comporteront les ménages qui ont mis de l’argent de côté pendant le confinement : piocheront-ils dans leur épargne pour consommer ces prochaines semaines ? Ou préféreront-ils la conserver ?

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La Commission propose une évaluation controversée de la dangerosité du coronavirus

A l’usine PSA de Poissy (Yvelines), le 22 avril.
A l’usine PSA de Poissy (Yvelines), le 22 avril. Benjamin Girette / Benjamin Girette

Le SARS-CoV-2 est-il dangereux pour les travailleurs ? Cette question technique, à haut potentiel inflammable, est au cœur d’une de ces délibérations de comités confidentiels auxquels l’Europe est accoutumée. Les Etats membres et la Commission européenne ont fait un choix : le virus n’atteint pas le niveau maximum de dangerosité prévu dans la législation sur la protection des travailleurs contre ce type de risque. La proposition de la Commission, qui suscite l’indignation des syndicats, sera soumise, jeudi 14 mai, à un vote lors d’une réunion des représentants des 27 pays.

Dans la directive européenne de 2000 concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l’exposition à des agents biologiques au travail, l’échelle de gravité des germes comporte quatre paliers. Le moins dangereux d’entre eux est non « susceptible de provoquer une maladie chez l’homme » (groupe 1). Le plus dangereux (groupe 4), en sus de provoquer des maladies graves, « constitue un danger sérieux pour les travailleurs » et présente « un risque élevé de propagation dans la collectivité ». Pour cette catégorie, « il n’existe généralement pas de prophylaxie ni de traitement efficace ». Dans ce groupe, sont notamment rangés des virus causant des fièvres hémorragiques comme Ebola ou Marburg. Entre les deux, une gradation de critères définis par cette directive.

Le SARS-CoV-2 « appartient au même groupe de virus que le SRAS et le MERS », eux aussi des coronavirus classés dans le groupe 3 « en dépit du fait qu’aucun vaccin n’était disponible », déclare Rebekah Smith, directrice adjointe des affaires sociales de Business Europe

Fin avril, la Commission décide de lancer une procédure accélérée, afin de ranger le SARS-CoV-2 dans l’un de ces quatre groupes et de l’ajouter à la liste des « agents biologiques » – virus, bactéries, parasites et champignons – faisant l’objet de mesures de protection des travailleurs dans l’Union européenne (UE). Puis, le 7 mai, elle propose qu’il intègre le groupe 3. Pour ce dernier, pourtant, la directive stipule qu’« il existe généralement une prophylaxie ou un traitement efficace » – ce qui n’est pas encore le cas pour le coronavirus causant le Covid-19. Mais aussi que le risque de propagation n’est pas « élevé », comme dans le groupe 4. Plus de 40 % de l’humanité a pourtant été confinée pendant plusieurs semaines pour freiner sa dissémination.

« Consensus » parmi les Etats membres

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Geoffroy Roux de Bézieux : « Le véritable plan de relance doit être massif »

Geoffroy Roux de Bézieux au siège du Medef, à Paris, le 12 mai.
Geoffroy Roux de Bézieux au siège du Medef, à Paris, le 12 mai. MICHAEL ZUMSTEIN/AGENCE VU POUR « LE MONDE »

Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, plaide pour un plan de relance « massif » de la part du gouvernement, passant par un soutien à la compétitivité des entreprises, seul moyen, selon lui, pour que la crise économique ne se transforme pas en crise sociale.

Quand pensez-vous que la France retrouvera une activité économique « normale » ?

Il faudra sûrement de nombreux mois, ne serait-ce que parce que les mesures sanitaires vont peser sur l’offre comme sur la demande. Quand une chaîne automobile est nettoyée à chaque changement d’équipe, l’intervention prend une heure ou deux et la capacité de production diminue. Lorsqu’il y a moins de monde qui entre dans un magasin, le chiffre d’affaires baisse également. Plus globalement, malgré l’épargne forcée qui s’est constituée durant le confinement, il n’est pas du tout sûr que les consommateurs se précipitent pour dépenser tout de suite, car la question de la confiance dans l’avenir se posera.

Jugez-vous ces mesures sanitaires trop contraignantes ?

Je ne juge pas les mesures sanitaires, elles sont nécessaires. Mais ce qui est sûr, c’est qu’elles entraînent des surcoûts significatifs. Si ceux-ci sont temporaires, les entreprises pourront les absorber. Mais s’ils s’avèrent durables, une réflexion devra être conduite, car ils pourraient se traduire par un surcroît d’inflation qui ne sera pas supportable par tous les acteurs.

Que pensez-vous du choix de l’exécutif de commencer à réduire la voilure sur le chômage partiel dès juin ?

On ne peut pas avoir des millions de Français payés par la collectivité durant des mois. Mais commencer à diminuer le niveau de prise en charge le 1er juin serait une erreur majeure parce que, dans une quinzaine de jours, les entreprises tourneront encore à un rythme faible. Il faut maintenir en l’état le dispositif de chômage partiel jusqu’à l’été. Puis, à la rentrée, imaginer des mécanismes pour servir de passerelle afin de garder les effectifs et les compétences. Car si on arrête le chômage partiel, le risque, c’est le chômage tout court.

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Faut-il augmenter la durée du travail ?

Je ne crois pas que la question se pose de manière générale. La situation des entreprises va être très différenciée selon les branches. Dans certains secteurs, la demande peut être soutenue, mais les contraintes sanitaires font que la productivité baisse : ce sont dans ces secteurs-là que la question du « travailler plus » peut se poser, mais elle ne peut l’être qu’avec les salariés et entreprise par entreprise.

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Pour les DRH, la crise ne fait que commencer

« Une enquête réalisée du 2 au 7 avril par les éditions Tissot auprès de 160 professionnels des RH, pas moins de 90 % des sondés se déclarent proches de l’épuisement »
« Une enquête réalisée du 2 au 7 avril par les éditions Tissot auprès de 160 professionnels des RH, pas moins de 90 % des sondés se déclarent proches de l’épuisement » Ade Akinrujomu/Ikon Images / Photononstop

« Je reste joignable par téléphone et mail 7/7 » : depuis le début de la crise du Covid-19, Cécile Kebbal clôt tous ses mails par cette signature. Donner de son temps sans compter ? La question ne se pose même pas pour cette directrice des ressources humaines (DRH) énergique de la Manufacture d’histoires Deux-Ponts. Cette imprimerie implantée dans l’Isère emploie 130 salariés, dont une partie en télétravail depuis le début de la crise. Aux yeux de Cécile Kebbal, nécessité fait loi : « Vu le caractère exceptionnel de la situation, de ma propre initiative, j’ai très vite dit que j’étais disponible à tout moment pour répondre aux inquiétudes des salariés. »

Alors qu’ils lancent le chantier du déconfinement, les DRH demeurent sur tous les fronts. Tenus de protéger la santé des salariés tout en assurant la poursuite de l’activité, ils doivent malgré tout maintenir leur tête et celle de l’entreprise hors de l’eau. « Les DRH sont à 100 % à la manœuvre depuis fin février ! », s’exclame Benoît Serre, vice-président de l’Association nationale des DRH (Andrh). Une forte pression pèse sur leurs épaules.

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A en croire une enquête express réalisée du 2 au 7 avril par les éditions Tissot auprès de 160 professionnels des ressources humaines, pas moins de 90 % des sondés se déclarent proches de l’épuisement. Le sujet est sensible : tenus à la réserve, plusieurs DRH que nous avons sollicités ont décliné notre demande ou requis l’anonymat. « On est les oubliés de la seconde ligne », soupire Sandrine (son prénom a été modifié), la directrice des ressources humaines d’une PME de 300 personnes, qui évoque une charge de travail « assez impressionnante ».

Une myriade de textes

Elle a d’ailleurs répondu à notre demande d’interview un dimanche. « Il y a eu des tas de petits trucs auxquels il a fallu apporter des réponses et qui, mis bout à bout, ont rallongé les journées, renchérit Cécile, une autre DRH (son prénom a également été modifié) : intégrer les nouveaux collaborateurs, faire livrer du matériel aux salariés en télétravail… A chaque fois, il faut apporter une solution nouvelle. »

Le casse-tête paraît sans fin. « Les DRH doivent à la fois gérer l’urgence et réfléchir au long terme », souligne Marc François-Brazier, de Deloitte Capital Humain. De plus, « dans les groupes internationaux, il faut prendre en compte au niveau de chaque pays le stade de la pandémie, les mesures en place… » Dès les prémices du confinement, les DRH ont été tenus d’apporter des réponses aux risques courus par les salariés sur leur lieu de travail, alors qu’eux-mêmes naviguaient à vue : « Début mars, on a sollicité la médecine du travail, qui n’était pas du tout au fait de ce qu’il fallait faire, témoigne Cécile Kebbal. Finalement, on a pris nous-mêmes l’initiative d’acheter du gel hydroalcoolique et de faire des stocks de masques. »

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Licenciement confiné : double peine pour le salarié

« Nathalie va à l’entretien, où elle ne trouve que le gardien qui lui dit que le site est fermé. »
« Nathalie va à l’entretien, où elle ne trouve que le gardien qui lui dit que le site est fermé. » Smetek / Photononstop

Carnet de bureau. « Je vais probablement quitter cette boîte et chercher ailleurs », confie Nathalie, sous le couvert de l’anonymat. A 52 ans, ingénieur d’études chez Hilti France, la filiale de l’entreprise d’outillage pour le BTP fondée au Lichtenstein en 1941, elle vient d’avoir la confirmation de son licenciement par lettre recommandée, sans avoir pu s’expliquer de vive voix avec son employeur, sans entretien préalable.

Entrée en janvier 2019 dans l’entreprise, après quatre mois de période d’essai réussie, l’intégration à l’équipe ne s’est pas très bien passée et l’a rapidement menée à la dépression. A son retour en mi-temps thérapeutique, Nathalie a été mutée dans un service qui ne correspondait pas à sa spécialité, la mettant à la fois en position de faiblesse professionnelle et d’isolement. La situation s’est dégradée, instaurant une forte relation de défiance.

Début mars, « un matin, j’arrive, mon badge ne fonctionnait plus », raconte-t-elle. Un courrier recommandé la convoquant à un entretien préalable le 23 mars l’attendait dans sa boîte aux lettres qu’elle n’avait pas encore ouverte. Nathalie était « dispensée d’activité ». Elle aurait bien aimé s’expliquer, répondre aux motifs avancés par l‘entreprise pour la licencier, se faire assister pour argumenter.

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Mais le 16 mars, Emmanuel Macron annonçait aux Français qu’ils devaient désormais rester confinés. Qu’allait devenir l’entretien préalable ? Tout le monde a commencé à se réorganiser pour poursuivre le cours de l’activité à distance.

Le site est fermé

« L’employeur aurait dû vous convoquer à un entretien préalable au sein de l’entreprise. Il doit cependant (…) s’assurer du respect des gestes barrières et garantir la distanciation. Les circonstances actuelles ne sont pas un motif, en soi, pour reporter ou annuler cet entretien. L’employeur, devait donc, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, le maintenir », répond l’inspection du travail.

Mais, à partir du 16 mars, la communication entre Nathalie et Hilti devient très instable. Les échanges par courrier ou par mail arrivent dans le désordre. Nathalie, confinée à Bezons (Val-d’Oise), reçoit d’abord des courriers à son adresse de Courbevoie, où elle ne passe que tous les trois jours. Hilti lui fait savoir par mail que « les règles du confinement (…) rendent impossible la tenue de l’entretien physique [du 23 mars] » et l’invite « à faire part de ses commentaires (…) par retour de courriel ».

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Etre délégué en période de distanciation sociale

« Si le télétravail se développe, notre code du travail va devoir s’adapter en donnant aux syndicats un droit d’accès à la messagerie électronique de l’entreprise »
« Si le télétravail se développe, notre code du travail va devoir s’adapter en donnant aux syndicats un droit d’accès à la messagerie électronique de l’entreprise » Ingram / Photononstop

Droit social. En cette période de distanciation sociale obligée, comment les représentants du personnel peuvent-ils prendre contact avec des salariés pour accomplir leur mission ? Si l’ordonnance du 1er avril 2020 s’est légitimement occupée du fonctionnement du comité social et économique (CSE) – visioconférence, messagerie instantanée –, rien de tel concernant les délégués.

Un bon dialogue social sous forme d’intelligence collective étant essentiel en ces temps de déconfinement, comment concilier les règles impératives d’urgence sanitaire avec la liberté de circulation, dont bénéficie tout représentant du personnel ?

Hier, l’ouvrier ou la vendeuse quittaient leur poste pour aller discuter avec des salariés sur leur temps et leur lieu de travail. Aujourd’hui, entre la banalisation du télétravail et le chômage partiel, c’est moins évident.

Il n’existe pour autant aucun « vide juridique ». Trois exemples. Pour le membre du CSE quittant hier son poste pour aller dans les bureaux prendre contact avec ses camarades, rien de nouveau. Entre éclatement des sites et collaborateurs nomades, bien avant la pandémie, la « liberté de circulation » de nombre de délégués s’exerçait déjà grâce aux autoroutes de l’information.

Alors le délégué télétravailleur prendra ses « heures de délégation » sur son temps de travail, échangeant de chez lui par téléphone ou messagerie instantanée. Il pourra même dépasser son quota d’heures mensuel, car cette pandémie constitue une « circonstance exceptionnelle ».

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Le deuxième exemple expose la question du principe de « libre circulation » (physique) en période d’urgence sanitaire. Réponse avec l’ordonnance du tribunal judiciaire de Saint-Etienne (Loire) du 27 avril 2020, saisi par un délégué syndical CGT en télétravail s’étant vu interdire tout accès à une usine en chômage partiel.

Le code du travail doit s’adapter

Le juge rappelle d’abord l’obligation générale du strict respect des règles sanitaires : « La limitation de la liberté de circulation des représentants doit s’apprécier dans le cadre de l’ordre juridique exceptionnel et provisoire résultant de l’état d’urgence sanitaire limitant de façon générale la liberté de circulation. »

Le droit étant devenu la science de la conciliation, conséquence classique : les restrictions patronales « à cette liberté fondamentale étaient-elles proportionnées » ? En l’espèce non, car la communication syndicale sur la messagerie de l’entreprise était interdite (en l’absence d’accord collectif, la loi autorise seulement le syndicat à disposer d’un panneau sur l’intranet).

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Coronavirus : « L’inégalité devant le numérique devient un facteur majeur d’exclusion »

Tribune. L’épidémie du Covid-19, au-delà de ses effets dramatiques, et son corollaire, le confinement, révèlent à quel point la révolution numérique que nous connaissons transforme nos vies. Qui aurait imaginé un basculement aussi subit et aussi général ? Il est certain par exemple que le télétravail ne rentrera pas dans sa boîte.

Chez Capgemini, plus de 95 % des collaborateurs télétravaillent en étant tout aussi efficaces. Et de nombreuses entreprises ont réussi le même basculement. Mais si, selon une note publiée par Terra Nova, le 6 avril, près des deux tiers des télétravailleurs considèrent qu’ils ont plutôt eu de la facilité à travailler à distance et que cette expérience a renforcé les liens de confiance avec leur manager, elle est aussi à l’origine d’une nouvelle forme de discrimination puisqu’elle est loin de concerner tous les emplois.

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Cette révolution numérique, qui concerne-t-elle alors ? En fait, on n’imagine pas le nombre de populations qui restent au bord de la route, et qui ne sont pas prêtes de la rejoindre si nous n’agissons pas. Le Covid-19 met en lumière les inégalités qu’entraîne ce basculement. Le baromètre du numérique indiquait en décembre 2019 que 12 % des Français n’ont pas Internet. Ce chiffre prend aujourd’hui une dimension particulière.

L’absence d’Internet accélère l’exclusion sociale

Trois populations sont particulièrement concernées, les jeunes – pour des raisons financières – les personnes âgées – par manque d’intérêt, disent-ils –, et le monde rural – ce qui s’explique en partie par des questions de qualité du réseau et d’équipement, un Français sur deux vivant hors des grandes villes n’estimant pas sa connexion satisfaisante.

Ce constat est valable en France comme à l’étranger.

Selon une enquête et des sondages menés, par nos équipes, en France, en Allemagne, en Suède, aux Etats Unis, en Angleterre mais aussi en Inde, le manque d’accès aux outils numériques catalyse aujourd’hui l’exclusion sociale en limitant l’accès aux services publics, ou à la mobilité professionnelle.

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Les personnes âgées n’en sont pas les seules victimes ! 56 % des non-connectés à Internet depuis plus d’un an dans la tranche d’âge 22 à 36 ans déclarent que le coût de l’équipement ou de l’abonnement est la raison principale pour laquelle ils ont décroché des réseaux. Et ils ne sont pas nécessairement sans emploi, puisqu’un tiers des personnes non connectées sont employées à temps plein !

Les pistes pour réduire la fracture numérique

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Les contrastes de l’innovation sociale

« Du Social business à l’économie sociale et solidaire. Critique de l’innovation sociale », sous la direction de Maïté Juan, Jean-Louis Laville et Joan Subirats (Erès, 336 pages, 28.50 euros).
« Du Social business à l’économie sociale et solidaire. Critique de l’innovation sociale », sous la direction de Maïté Juan, Jean-Louis Laville et Joan Subirats (Erès, 336 pages, 28.50 euros).

Le livre. Méfiez-vous de l’éloge unanime de l’innovation sociale : le consensus autour de sa virtuosité dérive de la variété de représentations et de pratiques englobées sous cette appellation. « Cette polysémie permet à de nombreux auteurs de se ranger sous une même bannière alors qu’ils ont des références et des orientations distinctes, voire divergentes », soulignent Maïté Juan et Jean-Louis Laville dans Du social business et à l’économie solidaire (Erès), un ouvrage que la docteure en sociologie et le professeur au Conservatoire national des arts et métiers dirigent avec le professeur en sciences politiques Joan Subirats.

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Deux acceptions contrastées de l’innovation sociale se font face.

La première version, « qui peut être qualifiée de faible », aménage le système existant et valorise l’entreprise privée dans sa capacité à trouver de nouvelles solutions aux problèmes de société.

La seconde version affiche une visée transformatrice et prône, en réaction à la démesure du capitalisme marchand, une articulation inédite entre pouvoirs publics et société civile pour répondre aux défis écologiques et sociaux. Depuis quelques années, des restrictions budgétaires importantes ont favorisé la première version. Cette « instrumentalisation de l’innovation sociale par le néolibéralisme » est détaillée dans la première partie de l’ouvrage, qui décrit le tournant néolibéral de l’innovation sociale grâce à des contributions sur l’Amérique du Nord, l’Asie et l’Europe.

Un gage de changement

Expérimentations démocratiques œuvrant à la création de services d’utilité sociale, à la mobilisation des sans-voix, à la mise en œuvre des modalités alternatives de consommation, ou encore à des formes d’autogouvernement citoyen… la seconde version n’a pas disparu pour autant. « Très présentes sur le terrain, les initiatives citoyennes sont délaissées au profit de démarches plus managériales et pourtant beaucoup moins répandues. » Ce « déni de démocratie en matière d’innovation sociale » est développé dans la deuxième partie de l’ouvrage.

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Engagées dans une lutte pour leur reconnaissance, ces initiatives se heurtent « aux mécanismes technocratiques dans la gouvernance des territoires, excluant les citoyens ordinaires du débat public, ainsi qu’à des logiques d’évaluation quantitative qui ne permettent pas de mesurer finement leur utilité sociale ». La mise en visibilité de ces expérimentations dépendrait alors de l’avènement de nouvelles relations entre science et société, aptes à mettre en valeur la pluralité des formes de connaissance. « Les recherches participatives, en plein essor, peuvent jouer ce rôle car elles interrogent le monopole de l’expert dans la production et la validation du savoir. »

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« Le risque est réel que la distanciation sociale soit synonyme de dégradation des conditions de travail »

Tribune. Depuis la fin du mois d’avril, la communication gouvernementale s’emploie à substituer au terme de « distanciation sociale » celui de « distanciation physique », comme pour atténuer les fractures sociales que la crise sanitaire révèle et accentue. Le terme de « distanciation sociale » s’est pourtant peu à peu imposé dans les esprits pour décrire une situation d’éloignement sanitaire qui risque de s’inscrire dans la durée. Car pour les salariés, une chose est certaine : le déconfinement n’induit pas un retour à la vie d’avant.

Tout d’abord, la plupart des cadres vont rester confinés chez eux, et près de 70 % d’entre eux semblent s’en accommoder, si l’on en croit une récente enquête IFOP pour Securex. Malgré cet engouement, il est en réalité tout sauf évident d’évaluer la perception individuelle du confinement, tant les situations personnelle et professionnelle de chacun ont pu être différentes.

Désengagement, conflits

Il serait en effet présomptueux de confondre sans distinction les situations des collaborateurs qui ont apprécié de pouvoir se rapprocher de leur famille, de ceux qui sont épuisés par la succession ininterrompue de conférences téléphoniques, de ceux qui ont souffert de l’isolement et ont hâte de retrouver un lien de proximité avec leurs collègues, ou de ceux qui sont inquiets pour leur avenir professionnel.

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Par ailleurs, dans les sites de production, dans les transports, dans les commerces, un grand nombre de salariés s’apprêtent à reprendre le travail, lorsqu’ils l’ont arrêté, avec une crainte légitime pour leur santé et la dégradation potentielle de leurs conditions de travail. Ces salariés vont devoir s’approprier de nouvelles normes de travail qui peuvent changer radicalement le déroulement de leurs journées : distance physique, gestes barrières, port du masque, désinfections régulières, ou encore usage restreint de la climatisation.

Dans ce contexte, le risque est réel que le terme de distanciation sociale soit synonyme de dégradation des conditions de travail pour les salariés les plus fragiles et d’isolement contraint pour de nombreux cadres. Le danger ici est de voir apparaître un monde du travail plus que jamais réceptacle des inégalités sociales, avec en corollaire d’inévitables situations de désengagement ou de conflits.

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Malgré ces craintes légitimes, des manifestations de solidarité ont émaillé ces dernières semaines le quotidien de nombreuses entreprises et de plus en plus de voix s’élèvent pour penser le monde du travail de demain. A tel point que nous pouvons nous attendre à une mutation profonde des leviers d’engagement au travail : plus que jamais, les salariés désireront travailler pour des entreprises dont l’utilité sociale ne se limite pas à une déclaration de bonnes intentions, et attendront de la part de leur management davantage de considération.

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