Archive dans 2020

La crise sanitaire et économique fait bondir le chômage en avril

Les effets du Covid-19 sur l’économie française se révèlent, chaque jour, plus ravageurs. En avril, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A) s’est accru dans des proportions sidérantes : + 843 000 par rapport à mars, sur l’ensemble du territoire (outre-mer compris, sauf Mayotte), d’après les données diffusées, jeudi 28 mai, par Pôle emploi et par la Dares – la direction des études du ministère du travail. Il s’agit, depuis la mise en place, en 1996, de ces séries statistiques, d’une hausse sans équivalent : elle s’avère bien plus forte (+ 22,6 %) que celle relevée en mars – pourtant qualifiée d’historique à l’époque (+ 7,1 %). Sur trois mois, les personnes, privées de travail et à la recherche d’un poste, ont vu leur nombre s’envoler de 1,065 million (+ 30,3 % depuis fin janvier) : elles sont désormais un peu plus de 4,575 millions dans cette situation – un niveau, là encore, inédit, puisque la barre des 4 millions n’avait jamais été franchie jusqu’à présent.

Pour impressionnante qu’elle soit, la déferlante qui vient de s’abattre était « prévisible », selon le ministère du travail, avril étant « le premier mois intégralement marqué par le confinement ». Le phénomène doit être mis en relation avec les « pertes d’activité » enregistrées à partir de la mi-mars : « Leur ampleur est inégalée depuis la création, à la fin des années 1940, des comptes nationaux de l’Insee », souligne Bruno Ducoudré, de l’Observatoire français des conjonctures économiques.

Infographie Le Monde

Au deuxième trimestre, le PIB pourrait diminuer de 20 %, après un recul de 5,3 % entre début janvier et fin mars. Des chiffres « vertigineux, mais à la hauteur, si l’on peut dire, de ce qui s’est passé (…) dans le monde », comme l’indiquait l’Insee, dans sa note de conjoncture diffusée mercredi 27. « Nous ne sommes, malheureusement, plus trop surpris par la série de – mauvais – records battus dans les statistiques du marché du travail », notamment au sein des pays occidentaux, confie Andrea Garnero, de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Aux Etats-Unis, rappelle-t-il, le nombre de demandeurs d’emploi a flambé, à la fin mars, en accomplissant un bond « de 3 millions, sur une semaine, puis de 6 millions, la semaine suivante ».

Missions d’intérim et CDD non renouvelés

En France, toutes les générations sont frappées par la récession en cours, mais ce sont les jeunes (de moins de 25 ans) qui paient le plus lourd tribut : + 29,4 %. Pour les autres tranches d’âge, l’impact est moindre, tout en demeurant spectaculaire : + 24 % pour les 25-49 ans et + 16,1 % chez ceux ayant au moins 50 ans. La tendance est portée par les personnes « qui recherchent un métier » dans de multiples secteurs, selon la Dares : commerce, services à la personne, hôtellerie et tourisme, transports et logistique, construction, travaux publics, industrie du spectacle…

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La potion-choc de Jean-Dominique Senard pour Renault

Capture d’écran de la visioconférence de presse du patron de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, Jean-Dominique Senard, mercredi 27 mai.
Capture d’écran de la visioconférence de presse du patron de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, Jean-Dominique Senard, mercredi 27 mai. Renault-Nissan-Mitsubishi via AP

C’était le point d’orgue de la folle semaine de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi. Le constructeur français a présenté, vendredi 29 mai, son très attendu plan de réduction des coûts après l’annonce, la veille, des résultats de Nissan et, l’avant-veille, de la réorganisation de l’Alliance. Le partenariat automobile franco-japonais est en difficulté depuis la fin 2018, et la chute de son patron historique, Carlos Ghosn – un handicap accru par la crise brutale et profonde due au Covid-19.

Lire l’entretien : Jean-Dominique Senard : « Il s’agit de la survie de Renault »

Vu de France, le troisième volet de cette trilogie est évidemment le plus chargé en annonces émotionnelles avec son lot de fermetures d’usines, de « dégraissage » ou de transferts de sites. Il faut reconnaître que la potion concoctée par Jean-Dominique Senard, président de Renault et patron de l’Alliance, est puissante, voire amère pour certains. Le plan, présenté jeudi 28 mai au soir aux syndicats, lors d’un comité central social et économique du groupe, est censé faire économiser 2,15 milliards d’euros sur trois ans et supprime, d’ici à 2023, 15 000 emplois dans le monde (soit plus de 8 % des effectifs totaux de 180 000 salariés), dont 4 600 postes qui disparaissent en France.

Dans le monde, la fin de l’ère Ghosn

« Pour Renault, comme pour Nissan et Mitsubishi, c’est l’année de la remise des compteurs à zéro, explique M. Senard. C’est la fin d’une certaine ère, l’époque de la course à la taille et aux volumes. » La stratégie chère à Carlos Ghosn a échoué, assurent les nouveaux dirigeants. De fait, Nissan a été conçu pour fabriquer 7 millions de véhicules par an et en produit 5. Quant au Groupe Renault, il est bâti pour cracher ses 5,5 millions de voitures et n’en a fabriqué que 3,8 millions en 2019. « C’est le retour d’une méthodologie rigoureuse appliquée à nos investissements, ajoute le patron du losange et de l’Alliance. C’est la compétitivité retrouvée. »

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Finie donc l’expansion tous azimuts. Terminée l’aventure au grand large quoi qu’il en coûte. Et le plan s’en ressent : plus de 10 000 emplois disparaissent hors de France. Des projets sont abandonnés au Maroc et en Roumanie, des activités ferment ou se rationalisent en Corée et en Russie. Le départ de la marque Renault de Chine est définitivement confirmé. Et quelques éléments de ligne sur des pièces en Turquie et en Slovénie (boîtes de vitesses) seront même relocalisés en France.

Peau de chagrin pour les usines françaises

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Coronavirus : le marché de l’emploi a changé de visage du fait du confinement

Les emplois les plus recherchés aujourd’hui sont des emplois dans la vente, la restauration, dans l’aide à domicile…
Les emplois les plus recherchés aujourd’hui sont des emplois dans la vente, la restauration, dans l’aide à domicile… PASCAL GUYOT / AFP

Des entreprises plongées dans l’incertitude, qui recrutent peu et de manière précaire, en face d’une population de demandeurs d’emploi croissante, du fait de la disparition brutale des missions d’intérim, des petits boulots et des emplois saisonniers. En quelques semaines, le marché de l’emploi, qui s’était largement assaini en début d’année 2020 avec une augmentation des contrats à durée indéterminée, a changé de visage du fait du confinement et de la crise née du Covid-19.

Mais les contingents de demandeurs d’emploi issus des plans de licenciements ne sont pas encore là. « L’augmentation du chômage reflète plutôt le gel des embauches de la part des entreprises qui sont dans l’expectative, résume Denis Ferrand, directeur général de l’institut Rexecode. Il ne s’agit pas encore de gens qui ont perdu leur job. »

Alexandre Juddes, économiste pour Indeed France, site d’offres d’emploi en ligne, confirme cette analyse avec les données du terrain. Après deux semaines atones en début de confinement, le site a vu affluer les demandeurs d’emploi à la fin de la période, en nette hausse par rapport à février, tandis que le nombre d’offres n’est revenu qu’aux deux tiers de la normale.

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Le nombre d’étudiants à la recherche d’un emploi en hausse

Fait saillant, le nombre de demandes d’emploi qui sont accompagnées du mot-clé « urgent » a été multiplié par trois par rapport à l’avant-Covid-19, commente l’économiste. « Les emplois les plus recherchés aujourd’hui sont des emplois dans la vente, la restauration, dans l’aide à domicile… », énumère-t-il. Difficile de connaître exactement le profil de ces demandeurs, mais Alexandre Juddes suppose sans prendre trop de risques qu’il s’agit de personnes qui ont vu leur CDD terminé et non renouvelé, de fins de mission d’intérim… « Beaucoup étaient vendeurs, chauffeurs livreurs ou indiquaient stagiaire sur leur profil », dit-il.

En haut du tableau des demandes d’emploi : les étudiants qui sont en quête d’un job saisonnier pour arrondir leurs fins de mois, tandis que les universités et écoles sont fermées. Leur nombre est en hausse de près de 33 % par rapport aux semaines précédentes. Un phénomène saisonnier mais particulièrement marqué cette année, puisque les secteurs traditionnellement pourvoyeurs de jobs étudiants − bars, cafés, restaurants, tourisme, aéroports… − sont empêchés, au moins jusqu’à début juin.

Les entreprises recrutent peu

Viennent ensuite les demandes de postes de vendeurs, serveurs, d’employés polyvalents, de femmes de ménage… Les entreprises, de leur côté, non seulement recrutent peu mais restent très prudentes, avec une proportion de CDD qui est repartie à la hausse au détriment des contrats à durée indéterminée. A la tête de HelloWork, qui gère une petite dizaine de plates-formes de recherche d’emploi (ParisJob, RégionsJob, JobTrotter, Aladom…) drainant chaque mois 4 à 5 millions d’utilisateurs pour 800 000 offres par an, David Beaurepaire estime, lui, que le volume de CDD dans les offres est passé de 15 % à 30 % environ.

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Victoire des ex-salariés de Goodyear : « Ça a été long, fastidieux, violent, mais la lutte paye ! »

Des syndicalistes CGT de l’usine Goodyear manifestent avant le début du procès aux Prud’hommes. au tribunal d’Amiens, le 28 janvier.
Des syndicalistes CGT de l’usine Goodyear manifestent avant le début du procès aux Prud’hommes. au tribunal d’Amiens, le 28 janvier. FRANCOIS LO PRESTI / AFP

C’est un jugement qu’ils espéraient depuis longtemps. Six ans après la fermeture de leur usine, les 832 salariés du site Goodyear d’Amiens Nord qui contestaient leur licenciement économique en justice ont obtenu gain de cause. Jeudi 28 mai, le tribunal des prud’hommes d’Amiens a condamné le géant du pneumatique pour « licenciement sans motif économique valide ».

« C’est le couronnement d’années de lutte acharnée des salariés de ce site, qui avaient décidé de ne pas se laisser faire, souligne leur avocat MFiodor Rilov. Le juge reconnaît qu’ils avaient raison, qu’il n’y avait pas de justification économique aux licenciements et à la destruction des emplois. Et que Goodyear ne l’a fait que pour accroître ses bénéfices et les dividendes versés aux actionnaires, alors même qu’ils réalisaient, cette année-là, 1,7 milliard de dollars [1,5 milliard d’euros] de résultat ! »

« C’est un signal fort envoyé »

Répétant la défense soutenue à l’audience selon laquelle « cette fermeture était nécessaire pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise », Goodyear France a réagi par un court communiqué indiquant « examiner ces décisions avant de décider de faire appel ». Même si c’est le cas, « ils devront d’abord payer les indemnités » indique MRilov, la condamnation étant assortie d’une exécution provisoire.

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« On est très heureux. Ça a été long, fastidieux, violent, mais la lutte paye !, se réjouit Mickaël Wamen, ex-délégué CGT du site, qui aimerait que cette victoire inspire d’autres salariés. Plein d’entreprises vont utiliser l’excuse fallacieuse du Covid pour lancer des plans sociaux prévus depuis longtemps, il faut se battre ! »

« C’est un signal fort envoyé alors que nous allons assister à une avalanche de licenciements, renchérit Fiodor Rilov. Si les politiques ont renoncé, les juges font la démonstration qu’il est possible de faire quelque chose face aux multinationales, en osant appliquer la loi. »

« J’aurais préféré garder mon boulot »

Cette victoire a pourtant un goût amer. « Goodyear ne rouvrira pas pour autant ce site industriel. 1 143 emplois ont été supprimés », souligne Mickaël Wamen. « Ce jugement nous rend notre dignité. Mais il ne rétablira pas les drames sociaux et familiaux », a regretté l’ex-déléguée CGT Evelyne Becker.

Nombre d’ex-salariés du site n’ont, depuis six ans, jamais retrouvé de CDI. Comme Emile, 56 ans, qui n’a travaillé qu’en intérim. « J’ai accepté des places horribles, comme vider des cuves de purin… » En ce moment, il est au chômage. « Alors le jugement m’a fait chaud au cœur. Les indemnités vont me mettre un peu mieux. »

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Renault prévoit de supprimer 15 000 emplois dans le monde, dont 4 600 en France

Des manifestants se tiennent devant l’entrée de la Fonderie de Bretagne, filiale du Groupe Renault, le 28 mai 2020, à Caudan (Morbihan).
Des manifestants se tiennent devant l’entrée de la Fonderie de Bretagne, filiale du Groupe Renault, le 28 mai 2020, à Caudan (Morbihan). FRED TANNEAU / AFP

Le plan de quelque 8 milliards d’euros annoncé par Emmanuel Macron pour relancer l’automobile n’empêchera pas les suppressions de postes massives attendues dans ce secteur. Le constructeur automobile français Renault compte supprimer environ 15 000 emplois dans le monde, dont 4 600 en France, dans le cadre d’un plan d’économies de 2 milliards d’euros sur trois ans, a-t-on appris jeudi soir de sources concordantes.

Le projet, qui doit être rendu public vendredi matin, a été présenté jeudi soir aux organisations syndicales, lors d’un comité central social et économique (CCSE) du groupe. Il prévoit de réduire les effectifs « sans licenciement sec », via des départs volontaires, des départs à la retraite non remplacés et des mesures de mobilité interne ou de reconversion, ont fait savoir ces sources à l’Agence France-Presse (AFP).

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Les capacités de production réduites

Les capacités de production du groupe au niveau mondial devraient être réduites, passant de 4 millions de véhicules actuellement à quelque 3,3 millions, sur une base de deux équipes (ce qui correspond à une production réelle potentielle plus élevée en ajoutant une troisième équipe).

Renault va suspendre des projets d’extension d’usines au Maroc et en Roumanie, envisage de réduire ses capacités de production en Russie, et de réduire également les activités mécaniques en Corée du sud et la fabrication de boîtes de vitesse en Turquie.

Le projet inclut en France l’arrêt de la production automobile à Flins (Yvelines), après la fin de la Zoe, d’ici quelques années. L’usine, qui emploie actuellement de 2 600 salariés, sera cependant reconvertie et récupérera l’activité du site de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), qui emploie 260 personnes dans la réparation de moteurs et boîtes de vitesse utilisés comme pièces de réemploi.

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L’avenir de la Fonderie de Bretagne, avec près de 400 salariés à Caudan (Morbihan), reste en suspens avec une « revue stratégique » annoncée. Même chose pour l’usine de Dieppe (Seine-Maritime), où une réflexion sera engagée pour « un projet de reconversion à la fin de la production de l’Alpine 110 ».

Enfin, la fusion des sites de Douai et Maubeuge, dans le Nord, est envisagée pour créer un centre d’excellence des véhicules électriques et utilitaires légers.

« Tout est déjà décidé »

En France, une procédure d’« information-consultation » des représentants du personnel commencera « à partir de la mi-juin », selon une source syndicale. Un conseil d’administration du groupe a été convoqué jeudi soir.

De sources concordantes, le plan d’économies de 2 milliards d’euros est réparti pour environ un tiers sur la production, un tiers sur l’ingénierie et un tiers sur les frais de structure, marketing et réseau.

Interrogé par l’AFP à l’issue du CCSE, Franck Daoût, délégué syndical central de la CFDT, a souhaité « un accord de méthode » pour la mise en œuvre du plan, « avec des expertises sur les sites, localement, commençant le plus tôt possible ». Concernant l’impact social des suppressions de postes, M. Daoût a souligné qu’il s’agira de « départs naturels à la retraite et de départs volontaires ».

« Ils sont malins. Ils présentent ça comme des hypothèses de travail, disent on le fera avec vousalors que tout est déjà décidé », a cependant critiqué un autre responsable syndical, sous couvert de l’anonymat.

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Le Monde avec AFP

Trois librairies Gibert Joseph placées en liquidation judiciaire

La librairie Gibert Joseph de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) a été mise en liquidation judiciaire, jeudi 28 mai, par le tribunal de commerce de la ville avec maintien en activité afin de susciter des offres de reprise. Ces dernières devront être déposées le 22 juin au plus tard et une nouvelle audience se tiendra le 25 juin.

Deux autres magasins du groupe, qui a bâti sa réputation sur le livre d’occasion ainsi que sur les manuels scolaires et universitaires, doivent connaître le même sort : celui d’Aubergenville (Yvelines), dont le dossier devait être examiné jeudi après-midi, et celui de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), pour lequel l’audience doit avoir lieu mardi 2 juin.

« Ces magasins sont depuis longtemps en situation déficitaire et, aucune perspective de retour à une situation d’équilibre n’étant possible pour ces points de vente, la direction du groupe Gibert a sollicité la mise en liquidation judiciaire de ces trois librairies », explique au Monde la holding de l’enseigne.

« C’est très violent »

Fermées en raison de la crise sanitaire, les trois librairies n’ont pas rouvert leurs portes le 11 mai. « Nous avons vu le directeur des ressources humaines le 22 mai, témoigne Cécile Le Maire, de la librairie de Chalon-sur-Saône. En moins de deux heures, il nous a expliqué que le magasin allait être liquidé, et les huit salariés licenciés. C’est très violent. » Un scénario identique s’est reproduit à Clermont-Ferrand. « Cela a été un choc », avoue Jean-Philippe Baré, le représentant des quatorze salariés au conseil économique et social (CSE) de cette libraire ouverte en 1942, véritable institution auvergnate. Pour autant, la décision n’a pas été une surprise totale. « Il y a une érosion qui date de plus de dix ans. Les salariés en étaient conscients. »

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La situation du magasin clermontois illustre les mutations rapides du marché du livre d’occasion et de celui du livre scolaire et universitaire. « Le vrai sujet, c’est celui des marketplaces [plates-formes numériques] », explique au Monde Vincent Monadé, le président du Centre national du livre (CNL). Le secteur du livre d’occasion connaît une croissance importante – 15 % du marché du livre en volume, selon M. Monadé –, mais elle est en majorité captée par de grandes plates-formes, comme eBay ou Priceminister-Rakuten. « Faire reposer l’économie d’une librairie physique sur le livre d’occasion, c’est compliqué. Ce type d’activité ne peut être que complémentaire », juge le président du CNL.

« Un changement de modèle »

L’autre pilier du groupe est également attaqué. « Le marché du livre scolaire et universitaire a été très impacté ces dernières années, autant par la gratuité mise en place par vagues successives dans les régions que par la modification du rythme auquel les programmes changent », constate la direction. « L’essor des cours sur tablettes numériques est un facteur supplémentaire impactant de manière négative ce marché », souligne-t-elle encore.

Le sort réservé aux trois librairies de province inquiète la Confédération générale du travail (CGT) des magasins parisiens. « Nous entrons dans un processus qui va concerner tout le monde, y compris à Paris, où il y a des magasins qui coexistent en vivotant », redoute Rémy Frey, de la CGT-Gibert Joseph. « Au-delà des liquidations actuellement en cours se pose la question d’un changement de modèle, d’une réorientation du groupe. »

Espace de coworking recherche télétravailleurs

Espace de coworking dans un café, à Berlin.
Espace de coworking dans un café, à Berlin. picture alliance / Robert Schlesinger /DPA / Photononstop

Pas plus de trois personnes à la fois dans la cuisine commune quand elle n’est pas carrément condamnée. Fini les grandes tablées d’ordinateurs, terminé les mugs qui traînent comme les conversations entre « colocs ». Les espaces de coworking, promesses d’échanges et d’ouverture entre professionnels en mode « cool », ont pris des allures de cliniques aseptisées sous le coup de la distanciation physique, des gestes barrières et du repli vers le domicile.

« Le Désert des Tartares », soupire Sandrine, ancienne cadre dans l’industrie pharmaceutique, reconvertie dans une start-up, qui regrette « l’ambiance loft » de son centre partagé lillois. Après un après-midi passé sans voisin de travail à l’horizon et avec port du masque encouragé, la quinquagénaire « préfère rester bosser chez [elle] avec sa tasse de thé ».

Nouvelles normes sanitaires

Il y a encore quelques mois, l’idée de partager un bout de table, une cafetière ou un frigo, mais aussi du lien social avec des inconnus, avait le vent en poupe. En témoigne le nombre de centres de coworking ouverts un peu partout en France depuis leur apparition, en 2008 : 1 700, selon les estimations, dont près de la moitié en Ile-de-France. Mais la crise sanitaire est passée par là. Ces lieux collectifs, basés sur le modèle de la circulation des idées, des personnes et donc des microbes, survivront-ils à la pandémie ? Une inquiétude renforcée par la situation d’une grande partie de leur clientèle, celle des indépendants, premiers fragilisés par la dégringolade de l’activité économique.

Pour récupérer un semblant d’activité, il a fallu d’abord se conformer aux nouvelles normes sanitaires. En plein cœur de Nice, à deux pas de la plage (encore interdite), le Labo Coworking a rouvert le 11 mai, après avoir revu aménagement intérieur et habitudes. Postes de travail distancés, litres de gel hydroalcoolique, lingettes à disposition, machines à café installées hors de la cuisine pour éviter les attroupements… Géraldine Zermati, la cofondatrice, a dû s’adapter pour faire redémarrer son espace de 250 m2, qui propose 25 postes de travail en open space et deux grandes salles de réunion fermées.

« Sur la vingtaine de “résidents”, ceux qui louent au mois l’utilisation de l’espace, deux ont résilié ou suspendu leur abonnement », constate la responsable, qui anticipe néanmoins une baisse de moitié de son chiffre d’affaires. Car les « expats » qui paient à la journée ou à l’heure se font encore attendre. Quant à la réservation pour des événements d’entreprise, elle a carrément plongé.

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Hausse inédite du chômage en avril : 840 000 demandeurs d’emploi supplémentaires

Dans une agence Pôle emploi, le 18 mai.
Dans une agence Pôle emploi, le 18 mai. ÉRIC GAILLARD / REUTERS

Le marché du travail n’en finit pas de souffrir. En avril, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A) s’est accru dans des proportions sidérantes : + 843 000 par rapport au mois précédent, sur l’ensemble du territoire (outre-mer compris, sauf Mayotte), d’après les données publiées jeudi par Pôle emploi et par la Dares – la direction des études statistiques du ministère du travail.

Il s’agit, depuis la mise en place en 1996 de ces séries statistiques, d’une hausse sans aucun équivalent : elle s’avère bien plus forte (+ 22,6 %) que celle relevée en mars – laquelle dépassait déjà tous les records (+ 7,1 %). Sur trois mois, les personnes à la recherche d’un poste avaient vu leurs effectifs s’envoler de 1,065 million (+ 30,3 % depuis la fin de janvier) : elles sont désormais un peu plus de 4,575 millions dans cette situation – un niveau, là encore, inédit, puisque le chiffre de 4 millions n’avait jamais été atteint.

Toutes les tranches d’âges sont concernées, à commencer par les moins de 25 ans (+ 29,4 %). La progression est moindre, mais toutefois considérable, pour les personnes plus âgées : + 24 % pour les 25-49 ans et + 16,1 % chez ceux ayant au moins 50 ans. L’augmentation touche également toutes les régions, avec une intensité un peu moins marquée dans les territoires d’outre-mer.

Commerce, services à la personne, hôtellerie…

La tendance est portée notamment par les personnes « qui recherchent un métier » dans de multiples secteurs, selon la Dares : commerce, services à la personne, hôtellerie et tourisme, transport et logistique, construction, travaux publics, industrie du spectacle…

A l’inverse, les demandeurs d’emploi ayant exercé une activité réduite (catégories B et C) sont nettement moins nombreux (− 30 % par rapport à mars), car les opportunités d’embauche se sont évaporées. Ils sont venus grossir les rangs des personnes sans aucun travail, ce phénomène de vases communicants étant à l’origine des trois quarts de la hausse des effectifs dans la catégorie A. Le nombre d’individus dans les catégories A, B et C fait ainsi un bond de 209 000 en avril.

Les entrées à Pôle emploi ont pourtant baissé en avril (− 19,1 %). Mais dans le même temps, les sorties du dispositif se sont écroulées (− 35 %) : autrement dit, les personnes concernées restent inscrites dans les fichiers, notamment parce qu’elles ne trouvent pas de poste ou de stage de formation.

Le dialogue social, victime collatérale de la crise pour les syndicats

Et un train de mesures supplémentaires destinées à assouplir, temporairement, le droit du travail… Mercredi 27 mai, une ordonnance « portant diverses dispositions sociales pour faire face à l’épidémie de Covid-19 » a été présentée en conseil des ministres. Elle réduit les délais de consultation d’une instance représentative du personnel (IRP) à La Poste, afin d’agir aussi promptement que possible contre les « conséquences économiques, financières et sociales de la propagation » de la maladie. Dans le flot de décisions prises depuis la mi-mars par l’exécutif pour « aménager » provisoirement la loi, ce texte pourrait sembler anecdotique. Son objet est toutefois susceptible de fournir un argument de plus à tous ceux qui reprochent au gouvernement de sacrifier le dialogue social sur l’autel de la crise sanitaire.

L’ordonnance, dévoilée mercredi, s’ajoute à celles adoptées durant la deuxième quinzaine d’avril et début mai. Toutes ont pour effet de diminuer – momentanément – les laps de temps prévus pour informer et recueillir l’avis des représentants des salariés dans les entreprises. Précision importante : les patrons ne peuvent pas faire jouer ces dérogations à tout instant, les règles habituelles continuant de s’appliquer, par exemple, s’ils veulent engager un plan social.

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Ces changements ont été diversement accueillis par les syndicats. « Nous avons compris qu’il pouvait y avoir des cas spécifiques nécessitant des réponses très rapides, durant la période d’urgence sanitaire, confie Cyril Chabanier, le président de la CFTC. En même temps, il est dommage d’en passer par là, et je crois que nous aurions pu nous dispenser de telles dispositions, les discussions entre employeurs et élus du personnel devant être privilégiées pour trouver des solutions. »

Des « facilités juridiques exceptionnelles »

Les circonstances hors du commun, auxquelles la France est confrontée, « sont trop souvent invoquées pour faire passer des mesures dérogatoires », enchaîne Yves Veyrier. Le secrétaire général de Force ouvrière le regrette d’autant plus que les modifications en question assimilent, selon lui, les syndicats à des obstacles qu’il faudrait contourner. « Raccourcir les délais de consultation amoindrit le rôle des IRP, voire ne leur permet pas de remplir leurs prérogatives en matière d’expertise, d’évaluation des risques, de proposition de mesures pour préserver la santé des travailleurs », s’indigne Céline Verzeletti, membre du bureau confédéral de la CGT.

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Renault : à Choisy-le Roi, l’impression d’« un énorme gâchis »

Entrée de l’usine Renault de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne)
Entrée de l’usine Renault de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) Xavier POPY/REA

Il y a ceux qui ne veulent pas y penser − « pour l’instant je reste la tête dans mon boulot » −, ceux qui accusent déjà le coup − « c’est dur, je viens d’être embauché » −, les résignés − « la vie n’est pas un long fleuve tranquille » −, et ceux qui bouillonnent : « Comment l’Etat peut mettre 5 milliards pour fermer des usines ? »

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Voilà une semaine que les 263 salariés de Renault à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) ont lu dans la presse que le constructeur automobile pourrait annoncer la fermeture de trois sites, dont le leur. Si leurs réactions divergeaient dans l’attente des annonces officielles du groupe, prévues vendredi 29 mai, tous partageaient la même incompréhension : pourquoi eux ? « On dirait qu’ils ont choisi des petits sites au hasard, sans penser à la stratégie globale. Choisy-le-Roi n’a peut-être l’air de rien dans le maillage de Renault, mais son activité particulière en fait l’une des vitrines de l’engagement environnemental du groupe », souligne Brahim Hachouche, délégué central adjoint FO chez Renault et salarié à Choisy.

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Ce site est en effet spécialisé dans la rénovation et le reconditionnement de pièces mécaniques : moteurs et boîtes de vitesses usagés y connaissent une seconde vie. Ils sont démontés, nettoyés, des pièces sont remplacées puis ils sont remontés et repartent pour le service après-vente, ce qui permet de proposer à l’automobiliste un « échange standard » à moindre coût, pour lui comme pour l’environnement.

Une activité unique

Dans ses « documents de référence » de 2018 et 2019, Renault soulignait l’activité unique de « remanufacturing » du site de Choisy-le-Roi au chapitre « Une entreprise responsable ». Et précisait : « Chaque organe remplacé en échange standard représente une réduction significative des impacts environnementaux comparé à la fabrication d’un organe neuf (jusqu’à − 80 % d’énergie, − 88 % d’eau, − 92 % de produits chimiques et − 70 % de déchets). » En 2014, le site a reçu le Trophée de l’économie circulaire. Le directeur de l’usine s’était alors félicité d’être « le porte-drapeau de l’engagement du groupe » dans ce domaine.

Au moment où le président de la République plaide pour que la transition écologique soit au cœur de la relance de la filière automobile, l’hypothèse de la fermeture de Choisy apparaît, pour beaucoup, comme un « non-sens », selon les mots du maire communiste (PCF) de la ville, Didier Guillaume : « Que ce soit par rapport à la démarche de développement durable de Renault ou sur le plan financier, car ce site rapporte de l’argent, on ne comprend pas. »

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