Archive dans 2020

Responsabilité sociale des plates-formes numériques : le décret de la discorde

Les plates-formes numériques et leurs chauffeurs VTC ou leurs livreurs attendaient pour fin octobre les conclusions de la mission confiée, en janvier, à Jean-Yves Frouin, ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, sur la représentation de ces travailleurs. Mais c’est un autre document qui a été publié le 23 octobre : la troisième version d’un décret prévu par la loi d’orientation sur les mobilités adoptée fin 2019, qui organise les relations entre services et travailleurs y recourant.

Le nouveau décret précise que les plates-formes peuvent se doter d’une « charte de responsabilité sociale », « première étape pour réguler les relations entre les plates-formes et les travailleurs », a commenté Elisabeth Borne, ministre du travail. Cette charte sera déposée auprès de la direction générale du travail (DGT), au ministère, qui pourra l’homologuer ou non. Pour la faire homologuer, la société devra fournir les documents attestant « du résultat de la consultation préalable des travailleurs sur le contenu de la charte, du nombre de travailleurs consultés, du nombre de travailleurs qui se sont exprimés ; des modalités d’organisation de la consultation ». La DGT vérifiera la conformité du contenu de la charte.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Requalification des contrats, concurrence déloyale… Chauffeurs d’Uber et taxis s’attaquent au groupe américain

Cette dernière doit notamment préciser les conditions d’exercice de l’activité des travailleurs, la garantie du « caractère non exclusif de la relation entre les travailleurs et la plate-forme et la liberté » de se connecter et de se déconnecter ; les modalités visant à permettre aux travailleurs d’obtenir un prix décent de prestation ; les modalités de contrôle par l’entreprise de l’activité ; etc. Le décret indique aussi que lorsqu’une plate-forme « détermine les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu et fixe son prix, elle a une responsabilité sociale à l’égard des travailleurs indépendants qui y recourent ».

« C’est quoi, un prix décent ? »

Du côté de ces services, pour certains, c’est la surprise. « Pour nous, la priorité, c’est de connaître les conclusions de la mission Frouin à laquelle on a contribué et de participer à la consultation » des partenaires sociaux qui devrait s’ensuivre, comme l’a laissé entendre le premier ministre, Jean Castex, indique-t-on chez Deliveroo. Pas question donc de se lancer dans une charte pour le moment. A l’inverse, chez Uber, a été « entamée une procédure de consultation des chauffeurs et livreurs au sujet d’une potentielle charte », indique une porte-parole du groupe américain.

Les représentants de travailleurs interrogés ne voient pas, eux, l’intérêt d’une charte pour le moment. Pour Brahim Ben Ali, secrétaire général de l’intersyndicale nationale VTC (INV), qui compte « 1 601 adhérents », « Uber devrait commencer par être transparent sur les chiffres. On ne sait même pas combien il y a de chauffeurs. La plate-forme est gangrenée par des faux chauffeurs qui utilisent une fausse carte de VTC. » Ainsi, « les plates-formes pourront fixer un prix dit décent, qui ne sera pas négocié, déplore l’avocat Kevin Mention, qui défend des travailleurs de ces sociétés. Mais c’est quoi, un prix décent ? Ces chartes vont donner devant le conseil de prud’hommes une légitimité du prix unilatéralement fixé. »

Pour le sénateur du Val-de-Marne Pascal Savoldelli (groupe Communiste, républicain, citoyen, écologiste), qui a déposé une proposition de loi pour ces travailleurs, ce décret ne répond « ni à notre définition du travail, ni à notre conception de la dignité ». Pour l’élu, il faut « une véritable négociation collective » des conditions de travail et intégrer ces travailleurs au livre VII du code du travail qui prévoit « des dispositions particulières à certaines professions » de manière à combiner protection du salariat et autonomie.

Lire la tribune : Après l’arrêt contre Uber, il faut « construire un nouveau droit social »

Covid-19 : « Pour limiter l’épidémie », en incitant à « rester chez soi au moindre symptôme, le gouvernement devrait prendre en charge les jours de carence »

Tribune. Lorsqu’un salarié va chez le médecin et se fait délivrer un arrêt maladie, il n’est pas couvert pour tous les jours non travaillés. Les fonctionnaires doivent ainsi payer leur premier jour d’arrêt. Les salariés du privé paient de leur poche les trois premiers jours d’absence, sauf si leur employeur leur verse des indemnités complémentaires. Ces jours de carence ont bien sûr pour objectif d’éviter que les salariés « n’abusent trop du système » en obtenant de médecins peu scrupuleux un arrêt maladie « à la moindre petite grippette ».

Dans cet esprit, les salariés qui subissent une perte de salaire y réfléchiront à deux fois avant de poser un arrêt. Pour savoir si cet objectif est justifié, on dispose de nombreuses recherches dont les résultats sont pour une fois fort concordants.

En France, trois études ont ainsi montré, à partir de trois méthodes très différentes, que les jours de carence limitent effectivement les arrêts maladie de courte durée, notamment ceux de moins de trois jours. Cependant, ils augmentent aussi les arrêts de plus longue durée (une semaine ou plus), de sorte que le nombre total de jours d’arrêt maladie est inchangé, voire augmenté, et le gain pour les finances publiques est limité.

D’autres études à l’étranger aboutissent à des résultats de même nature. Deux hypothèses se disputent pour expliquer ces résultats.

Il est d’abord possible que les salariés optimisent leurs arrêts, en renonçant plus souvent à prendre des arrêts courts lors de problèmes de santé « mineurs », mais en s’arrêtant plus longtemps dans les cas plus graves afin d’amortir la perte salariale liée au délai de carence.

Présentéisme

Il est cependant aussi possible que les petites infections des salariés qui renoncent à leur arrêt maladie s’aggravent à cause du manque de repos et nécessitent finalement des arrêts plus longs. Ce second mécanisme peut même être démultiplié pour les maladies contagieuses : en renonçant à leur arrêt, certains salariés pourraient transmettre leurs infections à d’autres qui se retrouveraient alors face au même dilemme.

Quelle que soit l’explication dominante, on sait que les jours de carence incitent les salariés à aller travailler lorsqu’ils sont malades. Ce présentéisme est attesté par des enquêtes de santé publique dans de nombreux pays : les salariés dont les arrêts maladie sont les moins bien couverts déclarent davantage aller travailler lorsqu’ils sont malades.

Plus important encore : de tels comportements ont bien des conséquences en termes de santé publique, pour les personnes concernées, mais aussi pour la propagation des épidémies. Une étude a ainsi montré que lorsqu’un Etat américain améliore la couverture des arrêts maladie, les épidémies s’y propagent par la suite moins que dans les Etats voisins !

Il vous reste 60.45% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Négociation collective : plus près, plus vite

« Entre l’annonce du PSE et sa réalisation, le nombre de licenciements peut baisser. Le plan Odyssey d’Airbus est ainsi passé de 5 000 suppressions de postes début juillet à “aucun licenciement sec” à la mi-octobre.»

Carnet de bureau. En période de crise, la proximité est un avantage précieux : 528 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ont été signés entre le 1er mars et la mi-octobre, soit 78 % de plus qu’en 2019. Depuis début septembre, ce sont plus de 3 000 ruptures de contrats de travail qui sont envisagées chaque semaine : 2 700, puis 3 800, puis 4 200, et encore 4 222 pour commencer le mois d’octobre.

Au total depuis mars, ce sont 72 523 départs qui ont été annoncés dans le cadre des PSE, soit trois fois plus qu’en 2019. Un bilan « susceptible d’être modifié », relativise la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (Dares) dans son point bimensuel sur le marché du travail.

Les licenciements annoncés doivent en effet être validés par l’administration – on se souvient du rejet cet été du PSE de l’AFPA par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) d’Ile-de-France.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Ces entreprises qui recrutent en temps de crise

Surtout, la vague des licenciements peut être endiguée ou partiellement contenue par la négociation. Un accord majoritaire d’entreprise doit préciser les mesures prévues par le plan social : les conditions des départs volontaires (indemnités, formations, rachat de trimestre), les mobilités internes, le recours à l’activité partielle de longue durée.

Dialogue social

Entre l’annonce du PSE et sa réalisation, le nombre de licenciements peut baisser. Le plan Odyssey d’Airbus est ainsi passé de 5 000 suppressions de postes début juillet à « aucun licenciement sec » à la mi-octobre, en grande partie grâce aux 1 400 salariés qui pourraient partir à la retraite et à la mise en activité partielle de longue durée de 1 500 autres. « Pour nous le plan social est presque bouclé », a déclaré à l’AFP Dominique Delbouis, le coordinateur FO du groupe Airbus. L’objectif initial d’un plan de sauvegarde de l’emploi est d’éviter ou de limiter les licenciements. Celui des syndicats d’Airbus était : « zéro départ contraint ». Le PSE ne sera finalement clos que fin mars 2021.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les beaux jours de la médiation en entreprise

Face à la crise du Covid-19, le renforcement de la négociation collective au niveau de l’entreprise instauré par la loi travail de 2016 serait-il finalement favorable aux salariés ? Le dialogue social au plus près du terrain a pris une place croissante. Plus de 80 000 accords ont été signés en entreprise en 2019, soit une hausse annuelle de 30 %, et même de 38 % (27 140 accords) pour les sociétés de moins de 50 salariés. Qu’il s’agisse de négocier sur la participation, les salaires ou le temps de travail. Depuis mars 2020, la crise sanitaire occupe le devant de la scène, avec 8 000 nouveaux accords d’entreprises et 53 accords de branche, indique le ministère du travail.

Il vous reste 12.91% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Féminisation du pouvoir en entreprise : l’exemple californien

«  L’association new-yorkaise pro-féministe Catalyst constate que, dans les soixante-dix groupes champions du changement avec lesquels elle travaille, la part des femmes cadres supérieurs est passée de 26,4 % en 2013, à 29 % en 2018. »

« Je ne suis pas une sainte-nitouche ». Parole de Loria Yeadon, la première femme à avoir intégré le conseil d’administration (CA) de TiVo, le spécialiste californien du magnétoscope numérique. Et lorsque TiVo a fusionné avec Xperi, la quinquagénaire a rejoint un autre CA, celui de l’entreprise familiale Laird Norton. Mme Yeadon se veut femme d’influence. Elle s’implique dans la recherche du futur directeur général de la société.

Elle se sent tout à fait libre de réclamer, par exemple, la prise en compte de candidats différents, femmes et minoritaires, pour des postes de haute responsabilité. Présidente du Young Men’s Christian Association (YMCA) du grand Seattle, au quotidien, elle milite aussi en faveur de l’intégration des jeunes dans les conseils d’administration. « Mes filles ont une vingtaine d’années. Je les emmène aux réunions, j’organise des rencontres avec d’autres femmes, dit-elle. Je les pousse à intégrer les instances dirigeantes d’une association pour qu’elles apprennent le b.a.-ba et qu’elles puissent, ensuite, faire leur entrée dans une entreprise. »

Mme Yeadon fait partie du cercle restreint des membres du conseil d’administration, ces VIP qui autrefois étaient plutôt des dirigeants masculins, vieux et à la retraite. Aux Etats-Unis, explique Betsy Berkhemer Credaire, la directrice de l’association 2020 Women on Boards, 60 % des candidats qui s’installent habituellement au tour de table de l’entreprise sont « cooptés ». « Ils appartiennent à un petit milieu de patrons, amis d’amis, sans femmes ou gens de couleur. » C’est pourquoi Mme Berkhemer Credaire, la chasseuse de tête, a milité en faveur d’une nouvelle loi.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Egalité professionnelle : l’heure des comptes a sonné pour les PME »

Adoptée en Californie en 2018, elle impose au moins une femme au sein des administrateurs des entreprises cotées en Bourse et installées en Californie, et même deux ou trois femmes d’ici à la fin 2021, lorsque la compagnie dispose d’un conseil élargi.

Elle représentait « toutes les femmes »

Les résultats ne se sont pas faits attendre. « En 2019 en Californie, 45 % des nouveaux administrateurs étaient des femmes, constate Kim Rivera, la responsable des affaires juridiques du groupe HP, elle-même membre du CA de Thomson Reuters. Et d’insister sur les progrès accomplis : « En 2018, les conseils d’administration de quatre-vingt-treize compagnies étaient entièrement masculins, un an plus tard ils n’étaient plus que dix-sept. »

Les statistiques du groupe d’analyse Equilar attestent de la féminisation des instances gouvernantes : au début de l’année, 24 % des sièges des conseils des entreprises californiennes appartenant à l’indice Russell 3000 étaient occupés par des femmes. D’autres Etats ont suivi la tendance : l’Etat de New-York (23 %), le Massachusetts (23 %) et l’Illinois (22 %)…

Il vous reste 52.06% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’archipel du social

« Les services externalisés sont assurés par des entreprises souvent petites et soumises à une hyperconcurrence ; même quand elles sont de taille importante, elles doivent sous-traiter en cascade pour rester compétitives. »

Gouvernance. Dans son essai L’Archipel français. Naissance d’une nation multiple et divisée (Seuil, 2019), Jérôme Fourquet a mis au jour les sous-espaces géographiques qui composent notre société, depuis les centres des métropoles jusqu’aux confins ruraux en passant par les périphéries, les banlieues ou les cités. Ces sous-espaces semblent culturellement isolés les uns des autres, d’où l’image d’un archipel et d’une France fractionnée.

Dans le champ de l’économie, on pourrait être tenté de parler aussi d’un archipel formé des très grandes entreprises mondialisées, des entreprises industrielles nationales ou locales et des innombrables îlots de l’artisanat et du commerce. La disparité des tailles et des horizons des entreprises contribue à sa manière aux fractures sociales du pays.

Mais à la différence de la carte dressée par Jérôme Fourquet, les sous-espaces économiques sont connectés par des liens de subordination : les grands groupes internationaux sont des donneurs d’ordre directs ou indirects pour les plus petites sociétés et la localisation ou la délocalisation de leur production détermine le maintien ou non d’une économie de proximité.

Plus encore, les grandes entreprises externalisent leurs activités quand elles les estiment peu valorisables : transports, logistique ou les services de gestion des installations appelés facility management (sécurité, nettoyage, restauration, entretien des infrastructures ou des espaces).

Trois millions de salariés concernés

Les services externalisés sont assurés par des entreprises souvent petites et soumises à une hyperconcurrence ; même quand elles sont de taille importante, elles doivent sous-traiter en cascade pour rester compétitives. Car le rapport de force avec les puissants donneurs d’ordre est tel que les sous-traitants subissent une pression continue pour baisser leurs prix : cercle vicieux, leurs marges faibles (autour de 3 %) limitent l’investissement et maintiennent la dépendance aux donneurs d’ordre.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le monde d’après : « Il est temps de ne pas reprendre comme avant »

Les services périphériques sont soumis aux exigences d’une délocalisation réalisée par les grands groupes à l’intérieur même de nos frontières. Une trentaine de métiers et trois millions de salariés sont concernés, dont 90 % sont payés au smic.

Nous avons redécouvert combien les milliers de travailleurs de la santé, mais aussi de l’entretien, de la sécurité ou du transport étaient indispensables à la poursuite de la vie économique au quotidien

Comprendre la subordination économique des entreprises donne plus de consistance à l’émotion suscitée, lors de la crise sanitaire, par la mise en visibilité des travailleurs de proximité : ils sont souvent issus des services de maintenance. Nous avons redécouvert combien les milliers de travailleurs de la santé, mais aussi de l’entretien, de la sécurité ou du transport étaient indispensables à la poursuite de la vie économique au quotidien – et à notre confort.

Il vous reste 24.27% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

A nous tous d’humaniser les algorithmes

« Désubériser, reprendre le contrôle », sous la direction de Florian Forestier. Editions du Faubourg, 128 pages, 12,70 euros.

Le livre. La crise du Covid-19 a montré à quel point chauffeurs VTC et livreurs sont exposés aux risques et peu protégés par la loi, sur les plans sanitaire, économique et social. Ils ne sont pas salariés et n’ont donc pas de droit de retrait, ils ne bénéficient pas non plus des actions de prévention et de protection de la santé que les employeurs sont légalement tenus de mener.

Ils sont aussi très exposés et très peu protégés face au risque économique. « Le paradoxe des plates-formes d’emploi est de mettre un outil novateur et puissant – l’algorithme – au service d’une stratégie économique classique dont la clé est trop souvent la compression des coûts, l’externalisation de la main-d’œuvre et celle des infrastructures », lit-on dans Désubériser, reprendre contrôle (Editions du Faubourg), un ouvrage collectif réalisé sous la direction du philosophe de formation et conservateur à la BNF Florian Forestier.

Dans un monde saturé d’objets connectés, notre premier réflexe pour faire face à tout besoin est d’activer le service correspondant sur un téléphone portable : les applications numériques concernent toutes nos activités au quotidien, mais aussi le travail. L’impact de ce changement est très différencié.

Si la plupart des plates-formes n’ont sur le travail qu’une incidence indirecte, il est en revanche bouleversé par les services numériques de livraison, de transport, de microtravail, d’échange de petits boulots, de recherche de free-lances. « Leur point commun est d’être des plates-formes d’emploi : le travail est au cœur du service qu’elles fournissent. Ce sont ces dernières qui font l’objet de ce livre. »

Réputation et visibilité

Ces plates-formes peuvent-elles s’affranchir des règles de concurrence et des règles sociales auxquelles les acteurs traditionnels du marché du travail sont soumis ? L’ouvrage prend aussi la mesure des transformations que les algorithmes engendrent en matière de gouvernance et d’organisation du travail. « Elles [les plates-formes] amènent à réinterroger des notions aussi essentielles que la relation à l’employeur, la responsabilité, la protection, la rémunération, etc. Car au-delà de la question du statut de ces travailleurs (salarié ou indépendant), se posent celles des nouvelles formes de subordination et de contraintes auxquelles ils sont exposés. »

Dans le monde de la gouvernance algorithmique, que l’on soit livreur, développeur, coach ou chauffeur, on est soumis au diktat de la réputation et de la visibilité. L’algorithme est en charge, ce qui relevait jusqu’alors de l’autorité hiérarchique ou de la relation contractuelle. « Ces modalités de management inédites, si patentes sur les plates-formes, s’étendent peu à peu à tout le monde du travail : les entreprises se disent “libérées” tout en se laissant gagner, elles aussi, par le management algorithmique. »

Il vous reste 21.26% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« L’état d’urgence sanitaire doit pousser l’Etat à prendre des mesures qui protègent sanitairement les seniors et économiquement les jeunes »

Tribune. La gestion de la crise du Covid-19 est particulièrement difficile : comme elle est inédite, les expériences passées ne peuvent aider que très partiellement à la décision publique. Il faut décider sur la base de projections imaginées par des chercheurs, dont la crédibilité se fonde davantage sur la rigueur des modèles théoriques utilisés que sur leur pertinence empirique, aujourd’hui encore non vérifiable. Toutefois, la première vague de l’épidémie ainsi que les réponses contrastées entre les pays fournissent un petit nombre de certitudes, au milieu d’un océan de questions ouvertes.

D’abord, l’opposition entre santé et économie n’a qu’un sens limité. Lors de la première
vague, l’Allemagne a eu quatre fois moins de décès par habitant. Pour autant, elle n’a pas « payé » cette performance par une plus forte chute du produit intérieur brut (PIB) que la France (– 2 % puis – 9,7 % aux premier puis deuxième trimestres pour l’Allemagne, contre – 5,9 % puis – 13,8 % pour la France). Il est donc possible d’être efficace sur les deux tableaux en protégeant la santé sans porter de sérieuses atteintes à l’activité économique.

Par ailleurs, l’impact de l’épidémie est fortement inégalitaire, notamment sur le plan
sanitaire. Certes, des facteurs de risque, souvent des comorbidités, sont associés
à un risque accru de décès chez les patients les plus jeunes. Mais les plus de 65 ans sont les plus touchés : ils représentent 92 % des décès (50 % avaient plus de 84 ans).

Confinement inégalitaire

Les entrées en service de réanimation augmentent très clairement dès 50 ans, les risques de décès à partir de 60 ans et plus encore au-delà de 64 ans. Si les différences selon l’âge sont bien plus marquées que celles entre les territoires, pourquoi ne sont-elles pas prises en compte dans la politique de couvre-feu ?

L’impact du confinement est fortement inégalitaire sur le plan économique. Les restrictions d’activité touchent en priorité les jeunes (– 4 points pour le taux d’emploi des moins de 24 ans depuis le dernier trimestre 2019, contre « seulement » – 0,4 point pour les 50-64 ans) et, parmi eux, les moins diplômés, dont les activités sont concentrées dans certains secteurs particulièrement touchés : 25 % des salariés du secteur de l’hébergement-restauration étaient au chômage partiel au deuxième trimestre 2020, secteur où l’âge moyen des salariés est de 37 ans, contre 42 ans pour l’ensemble des salariés français.

Il vous reste 64.84% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Chômage : le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité a diminué de 11 % au troisième trimestre

Dans une agence Pôle emploi, à Nice, le 18 mai 2020.

L’amélioration est spectaculaire mais risque d’être de courte durée. Au troisième trimestre, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A de Pôle emploi) a diminué de 11 %, selon une publication diffusée mardi 27 octobre par la Dares – la direction de la recherche du ministère du travail. Cet indicateur repasse ainsi sous la barre des 4 millions, pour atteindre 3,924 millions en France (outre-mer compris, à l’exception de Mayotte). Une évolution en lien avec le rebond de notre économie, qui s’est produit à partir de la fin du printemps, après la soudaine entrée en récession causée par l’épidémie de Covid-19.

La tendance concerne toutes les tranches d’âge, mais elle se révèle encore plus marquée pour les moins de 25 ans : -15,2 % de début juillet à fin septembre, en métropole (contre -12 % pour les 25-49 ans et près de -8 % pour les personnes ayant au moins 50 ans).

Ces chiffres illustrent la très relative embellie sur le marché du travail, qui résulte, pour une bonne part, de mesures prises par le gouvernement durant l’été. Entrée en vigueur début août, la prime à l’embauche des jeunes semble avoir produit des effets : les recrutements de salariés de moins de 26 ans se sont accrus de 1,3 % en août et en septembre, comparativement à la même période de 2019, selon des données dévoilées lundi par le ministère du travail.

Après une « baisse historique » de 40 % entre début mars et fin juin, les déclarations d’embauche de plus d’un mois (hors intérim) ont rebondi au troisième trimestre de près de 73 %, selon une note diffusée le 21 octobre par l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale, qui coiffe le réseau des Urssaf. La reprise se révèle un peu plus forte pour les CDD de plus d’un mois (+75,1 %) que pour les CDI (+70,4 %).

+8,8 % par rapport à il y a un an

Plusieurs bémols, cependant. D’abord, la situation reste globalement très dégradée avec un volume de demandeurs d’emploi supérieur à celui d’avant la crise : il est, en effet, supérieur de 8,8 % au niveau relevé en 2019. De plus, les personnes qui travaillent en « activité réduite » tout en restant inscrites à Pôle emploi (catégories B et C) ont vu leurs effectifs augmenter de 26,7 % au troisième trimestre, en métropole. Au total, le nombre d’actifs émargeant dans les catégories A, B et C est tout de même en léger recul durant les trois derniers mois mais il se maintient un peu au-dessus de la barre des 6 millions, sur l’ensemble du territoire.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Fonds de solidarité, chômage partiel, subventions…. le gouvernement jongle avec les aides financières

Les mois à venir s’annoncent très incertains, compte tenu des nouvelles restrictions qui vont être décidées pour limiter la propagation du coronavirus. Leur impact sur l’activité économique est malaisé à évaluer. Dans une note de conjoncture diffusée le 6 octobre, l’Insee indiquait que quelque 840 000 emplois, dont près de 730 000 emplois salariés, « seraient perdus » en 2020. Le taux de chômage, lui, atteindrait 9,7 % en fin d’année, soit 1,6 point de plus par rapport au dernier trimestre 2019.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Pourquoi le plan de relance en France ne sera pas vraiment de 100 milliards d’euros en 2021 et 2022

La difficile mise en place du télétravail dans la fonction publique

L’évolution peut paraître modeste au regard de l’objectif fixé par le premier ministre. Le 15 octobre, Jean Castex a demandé à l’administration de mettre en place rapidement « deux à trois jours de télétravail par semaine ». Or, depuis, le taux d’agents publics qui travaillent depuis leur domicile « au moins un jour par semaine » est passé de 24 % à 28 %, selon les chiffres du ministère de la transformation et de la fonction publiques. Encore ne s’agit-il que de la fonction publique d’Etat. Car, à l’hôpital, l’heure n’est pas vraiment au télétravail. Quant aux collectivités locales, « Castex n’a pas le pouvoir de nous imposer cela », précise d’emblée Philippe Laurent, maire de Sceaux (Hauts-de-Seine) et président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale.

Le télétravail est un vrai défi pour la fonction publique. « C’est une montée en puissance », positive-t-on dans l’entourage de la ministre de la transformation et de la fonction publiques, Amélie de Montchalin, en assurant « être dans le Meccano » pour que les choses avancent vite. Quelque 200 millions d’euros seront mobilisés pour relancer la machine et une enveloppe de 90 millions d’euros est également disponible pour aider les collectivités locales. Le cabinet met la pression sur les ministères, car « ça remonte au compte-gouttes ». Il consulte également les syndicats afin de déceler les blocages locaux, qu’il s’agisse d’équipement informatique ou de freins culturels.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Covid-19 : les employeurs « invités » à mettre en place le télétravail partiel

Au printemps, il a fallu s’y mettre à marche forcée et ce n’est pas allé de soi. « On a demandé à la fonction publique de se mettre au télétravail dans l’urgence alors qu’elle n’en avait, en outre, pas l’expérience », note Pascal Airey, chargé de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), qui a suivi cette question de près. La pratique était, il est vrai, très peu répandue parmi les fonctionnaires. Mais, pendant le confinement, un agent de l’Etat sur deux s’y est mis, selon un bilan partiel établi à la rentrée par le ministère qui relève lui aussi le « manque de préparation » de l’administration. Cette pratique était « tellement peu dans la culture de la fonction publique que, globalement, cela s’est passé de manière assez chaotique », assure Carole Chapelle, secrétaire générale adjointe de la CFDT Fonctions publiques.

Problème de l’équipement

A Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), par exemple, la part des agents municipaux qui, avec le confinement, ont subitement commencé à travailler depuis chez eux est passée de 3 % à 40 %, indique Emmanuel Gros, directeur général des services de la ville et vice-président du Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales. « Avec une progression aussi brutale, évidemment, cela se passe comme ça peut…, reconnaît-il. Cela ne veut pas dire que ça s’est mal passé pour autant. D’ailleurs, beaucoup d’agents veulent continuer. » Et cet engouement n’est pas isolé. Selon l’enquête menée par l’Anact au printemps, parmi les 8 700 salariés qui ont répondu, il se trouvait 86 % d’agents publics déclarant vouloir continuer à télétravailler après la fin du confinement. « De très nombreux agents sont satisfaits d’avoir découvert cette manière de travailler », confirme Carole Chapelle.

Il vous reste 49.09% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

A Belfort, des syndicats de General Electric à la manœuvre pour redessiner l’industrie

Des salariés du site General Electric de Belfort manifestent, samedi 24 octobre, contre la fermeture de l’usine.

La hantise d’un syndicat de salariés, c’est l’absence d’effet de surprise. « Notre action est parfois si prévisible que la direction l’intègre dans sa stratégie », s’agace Philippe Petitcolin (CFE-CGC), chef de file de l’intersyndicale chez General Electric (GE) à Belfort. Après l’annonce, fin mai 2019, d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) avec la suppression, revue depuis à la baisse, de 792 postes dans le secteur des turbines à gaz, « elle était persuadée que tout le site se mettrait en grève. Elle a anticipé en budgétisant les pénalités à verser aux clients, mais on l’a prise à contre-pied en n’arrêtant pas la production. Cela ne l’a pas empêché d’imputer les retards de livraison, qui préexistaient au plan social, à une grève qui n’a pas eu lieu ».

Lire le reportage : Crise économique : la résilience du Territoire de Belfort à nouveau mise à rude épreuve

Samedi 24 octobre, La CFE-CGC, SUD Industrie, Force ouvrière et la CFDT (pas la CGT) ont une nouvelle fois appelé à manifester à Belfort afin de redire « non » au démantèlement du site de GE et, plus largement, à la désindustrialisation du Nord Franche-Comté. Un millier de personnes seulement sont descendues dans la rue contre 5 000 en juin 2019, peu après le choc du PSE.

Une piste avec Safran

« Il nous faut imaginer de nouveaux modes d’action syndicale, plaide M. Petitcolin. Ceux, traditionnels, prévus par la loi ne permettent pas d’obtenir des leviers de négociation. Faire grève est stupide car cela revient à donner de l’argent au patron. Il faut créer le buzz. » Une idée fait son chemin : solliciter des personnalités publiques de premier plan pour des actions « coups de poing ». Alexis Sesmat (SUD) appuie : « GE tient farouchement à son image. Ses dirigeants n’apprécient pas du tout que nous, élus syndicaux, ébruitions les conditions dans lesquelles se déroulent la restructuration et les licenciements, mais c’est indispensable pour instaurer un rapport de force. A défaut, on se fait écraser. »

Plus fondamentalement, c’est le sens même du syndicalisme que la CFE-CGC et SUD veulent infléchir. « On a longtemps été cantonnés au rôle de contestataires réagissant à des plans sociaux ; désormais, on veut être des acteurs économiques majeurs », revendiquent les deux syndicalistes. « Il est urgent d’inventer des filières industrielles dans le Nord Franche-Comté en dehors des grands groupes. » GE, Alstom, PSA… : « Tous sont en train de réduire leur empreinte. Ils ne sont plus pourvoyeurs, mais destructeurs d’emplois. »

Il vous reste 52.37% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.