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Coronavirus : les salariés de Pôle emploi dénoncent leurs conditions de travail

Vent de fronde à Pôle emploi. Plusieurs syndicats implantés au sein de l’opérateur public tirent le signal d’alarme, estimant que des membres du personnel continuent d’être soumis à un risque d’infection due au coronavirus, malgré la fermeture au public des agences. Force ouvrière (FO) a même déposé un préavis de grève à compter du lundi 30 mars, pour exiger que les agents, encore appelés à se rendre sur leur lieu de travail, cessent de le faire. Le chef du gouvernement, Edouard Philippe, et la ministre du travail, Muriel Pénicaud, ont été interpellés sur la situation.

A mesure que l’épidémie de Covid-19 prenait de l’ampleur, Pôle emploi a dû totalement revoir sa relation avec les chômeurs. Les changements sont intervenus en plusieurs étapes, l’objectif étant de garantir la « continuité » du service tout en se conformant à des consignes sanitaires de plus en plus strictes. Ainsi, le 15 mars, le ministère du travail annonçait de nouvelles « modalités de fonctionnement » : les « usagers » étaient invités à privilégier les coups de téléphone « ou les contacts par mail », « l’accueil physique en agence » restant possible sur la base de rendez-vous pour traiter les cas « d’urgence ».

La moitié des effectifs travaillent à distance

Un choix critiqué par les syndicats car il concourait, selon eux, à exposer encore les agents à un risque de contamination, à l’occasion de rencontres avec des chômeurs ou lors de déplacements en transports en commun pour aller travailler. Dans plusieurs régions, dont l’Ile-de-France, les représentants du personnel, qui siègent au sein du comité social et économique (CSE), ont voté des droits d’alerte pour « danger grave et imminent ». Cette procédure, qui vise à signaler à la hiérarchie une situation susceptible de compromettre la santé ou la sécurité des salariés, a également été enclenchée à l’échelon national par FO.

Dans ce contexte, Pôle emploi a décidé de stopper (sauf exception) la réception des usagers dans ses sites. Parallèlement, de plus en plus de salariés de l’opérateur poursuivent leur mission en travaillant à distance, à l’aide d’un ordinateur : lundi, ils étaient un peu plus de 25 000 à assurer leurs tâches ainsi, soit presque la moitié des effectifs. « Cette solution nous permet de mener à bien nos activités essentielles », affirme Michaël Ohier, directeur général adjoint chargé du réseau.

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Dans le même temps, une petite partie du personnel va dans les agences, notamment pour relever les courriers postés par les chômeurs. Le but est de limiter au maximum la présence humaine sur place : trois à quatre personnes, avec au moins un « manageur de proximité », explique M. Ohier. Lundi, il y avait 2 910 salariés sur les 1 200 sites de Pôle emploi, d’après la direction générale. Soit moins de 6 % des équipes.

« Le chiffre d’affaires est à zéro », la crise du coronavirus met en péril les petites compagnies aériennes

A l’aéroport de Berlin, le 30 mars.
A l’aéroport de Berlin, le 30 mars. JOHN MACDOUGALL / AFP

Marc Rochet, patron d’Air Caraïbes et de French bee, les deux compagnies aériennes du Groupe Dubreuil, n’en revient toujours pas. « Nous vivons quelque chose que nous n’avons jamais vécu ! », raconte-t-il, abasourdi. En fin connaisseur du transport aérien, il estime que rien ne sera plus comme avant, quand la pandémie de Covid-19 sera passée. « Le monde de demain ne sera plus le même après une crise d’une telle intensité », pense-t-il. A l’en croire, la consolidation du secteur menace d’être sévère. « Je n’ai jamais vu une crise du transport aérien ne pas conduire à une restructuration du marché. Je ne vois pas pourquoi la France échapperait à cette règle. »

Il n’est pas le seul à entrevoir une restructuration d’importance. Pour Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair, ce sont les compagnies à bas coût qui pourraient faire les frais de la pandémie. « La crise va laisser des traces » chez les gens. Elle pourrait induire « un changement de comportement des consommateurs ». Le patron de Corsair redoute que la sortie du confinement sonne aussi la fin de la frénésie de voyages à moindre prix, qui a fait, depuis plus de vingt ans, le bonheur, et surtout la fortune, de compagnies à bas coût telles que Ryanair et easyJet. « Les low cost vont être très touchées, car le goût de voyager en permanence pour pas cher va en partie disparaître. »

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Elles ne sont pas les seules. La low cost long-courrier « Norwegian est aussi menacée, car elle est déjà sous perfusion des autorités norvégiennes », signale M. de Izaguirre. Cette entreprise, qui doit supporter une dette de 2 milliards d’euros, est d’autant plus en difficulté que son modèle économique n’a pas encore eu le temps de faire ses preuves.

Les coûts fixes persistent

Pour le patron de Corsair, c’est tout le transport aérien et pas seulement le segment du low cost qui sera affecté. Même la clientèle d’affaires pourrait être touchée. Celle qui rapporte le plus aux compagnies aériennes. « La faute… au télétravail », selon lui. « Avec la généralisation du télétravail pendant cette période, les entreprises sont en train de découvrir que ce n’est pas la peine d’envoyer leurs cadres prendre l’avion », prétend M. de Izaguirre.

Si la demande pour des vols en classe affaires pique du nez, cela pourrait être un drame pour des compagnies, « comme Air France, qui ont décidé de miser à fond sur les passagers business ». Selon M. Rochet, la survie d’Air France passera par des décisions brutales, comme celle « de fermer les lignes qui perdent de l’argent ».

La collaboration à distance recrée les rites de l’entreprise

« Pour d’autres, c’est la multiplication des outils de messagerie et leur usage parfois intempestif qu’il a fallu apprendre à gérer.  »
« Pour d’autres, c’est la multiplication des outils de messagerie et leur usage parfois intempestif qu’il a fallu apprendre à gérer.  » Nick Shepherd/Ikon Images / Photononstop

Pour nombre d’employés du tertiaire, des grands comptes ou des entreprises du secteur numérique, souvent déjà adeptes du télétravail occasionnellement ou régulièrement, travailler à domicile s’est fait sans trop de difficultés. C’est le cas de François Le Gunehec, responsable des comptes-clés à l’institut d’études de marché GfK France, qui dispose d’un ordinateur portable et d’un téléphone mobile professionnels, équipés de toutes les applications dont il a besoin : Office 365, messagerie Outlook, Skype Entreprise pour les appels audio ou vidéo, Teams pour le travail collaboratif, etc. « Que ce soit au bureau ou chez moi, je dispose du même environnement et des mêmes outils. Et je pratiquais déjà le télétravail avant le confinement, mais de manière sporadique », remarque-t-il.

Certaines grandes entreprises étaient ainsi préparées au transfert du travail à domicile qui s’est imposé à quelque huit millions de salariés avec le confinement. Depuis 2017, Axa France a progressivement équipé tous ses collaborateurs d’un environnement 100 % digital (ordinateur portable, Office 365, casque et téléphonie sur Internet).

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Tout l’effectif a été formé à l’utilisation de ces outils et à travailler sans papier. Si 60 % des 12 000 personnes du groupe télétravaillent déjà un ou deux jours par semaine, c’est aujourd’hui 98 % de l’effectif qui est à domicile. « Nous étions très bien préparés, affirme Diane Deperrois, directrice des ressources humaines d’Axa France, dès mi-février, nous avons mis en place un site pour répondre aux nombreuses questions des employés. A l’occasion des grèves de décembre 2019, nous avions élargi à tout l’effectif la capacité de travailler à domicile. Nous avons ainsi pu tester la capacité de notre système, qui a parfaitement tenu la charge. »

Plusieurs pannes

Mais pour beaucoup de salariés, les premières journées de confinement ont été plutôt chaotiques. Entre les problèmes techniques liés au matériel, aux applications ou aux réseaux, le manque de préparation et l’environnement domestique, a fortiori pour des parents qui se partagent la table basse du salon ou se cassent le dos sur la chaise de la cuisine pendant que leurs enfants suivent des cours sur l’écran de la télévision… l’organisation du travail s’est révélée plutôt compliquée.

Pour Ariane Wantz (pseudonyme), cadre d’un service transverse de l’Assurance-retraite, la mise en place des premières réunions via l’application Teams a été laborieuse. « L’écran de mon ordinateur portable est bien plus petit que celui du bureau. Je me connecte au Wi-Fi de la box de mon appartement et j’utilise mon téléphone mobile perso. Au-delà de la difficulté à faire une réunion en étant seule chez soi devant son écran, la qualité des réunions Teams dépend beaucoup du débit disponible chez chacun… » Mi-mars, cette plate-forme de travail collaboratif de Microsoft a d’ailleurs subi plusieurs pannes en Europe dues à l’afflux supplémentaire de connexions des télétravailleurs.

Le blues du recruteur

« L’Association pour l’emploi des cadres (APEC) a, comme beaucoup, fermé tous ses centres dès le 16 mars et enregistré une baisse des offres de l’ordre de 8 %. »
« L’Association pour l’emploi des cadres (APEC) a, comme beaucoup, fermé tous ses centres dès le 16 mars et enregistré une baisse des offres de l’ordre de 8 %. » Philippe Turpin / Photononstop

Carnet de bureau. L’emploi dégringole. Les sites voient leur volume d’annonces fondre : – 12,1 % en moyenne pour Indeed, avec un recul variable de 10 % à 30 % selon les secteurs d’activité. L’Association pour l’emploi des cadres (APEC) a, comme beaucoup, fermé tous ses centres dès le 16 mars et enregistré une baisse des offres plus légère, de l’ordre de 8 %, même si l’informatique est toujours en forte demande pour accompagner la généralisation brutale du télétravail et les questions de cybersécurité. L’intérim jongle entre les annulations de missions de l’industrie et du BTP et les demandes de recrutement d’urgence pour l’agroalimentaire et la distribution. Qu’est devenu le recruteur ?

Dans l’intérim, les agents continuent en télétravail avec les secteurs en demande. Chez Manpower, une hotline a été mise à leur disposition, les entretiens se font en vidéo ou par téléphone, et les contrats sont validés par signature électronique. Mais dans les cabinets de recrutement, tout s’est arrêté.

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Le 16 mars a amorcé une semaine de sidération. La profession a pris de plein fouet un arrêt immédiat de la quasi-totalité des missions. « Mêmes des offres passées ont été annulées et certaines entreprises, craignant les mois de crise à venir, ont interrompu des périodes d’essai. Il y a eu un effet de panique. On a cru qu’on allait tomber à zéro ! En avril, le chiffre d’affaires des 130 cabinets de recrutement de Syntec conseil en recrutement aura baissé d’au moins 50 % », témoigne Antoine Morgaut, président de cette organisation et directeur général Europe du cabinet de recrutement international Robert Walters.

Projets reportés

Du jour au lendemain, le recrutement n’avait plus de raison d’être. Les DRH se sont concentrés sur la réorganisation du travail imposée par le confinement. Les candidats à la mobilité professionnelle ont reporté leur projet en attendant des jours meilleurs. Enfin, les entreprises réfractaires aux entretiens vidéo ne pouvaient pas poursuivre les processus d’embauche à cause du confinement. Les cabinets qui ont les moyens de le faire ont commencé à mettre en place le chômage partiel.

Résultat, après avoir installé, comme beaucoup de salariés, son bureau à la maison, le recruteur s’est mis à tourner en rond, dans son espace confiné, occupé principalement par son stress, un gros stress d’une année qui s’annonçait gâchée.

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En deuxième semaine de confinement, quelques DRH ont commencé à revenir, même des grands groupes de l’hôtellerie comme Accor. « C’était l’opportunité de recruter des candidats qu’on n’aurait pas imaginé pouvoir attirer avant », explique Antoine Morgaut. Bien équipé pour télétravailler, « aujourd’hui, le recruteur s’impose une organisation du travail autour d’appels de candidats, de clients. On travaille comme avant, mais avec les outils numériques et en se concentrant sur les secteurs les plus résilients la pharmacie, les nouvelles technologies , mais il y a moins d’activité », reconnaît-il. Tout recruteur est aujourd’hui un candidat potentiel au chômage technique.

« Le Covid-19 est en train de produire un gigantesque accident du travail »

Tribune. Il y a plus d’un siècle à propos du débat sur la loi portant réparation des accidents du travail, le professeur Louis Josserand (1868-1941) rappelait l’impossible neutralité du droit.

Si un système juridique est incapable après un accident d’attribuer le risque, alors la place vide du responsable sera occupée par la victime. C’est elle qui dans sa chair et jusqu’au prix de sa vie en supportera les conséquences sans pouvoir s’en décharger ne serait-ce que symboliquement sur ceux qui sont à l’origine de son malheur. Or dans les catastrophes sanitaires les acteurs sont nombreux, les causes souvent multiples, la complexité qui tient à la nature des faits permet difficilement de remonter la chaîne causale.

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Il appartient au système juridique d’attribuer le risque. Or les systèmes d’indemnisation des victimes sont exagérément diversifiés, inégaux et incohérents.

Démontrer la date de la contamination

Le 21 mars, la mort du docteur Razafindranazy suscitait une vive émotion dans tout le pays. Pour la première fois un médecin urgentiste était contaminé par le virus dans l’exercice de ses fonctions. Alors qu’il était à la retraite, il était spontanément revenu à l’hôpital et il avait pris une garde de nuit à l’hôpital de Compiègne pour soulager ses collègues. Quelques jours plus tard il était testé positif au Covid-19. Il n’a même pas pu être inhumé comme il le souhaitait dans son île natale à Madagascar. Nous avons une dette à l’égard de sa famille.

Il faut d’urgence construire un système moderne de reconnaissance et d’indemnisation intégrale spécifique sous forme d’un fonds cofinancé par les entreprises et par l’Etat

De la même façon, la mort, le 26 mars, d’Aïcha Issadounène, 52 ans, caissière au supermarché Carrefour de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) depuis trente ans, laisse ses proches dans une immense détresse. Un des effets de cette pandémie aura été que nous nous mettions à regarder avec reconnaissance et considération ces travailleurs autrefois invisibles. Au travers d’une juste indemnisation de ses enfants nous dirons que nous ne les abandonnons pas sur le bord du chemin une fois la crise surmontée.

Le Covid-19 est en train de produire un gigantesque accident du travail dont les conséquences en l’état actuel du droit échapperont à toute forme de régulation efficace.

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Accident du travail ? Mais comment démontrer la date de la contamination qui est une des clefs de la reconnaissance ?

Maladie professionnelle ? Mais la plupart n’atteindront pas le taux d’incapacité minimal de 25 % sans lequel la reconnaissance est impossible !

Coronavirus : avec la crise sanitaire, les travailleurs invisibles sortent de l’ombre

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Publié aujourd’hui à 05h45, mis à jour à 08h49

Le Covid-19 les a fait surgir au grand jour. Alors que l’économie du pays est clouée au sol, caissières, livreurs, agents de nettoyage, ouvriers de chantier, conducteurs de métro, auxiliaires de vie, ces travailleurs invisibles apparaissent enfin pour ce qu’ils sont : des rouages essentiels de la vie du pays, sans lesquels point de commerces, de transports ou de services aux personnes.

Alors qu’une partie des salariés s’installent dans le télétravail, ils et elles n’ont pas d’autre choix que de continuer à aller travailler, parfois de nuit, souvent en horaires décalés, toujours au risque d’attraper la maladie. Quatre d’entre eux ont déjà perdu la vie, comme le rappelle la fédération CGT des commerces et services dans une lettre ouverte adressée à la ministre du travail Muriel Pénicaud, le 31 mars. Et des centaines d’autres sont contaminés. « Cette crise fait apparaître une forme de pénibilité que l’on n’imaginait plus : celle d’être exposé à un risque sanitaire létal dans le cadre de son activité professionnelle », souligne le sociologue Julien Damon, professeur associé à Sciences Po. « Cette exposition à des risques majeurs n’était plus tellement prise en compte dans l’évolution de notre droit du travail, on l’avait un peu oubliée. »

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Selon une note de l’OFCE publiée lundi 30 mars, 8,4 millions de personnes en France peuvent travailler à distance, de leur domicile : la moitié sont des cadres, les autres sont employés qualifiés ou appartiennent aux professions intermédiaires, comme les enseignants. Et, à l’inverse, 18,8 millions de salariés, ouvriers ou employés pour l’essentiel, ne peuvent effectuer leur travail à distance. Pour certaines personnes interrogées, il existe une certaine fierté à continuer à aller au travail, que ce soit pour ne pas laisser tomber les « copains » ou les personnes dont elles s’occupent, pour contribuer à assurer le service public. Mais c’est aussi un non-choix. Droit de retrait difficile à faire appliquer, nécessité de faire rentrer un salaire coûte que coûte. Beaucoup y vont la boule au ventre, avec la peur de tomber malade, de contaminer leur famille.

  • « On est là pour la survie de l’entreprise »

Samuel Dubelloy, 48 ans, ouvrier chez Arc à Arques (Pas-de-Calais)

« Je travaille chez Arc depuis plus de quinze ans, pour un salaire de 1 944 euros, à raison de trente-deux à trente-trois heures par semaine. Le mois prochain, j’aurai 49 ans. Je n’ai jamais vu autant de gars ayant peur d’aller travailler, c’est énorme. Depuis lundi 23 mars, toute l’organisation du personnel a été revue [seuls 700 des 2 500 ouvriers y ont conservé leur poste sur les chaînes de production, à la suite de l’adoption d’un plan de crise réduisant de 70 % le tonnage pour se conformer aux mesures de distanciation sociale]. Certains sont en chômage partiel. D’autres sont en congés maladie pour garde d’enfants de moins de 16 ans.

« Pour ceux qui ont envie de changement » : le succès des stages pour trouver sa voie

Selon les cohortes, chez Switch Collective, la proportion de femmes oscille entre 65 % et 75 %.
Selon les cohortes, chez Switch Collective, la proportion de femmes oscille entre 65 % et 75 %. Switch Collective

Ambiance « toutouyoutou » dans l’entresol du 94 de la rue Saint-Lazare, à Paris, fin février. C’est Charlotte Jeanmonod, la formatrice, qui le dit : « On remue le bassin, on respire, on sautille, on se met en énergie ! » Veste de jogging rétro siglée « Switch », micro en main, elle chauffe la nouvelle promotion de Switch Collective. Quarante femmes, et un homme, ont choisi « la complète » – un programme de trois mois pour apprendre à « switcher ». Comprendre : acquérir des outils pour se réapproprier son parcours et redonner du sens à son travail, sans nécessairement aller vers une reconversion spectaculaire.

Outils numériques

Si les femmes constituent l’écrasante majorité de ce 70e groupe de Switch Collective, leur proportion oscille toujours entre 65 % et 75 %, selon les cohortes. Lancée en janvier 2016 par Béatrice Moulin et Clara Delétraz, deux amies de 35 ans aujourd’hui, la start-up parisienne a formé 4 000 personnes en quatre ans. En cette période de confinement lié au coronavirus, l’équipe, déjà rompue à l’exercice, a basculé l’intégralité de ses programmes en ligne, à travers divers outils numériques.

Béatrice Moulin affirme s’adresser sans distinction « à tous ceux qui ne s’y retrouvent plus dans leur boulot et ont envie de changement », refusant « une approche purement générationnelle » et préférant « traduire le symptôme d’une époque ». Sans chercher à essentialiser le phénomène, reste à savoir pourquoi les femmes, âgées de 30 à 40 ans, représentent le cœur de cible de cette formation certifiante, depuis peu éligible au compte personnel de formation (CPF).

Clotilde a sauté sur l’occasion pour se faire financer ce « bilan de compétences » nouvelle génération. Ingénieure informatique de 38 ans, elle choisit de ne communiquer que son prénom : « Même avec mes parents, parler de mon travail reste un sujet tabou, dit-elle. Je n’ai jamais été heureuse dans mes études, ni dans mon boulot. Chaque jour, je me force à faire ce que je fais. » Son père est ingénieur également, idem pour ses deux grands frères : « C’était la voie toute tracée, on ne m’a jamais demandé ce que je voulais faire », résume-t-elle, alors qu’elle est aujourd’hui employée par un grand groupe dans le domaine de l’énergie.

« Trou noir »

Clotilde rejoint ses consœurs de Switch avec un syndrome commun, celui de la bonne élève à qui l’on a appris à viser la voie royale, mais qui culpabilise : « Pendant toute ma carrière, je me suis demandé : “Mais de quoi tu te plains ?”» Jusqu’à ce que son corps dise stop. « En mars 2019, j’ai eu énormément de choses à rendre, j’ai voulu bien faire, je suis très scolaire. Je suis allée au bout de l’échéance, et je n’ai eu aucune reconnaissance. J’ai craqué, raconte-elle. On m’a mise en congé maladie pendant deux mois. Je ne l’ai pas avoué tout de suite à mes parents : j’avais honte d’être arrêtée alors que j’étais en bonne santé. Mais, psychologiquement, je ne pouvais plus. »

Les urgences chamboulées par l’épidémie de Covid-19

L’entrée des urgences du CHU Pellegrin à Bordeaux, où une unité médicale avancée a été installée pour accueillir les patients suspectés d’être porteurs du Covid-19. Ici, le 25 mars.
L’entrée des urgences du CHU Pellegrin à Bordeaux, où une unité médicale avancée a été installée pour accueillir les patients suspectés d’être porteurs du Covid-19. Ici, le 25 mars. Moritz Thibaud/ABACA / Moritz Thibaud/ABACA

« Les anthropologues vont se passionner pour cette période. On assiste à une métamorphose totale et complète des urgences. » Président de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF), le docteur Patrick Pelloux trouve même cette « période aussi passionnante que celle de la canicule », lui qui s’est rendu célèbre pour ses coups de gueule, en 2003, lorsque les fortes chaleurs estivales ont causé 19 000 décès en France.

Le très médiatique syndicaliste en est persuadé : « L’hôpital d’aujourd’hui n’est plus celui d’il y a trois semaines. » C’est peu dire que le fonctionnement des services d’urgences, au gré des réorganisations, a été bouleversé par l’afflux des patients atteints par le virus.

« Parti prêter main-forte au service de réanimation à l’hôpital Saint-Antoine », dans le 12e arrondissement de Paris, le médecin urgentiste est bien placé pour témoigner de la période de chamboulements que traverse actuellement sa profession. « Au SAMU, il y a une concentration des activités liées au Covid, assure Patrick Pelloux. Les urgentistes sont appelés en renfort en réa. En interne, il y a eu par ailleurs des redéploiements partout. »

Pousser les murs pour absorber la vague

Dans tout l’Hexagone, il a fallu d’abord réorganiser l’espace, faire de la place au sein des urgences, quitte à pousser les murs, afin d’absorber la vague. Partout, une démarcation très claire a été établie.

A Nancy (Meurthe-et-Moselle), les urgences, comme l’hôpital, sont partagées en deux zones : « Covid + » et « Covid – ». Les patients sont « triés » à leur arrivée par une infirmière selon une « grille » élaborée par l’établissement recensant les symptômes. Dans les box, pour l’heure, 35 places sont réservées pour des patients infectés, et une douzaine pour les autres, les fameux « Covid – », bien séparés. « Grâce à cette organisation, nous parvenons à continuer à prendre en charge toutes les pathologies », témoigne le docteur Tahar Chouihed.

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A Oyonnax (Ain), la même séparation prévaut : deux séries de box parallèles ont été installées. « On avait anticipé la vague avec une cellule de crise, explique le docteur Yves Duffait. Nous sommes au stade 2 [au niveau de l’hôpital], notre salle d’accueil est déjà dédiée au Covid, et on peut accueillir jusqu’à 24 malades du virus, avec une moyenne de 3,4 malades par jour. » En cas d’afflux dans les jours à venir, l’hôpital a prévu de se redéployer et de passer en stade 3. « Tout passera alors en 100 % Covid, indique Yves Duffait. Le ronron quotidien des urgences – entorses, douleurs abdominales – sera délocalisé vers les consultations externes, chez les médecins et chirurgiens. »

La centrale nucléaire de Gravelines fonctionne avec seulement un quart de ses effectifs

La centrale nucléaire de Gravelines (Nord), en mars 2017.
La centrale nucléaire de Gravelines (Nord), en mars 2017. Pascal Rossignol / REUTERS

A situation exceptionnelle, dispositif exceptionnel. Afin de garantir la fourniture en électricité dans les hôpitaux et les foyers du Nord, un quart du personnel de la centrale de Gravelines est sur place chaque jour. Les autres agents travaillent à distance. Au total, seuls 800 des 3 000 agents EDF et entreprises prestataires se déplacent pour assurer la conduite des réacteurs.

Comme pour les autres centrales nucléaires en France, EDF a placé en télétravail tous les agents de Gravelines des fonctions supports et les ingénieurs. Sont présents sur le site les salariés qui se consacrent au pilotage des réacteurs et à leur surveillance, les agents chargés de la protection de la centrale, ainsi que ceux dévolus à la maintenance et aux analyses environnementales.

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« On a mis en œuvre notre plan de continuité d’activité sur toute la France, explique une porte-parole de l’électricien. On doit garantir la fourniture de l’électricité. » Avec le confinement lié à la pandémie de Covid-19, la consommation dans l’Hexagone est légèrement en baisse : « Pas mal d’usines ont fermé, donc la consommation d’électricité a ralenti, ce qui nous donne un petit peu plus d’aisance pour être en mesure de produire, et même de produire assez largement aujourd’hui, de quoi satisfaire tous les besoins de tous les Français », précisait, le 20 mars, Jean-Bernard Lévy, le PDG d’EDF.

Pour maintenir l’approvisionnement, deux démarches ont été engagées : la suspension d’une partie des programmes d’activité en vue d’alléger la charge de travail et la priorisation des arrêts pour maintenance afin de permettre la sécurisation dans la fourniture d’électricité.

A Gravelines, cinq tranches sont ainsi en activité et une est à l’arrêt pour maintenance. Un arrêt déclenché le week-end dernier – et prévu pour durer jusqu’au 27 avril – qui était planifié de longue date pour permettre un rechargement en combustible. « On a annulé tout ce qui n’était pas prioritaire, confirme Franck Redondo, chargé de la surveillance et secrétaire Force ouvrière pour la centrale. Pour le reste, on continue les activités réglementaires, sinon on risque l’arrêt de réacteurs. » A titre d’exemple, certaines cuves doivent ainsi être contrôlées avant la fin du mois de juin, avec seulement un quart du personnel sur place.

Pas question de risquer une contamination à grande échelle

Au sein de la centrale, les méthodes de travail ont dû être modifiées en raison des gestes barrières. Outre la distance d’un mètre cinquante demandée entre chaque agent, la direction a suspendu les transports en commun internes. En revanche, le temps imparti dans l’espace restauration (où le lavage des mains est désormais obligatoire à l’entrée et à la sortie) a été élargi. Objectif : éviter une forte concentration de personnes autour des tables.

De plus, la fréquence de nettoyage des lieux de passage et du matériel a été multipliée jusqu’à six en zones contrôlées. Pas question de risquer une contamination à grande échelle des agents, même si, dans le département de la Manche, la situation est plus préoccupante qu’à Gravelines.

Le plan pandémie permet de tourner dans les centrales avec 25 % des effectifs absents pendant douze semaines, ou avec 40 % d’absents pendant trois semaines

« A Flamanville, le plan pandémie créé au début des années 2000 a été activé, précise-t-on chez EDF. Seules une centaine de personnes sur 800 sont présentes, car il y a un cluster de cas potentiellement atteints du Covid-19. » Deux réacteurs, dont le redémarrage était prévu pour le 31 mai, sont en maintenance. Or toutes les opérations de maintenance sont suspendues depuis le 16 mars à Flamanville.

Faut-il redouter une épidémie chez les agents EDF ? Le plan pandémie, fondé sur des scénarios très pénalisants, permet de tourner dans les centrales avec 25 % des effectifs absents pendant douze semaines, ou avec 40 % d’absents pendant trois semaines. Sur l’antenne d’Europe 1, Jean-Bernard Lévy s’est voulu rassurant : « Nous assurons aussi en prévision, si nous avions un grand nombre de salariés malades, une rotation de façon à avoir toujours des équipes en réserve, donc je crois qu’on peut rassurer les salariés, rassurer les Français, nous avons tout ce qu’il faut pour continuer à fournir de l’électricité, à tout moment, à tous les Français, pendant cette période exceptionnelle. »

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A Gravelines, les agents de cet opérateur d’importance vitale (OIV) se disent même prêts pour le PUI, le plan d’urgence interne. « Dans ce cas, on tournera en sept jours sur sept, à raison de rotations toutes les douze heures avec installation de lits de camp, rations de survie et action de la FARN, la force d’action rapide nucléaire », souligne Franck Redondo, de FO. Serein, il sait que les équipes sont prêtes, au cas où. Impossible d’ailleurs pour lui de ne pas rappeler leur attachement au service public. « En janvier, lors des manifestations contre la réforme des retraites, nous étions décriés pour notre statut de nantis, regrette le syndicaliste. Mais par ce statut qui a des avantages et des inconvénients, on est réquisitionnés et on peut fournir du courant aux hôpitaux ou aux Français. C’est ça, le service public. »

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Coronavirus : toujours sans masques, policiers et gendarmes s’impatientent

Les images sont restées en travers de la gorge de certains policiers. On y voit Emmanuel Macron en visite à l’hôpital militaire de Mulhouse mercredi 25 mars, ajustant sur son visage un masque de protection. Toutes les personnes qui entourent le chef de l’Etat portent le précieux équipement. Dont la pénurie s’est transformée en polémique nationale. Toutes ? Non, à l’arrière-plan, un homme à lunettes navigue à visage découvert au milieu des soignants. Officier de police dans le Grand Est, il est le seul à ne pas en être muni.

La séquence, repérée par le Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI), majoritaire chez les officiers, illustre le malaise qui persiste au sein des forces de l’ordre, deux semaines après le début du confinement. Alors que l’épidémie de Covid-19 ne cesse de faire des victimes chaque jour, nombreux sont les policiers et gendarmes qui continuent à déplorer l’absence de masques de protection pour réaliser les contrôles à travers la France. Plus de 300 policiers ont été contaminés et près de 10 000 sont actuellement confinés. Côté gendarmerie, le bilan des effectifs sur la touche était un peu moins alarmant selon les chiffres disponibles la semaine dernière (une vingtaine de militaires malades), mais l’un d’entre eux est décédé, mercredi 25 mars, le premier membre des forces de l’ordre à périr du Covid-19.

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Lundi 30 mars, c’est Interpol qui en a remis une couche. L’organisation internationale, qui s’occupe habituellement davantage de coordination dans la lutte contre la criminalité, s’est fendue d’une recommandation mondiale en faveur du port d’un masque et de gants pour les personnels au contact de la population. Les principaux syndicats de police ont immédiatement embrayé pour rappeler au ministère de l’intérieur qu’à ce jour la plupart des fonctionnaires opèrent sur le terrain sans protection.

« C’est le système D »

Les règles n’ont pas évolué au sein de la police depuis un télégramme du directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, datant du 13 mars, soit quatre jours avant la mise en place du confinement. Etant donné le faible nombre de masques disponibles, il est recommandé de les utiliser avec discernement, notamment pour les missions à risque, et donc de ne pas les porter en permanence. Les agents doivent en utiliser principalement lorsqu’ils sont au contact de personnes infectées. Par ailleurs, les commissariats doivent veiller à ce que chaque équipage puisse disposer d’un kit, pour ces situations d’urgence. Au sein de la gendarmerie, les règles sont similaires : « Le port du masque n’est pas systématique, mais un gendarme qui est dans une situation où il se sent menacé doit pouvoir en porter un », explique-t-on à la direction générale, avant de préciser que les gestes barrières restent « la meilleure des protections ».