Archive dans octobre 2020

La mort d’Aimée Moutet, historienne spécialiste de l’entreprise

Aimée Moutet, en avril 1972.

Exploratrice de la boîte noire qu’est l’entreprise et de ce qu’elle fait des salariés, l’historienne Aimée Moutet est morte le 5 octobre, à 84 ans. De son père Marius Moutet, un des 80 parlementaires qui avaient dit non à Pétain en 1940, elle tenait une grande fermeté d’esprit grâce à laquelle elle ne s’en laissait pas conter par la communication des organisations ou la séduction des personnalités. Elle a mené trois vies successives.

Dans la première, professeure d’histoire en lycée, elle s’est intéressée au syndicalisme ouvrier, montrant que, contrairement à ce que l’on croyait, après la répression de la Commune de 1871 le mouvement syndical à Paris n’avait pas tardé à se reconstituer. Pédagogue appréciée, elle a été touchée par 1968, et a appartenu à un petit groupe d’enseignantes qui se définissaient comme contestataires, féministes et chrétiennes.

Dans une seconde vie, en lycée puis à l’Université Paris-XIII, elle est passée à l’étude du camp d’en face : les patrons et les ingénieurs de 1880 à 1939. Les entreprises françaises les plus dynamiques, qui pouvaient s’inscrire dans deux traditions nationales d’organisation, l’une civile, l’autre militaire, ont ensuite été amenées à traduire deux modèles de production et de travail venus d’Amérique : ceux de Taylor et de Ford. C’est à ce grand enjeu pour tous les acteurs de l’économie, de la société et de l’Etat qu’est consacré son premier livre : Les logiques de l’entreprise (éd. de l’EHESS, 1997).

Retentissement international

Histoire des reconceptions de l’espace, des machines, de l’information et des méthodes de contrôle du personnel dans les ateliers et les bureaux pour obtenir des femmes et des hommes une activité plus régulière et plus intense et des flux productifs croissants, ce livre met en évidence les différences, débats ou conflits entre les acteurs concernés : ingénieurs, industriels, experts, ouvriers, contremaîtres. Il restitue l’importance des mouvements de pensée qui animent ou opposent les acteurs de cette rationalisation. Il montre comment ces mutations obligent les syndicats, les associations d’ingénieurs ou de consultants, les universitaires à enquêter, prendre position et à reconstruire stratégies, savoirs et doctrines. Ce livre a eu un retentissement international.

Dans une troisième vie, Aimée Moutet a franchi la barrière de 1939 et, allant jusqu’aux années 1990, est devenue un pilier de recherches collectives sur les risques des formes modernes du travail et les savoirs qui veulent les déminer. Il en est d’abord résulté un livre sur une nouvelle institution publique à gestion tripartite : Histoire de l’ANACT : vingt ans au service de l’amélioration des conditions de travail (Syros, 1994). Puis elle a été partie prenante de tous les livres lancés par Catherine Omnès et Anne-Sophie Bruno sur la santé au travail, étudiant la psychologie appliquée à la détection de l’inaptitude, les ingénieurs et les services de sécurité, la place de l’ergonomie dans la politique du patronat et des syndicats.

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Les petites et moyennes entreprises ont remobilisé leurs salariés cet été

« De l’avis du porte-parole du Cercle Perspectives, les « grandes vacances » qui ont suivi le déconfinement des Français ont aussi contribué à relancer certains secteurs affectés par la crise sanitaire. »

Une accalmie avant la tempête. Selon le baromètre social des TPE-PME édité par le Cercle Perspectives, les salariés des petites et moyennes entreprises ont repris du service cet été. Regroupant dix-sept grands cabinets d’expertise-comptable et près de quinze mille professionnels du secteur, cette association a cherché à déterminer le « taux d’inactivité » moyen des TPE-PME dans cette période de post-déconfinement.

Au vu du nombre d’heures travaillées et non travaillées mentionnées sur les bulletins de paie de 470 000 salariés issus de 76 000 entreprises employant de 1 à 250 collaborateurs, le baromètre fait ressortir une chute significative du recours au chômage partiel cet été.

Alors qu’en juin, le taux des heures non travaillées au motif du chômage partiel s’établissait à 8 % en moyenne nationale sur le panel d’entreprises étudiées, ce taux retombe à 2 % en août. Signe, selon les auteurs du baromètre, qu’un début de reprise économique a suivi la fin du confinement. « Dans le BTP, le commerce ou l’artisanat, l’activité a repris cet été », constate Antoine de Riedmatten, porte-parole de l’association et président du cabinet d’expertise-comptable In Extenso.

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Cette baisse estivale du chômage partiel s’explique aussi par les caractéristiques du marché du travail en période estivale : dans les entreprises étudiées, le taux d’heures non travaillées pour congés payés s’élève à 21 % en août. Les TPE-PME ont aussi fait l’impasse sur les travailleurs en contrat court, alors que leur recrutement connaît habituellement un pic en été. Selon le baromètre de Prism’emploi, les embauches dans l’intérim ont chuté de 20 % en août 2020 par rapport à la même période l’année précédente. « Le recours à la main-d’œuvre saisonnière, notamment transfrontalière, a été fortement ralenti », ajoute Antoine de Riedmatten.

Désertion des touristes étrangers

Malgré un taux significatif de jours posés pour congés payés, les TPE-PME ont mobilisé leurs salariés pour rattraper le retard pris sur leur activité pendant le confinement. De l’avis du porte-parole du Cercle Perspectives, les « grandes vacances » qui ont suivi le déconfinement des Français ont aussi contribué à relancer certains secteurs affectés par la crise sanitaire. C’est dans les zones touristiques, en particulier, que les entreprises ont remis leurs salariés au travail. La Corse a vu le taux d’heures de chômage partiel tomber de 6 % en juin à 0,5 % en août dans les TPE-PME interrogées pour le baromètre.

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Comment le chômage affecte-t-il le calcul de la retraite ?

Une période de chômage indemnisé de cinquante jours donne droit à un trimestre pour la retraite.

Question à un expert

Mon chômage pénalisera-t-il ma future retraite ?

Les personnes au chômage ou qui ont peur de l’être sont souvent inquiètes car elles pensent qu’en plus de perdre du pouvoir d’achat immédiat leur future retraite en pâtira. Or, très souvent, une période de chômage n’impacte qu’à la marge la pension.

Attention, on parle ici du chômage indemnisé « normal » – car chômage partiel ou non indemnisé peuvent, quant à eux, avoir de réels effets négatifs.

50 jours de chômage indemnisé = 1 trimestre

Pour comprendre, il faut savoir que la retraite des salariés du privé comporte un régime de base, l’assurance-retraite, et un complémentaire, l’Agirc-Arrco. Pour le régime de base, cinquante jours de chômage donnent droit à un trimestre (jusqu’à quatre par an) : aucun préjudice, donc, par rapport aux quatre trimestres qu’aurait rapportés un an de travail.

Pour l’Agirc-Arrco, pas de perte non plus : les points sont attribués sur la base du dernier salaire brut annuel avant le chômage, pas de l’allocation-chômage.

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Le seul manque à gagner pourra se situer au niveau du calcul du salaire moyen des vingt-cinq meilleures années, pour la retraite de base, car les périodes de chômage sont exclues. Mais l’impact sera marginal.

A savoir toutefois : le chômage peut vous pénaliser si vous avez commencé à travailler tôt et si vous comptez profiter du départ anticipé pour carrière longue car quatre trimestres de chômage seulement peuvent compter pour ce dispositif.

Covid-19 : le Conseil d’Etat suspend les nouveaux critères de vulnérabilité pour accéder au chômage partiel

Le gouvernement vient de subir un revers dans sa gestion de la crise sanitaire et économique. Saisi en référé, le Conseil d’État a suspendu, jeudi 15 octobre, plusieurs articles d’un décret du 29 août, qui restreignait les catégories de personnes ayant droit au chômage partiel en raison de leur vulnérabilité face au Covid-19. Faisant suite à un recours de la Ligue nationale contre l’obésité et de plusieurs requérants individuels, cette décision contraint l’exécutif à revoir sa copie.

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Le texte contesté devant la haute juridiction administrative remplaçait un autre décret, en date du 5 mai, qui avait la vocation suivante : énumérer les situations où des salariés peuvent bénéficier du chômage partiel au motif qu’ils risquent de « développer une forme grave d’infection au SARS-CoV-2 ». Onze cas de figure avaient été prévus : être atteint d’un « cancer évolutif sous traitement » ou d’une « immunodépression », « présenter une insuffisance rénale chronique dialysé », etc.

Manque de justifications

Durant l’été, le gouvernement avait décidé de réduire la portée de la mesure, en se prévalant notamment d’un avis du Haut Conseil de la santé publique. Le décret du 29 août avait donc eu pour effet de soustraire de la liste les personnes souffrant, entre autres, d’un diabète non équilibré, d’une pathologie chronique respiratoire ou d’obésité.

Sitôt publié au Journal officiel, le texte avait suscité de vives critiques. Un tel arbitrage « pourrait avoir de graves répercussions », avait déploré la Société de pneumologie de langue française. L’écrivain et médecin Christian Lehmann s’en était également ému dans une chronique mise en ligne sur le site du journal Libération.

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Dans l’ordonnance qu’il a rendue jeudi, le Conseil d’État a considéré que le gouvernement n’avait pas suffisamment justifié la cohérence des nouveaux critères choisis. Sa décision a pour effet de rétablir, provisoirement, les dispositions – plus protectrices – du décret du 5 mai. Jeudi, Olivier Véran, le ministre des solidarités et de la santé, a indiqué qu’il allait rectifier le texte incriminé, en concertation avec les associations concernées.

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Covid-19 : « Il n’existe à ce jour aucun système de vigilance sanitaire spécifique à la santé au travail »

Tribune. Dans un monde du travail en constante évolution et de plus en plus confronté à des enjeux sanitaires, la politique publique aujourd’hui menée ne protège pas suffisamment les travailleurs. Le droit à la santé au travail dépasse la simple obligation de conformité de l’entreprise à la loi. Le SARS-CoV-2 et les risques sanitaires collatéraux, notamment en matière de santé mentale, nous le démontrent : il s’agit également d’un enjeu de santé publique.

Au moment où les partenaires sociaux mènent d’importantes négociations pour réformer notre système de santé au travail, il est utile de rappeler que la prévention et la gestion des risques sanitaires liés à l’activité professionnelle (risques physiques, risques psychosociaux, risques majeurs) font d’abord partie des obligations de l’Etat à garantir efficacement et effectivement le respect du droit fondamental à la vie et à la dignité de l’être humain, y compris au travail. Figurant dans les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), dans le droit de l’Union européenne et le droit national, la santé au travail, particulièrement dans le contexte de pandémie actuelle, ne fait pas l’objet d’une protection à la hauteur de cet enjeu.

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Les négociations en cours font craindre que la santé au travail ne soit ni élevée au rang de problématique de santé publique ni, par conséquent, dotée des moyens qu’exigent les principes de sécurité sanitaire.

C’est donc encore sur les seules entreprises que risque de peser la responsabilité de la santé des travailleurs, alors qu’elle nécessite d’abord une action publique forte et organisée. De la même façon qu’il est exigé des entreprises la mise en place d’organisations du travail saines et tournées vers la prévention, l’Etat doit se doter d’une politique, d’une organisation et de moyens conformes à ses obligations de protéger la santé de nos concitoyens au travail.

Le paysage institutionnel actuel, illisible pour le commun des mortels, laisse entrevoir désorganisation, manque de moyens, absence de volonté forte affichée par l’Etat, entraves à l’action publique, par exemple celle de l’inspection du travail, sans compter les messages contradictoires qui, en cette période de Covid-19, égarent les entreprises. L’Etat ne fait preuve d’exemplarité ni en termes d’organisation institutionnelle ni même en tant qu’employeur.

« Sociovigilance »

Le droit de la santé publique exige que les dimensions sanitaires du travail fassent l’objet d’une gestion publique. L’action de l’Etat est, dans d’autres domaines de la santé, organisée au sein de systèmes de vigilance sanitaires spécifiques : la pharmacovigilance pour les médicaments, la biovigilance pour les organes humains, la cosmétovigilance pour les produits cosmétiques, etc. Chacun de ces systèmes comprend des missions de veille, de surveillance, de signalement, de gestion, de traitement et de prévention des risques sanitaires spécifiques. Or, il n’existe à ce jour aucun système de vigilance sanitaire spécifique à la santé au travail.

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Covid-19 : « Sur la réforme de la médecine du travail, un accord entre patronat et syndicats semble loin d’être en vue »

Tribune. Tous concernés ! Salariés, agents de l’Etat ou des entreprises publiques, soignants, fonctionnaires territoriaux, ont peu de chances de ne pas avoir besoin, au moins une fois dans leur vie professionnelle, de recourir à la médecine du travail. Ce ne sont pas les raisons qui manquent : l’épidémie de Covid-19, qui touche aussi des travailleurs et a des conséquences sur la prévention des risques en entreprise ; la pénibilité, dont les effets sont démultipliés avec le recul de l’âge de la retraite et le vieillissement de la population ; l’explosion des risques psychosociaux… Ce que peut ou ne peut pas faire un service de santé au travail (SST) pour gérer la situation sanitaire, mais aussi sociale, des salariés est lourd de conséquences pour l’avenir personnel et professionnel de chacun d’entre eux.

C’est dire si les négociations entre partenaires sociaux sur la prochaine réforme de la santé au travail, qui se sont ouvertes au mois de juin et devraient se conclure d’ici quelques semaines, sont importantes. C’est une seconde tentative, après l’échec de la précédente négociation en 2019, lancée à la suite du rapport de la députée (LRM) du Nord Charlotte Lecocq.

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Or, un accord entre patronat et syndicats semble loin d’être en vue. Les employeurs ne veulent pas entendre parler de la fin de la gestion patronale des SST, que le rapport Lecocq proposait de remplacer par une gestion tripartite d’établissements régionaux. Les syndicats, eux, se méfient de la priorité que la députée du Nord suggère de donner à l’amélioration de la prestation de service et de conseil à la seule disposition des employeurs.

Sentiment d’impuissance

Quand on interroge les médecins et infirmiers du travail, les intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP), leur constat est sans appel (« Leur réforme de la santé au travail », Santé & Travail, octobre 2020). Face à des contraintes qui n’ont cessé de se renforcer depuis une trentaine d’années, avec notamment l’intensification des rythmes de travail, face à des salariés de plus en plus souvent malades de leurs expositions à ces risques, les professionnels de la santé au travail se disent impuissants. Impuissants à impulser une dynamique de prévention primaire, alors que c’est l’un des fondements de leur mission. Impuissants à faire agir les entreprises pour réduire les risques à la source, aménager l’organisation, changer les modes de management. Impuissants, trop souvent, à faire accepter des aménagements de poste pour des salariés atteints, par exemple, de troubles musculosquelettiques (TMS) dus aux gestes répétitifs sous contraintes de temps. Et finalement impuissants à éviter les licenciements pour « inaptitude ».

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Covid-19 : « En médecine du travail, la concurrence est un moteur essentiel du progrès »

Tribune. Nous sommes face à un bouleversement profond de la médecine, qui va prendre de l’ampleur avec l’irruption massive et rapide du numérique et le développement de la télémédecine. Nous devrons maîtriser la convergence du numérique, de la robotique et de l’intelligence artificielle dans ce domaine. Par ailleurs, la montée des risques, notamment sanitaires et psychosociaux, et des addictions devrait inciter la médecine du travail à donner la priorité à la prévention, avant d’être obligé de soigner. En quinze ans, le nombre de salariés indemnisés par l’Assurance-maladie pour maladie professionnelle a augmenté de 7,5 %. Et le très fort taux d’accidents du travail place la France au 25e rang sur 28 de l’accidentologie en Europe. Nous devons également apporter des solutions contre l’absentéisme, le plus important en Europe à part l’Espagne et l’Italie.

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Pour apporter les meilleures réponses, assurer les évolutions nécessaires et préserver la santé des salariés, il nous apparaît comme une priorité de regrouper les services de santé au travail interentreprises (SSTI), afin que, d’ici au 1er janvier 2022, chaque service suive au moins 100 000 salariés, un chiffre modulable au niveau régional. Seul un tel regroupement permettra d’avoir les moyens humains et financiers de mettre en place des outils numériques uniques et des process uniformisés avec des données consolidées au niveau régional ou national. Ces SSTI auraient une compétence régionale, afin d’éviter le lourd système des agréments territoriaux. Quant à l’organisme régional préconisé par le rapport de la députée (LRM) du Nord Charlotte Lecocq, il contracterait avec les SSTI sur des objectifs et des moyens.

Développer la télémédecine

En revanche, la création d’un monopole semi-public serait une erreur : un pareil organisme ne peut être disruptif et innovateur. Le tarif imposé sans possibilité d’adaptation et le prélèvement des cotisations par l’Urssaf, également prévus par le rapport Lecocq, seraient tout aussi néfastes. Les chefs d’entreprise des TPE et PME considéreraient ces prélèvements comme un nouvel impôt. Il faut laisser la négociation libre, et permettre aux entreprises de lancer des appels d’offres donnant aux SSTI la liberté de proposer leurs tarifs et leurs prestations à partir du moment où il existe une offre de services de base et un tarif qui lui correspond. La formule de l’appel d’offres préserve et stimule les facultés d’innovation et de réactivité des SSTI, loin du « confort » qu’induirait un monopole semi-étatique.

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Covid-19 : « La crise sanitaire a été propice à la mise en place de nombreux changements au travail »

Tribune. La crise sanitaire inédite que nous traversons, spécialement dans les milieux professionnels, invite à examiner ses conséquences sur les relations entre santé et travail, à court comme à plus long terme. Les enquêtes épidémiologiques soulignent que certaines catégories socioprofessionnelles, les « premiers de corvée » – personnels soignants, grande distribution, maintenance des infrastructures, etc. –, ont été particulièrement exposées au virus durant le confinement, et l’ont payé au prix fort. Les mêmes enquêtes ont montré, en creux, que les conditions de travail dans ces emplois ne les ont pas prémunies des risques sanitaires inhérents à l’exercice de leur métier. Ces analyses ont toutefois pu laisser penser qu’il suffisait d’être confiné pour rester en bonne santé, et déconfiné selon les règles sanitaires en vigueur pour que les risques disparaissent. Le tableau des relations entre santé et travail est évidemment plus nuancé que cela, tant les questions relatives à la santé ne peuvent se réduire à la maladie, mais doivent être analysées par le biais de l’expérience des situations antérieures comme de la période actuelle, avec ses épreuves, ses aventures et ses apprentissages.

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La crise sanitaire a, de fait, été propice à la mise en place de nombreux changements au travail, que ce soit en matière d’organisation, de contenus et de technologies d’appui. Les équipes de travail comme l’encadrement ont dû, dans ces conditions, revoir les priorités entre les tâches à faire, redéfinir les modes de prescription et de collaboration, inventer des modalités de socialisation respectueuses des règles sanitaires, revoir – ou créer – leurs espaces de travail. Tous ont dû se familiariser avec de nouveaux outils d’information et de communication pour assurer les interactions professionnelles.

Les premiers retours des milieux professionnels durant cette période à rebondissements permettent de distinguer deux grandes tendances en matière de santé au travail.

Coupure brutale et durable

D’un côté, les changements techniques et organisationnels, menés bien souvent dans l’urgence, ont pu conduire à des processus d’isolement, du fait de la coupure brutale et durable avec les collègues et la hiérarchie, ou à l’impossibilité de travailler chez soi, faute de conditions matérielles adaptées ou de système d’information suffisamment fiable. Ces ruptures semblent moins liées à la nature de l’activité qu’à la robustesse de l’organisation des équipes : des liens qui étaient déjà ténus avant la pandémie se sont alors encore distendus, voire disloqués. Cette relégation a pu induire un sentiment d’abandon, dont les traces durables sont à craindre dans le fonctionnement de ces équipes et pour la santé des personnes concernées.

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Les employeurs « invités » à mettre en place le télétravail partiel

Il faut une dose de télétravail dont le volume est laissé à l’appréciation des patrons et des élus du personnel. Jeudi 15 octobre, l’exécutif a formulé cette demande, lors d’une conférence de presse à laquelle participaient – entre autres – le chef du gouvernement, Jean Castex, et la ministre du travail, Elisabeth Borne. Le but de l’exercice était de détailler les annonces faites la veille par Emmanuel Macron, lors d’un entretien télévisé, pour contenir la propagation de l’épidémie de Covid-19.

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Dans les métropoles soumises au couvre-feu, les pouvoirs publics veulent que soit désormais fixé « un nombre minimal de jours de télétravail par semaine, pour les postes qui le permettent ». Cette valeur plancher sera déterminée « dans le cadre du dialogue social de proximité », précise une version quasi définitive du nouveau protocole sanitaire pour les « salariés en entreprise », qui a été présentée jeudi aux syndicats et au patronat.

Mercredi soir, le président de la République avait évoqué « deux à trois jours » par semaine – un ordre de grandeur qui n’a donc qu’une valeur indicative. Par ailleurs, là où le couvre-feu n’est pas instauré, les employeurs sont seulement « invités » à le faire.

Pour l’exécutif, il n’est nullement question de pousser les actifs à exercer à 100 % leur activité à distance, même dans les zones d’alerte maximale. L’objectif est de trouver un équilibre, comme l’a expliqué, mercredi, M. Macron : d’un côté, « réduire un peu la pression collective » dans les établissements et les transports en commun ; de l’autre, éviter de « réisole[r] les gens ».

Jeudi, Mme Borne a rappelé que le protocole sanitaire pour les entreprises, mis à jour plusieurs fois depuis le début de l’épidémie, s’inscrit dans une « démarche de prévention du risque d’infection » : dès l’instant qu’il est appliqué, il est « efficace » et empêche, selon elle, que les lieux de travail deviennent « une chaîne de contamination ». « Les salariés peuvent [prendre leur poste] en toute sérénité », a-t-elle assuré.

Risques psychosociaux

La nouvelle mouture du protocole devait être publiée vendredi, après consultation des partenaires sociaux. Les changements apportés à ce vade-mecum sont jugés favorablement par Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT. Pour lui, le seuil de « deux ou trois jours de télétravail par semaine », cité par M. Macron, lui semble bon. Il n’est pas forcément partisan d’aller au-delà : « Il n’y a pas une demande uniforme des salariés », avance le responsable cédétiste, tout en mettant en exergue les risques psychosociaux, en particulier pour les jeunes et les célibataires.

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