Archive dans mai 2020

Chômage partiel : les élus du personnel dénoncent des abus

«  Même si le salarié poursuit de lui-même son activité pendant sa période de chômage partiel, son employeur est dans l’illégalité. »
«  Même si le salarié poursuit de lui-même son activité pendant sa période de chômage partiel, son employeur est dans l’illégalité. » Philippe Turpin / Photononstop

Plus de la moitié des élus et responsables syndicaux interrogés dans le cadre d’une étude du cabinet Technologia, dont l’entreprise a eu recours au chômage partiel, déclarent que des salariés sous ce dispositif ont continué à travailler. Sur les réseaux sociaux circulent des témoignages de salariés mis au chômage partiel, alors qu’ils ont poursuivi leur activité.

On soupçonnait l’existence de tels abus, mais le phénomène restait difficile à quantifier. Alors que le nombre de salariés mis au chômage partiel a atteint des sommets en avril, une étude du cabinet de conseil en prévention des risques professionnels Technologia donne une première idée des fraudes potentielles concernant le recours par les entreprises à ce dispositif, assoupli suite à la crise du Covid-19. Et leur ampleur interroge.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Tout le travail que j’ai fait, c’est l’Etat qui l’a payé » : des salariés dénoncent des fraudes au chômage partiel

A en croire les réponses des 2 620 élus et responsables syndicaux qui ont été interrogés dans le cadre de cette étude en avril, les salariés qui ont continué à travailler sur leurs dossiers ou à répondre aux sollicitations de leurs clients pendant leur période de chômage partiel sont légion.

Plus de la moitié des élus, dont l’entreprise a eu recours à ce dispositif, estime qu’il y a eu des abus. Dans le détail, 24 % déclarent que des employés au chômage partiel auraient poursuivi leur activité à la demande de l’employeur dans leur entreprise. D’autres ont continué à travailler de leur propre initiative, rapportent 28 % des élus.

Un investissement motivé par la « peur de perdre leur emploi », avance le cabinet Technologia : la crise économique inciterait ces salariés à maintenir leur activité coûte que coûte, « dans une démarche sacrificielle ». Paradoxalement, ce dévouement peut causer du tort à l’entreprise : même si le salarié poursuit de lui-même son activité pendant sa période de chômage partiel, son employeur est dans l’illégalité.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Chômage partiel : polémique autour d’une réduction progressive du dispositif

Enfin, des élus rapportent que des salariés au chômage partiel auraient été appelés par leur manager (30 %) et/ou leur dirigeant (11 %) dans leur entreprise.

Rappelons que le salarié doit complètement cesser son activité s’il est mis au chômage partiel total. Même un simple coup de fil, pour savoir où en en est un dossier par exemple, est prohibé. Dans le cas où il continue de travailler partiellement, son entreprise doit le rémunérer à hauteur des heures travaillées.

Effet d’aubaine

Si l’ampleur des abus dénoncés dans cette enquête ne manque pas de surprendre, des voix se sont déjà élevées pour pointer les potentiels effets d’aubaine de ce dispositif, qui offre la prise en charge par l’Etat de la quasi-totalité du salaire. Sur les réseaux sociaux circulent des témoignages de salariés mis au chômage partiel et qui ont tout de même poursuivi leur activité.

Il vous reste 55.75% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Tout le travail que j’ai fait, c’est l’Etat qui l’a payé » : des salariés dénoncent des fraudes au chômage partiel

Un salarié en télétravail à Givors (Rhône), le 30 mars.
Un salarié en télétravail à Givors (Rhône), le 30 mars. JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

Près d’un mois après, la colère ne retombe toujours pas pour Stéphane (*). Salarié dans un grand groupe de services en région toulousaine, il se souvient encore de cet appel reçu « le 28 avril à 18 h 30 » par son « n + 2 ». S’il est en télétravail depuis le début du confinement, instauré à la mi-mars pour tenter de freiner l’épidémie due au coronavirus, il ne compte pas ses heures. Projets, formations, ateliers… « Je travaillais même plus qu’en temps normal », assure-t-il.

Pourtant, en cette fin avril, son « n + 2 » lui apprend qu’il allait être mis au chômage partiel et que cette mesure était même rétroactive au 1er avril. « Donc tout le travail que j’ai fait pour le groupe, c’est l’Etat et le contribuable qui l’ont payé », raconte-t-il, amer.

Et alors qu’il devait débuter une mission début mai, « ils sont allés dire à mon futur client que j’avais demandé à être mis au chômage partiel pour garder mes enfants, et que donc je ne pourrai pas travailler. Ce qui est faux ». Le « coup de grâce » pour Stéphane.

Il essaye de protester, en faisant part de ses doutes quant au bien-fondé et à la légalité de cette mesure, « mais on me rétorque : Si ça te pose un cas de conscience, libre à toi de rester…”, avec un sourire ironique. J’étais très énervé, ils ont fait ça dans mon dos. »

Plus de 8 millions de salariés en chômage partiel

Le chômage partiel existait déjà avant la crise, mais il a été assoupli par le gouvernement pour prévenir les licenciements massifs : les sociétés qui voient leur activité baisser ou les entreprises contraintes de fermer peuvent y recourir. Leurs employés perçoivent alors une indemnité correspondant, en moyenne, à 84 % de leur salaire net, financée par l’Etat et l’Unedic. Et si l’employeur le souhaite, libre à lui de compenser la différence et d’assurer, ainsi, le maintien de la paye à son niveau habituel.

En avril, plus de 8 millions de salariés étaient au chômage partiel, selon les derniers chiffres du ministère du travail. Depuis mars, ce sont plus d’un million d’entreprises qui ont sollicité une autorisation d’activité partielle.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les multiples questions du chômage partiel après le déconfinement

Mais combien ont tenté de profiter de la situation ? Selon une étude du cabinet Technologia, menée entre avril et mai auprès de 2 600 élus du personnel, « 24 % des employés en chômage partiel total auraient été amenés à poursuivre leur activité à la demande de l’employeur ». Et plus de 50 % des personnes interrogées considèrent que « des demandes d’activité interdites ont eu lieu ».

Il vous reste 69.94% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Crise sanitaire : inquiétudes sur la dette des ménages en Europe

Devant un distributeur de billets lors du premier jour de déconfinement, à Lyon, le 11 mai.
Devant un distributeur de billets lors du premier jour de déconfinement, à Lyon, le 11 mai. JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

Quinze euros la coupe, chez des amis d’amis ou d’anciens clients. Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, Stéphane exerce son métier de coiffeur comme il peut, chez lui ou à domicile – « la débrouille ». Son contrat dans un salon parisien devait être renouvelé en mars. Il ne l’a pas été. « Financièrement, ça devient compliqué », confie-t-il.

En avril, il a puisé dans son Livret A pour payer une partie du crédit – soit 700 euros par mois – qu’il a contracté il y a cinq ans pour s’acheter un deux-pièces, près de la porte de Pantin. En juin, ce jeune quadragénaire tiendra encore. « Mais si je ne retrouve pas un poste avant l’été, je ne pourrai plus payer », murmure-t-il, avec pudeur. Avant d’ajouter, anxieux : « Même si ça déconfine, qui est assez fou pour embaucher aujourd’hui ? »

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Face à la crise, les économistes angoissés par « l’économie du trou noir »

Catherine, elle, s’est résolue à solliciter ses parents. « Le loyer, ça va, mais le prêt pour la voiture, c’est un peu juste », raconte la trentenaire. Le restaurant où elle travaille, près de Lyon, l’a mise au chômage partiel. « C’est un soulagement, mais sans les pourboires et les extras, je ne m’en sors plus. » Elle espère pouvoir rééchelonner ses échéances de remboursement auprès de son organisme de crédit. En attendant, son père lui prête de l’argent : « J’ai dû ravaler ma fierté pour lui confier mes problèmes. Si le restaurant ne rouvre pas rapidement, je ne serai plus très loin du gouffre. »

« C’est encore le calme avant la tempête »

Combien sont-ils, comme Catherine et Stéphane, à angoisser un peu plus à chaque fin de mois ? A craindre de ne pas pouvoir rembourser la banque, le cœur serré à l’idée de demander l’aide d’un proche ?

« Des gens comme eux, sur le fil, nous appellent tous les jours, et ils sont de plus en plus nombreux depuis la fin du confinement [le 11 mai], souligne Pauline Dujardin, juriste fédérale au sein de Crésus, le réseau d’associations soutenant les personnes en difficulté financière. Beaucoup tiennent grâce au chômage partiel. Mais si la vague de licenciements que l’on redoute se confirme, l’automne sera très dur. » Eric Dor, économiste à l’Ieseg School of Management, partage les mêmes inquiétudes. « C’est encore le calme avant la tempête, dit-il. Si la reprise n’est pas au rendez-vous, il y a aura une envolée des défauts, d’abord chez les entreprises, puis au sein des ménages. »

Pour soutenir les locataires, nombre d’Etats, comme l’Espagne, le Royaume-Uni ou l’Allemagne, ont instauré des fonds d’aide ou reports de loyers

Il vous reste 74.02% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Coronavirus : le coup de grâce pour « Grazia » ?

« Confiné.e.s mais ensemble, 100 idées pour tenir le coup dans la bonne humeur », titrait le magazine Grazia à la « une » de son édition datée du 27 mars au 9 avril. Volontariste, la formule encourageait un optimisme qui, au sein de l’équipe de l’hebdomadaire féminin, commençait déjà à s’étioler : le numéro 529 était un numéro double, censé rester deux semaines en kiosques au lieu d’une, le temps de prendre la mesure du confinement. Mais les jours qui ont suivi ont achevé de tarir les idées « pour tenir » et, à Grazia, la bonne humeur s’est ternie à mesure que grandissait l’inquiétude : cette parution aura-t-elle été la dernière ?

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : la presse écrite navigue à vue

Car de numéro 530, il n’y en a toujours pas eu. Placés en télétravail au début du confinement, les salariés (une douzaine) ont été mis en chômage partiel total dès le 23 mars – mais n’en ont été officiellement informés que deux jours plus tard. Les autres collaborateurs, pigistes et prestataires extérieurs, ont été livrés à eux-mêmes, laissés soudainement sans revenus. Près d’un mois plus tard, le 22 avril, la direction du journal a envoyé un mail collectif pour informer d’une « suspension de l’activité sur le print [version papier] jusqu’à la fin de l’été » – et d’un maintien du chômage partiel. « Peut-on avoir une date précise ? » du moment où l’été s’arrête, a demandé la rédaction, réunie derrière une adresse e-mail commune, dans un message cinglant. Puis, sans s’encombrer de circonlocutions : « Devons-nous envisager un changement total de notre univers professionnel à titre collectif et individuel ? »

« Rien n’est encore prévu »

Plusieurs jours se sont encore écoulés avant que ne tombe la réponse de Germain Périnet, le directeur des activités presse & éditeur des marques chez Reworld Media (Grazia, Closer, Auto-Moto, Sciences & Vie, Biba, etc.) : « Comme vous le savez, leur a-t-il écrit le 7 mai, l’équation économique du titre est totalement dépendante des investissements publicitaires (…). A ce jour, nous n’avons aucune visibilité ni aucune garantie en provenance des marchés, à court et moyen terme, concernant la reprise des investissements publicitaires (…). Nous examinons actuellement les hypothèses, crédibles et pérennes, permettant d’envisager un retour de la marque Grazia en points de vente et pour nos abonnés. »

Depuis ce courriel, et malgré la formule « Vous serez naturellement informés de l’évolution de la situation », plus aucune communication n’a été faite aux équipes. Les lecteurs, eux, se seront contentés d’un message, en mars, les engageant à se créer un compte numérique pour « profiter de tous les avantages » de leur abonnement. Nos mails et appels à Germain Périnet, ainsi qu’aux codirigeants de Reworld Media, Gautier Normand et Pascal Chevalier, sont restés sans réponse.

Il vous reste 41.33% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

A La Seyne-sur-Mer, le fleuron CNIM est proche du démantèlement

Des techniciens travaillant sur le programme nucléaire ITER, sur le site de CNIM, le 14 octobre 2016.
Des techniciens travaillant sur le programme nucléaire ITER, sur le site de CNIM, le 14 octobre 2016. BORIS HORVAT / AFP

C’est un fleuron de l’industrie française sur les bords de la Méditerannée qui vacille et menace d’emporter avec lui toute une commune. Un an après avoir annoncé 15 millions d’euros d’investissements pour construire de nouveaux ateliers, le groupe Constructions navales et industrielles de la Méditerranée (CNIM), 174 ans d’existence mis à mal par la défaillance d’un partenaire britannique, est dans l’attente de l’homologation d’un protocole de sortie de crise par le tribunal de Paris, le 28 mai, pour tenter de sauver son activité. Une fois validé, ce texte entérine le saucissonnage du groupe, ce qui suscite de vives inquiétudes chez les syndicats comme chez les élus locaux.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les entreprises françaises face aux vagues de faillites qui s’annoncent

L’entreprise d’actionnariat familial (588,4 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019), qui emploie 2 600 personnes en France et à l’étranger dont près d’un millier à La Seyne-sur-Mer (Var), est un pilier économique sur la rade depuis le règne de Napoléon III. Aujourd’hui, l’entreprise héritière des Chantiers navals est une spécialiste des hautes technologies. Elle s’est créé une réputation d’excellence industrielle et travaille pour Ariane, le programme de recherche nucléaire ITER, les énergies renouvelables ou encore l’armement, notamment les tubes lance-missiles pour les sous-marins français.

En décembre 2019, la défaillance d’un sous-traitant clé et l’accumulation des pénalités de retard dans un contrat de valorisation des déchets ménagers en Angleterre ont fait vaciller l’ensemblier industriel, lui coûtant quelque 60 millions d’euros, soit 10 % de ses revenus. En Bourse, son cours a dû être suspendu après avoir dévissé de plus de 20 %. Pour sauver le groupe, un pool bancaire et l’Etat ont consenti à l’équipementier un financement à court terme de 44 millions d’euros.

Création de quatre fiducies

En contrepartie, la holding familiale Soluni, principal actionnaire, a dû entamer la cession de son siège parisien et accepter la création de quatre fiducies. Car si ce protocole permet au groupe de ne pas avoir à cesser ses activités sur le très court terme, il signe aussi, de fait, son découpage. Et si la société ne parvient pas à rembourser les 44 millions et les intérêts, de l’ordre de 6 %, d’ici un an – « ce qui est mathématiquement impossible », assurent les syndicats –, alors les banques prendront le relais et pourront céder à des investisseurs les différentes branches.

Le syndicat FO, majoritaire, indique que « trois conglomérats chinois sont déjà sur les rangs », selon son délégué Jean-Pierre Polidori. Compte tenu de la dimension stratégique du groupe CNIM, il réclame de l’Etat « une nationalisation partielle et temporaire. » « Une pluie de milliards s’abat sur les grosses sociétés françaises à fort potentiel médiatique, peste le délégué syndical. Mais pour CNIM, qui doit avoir une image plus “underground” que Renault ou Air France, c’est pas la même chose. »

Il vous reste 44.28% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Etats-Unis : hécatombe dans les grands magasins

Le parking vide du magasin J.C. Penney, dans le centre commercial de Woodbridge (New Jersey), le 21 mai.
Le parking vide du magasin J.C. Penney, dans le centre commercial de Woodbridge (New Jersey), le 21 mai. LUCAS JACKSON / REUTERS

Le coronavirus aura été le coup de grâce. En une semaine, trois fleurons du commerce de détail aux Etats-Unis se sont déclarés en faillite. Après l’avalanche de banqueroutes de 2019 (plus de 9 000 magasins fermés), « l’apocalypse » du commerce de détail, selon l’expression de la presse américaine, semble devoir se confirmer.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Aux Etats-Unis, le commerce de détail en pleine « apocalypse »

Vendredi 15 mai, la chaîne de grands magasins de vêtements, accessoires et cosmétiques, J.C. Penney, l’une des plus anciennes du pays, a demandé à être placée sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites. Créée en 1902 par un fils de pasteur et fermier du Missouri, James Cash Penney, l’enseigne avait survécu à la Grande Dépression des années 1930. A son apogée, elle employait plus de 200 000 personnes (85 000 aujourd’hui) et possédait 1 600 magasins. Le groupe a indiqué avoir obtenu 900 millions de dollars (825 millions d’euros) de ses créanciers pour organiser sa restructuration. Il prévoit de fermer 200 magasins cette année et 50 autres en 2021, soit près de 40 % du nombre actuel de ses établissements.

Le déclin des « malls »

Une semaine plus tôt, c’était la chaîne de grands magasins de luxe Neiman Marcus qui avait déposé un dossier de mise en faillite, après 113 ans d’existence. Le groupe de Dallas (Texas), qui possède également les enseignes Bergdorf Goodman et Horchow, avait dû mettre ses 14 000 salariés au chômage technique, en raison de la pandémie, alors qu’il a plus de 4 milliards de dollars de dette. Il a préféré devancer les échéances : la plupart de ses magasins, à l’exception de ceux de Floride, sont encore fermés du fait des mesures sanitaires.

Autre victime : l’enseigne J. Crew, qui avait pourtant connu un regain de ferveur depuis que Michelle Obama avait adopté sa ligne de prêt-à-porter BCBG. En 2011, elle était même devenue la première marque de mode grand public présente à la Fashion Week de New York. Et elle avait lancé Madewell, une marque pour les teenagers, qui avait connu une expansion rapide et compte aujourd’hui 132 magasins. Le 4 mai, J. Crew a elle aussi invoqué le chapitre 11. La société espère parvenir un accord avec ses bailleurs de fonds (Anchorage Capital Group, LLC et GSO Capital Partners) pour convertir une partie de sa dette (1,65 milliard de dollars) en capital.

Les États-Unis possèdent beaucoup plus de magasins qu’il n’est devenu nécessaire dans un univers où la consommation a changé

Il vous reste 60.1% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

La crise fait pâlir l’étoile du site de réservation en ligne Booking.com

Un employé de Booking.com dans les locaux français de la compagnie néerlandaise de réservation, à Tourcoing, le 4 octobre 2019. Avant la crise, il était prévu que les effectifs du site atteignent 850 salariés d’ici à la fin de l’année.
Un employé de Booking.com dans les locaux français de la compagnie néerlandaise de réservation, à Tourcoing, le 4 octobre 2019. Avant la crise, il était prévu que les effectifs du site atteignent 850 salariés d’ici à la fin de l’année. DENIS CHARLET / AFP

La fête est finie : pour la première fois de son histoire, Booking.com envisage un plan social et, peut-être, des licenciements. Rattrapée par la pandémie due au coronavirus, la jeune et florissante société de réservations d’hébergements, leader mondial dans son secteur, a vu, au cours du dernier mois, son activité chuter de 85 % par rapport à la même période en 2019, année durant laquelle le site avait enregistré 850 millions de nuitées. Les autorités publiques ont été appelées au secours aux Pays-Bas, berceau de la société créée en 1996, à Enschede (est), par Geert-Jan Bruinsma, un entrepreneur de 28 ans.

Le 10 avril, Glenn Fogel, le PDG de l’entreprise, annonçait, dans une visioconférence, que des licenciements étaient « vraisemblables ». Une première et un choc pour une société passée en quelques années du rang de start-up à celui de multinationale. Elle regroupe aujourd’hui 17 500 collaborateurs, dont 5 500 au siège du groupe, à Amsterdam. En France, son service clients, installé à Tourcoing, devait en compter 850 d’ici à la fin de l’année.

La polémique enfle

Se vantant, jusque-là, d’être l’un des rares acteurs du secteur touristique à ne pas avoir supprimé de postes, Booking a demandé des aides afin de pouvoir maintenir le revenu de ses salariés. Aux Pays-Bas, on ignore le montant que l’Etat lui a octroyé, mais la polémique enfle : reconnue pour sa créativité et son sens de l’innovation, Booking est aussi réputée pour sa capacité à user des ficelles de l’ingénierie fiscale.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : le gouvernement au chevet du tourisme

L’Etat néerlandais offre un statut très favorable aux multinationales et, en outre, aux entreprises innovantes. Selon les estimations, la société de réservations aurait bénéficié jusqu’ici de quelque 2,2 milliards d’euros d’abattements au total. « Nous ne sommes pas ici pour des avantages fiscaux, nous sommes d’Amsterdam », a toutefois affirmé récemment M. Fogel au quotidien NRC Handelsblad, auteur d’une vaste enquête sur la situation de la compagnie. Selon le PDG, sa société a payé au total 3,7 milliards d’impôts en Europe jusqu’ici, dont une grande partie aux Pays-Bas. « Plus que Shell », souligne-t-il. Pour ce dernier, il s’agirait toutefois d’étudier désormais « la forme et la taille » de la future Booking.

L’image de la société « cool », branchée, et très profitable risque d’être tout autre à la fin de la crise

L’image de la société « cool », branchée, et très rentable – un chiffre d’affaires annuel de quelque 10 milliards et un bénéfice proche de 3,5 milliards –, risque donc d’être tout autre à la fin de la crise. Un coup dur pour ses employés, habitués à une culture d’entreprise réputée non directive, des primes substantielles et un bien-être évident : les « soirées Booking » et les balades sur les canaux dans le bateau siglé du nom de la société sont célèbres à Amsterdam.

Il vous reste 49.51% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’Ile-de-France en première ligne face à la crise liée au coronavirus

Renault envisage de ne plus assembler de voitures sur le site de Flins. Ici, le 6 mai.
Renault envisage de ne plus assembler de voitures sur le site de Flins. Ici, le 6 mai. MARTIN BUREAU / AFP

Ce sont les deux dernières usines de Renault en région parisienne. L’une et l’autre sont en péril. La fermeture de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) pourrait être annoncée dès le 29 mai. Quant à l’énorme site de Flins (Yvelines), le groupe envisage de ne plus y assembler de voitures. Une fois reconverti, il paraît peu probable que 2 600 personnes y restent employées.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les entreprises françaises face aux vagues de faillites qui s’annoncent

De Flins et Choisy-le-Roi aux bistros parisiens, en passant par le parc Disneyland ou les bureaux d’Air France, la région parisienne va-t-elle affronter sous peu une gigantesque crise sociale ? Le Covid-19 peut-il achever la désindustrialisation de la capitale et de sa banlieue, pénalisée par des coûts élevés ? C’est ce que redoutent bien des responsables politiques. « Le plus dur est devant nous », affirme la maire (PS) de Paris, Anne Hidalgo. « L’orage approche », appuie Eric Azière, le président du groupe UDI-MoDem du Conseil de Paris. « On s’attend à un vrai plongeon, et une crise qui va durer un an ou un an et demi », s’alarme Valérie Pécresse, la présidente (Agir) de la Région Ile-de-France.

Après quelques mesures d’urgence, la responsable de la Région met d’ailleurs la dernière main à un plan de relance présenté comme « massif ». Il sera débattu au conseil régional le 11 juin.

L’économie régionale repose largement sur les secteurs les plus secoués : transport aérien, tourisme, culture…

En Ile-de-France, l’inquiétude est d’autant plus vive que la région a été l’une des plus frappées par l’arrêt brutal de l’économie. Au 7 mai, l’Insee estimait à 33 % la perte d’activité dans l’ensemble de la France. En région parisienne, la chute a atteint 39 % dans les Hauts-de-Seine, le département le plus touché de l’Hexagone, et environ 37 % à Paris et dans le reste de l’Ile-de-France, selon l’économiste Olivier Bouba-Olga.

L’écart s’explique. L’économie régionale repose largement sur les secteurs les plus secoués : le transport aérien, le tourisme, la culture, l’hôtellerie, la restauration, l’automobile… Du jour au lendemain, Orly a été fermé, de même que tous les musées, cinémas et théâtres, les tournages se sont arrêtés, les hôtels se sont vidés, les tours de La Défense aussi, les cafés ont baissé le rideau.

Plusieurs dispositifs ont néanmoins limité le choc

Ce coup d’arrêt a déjà entraîné un début de crise sociale. Avec les travailleurs les plus précaires pour premières victimes. Lors des distributions d’aide alimentaire, les files d’attente se sont allongées.

Il vous reste 60.12% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’Etat a massivement mis la main à la poche pour aider les start-up

« On a fait en moins de deux mois au moins autant que ce qu’ont fait les banques en 2019 pour l’écosystème des start-up. » A l’heure de tirer un premier bilan du plan d’aide à destination des start-up françaises, Paul-François Fournier, le directeur exécutif de BPIFrance, se félicite de l’ampleur du dispositif déployé par l’Etat. Quatre milliards avaient été promis le 25 mars sous différentes formes (prêts, remboursements anticipés, aides directes). Mais le montant devrait être encore plus significatif, du moins pour les actions supervisées par la Banque publique d’investissement.

Elle tablait à l’origine sur 2 milliards de prêts garantis par l’Etat (PGE) pour soutenir le secteur. Déjà 3 milliards d’euros ont été mis à disposition de 5 000 start-up, soit plus de la moitié du capital-risque investi en 2019 dans l’écosystème des start-up (5 milliards). Et selon M. Fournier ce montant est appelé à grossir. Avec ce dispositif, les jeunes pousses tricolores bénéficient d’une avance de trésorerie qu’elles commenceront à rembourser au plus tôt dans un an, avec la possibilité d’échelonner leurs remboursements.

BPIFrance avait également créé un fonds spécial de 80 millions d’euros pour les sociétés sollicitant des « bridges », une forme de rallonge que les investisseurs peuvent accorder aux entrepreneurs sous forme d’obligations convertibles à un moment où il est trop compliqué pour elles de faire une levée de fonds. Une solution avantageuse en pleine crise du coronavirus, pendant laquelle beaucoup de sociétés voient leur activité, et donc leur valorisation, fortement contrariée. Là encore, les demandes ont excédé les attentes. 100 millions d’euros ont déjà été sollicités et la BPI discute actuellement avec l’Etat pour augmenter cette enveloppe. Ce mécanisme est d’autant plus intéressant pour la BPI qu’il engage des fonds privés à apporter au moins autant d’argent, permettant ainsi de doubler a minima la mise.

Dans la même logique de partenariat avec les investisseurs privés, BPIFrance a injecté ces deux derniers mois 200 millions d’euros afin de boucler la création de nouveaux fonds appelés à investir dans l’écosystème français. Enfin, en tant qu’investisseur, elle a pris part à des levées de fonds dans 3 500 sociétés pour un montant total d’environ un milliard d’euros.

Un plan indispensable

Paul-François Fournier se réjouit que tous les acteurs du financement de la nouvelle économie en France aient joué leur rôle. Qu’il s’agisse des banques, de plus en plus investies sur ce secteur de l’économie, qui ont « joué le jeu », ou des fonds, qui ont pu intervenir, sans en faire la publicité comme ils le font à l’occasion de levées de fonds. Pour lui, il s’agit bien que la France, au moment de la reprise, soit mieux positionnée que d’autres pays pour permettre l’émergence de leaders mondiaux.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : des aides jusqu’à 5 000 euros pour protéger les salariés dans les petites entreprises

On peut s’inquiéter de voir les start-up, entreprises de facto jeunes et fragiles économiquement, solliciter plus d’aide que ce qui était originellement prévu. Mais pour Cédric O, le secrétaire d’Etat au numérique, ce niveau de sollicitation « n’est ni bon ni mauvais, c’est juste le signe que c’est utile et ça a permis de préserver l’écosystème ». Un plan indispensable selon lui pour permettre en particulier aux start-up de conserver dans leurs effectifs « une main-d’œuvre ultra-qualifiée qui est décisive » pour faire face à la concurrence.

Mais aussi pour maintenir à flot des entreprises investies dans la deeptech – secteur qui suppose une longue durée pour développer des solutions avant leur industrialisation. « Ça prendrait dix ans pour les reconstruire si on les abandonnait maintenant », explique Cédric O. Pour lui aussi, il s’agit de permettre aux jeunes pousses françaises d’être parmi celles qui « tireront les marrons du feu à la sortie de la crise, comme l’ont fait les GAFA [Google, Apple, Facebook, Amazon] en 2008 ».

Le secteur des deeptech – qui regroupe les start-up issues de la recherche – a déjà été identifié comme étant prioritaire, et chez BPIFrance, qui avait déjà lancé un plan en début d’année pour le soutenir, l’idée est aujourd’hui de « mettre les bouchées doubles » pour accompagner la croissance de ces entreprises qui, selon M. Fournier, sont appelées à contribuer à la réindustrialisation de la France.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les aides économiques aux entreprises provoquent des tensions entre régions et départements

Notre sélection d’articles sur le coronavirus

Retrouvez tous nos articles sur le coronavirus dans notre rubrique

Sur l’épidémie

Sur le déconfinement et ses enjeux

« Une vision désirable et émancipatrice doit limiter l’importance personnelle et sociale du travail »

Tribune. Dans une récente tribune, des universitaires de renom prônent une réforme du travail à l’aune de la crise du coronavirus et de la crise écologique (« Il faut démocratiser l’entreprise pour dépolluer la planète », Le Monde du 18 mai). Nous espérons que ce texte lancera un débat nécessaire sur le rôle du travail dans nos sociétés.

En principe, nous partageons leurs inquiétudes et suggestions.

Néanmoins, nous pensons que certaines propositions vont en réalité dans la mauvaise direction et sont en retard sur le potentiel progressiste des débats actuels sur le travail.

Les auteurs esquissent également une image acritique et uniment positive du travail et sont étonnement silencieux sur beaucoup des problèmes posés par le travail.

Vision discriminatoire et antidémocratique

La tribune pointe à juste titre l’exclusion des travailleurs de la plupart des mécanismes décisionnels des entreprises. Etendre la démocratie au monde du travail est une nécessité qui ne saurait attendre davantage. Mettre en œuvre la cogestion dans les entreprises est donc indispensable.

Cependant, cela ne change pas la finalité principale des entreprises privées : générer du profit pour les propriétaires du capital. Mettre l’intérêt des travailleurs au centre requiert donc d’autres formes d’organisation, comme les coopératives possédées et gérées directement par les travailleurs.

Surtout, la vision implicite d’un futur où il faut un travail pour se prononcer sur la marche de l’économie est discriminatoire et fondamentalement antidémocratique. Elle exclut de larges parts de la population, notamment en marginalisant plus avant les chômeurs et les personnes engagées dans les activités domestiques et de soin non ou sous-rémunérées, typiquement les femmes et les migrants.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « La planification écologique ne serait-elle pas un moyen efficace de réduire l’incertitude sur l’avenir ? »

Une réelle démocratisation du travail nécessite d’aller bien plus loin et d’inclure la démocratisation de l’économie tout entière, où la société dans son ensemble décide du nombre d’heures travaillées, de ce qui est produit, comment et au bénéfice de qui.

Une délibération collective portant, par exemple, sur la finalité du secteur financier ou la nécessité des emplois dans l’armement ou l’abattage industriel mettrait rapidement en question le nombre croissant de « bullshit jobs » (« boulots à la con », pour reprendre l’expression de l’anthropologue américain David Graeber) inutiles et même destructeurs pour notre société. La pandémie due au coronavirus a ainsi jeté une lumière crue sur la liste plutôt limitée des emplois et secteurs essentiels pour satisfaire les besoins sociaux de base.

Il vous reste 65.42% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.