Portraits du personnel soignant de l’Ehpad Camille-Saint-Saens, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le 6 mai. JOEL SAGET / AFP
Jusqu’où, dans le sillage de la pandémie et des mesures prises pour l’endiguer, l’activité va-t-elle s’effondrer ? Combien de faillites, quelles séquelles durables sur le marché du travail ? A l’heure où l’Europe entame un déconfinement prudent, les incertitudes sont encore nombreuses.
Les économistes s’accordent néanmoins sur un point : jusqu’ici, cette crise affecte les femmes avec une intensité particulière en Europe, et d’une façon différente des précédentes récessions. « D’abord, parce qu’elles représentent près de 70 % du personnel soignant, ce qui les expose plus fortement au virus, tandis qu’elles effectuent la plus grosse part du travail domestique », détaille l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans une récente note.
Des responsabilités familiales
Surtout, l’arrêt partiel des économies et la fermeture des frontières ont frappé de plein fouet les services, en particulier le tourisme, l’hôtellerie-restauration et les petits commerces. Or, ces secteurs sont particulièrement féminins : en France, 84 % des employés de l’hôtellerie, 64 % des vendeurs en magasin ou encore, 57 % des serveurs sont des femmes, selon l’Institut européen pour l’égalité des genres (EIGE), lié à la Commission de Bruxelles.
« En cela, cette crise est très différente de celle de 2008, qui avaient pénalisé en premier lieu les emplois industriels et la construction, plus masculins, alors que les services avaient mieux résisté », analyse Matthias Doepke, économiste à l’université Northwestern, à Chicago (Etats-Unis), coauteur d’une étude sur le sujet.
En outre, « les femmes sont plus vulnérables aux pertes de revenus liées à la crise », souligne l’OCDE. Notamment parce qu’elles affichent un taux de pauvreté plus élevé – 14,5 % en France, contre 13,7 % pour les hommes – et un patrimoine financier moindre. De plus, elles ont souvent plus de difficultés à retrouver un emploi après un licenciement lorsqu’elles assument des responsabilités familiales plus élevées.
Répartition inégale
C’est particulièrement le cas dans les pays du sud de l’Europe, où les politiques d’austérité menées dans la foulée de la crise de 2008 ont réduit les budgets consacrés aux services publics, dont ceux de la petite enfance. Un héritage qui, dans la récession déclenchée par la pandémie, risque de nuire un peu plus encore aux perspectives d’emploi des femmes.
« Une grande partie des inégalités de genre sur le marché du travailsont le résultat d’une répartition inégale des tâches domestiques, détaille Blandine Mollard, à l’EIGE. Ainsi, une femme sur dix dans l’Union européenne travaille à temps partiel ou est inactive du fait de responsabilités familiales, contre un homme sur cent seulement. »
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Le confinement a exacerbé les inégalités déjà présentes à la maison et face à l’emploi, les femmes accumulant travail, corvées et charge des enfants. FLORENCE BROCHOIRE / SIGNATURES
Le soulagement fut de courte durée. Lorsqu’une semaine après le début du confinement, son conjoint ingénieur est passé au chômage partiel, Cécile espérait qu’il l’aide à la maison. « Il en fait un peu plus depuis que nous sommes tous les deux en télétravail, raconte cette quadragénaire mère de deux garçons en maternelle, traductrice en Bourgogne-Franche-Comté. Mais je continue de gérer l’essentiel : les courses, les repas, les devoirs, le jardin, les profs, les angoisses des proches… »
La journée, elle peine à se concentrer sur ses traductions. « Quand je souligne l’inconfort de ma situation, il demande de quoi je me plains. » Au fil des jours, l’incompréhension s’est installée dans leur couple. Trop souvent, elle a le sentiment que son compagnon sous-estime la charge de travail supplémentaire pesant sur ses épaules. « Je sacrifie ma carrière, mon temps,confie-t-elle. Et je tombe d’épuisement pendant qu’il regarde des séries. »
Plus de boulot, plus de stress, plus de fatigue : dans bien des foyers, les femmes, surtout lorsqu’elles sont mères, racontent la même histoire. Bien sûr, la crise liée à la pandémie n’est pas vécue de la même façon par tous les couples − et dans certains, elle a favorisé le dialogue. « Mais si l’on pouvait espérer que les hommes assignés à domicile prennent la mesure du poids des tâches domestiques et acceptent de les partager davantage, les premières enquêtes sur le sujet semblent indiquer que cette prise de conscience n’a pas vraiment eu lieu », observe la philosophe féministe Camille Froidevaux-Metterie. « Au contraire, le confinement a plutôt exacerbé les inégalités déjà présentes à la maison et face à l’emploi », ajoute Marie Becker, spécialiste des questions liées l’égalité professionnelle au cabinet Accordia.
Marathon ultra-chronométré
En 2019, 87,4 % des Françaises en couple avec enfants consacraient au moins une heure par jour à la cuisine et au ménage, d’après l’Institut européen pour l’égalité des genres (EIGE), contre 25,5 % seulement des hommes dans la même situation. Et la crise risque d’aggraver encore les écarts, s’alarme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans un récent rapport.
La situation est particulièrement délicate pour les mères célibataires. En France, elles représentent l’écrasante majorité des parents isolés (83 %). Or, ces dernières semaines, 430 000 familles monoparentales ont été contraintes de solliciter un arrêt de travail pour garde d’enfants à cause de la fermeture des écoles, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Pour elles, la reprise sera d’autant plus complexe que la réouverture des classes s’annonce chaotique.
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Conférence de presse de la société Airbnb, à Tokyo, le 13 juin 2018. TOSHIFUMI KITAMURA / AFP
En mars 2017, Airbnb était l’une des superlicornes de Californie avec une valorisation de 31 milliards de dollars. L’année 2020 devait être celle de l’introduction en Bourse de la société cofondée, en 2008, par Brian Chesky, à San Francisco. Frappé par la pandémie, le fleuron de l’économie du partage a vu sa valeur tomber à 18 milliards fin mars, et l’ouverture du capital au public reportée à des jours meilleurs.
Le 4 mai, 1 900 employés se sont vu signifier leur licenciement. La date des départs a été fixée au lundi 11 mai pour donner le temps aux salariés « de se dire au revoir », a expliqué M. Chesky, le PDG. Dans un long message au personnel, ce dernier, 38 ans, a fait part de sa tristesse d’avoir dû se résoudre à se séparer de 25 % des effectifs. « Je suis vraiment navré. Sachez que ce n’est pas votre faute. »
Au début de l’année, la plate-forme avait 7 millions de listings de logements dans le monde et enregistrait plus de 50 millions de visites mensuelles (contre 14 millions pour son concurrent direct, VRBO). Pour 2020, le fondateur a indiqué s’attendre à un chiffre d’affaires « moitié moindre que celui de 2019 » (qui avait été évalué à 4,8 milliards). « Nous ne savons pas exactement quand les voyages reprendront, écrit-il. Lorsque ce sera le cas, le monde du voyage aura changé. »
Airbnb a également publié sur son site un « annuaire des talents », dans lequel ceux qui cherchent un nouvel emploi ont pu poster quelques lignes de CV
Les salariés ont été traités avec une « compassion » jugée exemplaire par la presse. Ils partent avec quatorze semaines de salaire (et une semaine supplémentaire par année d’ancienneté), quatre mois d’assistance psychologique et douze mois de couverture santé, un soulagement dans un pays où l’assurance dépend de l’employeur. Ils ont pu conserver leur MacBook, contrairement aux employés licenciés fin mars par Bird, la start-up de la trottinette électrique, priés de réexpédier leur ordinateur par la poste. Ils pourront exercer leurs stock-options, si tant est que la plate-forme s’introduise un jour en Bourse, mais la fortune risque de ne pas être tout à fait à la hauteur de leurs espérances précoronavirus.
Airbnb a également publié sur son site un« annuaire des talents » dans lequel ceux qui cherchent un nouvel emploi ont pu poster quelques lignes de CV. La plupart des licenciés proviennent du siège de San Francisco, de Montréal, de Portland (Oregon) ; cinq étaient installés en Chine. Nombre d’entre eux sont issus du marketing ou du service clients, mais la liste peut aussi se lire comme le témoignage d’une époque dorée − et révolue. Maria Herrera était chargée de rendre le séjour des VIP aussi mémorable que possible, « sur mesure, jusqu’au plus petit détail ». Charlie Mastoloni contribuait au lobbying de la plate-forme : il revendique avoir fait échec au passage d’une loi limitant la durée des locations à court terme sur la côte californienne…
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Session de télétravail, à Brooklyn, pendant le confinement, le 24 avril. CAITLIN OCHS / REUTERS
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Occasionnel avant le confinement, le télétravail est devenu le lot quotidien d’un quart des salariés français confinés. Autant de postes de travail bancals, bricolés, improvisés, partagés, envahis ou occupés par un tiers qui vont souvent rester d’actualité après le 11 mai, malgré le déconfinement progressif annoncé.
Un détour par Twitter permet de cerner en un clin d’œil plusieurs des désagréments du télétravail : manque d’un espace de travail à soi (« Je travaille sur la table du salon, au moins je sais où sont mes enfants »), disparition de la frontière vie pro/vie perso (« J’en peux plus de mon bureau, j’ai envie de le peindre en noir pour ne plus le voir ») ou encore station de travail inconfortable (« Après sept semaines de télétravail, il apparaît clairement que ma chaise est pourrie, et j’ai le dos en compote »).
Malgré ces ombres au tableau, le télétravail est plébiscité par 62 % des Français, qui aimeraient l’adopter postconfinement (étude Deskeo, avril 2020). Alors pour quelques semaines encore, ou plus si affinités, voici quelques pistes à considérer pour optimiser son poste de travail à domicile.
Afin de contrer le blurring (ou absence de frontière entre vie pro et vie perso), le podcast « Bien vivre le travail » recommande si ce n’est pas déjà instauré de « faire de son entourage un allié » en établissant des règles de vie communes (emploi du temps, répartition des tâches, garde alternée des enfants, pas d’intrusion inopinée dans le « bureau »…).
Quel qu’il soit, il doit être « légitimé » au même titre que l’espace salon ou nuit, selon Corinne Pélissier, architecte feng shui invitée du podcast. Ce qui implique, par exemple, de bouger les meubles pour signifier qu’on est « au travail », ou encore d’instaurer des codes visuels, pour soi et les autres, tels que porter un casque, endosser une veste ou déplacer un élément du décor. L’architecte conseille de s’installer de préférence avec un mur dans le dos, et de privilégier une perspective pour « s’offrir une nourriture visuelle » au-delà de son écran.
Télétravailler, assis dans son canapé, l’ordinateur sur les genoux, ou calé sur le ventre, allongé sous la couette, est « à consommer avec modération ». En l’absence d’un poste ergonomique en tous points, il convient d’être au moins assis sur une chaise, ou debout, et l’ordinateur installé sur la surface plane d’une table, d’un bureau ou d’un plan de travail.
Des réglages s’imposent pour ménager sa vue et s’épargner les postures inconfortables, et douloureuses à la longue. Les plus perfectionnistes avaleront les 86 pages de la brochure conçue par l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) et ajusteront ce qui peut l’être avec les moyens du bord. « La posture idéale n’existe pas », souligne l’INRS, mais « il existe une posture de moindre inconfort », à savoir pieds à plat sur le sol, l’angle du coude droit, avant-bras proche du corps, main dans le prolongement de l’avant-bras, le dos droit ou légèrement en arrière, soutenu par un dossier.
Pour ce qui est du réglage de l’écran d’un poste de travail informatique, rien de tel qu’une infographie ou quelques minutes derrière une vidéo. « Placer le moniteur droit devant vous, a minima placé de la longueur du bras et de façon à ne pas devoir tourner la tête », guide celle-ci. «Le haut de l’écran doit se situer au niveau des yeux et incliné en fonction de son ressenti », explique cette autre vidéo, qui passe aussi en revue souris, clavier et documents de travail.
Avec le confinement, et tenant compte des contraintes qui sont celles du télétravailleur, le rapport au temps de travail est bouleversé. S’il peut respecter ses amplitudes horaires habituelles, ou les moduler si besoin, notamment en accord avec son employeur, le télétravailleur n’est pas tenu de les outrepasser.
De plus, comme sur l’autoroute, le slogan « Une pause s’impose » vaut aussi sur son lieu de travail, comme en télétravail, et au-delà de la simple pause méridienne. Qui dit pause, et la tentation est ô combien plus grande chez soi, ne dit pas nécessairement jeux vidéo et friandises… Idéalement, elle est à faire à distance du poste de travail, voire dans une autre pièce si cela est possible.
Il est recommandé de faire au moins 2 minutes de pause active toutes les 90 minutes de travail. Cette vidéo préconise même cinq exercices qui, s’ils sont délicats à pratiquer au bureau, ne le sont pas du tout loin du regard des collègues. Et on finit en beauté avec des encouragements bien mérités et ce « Bravo ! Moins de sédentarité = plus de bien-être ».
Soigner les douleurs
Télétravailler à son domicile implique le plus souvent de s’accommoder d’un environnement et d’un matériel qui ne sont pas appropriés. Une bonne posture à son poste de travail réduit les risques de troubles musculo-squelettiques. Mais une assise prolongée peut provoquer des maux de tête et de dos, des douleurs cervicales, aux épaules, aux poignets et même aux genoux. Pour les éviter, penser à se lever avant que les douleurs ne s’installent, à faire quelques pas à travers l’appartement, quelques allers-retours sur le balcon ou jusqu’au fond du jardin, et à pratiquer des étirements des zones sensibles et/ou douloureuses.
A chaque mal, son « baume » apaisant. Une nuque raide et des cervicales endolories ? « Mains sur le milieu de la tête, rentrez le menton puis enroulez la tête progressivement vers la poitrine », invite le kinésithérapeute Alexandre Auffret dans l’un des trois exercices qu’il détaille sur YouTube pour assouplir ces tensions. Douleur dans le bas du dos ? Suivez les conseils de « Major Mouvement », en chemise-maillot de bain, sur Instagram : un mouvement de torsion à faire à même le sol pour étirer l’articulation sacro-iliaque ou encore cette autre astuce qui implique de faire corps avec son lave-vaisselle, ou lave-linge. Ne pas oublier d’étirer les poignets, les jambes et même les yeux.
Pour les amateurs ou novices qui disposeraient de 45 minutes, Lola Yoga propose une séance gratuite et accessible à tous pour compenser les effets du télétravail : améliorer le retour veineux, traiter les tensions musculaires et les troubles digestifs liés à une position assise prolongée. Namasté.
Le petit bonus : le télétravail en un tweet
Conseil n°10 : si vous n’avez pas de chat, adoptez un chat. On peut pas télétravailler sans chat.
L’un des défis du déconfinement, qui débute à partir de lundi 11 mai, est de soulager les transports en commun tout en évitant de saturer les réseaux routiers. Afin de soutenir le recours par les agents publics et les salariés du privé à des modes de transport alternatifs dès la sortie de la période de confinement, le forfait mobilités durables entrera en vigueur dès lundi, au lieu du 1er juillet (décret et arrêté), a annoncé Oliver Dussopt, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’action et des comptes publics sur son compte Twitter, dimanche 10 mai.
Le forfait mobilités durables est l’une des innovations environnementales de la vaste loi d’orientation des mobilités (LOM) adoptée en novembre 2019. Le projet de loi mobilités prévoit que les employeurs pourront rembourser à leurs salariés un montant maximal de 400 euros par an, exonéré de charges sociales et fiscales, pour encourager les déplacements domicile-travail à vélo ou par covoiturage. Un déploiement immédiat du forfait mobilités durables permet aux entreprises de rembourser les nouvelles mobilités au même titre que le transport public, en y incluant l’autopartage quel que soit le type de véhicule.
Les principales mesures du forfait mobilités durables sont :
Jusqu’à 400 euros par an et par salarié si l’employé prouve l’usage d’un moyen de transport durable pour ses trajets domicile-travail.
Le montant est défiscalisé à 100 % et dénué de cotisation sociale, pour le salarié comme pour l’employeur.
Sont concernés :
le vélo personnel (mécanique ou à assistance électrique) ;
le covoiturage (chauffeur ou passager) ;
les engins de déplacement personnels partagés (vélopartage, trottinettes et scooters en freefloating…) ;
l’autopartage à motorisation non thermique (« frais d’alimentation d’un véhicule électrique, hybride rechargeable ou hydrogène »).
Ce montant de 400 euros est cumulable avec le remboursement de l’abonnement transport déjà en vigueur, mais la somme des deux montants est plafonné à 400 euros. Autrement dit, en Île-de-France, où le montant de la moitié de l’abonnement Navigo dépasse les 400 euros, cette mesure s’adresse principalement aux salariés qui ne prennent pas les transports en commun pour aller au travail.
Le forfait mobilités durables prend la place de l’indemnité kilométrique vélo en l’élargissant à d’autres mobilités. De plus, pour le cas d’un vélo personnel, des dépenses d’achat, de location, de réparation ou d’accessoires seront éligibles à ce forfait mobilités durables.
« Cet encouragement financier individuel peut être décisif au moment où nous développons des pistes cyclables ou des voies réservées au covoiturage », a relevé la ministre de la transition écologique, Elisabeth Borne, dans un communiqué. « En cette période de déconfinement, et afin de limiter la congestion routière, nous encourageons fortement les Français à utiliser le vélo, les engins de déplacement personnels et à faire du covoiturage pour se déplacer », ajoute le secrétaire d’Etat aux transports, Jean-Baptiste Djebbari.
Un « forfait mobilités durables » de 200 euros par an est par ailleurs instauré, par un décret du même jour, dans la fonction publique d’Etat. Un arrêté précise qu’il faut s’être rendu au travail à vélo ou en covoiturage pendant au moins cent jours sur l’année, ce nombre pouvant être modulé « selon la quotité de temps de travail de l’agent ».
Des ouvriers sur un chantier, à Saint-Denis, le 5 mai. BERTRAND GUAY / AFP
« A Briord (Ain), une semaine avant la reprise, on a fait rentrer toutes les directions pour définir le périmètre de production qu’on voulait reprendre », explique Olivier Roset, le directeur général du groupe Roset (830 salariés).Pour organiser la distanciation avant le retour des salariés dans les sites de production, le fabricant de meubles a supprimé les salles de réunion, condamné un lavabo sur deux et fermé la cantine. « Pour faire simple, on a autorisé le déjeuner au poste de travail », précise M. Roset.
Tout ce qui est multiusage a été condamné : distributeurs, machines à café, micro-ondes, etc. Enfin, l’arrivée des salariés a été décalée pour que les groupes ne viennent pas ensemble. Des kits sanitaires (gel, masques) ont été envoyés aux 180 magasins, qui ne rouvriront que de 13 heures à 19 heures, à partir de mardi.
En amont
Dès la date du 11 mai annoncée, les DRH ont commencé à préparer des plans sans attendre les détails donnés par le premier ministre, jeudi 7 mai, qu’il s’agisse du caractère « progressif » du déconfinement ou du port du masque recommandé ou obligatoire, selon le contexte. « Le schéma récurrent est à quatre temps : traitement des conditions sanitaires, organisation des équipes par alternance pour éviter qu’elles ne se croisent, impact économique de la réorganisation de la production, dialogue social sur les congés et les conditions de travail », expose Benoît Serre, le vice-président de l’Association nationale des DRH.
Bien que sous pression, cette anticipation leur permet de ne pas trop appréhender la reprise. Dans la dernière enquête flash de l’ANDRH réalisée auprès de leurs 5 000 entreprises adhérentes et publiée le 30 avril, seuls 22 % des 531 DRH qui ont répondu redoutent une rentrée difficile.
Nettoyage des sites, distribution de masques et de gel ont été organisés en amont. Quatre-vingt-cinq pour cent des DRH interrogés avaient anticipé les commandes de matériel. Les mesures plus intrusives (prise de température, traçage) n’ont pas été retenues par la majorité : 51 % ne sont pas favorables à la prise de température des salariés à leur arrivée. D’aucuns, en revanche, comme Rémy Cointreau, demandent aux collaborateurs de déclarer leur aptitude à la reprise avant de venir travailler.
Le télétravail, nouvelle norme
Suivant l’exemple des entreprises du BTP, certaines organisations ont nommé des référents Covid pour veiller au respect des règles de distanciation et autres normes de sécurité sanitaire. C’est le cas de TéléDiffusion de France (TDF, 1 500 salariés), où le référent Covid s’assurera de la distribution des masques à l’arrivée des salariés.
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Un point de « click and collect » mis en place dans une librairie à Lille, le 24 avril. MICHEL SPINGLER/AP
Sa librairie, L’Encre bleue, située à une encablure du port de Pornic (Loire-Atlantique), avait encore, samedi 9 mai, des allures de centre de tri, avec des cartons un peu partout, des colis… Le gérant, Yann Laigle, va remettre toutes ses tables et les livres en ordre pour la réouverture au public, mardi 12 mai au matin.
« On s’organise pour bien faire les choses. Nous aurons tous un masque et des gants, du gel hydroalcoolique sera disponible à l’entrée du magasin, explique-t-il. Les clients les plus frileux ne toucheront pas les livres. Le magasin n’est pas grand, je compte sur la discipline de ceux qui viendront. D’eux-mêmes, ils viendront avec des masques. S’il y a trop de monde, je leur demanderai de patienter. Nous sommes des commerçants, pas la police non plus », rappelle le libraire.
C’est l’un des rares à avoir décidé, dès la veille du confinement, de garder un lien avec les lecteurs et de les dépanner en livrant leurs commandes à domicile. « On a travaillé avec ma femme pendant près de deux mois de 8 heures à minuit, dit-il. Nos clients fidèles sont restés et de nouveaux les ont rejoints, soit par réflexe anti-Amazon, soit parce qu’ils trouvaient injuste que notre librairie soit fermée tandis que celle du centre Leclerc était ouvert e », explique-t-il. En temps normal, la librairie compte une cinquantaine de clients par jour, là, pendant le confinement, une vingtaine de commandes quotidiennes ont été enregistrées. « Même si je ne me suis pas versé de salaire, ces livraisons, c’est ce qui va nous sauver et nous permettre de passer le cap », ajoute le libraire, qui a mis deux employés en chômage partiel. Au total, seuls 400 libraires sur les 3 300 que compte l’Hexagone ont proposé pendant le confinement des livraisons à domicile ou un service de « click and collect ».
Activité effondrée de plus de 90 %
Depuis la fermeture des librairies, lundi 16 mars, l’activité du secteur s’est effondrée de plus de 90 % entre la mi-mars et la mi-mai, selon le Syndicat de la librairie française (SLF). Pourtant, les grandes surfaces, les points de vente de la presse, les sites Internet, et pendant quelques semaines Amazon, pouvaient, eux, vendre des livres en toute légalité.
Le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, avait pourtant proposé sur France Inter, jeudi 19 mars, un déconfinement des librairies afin qu’elles puissent fonctionner normalement et recevoir des clients, mais le SLF avait immédiatement refusé cette proposition. Son président, Xavier Moni, affirmait que les livres ne constituaient pas une marchandise de première nécessité et que la santé des salariés devait primer.
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Le Pôle textile Alsace se mobilise pour fabriquer les masques, à Mulhouse, en mai. ELEONORE AUBERTIN
Là où tant d’entreprises textiles ont été décimées par la concurrence étrangère, une nouvelle vient de naître en Alsace, Barral, qui produira dans les tout prochains jours des masques grand public en fibres synthétiques pour les conseils départementaux des Haut-Rhin et Bas-Rhin. Ceux-ci en ont commandé 3,7 millions d’ici à fin juin pour les distribuer aux habitants. La première machine est arrivée le 6 mai, trois autres seront livrées d’ici à juillet.
Cette entreprise a été lancée à toute vitesse à l’initiative du Pôle textile Alsace. Elle est créée par six industriels de ce Pôle qui, avec leurs propres deniers et l’aide d’une banque, y ont investi plus de 3,5 millions d’euros. « Une usine normale se monte en six mois, nous, on a mis 50 jours, se félicite Benoit Basier, président de Barral, du Pôle et de la corderie Meyer-Sansboeuf, basée à Guebwiller (Haut-Rhin). Il y avait urgence.
100 % recyclables et 100 % français
Mi-mars, une trentaine d’ateliers et d’entreprises membres du Pôle textile s’étaient convertis à la fabrication de masques pour répondre à la demande d’industriels. « Barral ne leur prendra pas du travail car la demande est énorme, précise M. Basier. Puis, au fur et à mesure que l’économie repartira, ils vont reprendre leurs activités initiales, dans le linge de maison, dans les tee-shirts de clubs de foot, etc. qui aujourd’hui n’ont pas de commandes. »
M. Basier aime à dire que Barral se veut « une entreprise à responsabilité sociale, sociétale et environnementale ». On comprend pourquoi. Elle fabrique un masque lavable (40 fois pour le moment), 100 % recyclable et 100 % français. Et est en train de s’implanter au cœur d’une autre usine, dont elle loue des locaux et qui, elle, ne cesse de perdre des emplois : l’équipementier automobile Mahle Behr France, à Rouffach (Haut-Rhin). « Pourquoi faudrait-il reprendre de l’espace sur du terrain agricole s’il existe de la place ailleurs, qui plus est de bonne constitution, ? », demande M. Basier.
Un masque grand public en fibres synthétiques, produit par Barral. ELEONORE AUBERTIN
La filiale du groupe allemand Mahle en est à son troisième plan de sauvegarde de l’emploi (PSE, plan social) depuis 2013. Cette fois, 236 emplois sur 619 vont être supprimés. L’application de ce PSE a été retardée en raison de la situation sanitaire, avec pour première phase les départs volontaires, dont les salariés peuvent faire la demande jusqu’au 15 mai.
Pour compléter la belle histoire née pourtant d’une pandémie, Barral, acronyme de « barrière », comme masque barrière, et « Alsace », qui à terme produira 4 millions de masques par semaine, fera travailler, au départ, des salariés volontaires de Mahle Behr, actuellement en activité partielle, selon une convention de prêt de personnel à but non lucratif. Ce qui permettra à ces salariés, dont le revenu est aujourd’hui de 84 % de leur salaire net, d’en percevoir 100 %.
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La France passera-t-elle de cinq semaines de congés à quatre ? C’est ce que semble indiquer une publication très commentée sur Facebook. Celle-ci, mise en ligne par une page adepte des informations approximatives, « La Vraie Démocratie », dénonce les propositions libérales de l’Institut Montaigne. Sans se prononcer sur le bien-fondé de ces dernières, une remarque s’impose : elles sont ici présentées de manière exagérée.
Ce que dit la publication
Sous le titre : « Un institut souhaite supprimer des congés payés », la page « La vraie démocratie » explique, en citant un extrait de BFM-TV :
« Pour relancer l’économie, l’Institut Montaigne souhaite supprimer une semaine de vacances, un jour férié et les RTT des salariés sans pour autant faire participer les actionnaires à l’effort national. »
Un résumé fidèle dans les grandes lignes…
L’esprit général de la proposition du think tank libéral est bel et bien traduit. Celui-ci milite en effet pour, selon ses termes, « une nécessaire augmentation de la durée moyenne du travail », et « un soutien aux entreprises qui souhaitent accroître le temps de travail ».
Parmi les mesures précises figure en effet la proposition de « supprimer le jeudi de l’Ascension comme jour férié ». Chaque jour travaillé est un jour permettant de créer de la richesse et de relancer l’économie, estime Bertrand Martinot, l’économiste auteur de cette note. « D’après l’Insee, travailler un jour ouvré supplémentaire accroît l’activité en moyenne de 0,07 point de PIB en semaine », argumente-t-il dans sa version détaillée.
Parmi les autres mesures on trouve l’idée de « supprimer une dizaine de jours de RTT » pour les fonctionnaires, afin d’arriver à un équivalent de trente-sept heures par semaine et ainsi contribuer à la hausse de l’activité.Concernant les salariés du privé, le think tank recommande de faciliter le rachat de RTT, un dispositif permettant à un employeur d’échanger un jour chômé contre son équivalent en salaire. Une mesure « d’incitation » à l’accroissement du temps de travail.
… mais des précisions importantes mises de côté
1. Les congés payés ne sont pas vraiment menacés
La proposition de l’Institut Montaigne porte uniquement sur la durée des vacances scolaires :
« Si notre pays doit s’engager dans un accroissement global du temps de travail pour redresser notre économie, c’est en fait l’ensemble de la population active qui doit être concernée. Les écoles et les crèches publiques doivent être ouvertes plus longtemps, la durée des congés scolaires légèrement diminuer. »
Pourquoi s’en prendre aux congés scolaires ? Parce que ceux-ci correspondent à une chute mécanique de la production, explique plus loin l’économiste Bertrand Martinot :
« On sait que la décision de fermer les écoles lors du lundi de Pentecôte a à peu près vidé de son efficacité la mesure initiée en 2004 de supprimer ce jour férié, les entreprises n’ayant d’autre choix que de laisser leurs salariés prendre un jour de congé. Il en est simplement resté une taxe supplémentaire, la contribution de solidarité, sans que cette taxation ne corresponde véritablement à un surcroît de richesses créées. »
Autrement dit, il s’agit de limiter la prise massive et simultanée de congés payés pour permettre aux entreprises de maintenir leur niveau de production. Mais à part pour les enseignants, cette mesure ne s’accompagne pas d’une perte de droits aux congés payés. Ceux-ci sont seulement amenés à être posés à un autre moment, en ordre plus dispersé.
2. Des mesures définitives, d’autres temporaires
Autre aspect à prendre en compte : toutes les propositions évoquées ne s’inscrivent pas dans la même temporalité.
Concernant le jour férié de l’Ascension, l’Institut Montaigne milite pour sa suppression pure et simple, à titre définitif.
D’autres propositions sont limitées dans le temps. La suppression sans compensation des RTT de fonctionnaires se ferait, elle, « à titre provisoire ». Néanmoins, la question de l’allongement du temps de travail dans la fonction publique aurait vocation, « à moyen terme », à être réexaminée. Le rachat de RTT serait autorisé « par exemple jusqu’en 2022 ».
Enfin, certaines relèvent d’une mesure exceptionnelle, comme le raccourcissement d’une semaine des vacances scolaires, qui concernerait uniquement les vacances de la Toussaint 2020. Sur BFM-TV, le directeur de l’Institut Montaigne précise sa pensée : « Si, arrivé au mois de septembre, on est parvenu à relancer l’économie, à sauver des emplois, est-ce qu’il est normal de s’arrêter deux semaines à la Toussaint ? » Les vacances scolaires reviendraient à la normale en 2021.
En conclusion, le think tank pousse bel et bien un agenda extrêmement libéral, au nom du soutien à l’activité économique. Néanmoins, ses recommandations les plus spectaculaires sont bornées dans le temps et le court terme et ne remettent pas en question pour les Français, hors professions scolaires, le nombre de semaines de congés payés. Elles inscrivent toutefois clairement la question de l’allongement de la durée du travail dans le temps.
« Les indemnités d’un salarié présent dans une entreprise depuis quelques mois changeront substantiellement, selon que l’on intègre ou non la période pendant laquelle il a été placé en activité partielle. » Trina DalzielTrina Dalziel/Ikon Images / Photononstop
Infirmière de bloc dans un hôpital privé toulousain depuis bientôt huit ans, Gabrielle (le prénom a été modifié) n’a pas remis les pieds dans son établissement depuis le 17 mars, au début du confinement. Victime d’une maladie chronique, la proximité de patients touchés par le Covid-19 pourrait la mettre en danger. Comme 400 000 personnes vulnérables ou proches d’une personne vulnérable, elle a pu bénéficier d’un arrêt de travail. Sous le même régime, 1,7 million de parents qui n’ont pas de solution de garde d’enfants pouvaient être pris en charge par la Sécurité sociale.
Mais pour tous ces salariés qui ne peuvent pas pratiquer le télétravail, la règle a changé : un décret publié mercredi 6 mai précise les modalités de leur transfert en « activité partielle », inscrit dans la loi de finances rectificative du 25 avril. Ces salariés ne relèveront plus de l’Assurance-maladie mais bénéficieront de l’activité partielle à partir du 1er mai. « Cette bascule est nécessaire pour protéger le pouvoir d’achat des salariés car au bout de trente jours, l’indemnité journalière qui couvre 90 % du salaire tombe à 66 %. Le passage à l’activité partielle permet le maintien de 84 % du salaire net [jusqu’à 4,5 fois le Smic] et 100 % de la rémunération au niveau du Smic », indique le ministère du travail.
Pas de démarche
Les travailleurs non salariés (indépendants, artistes auteurs, stagiaires, contractuels de la fonction publique, gérants de société ou non-salariés agricoles) ne sont pas concernés par cette modification. Ils continueront de bénéficier d’indemnités journalières de la Sécurité sociale.
Les parents arrêtés pour garde d’enfants avant le 1er mai n’ont pas de démarche à effectuer. Les autorités recommandent tout de même de vérifier auprès de son employeur que la bascule a été prise en compte. A partir de début juin, ils devront aussi justifier que l’école ne peut pas accueillir leur enfant.
Pour les personnes vulnérables ou proches de personnes vulnérables, il leur faut se rapprocher d’un médecin pour se voir remettre un certificat attestant de la nécessité d’isolement. Ce certificat obtenu, leur employeur peut faire une demande de chômage partiel.
Impact sur le pouvoir d’achat
Mais Gabrielle n’est pas convaincue de l’utilité de la mesure pour son pouvoir d’achat. « Jusqu’à présent, mes indemnités journalières étaient complétées par ma prévoyance santé pour couvrir la totalité de mon salaire. Désormais, je dois m’en remettre au bon vouloir de mon employeur qui peut refuser de me verser la différence », peste-t-elle. Sa crainte est alimentée par les propos de Muriel Pénicaud qui a annoncé, le 29 avril sur France Inter, que « le taux de prise en charge par l’Etat sera un peu moins important » progressivement à partir de début juin.
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