Archive dans 2019

« Les cadres ont perdu la connexion au travail réel »

Dans une tribune au « Monde », Vincent Baud, expert en management, lance un cri d’alarme sur les conditions de travail des cadres, happés par les tâches numériques.

Publié le 19 octobre 2019 à 00h43 Temps de Lecture 4 min.

Article réservé aux abonnés

« Le temps passé par les cadres en réunion est en inflation constante, il augmenterait de 5 % par an allant de 4 à 8 heures/semaine, et ces chiffres doublent pour les cadres supérieurs ! »
« Le temps passé par les cadres en réunion est en inflation constante, il augmenterait de 5 % par an allant de 4 à 8 heures/semaine, et ces chiffres doublent pour les cadres supérieurs ! » Topic / Photononstop

Voici le constat désemparé qu’un cadre me dressait sur le sujet de sa qualité de vie au travail : « Je ne sais pas ce que je ferais de mes journées si je n’avais plus ni courriels ni réunions… »

Selon les dernières études (IFOP, « En 2018, les cadres passeront plus de temps en réunion qu’en vacances », et Circle Research 2018, « Five steps to the perfect meeting »), le temps passé par les cadres en réunion est en inflation constante ; il augmenterait ainsi de 5 % par an, allant de quatre à huit heures par semaine, des chiffres qui doublent pour les cadres supérieurs !

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Pierre-Yves Gomez : « Les salariés ignorent l’activité de leurs collègues »

Fléau

Pire : 78 % des participants estiment que leur opinion n’y est rarement voire jamais prise en compte. La moitié n’a ni ordre du jour, ni relevé de décisions, faute de temps.

Quant au temps passé devant leur messagerie, il est de plus de cinq heures par jour, et le plus souvent pendant les réunions. Lire et écrire des courriels. Organiser et participer à des réunions. En présence. A distance. Encore et encore.

C’est le fléau qui touche tant de cadres aujourd’hui, perdus dans la jungle d’un agenda qui dirige leur vie, agenda qu’ils ne maîtrisent d’ailleurs plus, le verrou qui consistait pour eux à être les seuls à pouvoir y inscrire l’emploi de leur temps ayant sauté par des invitations auto-inscrites se chevauchant, voire pire, fixées sans leur accord.

Ainsi, une responsable de la qualité de vie au travail (QVT) qui évoquait ce sujet avec moi s’est vu intimer l’ordre de rejoindre séance tenante une conférence qui l’avait désignée organisatrice sans même qu’elle l’ait acceptée. « Nous sommes huit et on t’attend ! »

Une spirale qui touche la santé et la performance

L’agenda des cadres est devenu, comme leurs messageries, un bar ouvert à tous les excès et sollicitations au point que certains y inscrivent, en acte de résistance, de faux rendez-vous pour se préserver quelques instants.

Les cadres sont devenus prisonniers du piège suivant : profiter de tout instant au travail, dont les réunions, pour réduire la charge à emporter à la maison, et travailler à la maison pour réduire la charge qu’ils retrouveront au travail.

Vous êtes demandeur d’emploi, que pensez-vous de la réforme de l’assurance-chômage ?

Vous êtes inscrit à Pôle emploi. Savez-vous que les règles d’indemnisation du chômage vont évoluer à partir du 1er novembre ? Vous êtes-vous renseigné sur le contenu de cette réforme ? Si oui, que vous inspire-t-elle ? Le gouvernement indique que le nouveau dispositif cherche à encourager le maintien dans un emploi durable : qu’en pensez-vous ? Est-ce de nature à modifier votre comportement dans la recherche d’une activité ? Détaillez-nous votre situation.

Indiquez bien vos coordonnées pour pouvoir être rappelé(e). Ces témoignages pourront être publiés dans le cadre d’un article sur Lemonde.fr.

VOTRE TÉMOIGNAGE

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée et ne sera utilisée que dans le cadre exclusif de cet appel à témoignage.

Voir les conditions de dépôt

1 – Le Monde.fr, site édité par Le Monde interactif, présente une sélection de témoignages, sous forme d’écrits, de photographies et de vidéos qui lui sont soumis librement par ses internautes. 2 – Les textes, photographies et vidéos sont toujours présentés avec mention du nom de l’auteur. 3 – Les participants autorisent l’utilisation de leurs témoignages pour une publication sur le site Le Monde.fr, dans le groupe Dailymotion du Monde.fr (http://www.dailymotion.com/lemondefr) ou dans le quotidien « Le Monde ». 4 – L’utilisation de ces écrits, photographies et vidéos ne peut donner lieu à un versement de droit d’auteur ou à une rétribution sous quelque forme que ce soit. 5 – Le Monde interactif s’engage à prendre le plus grand soin des œuvres confiées dans le cadre de ce service, mais ne peut en aucun cas être tenu pour responsable des pertes ou dommages occasionnés aux œuvres. 6 – L’équipe du Monde.fr se réserve le droit de refuser des témoignages, notamment : – les témoignages contraires à la loi (racisme, appel à la violence ou à la haine, diffamation, pornographie, pédophilie, sexisme, homophobie, …) ; – les témoignages contraires aux règles de conduite du Monde.fr (mauvaise orthographe, propos non conforme au sujet demandé, forme peu soignée, …) ; – les témoignages dont le sujet ou la forme présente peu d’intérêt pour les lecteurs ; – les témoignages déjà été proposés et publiés ou similaires à un témoignage récemment publié ; – la représentation d’une personne physique pouvant être identifiée, en particulier les personnes mineures ; – la représentation d’une œuvre pouvant relever du droit d’auteur ; – les photographies et vidéos dont la qualité technique est insuffisante (photos floues, vidéos illisibles ou de mauvaise définition, bande son inaudible, …). 7 – Les internautes qui déposent leur témoignage recevront un e-mail confirmant ou infirmant leur acceptation et publication. Les témoignages qui n’auront pas été validés ne seront pas conservés par Le Monde interactif et ne pourront faire l’objet d’une restitution à leur auteur.

RÈGLEMENT

En participant à cet appel à témoignages, vous autorisez la publication totale ou partielle de votre contibution sur le site Le Monde.fr, dans le quotidien Le Monde, dans « M, le Magazine du Monde » ou sur tout autre site où la Société éditrice du Monde publie du contenu éditorial (Facebook, Twitter, Digiteka, Instagram, etc.). Tout témoignage contenant des propos contraires à la loi est proscrit et ne sera évidemment pas publié. Une orthographe et une mise en forme soignées sont exigées (pas de textes en lettres capitales, pas d’abréviations ou d’écrits de type « SMS »). Vous devez impérativement préciser la date et le lieu où ont été pris vos documents photographiques ou vidéo et rédiger une légende descriptive. Votre témoignage doit être signé de vos prénom et nom. Les demandes d’anonymat en cas de publication seront examinées par la rédaction au cas par cas. L’intégralité des conditions de dépôt de témoignage est accessible sous le formulaire ci-contre.

Incendie de Rouen : « L’actualité témoigne de l’élargissement de la nature et de l’ampleur des risques »

Caroline Aubry, enseignante en gestion du risque, décrit dans une tribune au « Monde » les facteurs qui ont placé cette discipline au cœur de la stratégie des entreprises.

Publié aujourd’hui à 14h00 Temps de Lecture 3 min.

Article réservé aux abonnés

« L’incendie de l’usine Lubrizol, le 26 septembre, n’est pas qu’un risque « traditionnel » d’incendie ; il s’agit d’un risque éthique dans sa dimension de développement durable.»
« L’incendie de l’usine Lubrizol, le 26 septembre, n’est pas qu’un risque « traditionnel » d’incendie ; il s’agit d’un risque éthique dans sa dimension de développement durable.» LOU BENOIST / AFP

Tribune. L’actualité récente témoigne de l’élargissement de la nature et de l’ampleur des risques, qui fait aujourd’hui de sa gestion une variable stratégique de la réflexion des entreprises. Les cyber-attaques subies par Airbus ces derniers mois appartiennent à la catégorie des risques nouveaux ; le cyber-risque est d’ailleurs le premier cité par les entreprises dans le baromètre des risques de l’assureur Allianz.

L’incendie de l’usine Lubrizol, le jeudi 26 septembre, n’est pas qu’un risque « traditionnel » d’incendie ; il s’agit d’un risque éthique dans sa dimension de développement durable. La plainte déposée le 26 septembre par la Fédération Internationale pour les droits humains contre BNP Paribas et ses anciens dirigeants, pour complicité de torture, crimes contre l’humanité, génocide, blanchiment et recel au Soudan, est un risque éthique dans sa dimension de gouvernance : respect par l’entreprise des engagements pris, transparence et ouverture aux besoins de l’environnement dans laquelle elle opère, prise en compte des parties prenantes, les actionnaires et tous les groupes ou individus qui peuvent affecter ou être affectés par la réalisation de ses objectifs.

Lire aussi Après Lubrizol, 20 % des terres agricoles de Seine-Maritime visées par des restrictions

Les entreprises doivent faire face à des risques potentiels plus difficiles à cerner car ils sortent du champ de compétences des experts. Depuis trente ans, ces facteurs les ont conduites à mettre en place une démarche globale de gestion des risques, nommée « Enterprise-Risk-Management » (ERM) par les Anglo-Saxons ; ils ont contribué à la création d’une fonction dédiée à la gestion des risques.

Anxiété collective

L’élargissement du domaine de la gestion des risques s’est amorcé dans les années 1990 avec l’apparition de nouveaux risques issus des changements technologiques. Il s’est poursuivi avec la multiplication de qualificatifs venus en préciser la nature : éthique, environnemental, social, de gouvernance, de réputation, etc.

Lire aussi Incendie de l’usine Lubrizol : une école de Rouen évacuée par « précaution »

Est ensuite apparue l’idée d’une perception du risque différente selon les individus ou les niveaux dans l’entreprise. Cette perception est en effet fortement liée aux caractéristiques individuelles de l’acteur, sa personnalité, son histoire, ses préjugés, son exposition au risque…

L’élargissement du domaine de la gestion des risques s’est amorcé dans les années 1990 avec l’apparition de nouveaux risques issus des changements technologiques

Cette subjectivité intervient aussi dans la relation de l’entreprise avec les acteurs de la société civile. Par exemple, l’explosion de l’usine AZF à Toulouse en septembre 2001 a généré en France un état d’anxiété collective, accentué par la vigilance nouvelle des acteurs de la société civile qui ont pris conscience de ces vulnérabilités ; les populations habitant à proximité d’installations classées Seveso ont une perception accrue du risque.

Travail dominical : un prestataire de Casino épinglé à Angers

La justice interdit l’emploi d’animatrices le dimanche après-midi dans un supermarché d’Angers.

Par Publié aujourd’hui à 11h31

Temps de Lecture 2 min.

Devant le magasin Casino de La Roseraie, à Angers, dimanche 1er septembre
Devant le magasin Casino de La Roseraie, à Angers, dimanche 1er septembre Y T D/Le Monde

Le juge des référés du tribunal de grande instance d’Angers a tranché. L’emploi d’animatrices dans l’hypermarché Géant Casino La Roseraie le dimanche après-midi, à partir de 12 h 30, est illégal. Dans sa décision, rendue publique jeudi 17 octobre, le magistrat condamne ainsi la société marseillaise Evénement, sous son enseigne commerciale Etic, à cesser son activité angevine le dimanche après-midi sous peine de payer 5 000 euros par salarié illégalement employé.

Lire aussi « On ne va pas cesser d’ouvrir le dimanche après-midi » : le Géant Casino d’Angers persiste

« Je suis époustouflé qu’en France on ne puisse plus travailler », s’étonne Geoffroy de Peretti, patron d’Evénement, qui emploie les quatre animatrices concernées. L’inspection du travail avait constaté lors de plusieurs visites d’observation que celles-ci avaient pour « activité réelle et essentielle la gestion du passage des clients aux caisses automatiques du magasin et la gestion des produits et paniers dans la zone de caisse » depuis l’ouverture polémique du magasin le 25 août.

Lors de l’audience du 3 octobre, qui ne visait d’ailleurs pas directement le groupe Casino, l’avocate de la CFDT, MHélène Signoret, avait ajouté : « Le principe du repos dominical est très clair et la volonté de Casino est tout aussi claire : contourner les règles et l’ordre public social. »

L’avocat d’Etic avait affirmé que le rôle des animatrices se bornait à une « campagne promotionnelle pour une application mobile » limitée dans le temps. MPierre Arnoux avait ajouté : « Dire qu’elles remplacent les caissières, c’est faux et archifaux. Les caisses automatiques permettent de faire fonctionner le magasin. On peut le regretter, s’en offusquer, avoir un jugement moral mais, aujourd’hui, on fait du droit. Dire que la société Evénement n’a pas le droit de faire travailler ses hôtesses le dimanche après-midi, c’est une hérésie. Si on avait fait cette animation sur le parking du magasin, l’inspection du travail serait-elle venue nous voir ? Je ne le pense pas. »

Les syndicats plutôt satisfaits

Une argumentation que le juge des référés n’avait pas retenue, de même que toutes les exceptions au travail dominical soulevées par l’avocat. Cette décision ne marque pourtant pas un coup d’arrêt à ces ouvertures dominicales. Le groupe Casino, qui a validé l’ouverture des magasins de Gap (Hautes-Alpes) et de Chaumont (Haute-Marne) ce dimanche 13 octobre, répète que « le jugement dans sa globalité ne concerne ni Géant Casino ni l’hypermarché d’Angers. Il ne concerne que la société Etic », comme l’indique une porte-parole du groupe au Courrier de l’Ouest. « Ce dispositif avait été imaginé pour accompagner les premiers dimanches les clients qui ne sont pas habitués aux caisses automatiques ».

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le dimanche, il faudra s’habituer aux hypermarchés sans caissiers

Dimanche 20 octobre, l’hypermarché d’Angers – qui enregistre désormais un millier de clients l’après-midi – devrait donc être de nouveau ouvert, mais sans animatrices. Seuls des vigiles veilleront à la sécurité du magasin. Les clients qui rencontreront des problèmes lors du passage en caisse seront invités à appeler un numéro d’assistance.

Malgré cela, les sept organisations syndicales qui s’étaient portées parties civiles dans ce dossier emblématique (elles toucheront chacune 500 euros au titre de leur préjudice moral) sont plutôt satisfaites. Elles demandent à Etic « de ne pas jouer la surenchère et de se conformer à la loi ». Elles enjoignent également à Casino « d’assumer sa responsabilité sociale » en proposant aux quatre animatrices d’Etic « de rejoindre les effectifs du magasin ».

Jeudi soir, M. Peretti, qui emploie également les animatrices dans les magasins de Gap et de Chaumont, ne savait pas encore s’il allait faire appel de cette décision.

Réforme des retraites : l’exécutif cherche à calmer la colère des salariés du transport

La phase de concertation se poursuit, notamment avec les syndicats de la RATP. Plusieurs organisations appellent à une journée de grève le 5 décembre, qui devrait être très suivie et pourrait durer.

Par Publié aujourd’hui à 06h07, mis à jour à 15h45

Temps de Lecture 2 min.

Article réservé aux abonnés

Place au plat de résistance dans la réforme phare du gouvernement Macron-Philippe. Avant le grand oral sur les retraites du premier ministre, Edouard Philippe, face à un panel de Français, à Lons-le-Saunier (Jura), prévu dans la soirée du jeudi 17 octobre, le secrétaire d’Etat aux transports, Jean-Baptiste Djebbari, devait entamer ce même jour un cycle de négociations avec les organisations syndicales de la RATP.

« Nous avions jusqu’ici expliqué les principes, dit-on au ministère des transports. Il s’agit maintenant de s’attaquer au fond de l’affaire. » Le fond, c’est-à-dire les conditions précises de la disparition de l’avantageux régime spécial de retraite des agents de la régie publique parisienne des transports, au profit d’un nouveau système de retraite universel à points à l’horizon 2025. Les représentants des salariés de la SNCF, qui sont dans le même cas de figure que leurs collègues de la RATP, seront eux aussi conviés au ministère des transports, deux semaines plus tard.

M. Djebbari et son cabinet ont donc invité jeudi 17 octobre, pour un premier round, l’UNSA-RATP, puis la CGT et, dans l’après-midi la CFE-CGC, soit les trois syndicats représentatifs de la régie. Si l’UNSA et la CGC devaient répondre présent, la CGT a annoncé ne pas vouloir se déplacer. « Nous avons déjà dit clairement notre opposition à la retraite par points, a expliqué Bertrand Hammache, secrétaire général de la CGT-RATP. Par conséquent, nous n’avons rien à discuter. »

Appel à la grève le 5 décembre : « On souhaite une puissante journée d’action »

« Une première journée » de grève interprofessionnelle

Quant aux syndicalistes présents, ils ne devraient pas mâcher leurs mots. « Nous ne porterons aucun compromis, assène Thierry Babec, secrétaire général de l’UNSA-RATP. C’est la réforme du gouvernement. Il la portera seul et en tout cas pas avec nous. »

Chacun a dorénavant l’œil rivé sur la journée du jeudi 5 décembre, et ce mouvement de grève illimité lancé par les salariés de la RATP et auquel sont venus s’agréger d’abord des syndicats de la SNCF et des transports routiers avant d’être rejoints, mercredi, par quatre grandes confédérations, la CGT, FO, la FSU et Solidaires, qui ont appelé à « une première journée » de grève interprofessionnelle.

Aussi bien du côté de la direction de la RATP que du gouvernement, on s’attend à un mouvement exceptionnellement suivi et qui pourrait durer. Il va donc falloir déminer, tenter de calmer la colère ou, au moins, affaiblir la mobilisation qui s’annonce. S’il paraît certain que les discussions du 17 octobre n’arrêteront pas la grève programmée, Jean-Baptiste Djebbari va tenter d’ici là un échange direct avec les agents RATP. Selon une source proche du ministère des transports, le jeune secrétaire d’Etat animera à la mi-novembre, au siège parisien de la régie, un grand débat sur la réforme.

La solution au fatalisme anti-humaniste est sous nos yeux

Dans son ouvrage « L’Esprit malin du capitalisme », Pierre-Yves Gomez, professeur à l’EM Lyon, décrit les caractéristiques et les mécanismes assurant la croissance et l’innovation du capitalisme spéculatif, qui s’est illustré avec la financiarisation puis la digitalisation.

Par Publié aujourd’hui à 10h10

Temps de Lecture 2 min.

Article réservé aux abonnés

« L’Esprit malin du capitalisme », de Pierre-Yves Gomez. Editions Desclée de Brouwer, 200 pages, 17,90 euros.
« L’Esprit malin du capitalisme », de Pierre-Yves Gomez. Editions Desclée de Brouwer, 200 pages, 17,90 euros.

Livre. Des bâtisseurs sans architecte sont appelés à construire un édifice. Mur après mur, ils dressent un labyrinthe dans lequel ils se perdent. Ils se fient à l’intuition qu’ils vont finir par découvrir un architecte invisible qui donnera sens à leurs efforts. Mais l’esprit insaisissable n’a pas plus qu’eux le plan des issues, il n’existe que les dédales sans fin du labyrinthe. « Telle est la manière dont on peut se figurer le système économique et social contemporain et le trouble qu’il produit. Criblés de dettes irrécouvrables, mais continuant de spéculer frénétiquement en prétendant qu’il n’y a pas d’autre alternative que de poursuivre un avenir évanescent qui pourrait seul les éteindre, nous pressentons que les dettes ne s’effaceront pas… sans que ne s’effacent aussi les endettés », analyse Pierre-Yves Gomez dans L’Esprit malin du capitalisme.

L’homme serait-il un être fondamentalement nuisible, qui a dévasté la planète et mérite ou bien de disparaître ou bien d’être régénéré par la technologie ? La question est sur toutes les lèvres, alors que les oiseaux disparaissent, et que le réchauffement climatique est inéluctable. Mais le professeur à l’école de management EM Lyon, où il dirige l’Institut français du gouvernement des entreprises, s’insurge contre cette « anthropologie de fin de repas ». « Trouver dans l’être humain des péchés constitutifs, c’est s’épargner la peine (ou le devoir) de critiquer la consommation, la production et les interactions dans le monde social concret dans lequel il vit ici et maintenant. »

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « La gouvernance de la mondialisation s’est fragmentée »

C’est faire l’impasse sur le fonctionnement économique actuel de la société. Les êtres humains ne sont pas depuis toujours des « prédateurs imbéciles ». Ils le sont depuis peu de temps, et « parce qu’un système économique et social particulier les y encourage. Mais l’encouragement est doux, malin, apparemment sans exigences claires sinon celle de continuer à bâtir ce monde déraisonnable ». C’est ce système que le spécialiste du lien entre l’entreprise et la société appelle « capitalisme spéculatif ». Comment fonctionne-t-il ? Comment y contribuons-nous et y succombons-nous ?

Promesses, réussites et envoûtements

L’ouvrage décrit les caractéristiques et les mécanismes assurant la croissance et l’innovation du capitalisme spéculatif, qui s’est illustré avec la financiarisation puis la digitalisation. Il en raconte les promesses, les réussites et les envoûtements. Et conduit à un dénouement démystifiant : financiers qui développent des fonds de placement éthiques ou socialement responsables ; tradeurs qui doutent de leur utilité et qui changent de vie ; salariés qui s’épaulent et maintiennent des solidarités de travail ; médecins qui trouvent des contournements pour continuer de soigner correctement, malgré la pression des chiffres ; consommateurs qui regardent leurs ordinateurs et leurs téléphones comme des outils quelconques, sans phobie ni fascination.

« S’inspirant des entreprises dites “libérées”, certains éliminent le manageur »

Au nom de l’« agilité », de nouveaux modes d’organisation du travail se diffusent dans les entreprises depuis les années 2000, recomposant les chaînes de décision, explique la journaliste du « Monde » Anne Rodier dans sa chronique.

Publié aujourd’hui à 10h03 Temps de Lecture 2 min.

Article réservé aux abonnés

« Des strates de manageurs sont supprimées, jusque dans les entreprises les plus classiques du monde industriel. »
« Des strates de manageurs sont supprimées, jusque dans les entreprises les plus classiques du monde industriel. » David Leahy/Cultura / Photononstop

Chronique « Carnet de bureau ». Les manageurs français, débordés, stressés, démotivés, sont assez pessimistes sur l’avenir de leur fonction : « 38 % pensent qu’elle aura disparu d’ici cinq à dix ans », indique une étude du Boston Consulting Group, publiée fin septembre. Ils n’ont peut être pas complètement tort.

Au nom de l’« agilité », qui est au management ce que le numérique est à la technologie, de nouveaux modes d’organisation du travail se diffusent dans les entreprises depuis les années 2000, recomposant les chaînes de décision. « Big bang », « essaimage » ou « redéploiement par pôle », font voler en éclat l’organigramme d’hier, relate le Livre blanc des DRH édité au printemps par le cabinet de conseils Julhiet Sterwen, spécialisé en transformation des entreprises.

Le mode classique de gestion les entreprises « a atteint ses limites », affirmait dès 2014 l’auteur du best-seller Reinventing Organizations. Frédéric Laloux annonçait ni plus ni moins un changement d’ère dans la gouvernance et l’émergence d’une nouvelle façon de voir la collaboration : « Une organisation où des millions d’acteurs se coordonnent fonctionne mieux qu’une pyramide, disait-il. Mais ça nécessite qu’on réinvente l’ensemble des pratiques et des processus de décision. Il faut des structures, mais pas forcément des boss. »

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Un New Deal pour l’engagement des salariés

Des strates de manageurs sont supprimées, jusque dans les entreprises les plus classiques du monde industriel. Saint-Gobain a ainsi repensé son organisation à l’occasion du déménagement du siège, programmé pour le 1er trimestre 2020 dans une nouvelle tour de la Défense. « Pour améliorer le management, pour que la circulation de l’information soit plus fluide, nous avons supprimé trois niveaux hiérarchiques en 2019. Nous incitons les salariés à travailler en groupe », explique Régis Bluegeon, le DRH France du groupe industriel.

Retour de la « hiérarchie plate »

Les salariés ne s’y retrouvent pas toujours : « 67 % des manageurs estiment que depuis deux ans le management a évolué vers des méthodes plus collaboratives, mais seuls 44 % des salariés partagent cet avis », indique l’Observatoire du management dans son baromètre annuel paru le 11 octobre.

Les sciences cognitives s’invitent dans l’entreprise

Dans un monde professionnel où les repères se diluent, les cadres se forment aux neurosciences.

Par Publié aujourd’hui à 07h00

Temps de Lecture 4 min.

Article réservé aux abonnés

« Les neurosciences permettent de revisiter ou de valider des techniques que l’on connaissait déjà, comme les exercices d’entraînement mental, et d’identifier les biais cognitifs qui altèrent nos décisions. »
« Les neurosciences permettent de revisiter ou de valider des techniques que l’on connaissait déjà, comme les exercices d’entraînement mental, et d’identifier les biais cognitifs qui altèrent nos décisions. » Ingram / Photononstop

Un homme a retroussé son pantalon, dévoilant de sobres chaussettes grises. Sa voisine a défait les lacets de sa chaussure, les laissant effleurer le sol. En face, un homme a enfilé sa veste, mais en partie seulement : une manche retombe inerte le long de sa chemise. Ils se dévisagent, curieux : en quelques secondes, chacun a dû changer six éléments dans son apparence, et ensuite repérer les modifications opérées par son binôme.

Le changement le plus flagrant, néanmoins, se lit sur leurs visages. Lorsqu’ils ont franchi le seuil de l’Institute of NeuroCognitivism (INC), logé dans un immeuble haussmannien du 9e arrondissement parisien, les huit inscrits à la séance découverte « Mon cerveau et moi. Comprendre et changer le comportement humain grâce aux neurosciences » affichaient une mine sérieuse, voire affectée. Les voilà souriants et décontractés.

« Vous êtes passés de la gouvernance émotionnelle à la gouvernance adaptative. Vous arrêtez d’anticiper, vous êtes dans le moment présent, vous n’êtes pas inhibés. Vous n’avez plus le stress du résultat, vous allez plus vite », détaille l’animatrice, Sabrina Lefébure. Trois heures durant, elle initie les dirigeants, spécialistes en RH et coachs, aux différents territoires cérébraux qui gouvernent les comportements. Après avoir investi le terrain de l’éducation, les sciences cognitives s’invitent désormais dans l’entreprise.

Le crâne de Phineas Gage

Dirigeant d’une société de transport de colis exprès qu’il a fondée en 1993, François-Xavier a poussé la porte de l’INC à la suite des plaintes de son fils de 25 ans, qui vient de rejoindre la structure familiale : « Il m’a dit que j’étais nul en intelligence émotionnelle. J’ai voulu me former, et j’ai été séduit par l’approche neuroscientifique, ça a l’air concret, c’est plutôt sécurisant pour quelqu’un de ma génération. »

Christophe Ferragne s’est, lui, intéressé à l’approche neurocognitive et comportementale grâce à une certification qualifiante organisée par l’Ecole nationale des ponts et chaussées. Le directeur adjoint chargé des collectivités et de la prospective au Syndicat intercommunal d’énergies du département de la Loire repart de la formation satisfait – il invitera tout son encadrement supérieur à suivre les mêmes cours – et armé d’outils concrets : « Lorsque je suis dans le couloir avant d’entrer dans la salle pour une réunion publique ou stratégique, pendant dix ou quinze secondes, je fais le blanc autour de moi. Je ferme les yeux, je me concentre sur les différents bruits qui m’entourent, et sur mes sensations. Cela me permet d’appréhender une situation complexe en toute sérénité. »