Les écoles de commerce timidement investies dans la prévention du « management toxique »
Stress, burn-out, harcèlement, violence… Autant de problématiques rarement abordées en formation initiale dans les écoles de management. Certaines commencent à se positionner sur ces sujets.
Les risques psychosociaux au travail ? Amélie*, 23 ans, rit jaune. « Ce n’est pas quelque chose qu’on aborde dans le tronc commun de HEC », regrette cette jeune diplômée de l’école de management de Jouy-en-Josas (Yvelines). Stress, épuisement professionnel, harcèlement, violences : Amélie, qui dirige une équipe de trente personnes dans une start-up, n’a pas le souvenir d’y avoir été sensibilisée pendant sa scolarité, et le ressent comme un manque.
« On gagnerait à faire venir dans les amphis des personnes qui ont connu des burn-out, pour montrer comment un mauvais management peut détruire des vies. On pourrait aussi nous parler de la méditation, par exemple, et de ses bienfaits sur le stress. Elle qui accorde « une importance très forte à l’équilibre vie personnelle et professionnelle » dit y faire attention d’elle-même avec son équipe. « Mais, si on venait me parler de sexisme ou de harcèlement, je serais bien démunie sur la réponse à apporter. »
Un relais indispensable
Avec la numérisation de l’économie, les conditions de vie au travail n’ont cessé de muter au cours des dernières décennies, favorisant la croissance du mal-être au travail. De multiples enquêtes le prouvent. En 2017, 24 % des 30 000 salariés interrogés par le cabinet Stimulus présentaient un état d’« hyper-stress » et 52 % un « niveau élevé d’anxiété ». Avec des conséquences loin d’être anodines : dépression, troubles musculo-squelettiques, maladies cardio-vasculaires…
« La prévention des risques psychosociaux devrait être au cœur de la stratégie des écoles de management, mais c’est loin d’être le cas, déplore Marc Bonnet, professeur de management à l’IAE Lyon, auteur d’une étude sur la responsabilité des écoles de management pour améliorer la santé au travail. On y enseigne encore des méthodes de management pensées au début du XXe siècle et qui ne sont plus adaptées à la réalité de l’entreprise, sans donner aux étudiants les outils pertinents. »
Or, le manageur apparaît comme un relais indispensable dans l’entreprise pour la prévention des risques psychosociaux. Si ceux-ci peuvent être entraînés par une surcharge de travail, ils sont aussi liés à la question du sens que le salarié attribue à son rôle, à celle de la reconnaissance dont il bénéficie et à la manière dont il est dirigé. Autant de dimensions sur lesquelles le management influe fortement.
L’électrochoc France Télécom
« En termes de risques psychosociaux, notre pays est le mauvais élève européen », affirme Patrick Légeron, psychiatre, fondateur du cabinet Stimulus et coauteur en 2008 d’un rapport sur ce sujet pour le ministère du travail. « Alors que dès les années 1970 les pays du nord de l’Europe formulaient leurs premiers accords d’entreprise sur ces questions, en France, il a fallu attendre l’accord national interprofessionnel sur le stress au travail de 2008, indique le psychiatre. Le manque de formation sur ces sujets avait été pointé du doigt. Mais plus de dix ans plus tard, on est encore loin du compte. » Selon lui, les drames survenus à France Télécom – dont le procès des dirigeants s’est ouvert en mai 2019 – sont symptomatiques d’un certain « management toxique ». « Ce fut un électrochoc à l’époque. On a commencé à se rendre compte du prix humain d’années de mauvais management… »