Archive dans 2019

« Expliquer la raison d’être de l’entreprise, un récent manœuvre stratégique »

Le projet de loi Pacte est en lecture à l’Assemblée nationale.
Le projet de loi Pacte est en lecture à l’Assemblée nationale. Godong/robertharding / Photononstop

 « Le Cercle des entreprises à raison d’être » propose, une épistémologie de concertation et de conclusion pour mieux tenir les nouvelles éventualités offertes par la loi Pacte.

En encourageant les entreprises à s’afficher d’une « raison d’être » – pour celles qui le souhaitent –, la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) ouvre un espace original de partage d’enjeux stratégiques – dire où on va, comment on doit réaliser, et pour qui on travaille – au sein de l’organisation, et même à ses parties prenantes. L’exercice était modéré jusqu’à maintenant à « l’aristocratie » de l’entreprise, à ses cadres « éclairés », voire mesuré au monarque fondateur.

L’inspirateur du concept, Jean-Dominique Senard (alors patron de Michelin, actuellement de Renault), sollicite ses pairs lors de l’annonce de son rapport (« L’entreprise, objet d’intérêt collectif », voir lien PDF) en leur sollicitant s’ils osent souvent avouer que leur seul objectif est de « gagner du pognon ». Et de les défier en les invitant à informer leur apport à la société, à dire ouvertement quelle est leur mission et son rapport à l’intérêt collectif, à révéler la manière de faire, c’est-à-dire les valeurs mais aussi la ligne de partage de la valeur.

Le Cercle des entreprises à raison d’être s’est formé le 14 mars autour de praticiens de l’implication d’entreprise, d’associations comme Entreprise et progrès et le Centre des jeunes dirigeants (CJD), qui recommandent depuis longtemps une vocation sociétale assurée – le fameux « double projet » d’Antoine Riboud – pour collaborer à formaliser une méthode de réalisation et de suivi appropriée de la raison d’être, qui soit tout sauf un exercice de communication. On arrange déjà d’expertises qui ont fait leur témoignage à travers des pionniers comme Schneider Electric, qui a mis l’efficacité énergétique en tête de sa stratégie, comme Carrefour, qui se donne « la transition alimentaire » comme objectif, ou comme Veolia, qui a déterminé que « la gestion de la ressource renouvelable » était son champ d’expansion universelle.

Troisième étape politique

Leur point commun est de partir, première étape, d’une « vision » capable de satisfaire toutes les parties captivantes, comme la mobilité continue chez Michelin qui l’affecte à ses clients, à ses travailleurs et aux acteurs publics.

« La pauvreté des éventualités de dialogue dans les lieux travaille augmente aux frustrations des citoyens là où ils vivent »

Des conversations très limités et un pouvoir trop généralement levé sur les lieux de travail participent à la sensation de dépossession de la décision politique, observe Martin Richer, consultant en management.

Le samedi 26 janvier 2019, à Carbon-Blanc, à 15 km de Bordeaux, a eu lieu la première session du grand débat national, sur le thème de la fiscalité. Le débat de deux heures a été animé par trois médiateurs de l'ANM (Association nationale des médiateurs), au centre culturel de la commune, en présence du maire Alain Turby et d'une députée. Environ 70 habitants étaient présents, répartis autour de huit tables rondes, et ont été invités à répondre par écrit à 14 questions en remplissant des fiches thématiques. La méthode a été jugée trop procédurière par les habitants, laissant peu de place aux échanges verbaux et au débat. En réponse, le maire a pris l'engagement d'appliquer une autre méthode de travail pour les prochaines réunions.
Le samedi 26 janvier 2019, à Carbon-Blanc, à 15 km de Bordeaux, a eu lieu la première session du grand débat national, sur le thème de la fiscalité. La discussion de deux heures a été animée par trois médiateurs de l’ANM (Association nationale des médiateurs), au centre culturel de la commune, en présence du maire Alain Turby et d’une députée. Vers les 70 habitants étaient présents, répartis autour de huit tables rondes, et ont été invités à répondre par écrit à 14 questions en remplissant des fiches thématiques. La méthode a été jugée trop procédurière par les habitants, laissant peu de place aux échanges verbaux et au débat. En réponse, le maire a pris l’engagement d’appliquer une autre méthode de travail pour les prochaines réunions.

La crise des « gilets jaunes » et le déroulement du grand débat national nous confrontent une nouvelle fois aux empêchements de la délibération. La France est un pays dans lequel la délibération, c’est-à-dire un dialogue adouci et construit, ne va pas de soi. Les pénuries de la concertation au sein de la nation, des collectivités territoriales, mais aussi de l’entreprise, font système (« Délibérer en politique, participer au travail : répondre à la crise démocratique », Danielle Kaisergruber, Gilles-Laurent Rayssac, Martin Richer, rapport Terra Nova, 26 février).

La nécessité des possibilités de communication et de dialogue là où l’on travaille ajoute aux frustrations des citoyens là où ils vivent. Dans la vie politique comme dans l’entreprise, les termes sont trop souvent pris sans que les personnes qu’elles concernent ne se sentent effectivement compromises. Dans les deux cas, une culture de l’autorité fondée sur la hiérarchie et la verticalité prend fréquemment le pas sur une volonté partagée, fondée sur la compétence, la confiance et l’adhésion.

Dans son exposé, publié en 1982, Jean Auroux livrait la logique à l’origine des textes de loi qui portent son nom et qui tentaient à élargir les droits d’expression des salariés : « Citoyens dans la cité, les travailleurs doivent l’être aussi dans l’entreprise. » Le travailleur et le citoyen sont indissociablement liés et leurs attitudes s’affermissent réciproquement.

L’éloignement entre les citoyens et les politiques, les premiers considérant que les seconds ne les écoutent pas et ne vivent pas comme eux, trouve sa correspondance dans l’entreprise sous la forme d’une véritable crise de défiance entre dirigeants et salariés. Le 10e baromètre de la confiance du Cevipof (janvier) montre que 72 % des Français sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « l’économie actuelle profite aux patrons aux dépens de ceux qui travaillent ». En politique comme dans l’entreprise, la délibération réclame de la confiance.

La démocratie participative est actuellement plus une injonction qu’une pratique établie

Les enquêtes d’Eurofound, un organisation d’étude lié à la Commission européenne, exposent que la France est très mal installée dans la mise en place d’organisations du travail participatives (dénommées « high involvement working organizations »), c’est-à-dire des aménagements du travail qui dégagent aux salariés des espaces d’implication, de collaboration directe, de capacité d’influence et de décision sur leur travail, ce que certains indiquent par l’expression « entreprise libérée » ou par la notion de travail responsabilisant.

 

 

 

La MBA n’est plus favorisée des américains

Après des années d’accroissement, l’illustre formation de Master of Business Administration subit un désintéressement remarquable aux Etats-Unis, particulièrement de la part des étudiants étrangers, au profit de l’Asie et de l’Europe.Amy Nelson a vécu dans une petite ville perdue du Midwest, près de Saint-Louis (Missouri), éduquée seule par sa mère. Mais elle a abandonné l’Amérique profonde : après des études en Californie et un début de carrière dans des ONG, la jeune femme a fait un Master Business of Administration (MBA) à la prestigieuse New York University (NYU), à Manhattan, en 2011 et 2012.

Rêve américain

Amy Nelson exprime ce rêve américain que l’on dit moribond. Malgré cela, elle pousse un coup de gueule contre le système qui lui a autorisé de s’en sortir. Six ans après son diplôme, endettée à hauteur de 250 000 dollars (soit plus de 220 000 euros), elle s’en prend au système des MBA.

Bien sûr, elle a eu droit à une bourse la première année, de 40 000 dollars approximativement. Mais elle n’a pas réussi à le décrocher pour la seconde année, alors que les frais de scolarité sont de 70 000 dollars par an. Il a fallu payer le loyer à Brooklyn, la garde de ses deux enfants, qu’elle élevait seule à l’époque, et voilà comment elle s’est perçue serrée jusqu’au cou.

250 000 dollars, c’est énorme, mais pas rare. La carrière d’Amy Nelson a bien amélioré : entrée en 2013 avec un salaire de 90 000 dollars annuel dans une ONG de 35 salariés, Venture for America, qui aide les entrepreneurs à se jeter dans les zones désavantagées des Etats-Unis, comme Detroit et La Nouvelle-Orléans, elle en est changée directrice générale et touche 200 000 dollars par an.

Un rémunération important qui ne lui permet pas pour autant de payer sa dette et qui est sans commune mesure avec les salaires de ceux qui ont choisi la voie royale après les MBA, entrant chez Goldman Sachs (finance), McKinsey (stratégie), Procter & Gamble (marketing) ou Amazon (technologie), des entreprises qui recrutent sur les campus, quelquefois même avant la rentrée scolaire.

 

L’Ecole normale supérieur et le mouvement pour le climat

L’un des chefs du mouvement parisien de grèves scolaires nous montre comment il s’écarte de plus en plus de cette « société aliénante et basée sur la destruction de l’environnement ».

Antoine Soulas est à un carrefour. Devant lui s’ouvre la voie royale, qu’il trace depuis qu’il rêve, gamin, de faire de l’observation scientifique : le prodigieux lycée Montaigne de Bordeaux, l’illustre Ecole normale supérieure, un cursus de mathématiques, de physique et de philosophie qui devrait déboucher, espère-t-il, sur une thèse en cosmologie ou en informatique quantique. Et finalement un poste de chercheur.

A moins que le jeune homme de 22 ans, l’un des responsables du mouvement parisien de grèves scolaires pour le climat, n’emprunte un tout autre chemin, assurément moins battu et possiblement plus tortueux : « tout plaquer » pour vivre dans une communauté locale, autonome et résiliente, au plus près de la nature.

Ce retour aux origines, Antoine Soulas en caresse l’idée depuis quelques mois actuellement. Une « crise de sens » qu’il partage, assure-t-il, avec beaucoup d’autres amis. « On se bourre le crâne pendant nos études, pour découvrir un travail et surconsommer toute sa vie, déclare-t-il. La finalité qui nous est offerte, c’est de participer à une société troublante et basée sur la dégradation de l’environnement. »

Or le Bordelais, qui vit actuellement dans une capitale « étouffante », s’est toujours senti proche de la nature. Il s’appelle comme si c’était hier ce jour où ses parents, lui charpentier devenu architecte et elles factrice passée comptable, lui ont parlé du réchauffement climatique. Il avait 6 ans ; la conscience de la « gravité de la situation » ne l’a plus quitté depuis.

D’abord, Antoine Soulas a changé son mode de vie. Il ne prend plus l’avion, est végétarien, se nourrit par le biais d’une AMAP (association pour la conservation d’une agriculture de proximité), sélectionne des produits bio, si possible en vrac, et n’achète plus de textiles ni d’appareils électroménagers neufs. Il ne détient pas de smartphone qui, comme la voiture, « nous dispense de rencontrer des gens ».

Puis le jeune homme a entrepris de verdir son école. Transformé le président de l’association EcoCampus ENS de 2016 à 2017, il a mis en place un tri des déchets, érigé un potager et des ruches sur les toits et même conçu une centrale solaire qui sera installée à la fin de l’année. Convoitant s’engager encore davantage, à une échelle plus large, il est nommé trésorier du collectif des jeunes pour le pacte finance-climat, une initiative signée par 600 personnalités, qui propose particulièrement la création d’une banque européenne du climat.

 

Le salarié moderne « un nomade en éternelle migration

Dans un bureau de La Défense, à Paris.
Dans un bureau de La Défense, à Paris. @Carlos Ayesta

Sur un canapé, dans un TGV, dans un café : les agents du tertiaire œuvrent sans lieux fixes. En sont-ils plus libres ? Pas certainement, examine dans sa chronique le journaliste Nicolas Santolaria. Selon lui, le prix à renvoyer pour cette alléguée liberté est exorbitant.

Comme l’assure le philosophe Bruno Latour, nous sommes changés « des migrants de l’intérieur », pas seulement dans notre pays, mais aussi dans nos entreprises, dans nos open spaces, au cœur même de ce qui aménageait nos géographies intimement structurantes. « Si l’angoisse est si profonde, c’est parce que chacun d’entre nous commence à sentir le sol se dérober sous ses pieds. Nous découvrons plus ou moins obscurément que nous sommes tous en migration vers des territoires à redécouvrir et à réoccuper », écrit le philosophe dans Où atterrir ? (La Découverte, 2017).

Travail sous influence

Il n’est qu’à observer l’errance des salariés déambulant dans leur propre boîte à la recherche d’une salle de réunion ad hoc pour comprendre que c’est la sédentarité qui est actuellement devenue problématique. Afin de ne pas être délogé par les utilisateurs pressants de ces espaces mutualisés (« Ah désolé, mais on avait tempéré à 13 h 30 ! »), on en vient souvent à s’installer sur un coin de table à la cafétéria, comme des « Touareg du tertiaire ». D’une certaine manière, la métaphore du nomadisme qui structure aussitôt notre vision du travail sous influence numérique a trop bien fonctionné.

SELON le baromètre Paris Workplace 2018, exécuté par l’IFOP et la Société foncière lyonnaise, 34 % des salariés travaillent désormais au moins une fois par mois en dehors de leur boîte. A cette mobilité externe s’ajoute une mobilité interne, puisque 35 % des personnes interrogées ne restent pas fixées à leur poste, mais s’installent à deux endroits ou plus dans l’entreprise au cours d’une journée type. Entièrement adapté à la « société liquide », le nomade est cet individu qui, tel un agglomérat de 0 et de 1, n’est plus lié à un territoire mais peut se concrétiser, à tout instant, en n’importe quel point de la carte. Le nomade peut soudain apparaître sur la banquette d’un café Starbuck, derrière les canisses d’une paillote corse ou dans le fauteuil d’un TGV lancé à 300 km/h, continuant vaillamment à conduire de front ses activités professionnelles grâce à la portabilité des nouveaux outils de production.

Éternelle migration

Emprisonné à son MacBook Air, l’oreille connectée à son téléphone mobile, ce forçat du circuit de problèmes dessine les contours fatalement un peu flous (la faute à la vitesse) de ce que l’on nomme la « supermobilité ». L4essentielle figuration de cette « déterritorialisation » rendue possible par les outils numériques est sans doute l’agent Smith du film Matrix qui, surfant sur les coordonnées fluctuantes de la matrice, semble capable d’apparaître et de disparaître à l’envi, comme pour nous persuader que la matérialité du monde est un concept caduc.

Une présence de la Cour des comptes dans le débat sur l’assurance-chômage

Dans un message rendue officielle mercredi, la haute juridiction recommande de revoir les règles de rémunération pour les personnes qui sont inscrites à Pôle emploi et exercent par ailleurs une activité.
En plein débat sur la réforme de l’assurance-chômage, la Cour des comptes soutiens une participation qui va faire du bruit. Celle-ci se présente sous la forme d’une communication – un « référé », dans le jargon de la haute juridiction –, rendue publique mercredi 13 mars. Adressée au premier ministre, Edouard Philippe, elle formule des recommandations qui réunissent avec les objectifs du gouvernement : il s’agit, surtout, d’« assurer une meilleure équité de traitement » entre bénéficiaires d’une allocation et de réduire « l’enchaînement de contrats de très courte durée ». Pour arriver ces deux objectifs, des solutions sont indiquées, qui risquent fort de braquer les syndicats.

Dans leur recherche, les magistrats de la rue Cambon se sont attardés sur deux points importants du régime d’indemnisation des chômeurs. Primo : le système dit de « l’activité réduite », qui admet à une personne d’être inscrite à Pôle emploi, tout en ayant un poste, et de entasser (sous certaines conditions) un salaire avec une allocation. L’autre dispositif passé au crible par la Cour s’appelle les « droits rechargeables » : il donne la possibilité, à un solliciteur d’emploi, de reconstituer son capital de droits à indemnisation, chaque fois qu’il retravaille. Le but de ces deux règles, comme le rappelle le référé, est de « sécuriser les parcours » de personnes en situation précaire et de faire en sorte que celles-ci aient continuellement intérêt « à reprendre un emploi ».

Des conséquences perverses

Exclusivement, déplore la Cour, de telles dispositions créent parfois des effets pervers. Exemple : le salarié, qui occupe plusieurs emplois simultanément et qui en perd au moins un, peut distinguer la totalité de l’allocation « correspondant à l’emploi perdu » avec la rémunération issue des activités qu’il a conservées. Ce cas de figure est susceptible « de donner lieu à des abus », notamment parce que le montant de l’indemnisation reste ferme même si les revenus tirés des activités exercées progressent de leur côté.

Pour autant, tonalité la haute juridiction, les chômeurs ont une « connaissance limitée » de tous ces mécanismes et ceux qui en tirent partie, par le biais « de stratégies d’optimisation », constituent « une minorité ».

Autre critique de la Cour des comptes : les méthodes de rémunération sont « complexes » et « trop favorables » aux individus signataires d’un contrat de moins d’un mois. Elles proposent la faculté d’entasser un salaire et une prestation de l’assurance-chômage « sans limite de durée » – ce qui tend, du même coup, à enfermer la personne dans la précarité. En outre, l’allocation est basée sur un paramètre – le salaire journalier de référence – qui peut s’avérer plus avantageux pour ceux travaillant de façon fragmentée par rapport à d’autres, employés d’une manière continue.

Pour autant, nuance la haute juridiction, les chômeurs ont une « connaissance limitée » de tous ces mécanismes et ceux qui en attirent partie, par le biais « de stratégies d’optimisation », constituent « une minorité ». Reste que le régime donne à des principes touffus, encore plus difficiles à décoder depuis l’introduction, en 2014, des droits rechargeables. Ils sont source d’« inefficience » et d’« incapacité pour les allocataires ». Dès lors, ils appellent d’« harmoniser » la réglementation adéquate aux chômeurs en activité réduite, ce qui est de nature à remettre en cause le niveau de la prestation octroyée à des salariés mal payés (les assistantes maternelles, en particulier).

Les magistrats de la rue Cambon adressent par ailleurs des remontrances à Pôle emploi, qui propose un accompagnement « distant », voire « inexistant », pour les personnes en activité réduite. Son « offre de services (…) demeure inadaptée », regrette la Cour. De telles lacunes devront être corrigées, dans la convention que l’opérateur public est en train de commercer avec l’État et les partenaires sociaux.

Enfin, il y a une masse de données sur les « trajectoires professionnelles » des chômeurs : fichiers de Pôle emploi, proclamation antérieur à l’embauche, proclamation sociale nominative… Mais toutes ces indications ne sont pas assez unies et croisées, ce « qui limite la capacité d’évaluation ». Ils appellent de les échanger de façon « plus large et plus systématique », afin d’étudier les transformations du marché du travail et l’impact des « politiques d’indemnisation ».

Autant de recommandations qui tombent à point dénommé pour l’exécutif : elles vont dans le sens des transmutations qu’il entend dicter à l’assurance-chômage, après l’échec des négociations entre le patronat et les syndicats, sur ce dossier, en février. Une concertation a été engagée, il y a deux semaines, avec de multiples acteurs (parlementaires, associations, clubs d’entrepreneurs, partenaires sociaux…). Elle ouvrira sur des mesures qui nécessiteraient être publiées durant le printemps pour une mise en œuvre d’ici à l’été prochain.

Une forte présence des clubs d’anciens des grandes écoles

Illustration : Quentin Faucompré

A l’Insead, l’association des «alumni »  arrange des meetings  ou des « dîners mystère » durant lesquels un ancien convoque chez lui d’autres diplômés inconnus. A l’heure de LinkedIn, la puissance de ces associations ne semble pas remise en cause.

Paris 7e, 20 heures pétantes, prêt de la tour Eiffel. Rory Wheeler et sa femme ont passé l’après-midi à cuisiner. Le jeune couple est un peu tendu : ce samedi de février, ils ont invité à dîner dans leur appartement quatre personnes qu’ils n’ont jamais aperçues. A part les noms et les adresses courriel des convives, envoyés par l’Association des anciens élèves de l’Institut européen d’administration des affaires (Insead), ils ne savent rien d’eux. Leur point commun : être diplômés de ce business school très célèbre cachée dans la forêt de Fontainebleau (Seine-et-Marne), qui a enseigné des générations de cadres dirigeants.

Aimeront-ils le poulet rôti sauce aigre-douce, le côtes-du-rhône ? « Quand ils ont su qu’on recevait des inconnus, mes beaux-parents, qui ont passé l’après-midi à la maison, nous ont examinés comme des extraterrestres », plaisante Rory, 33 ans. Tout le monde arrive à l’heure. On installe les invités, âgés de 28 à 69 ans, qui font des métiers très différents : ancien assistant parlementaire en recherche d’emploi, journaliste, créatrice d’une entreprise dans l’événementiel et docteur en physique des matériaux.

Tous s’étaient inscrits pour collaborer à un random dinner (« dîner mystère »), une initiative de l’association des anciens. Depuis le début de l’année, vingt-six dîners ont déjà eu lieu, dont deux à Lyon. « Assez vite, on a échangé des idées, parlé de politique, d’entrepreneuriat, évoque Rory. C’était très festif. Nous avons passé une bonne soirée et nous le referons. » Ils s’abandonnent en se promettant de rester en contact.

Les « bonnes » personnes

Pourquoi préparer à manger pour des inconnus ? « C’est du réseautage », dit Rory Wheeler. Rien de plus normal dans ce monde des très grandes écoles, qui dissolvent particulièrement leur pouvoir sur ces liens. Lorsqu’il s’est inscrit dans le Master of Business Administration (MBA) de l’Insead, Rory venait y chercher ce qui manquait à sa carrière : un carnet d’adresses. Originaire du Zimbabwe, passé par une fac de droit, à Toulouse, il n’éprouvait qu’une personne lorsqu’il a débarqué à Paris pour passer l’examen d’entrée à l’école d’avocats. Epuisé par le rythme abusif du cabinet dans lequel il travaille toujours, il a décidé il y a deux ans de reprendre les études à Fontainebleau – et convaincu sa hiérarchie de prendre une partie des frais de scolarité (80 000 euros) à sa charge. « Avant l’Insead, j’ai eu un mal fou à rencontrer les “bonnes” personnes, c’est-à-dire les grands cadres dirigeants. Ils étaient inabordables, je ne les voyais même pas. »

La fiche de renseignement peine à convaincre sur Parcoursup

Prénom, nom, adresse et âge des candidats ne figure plus. Mais la mention du lycée des candidats est conservée, renonçant perdurer les craintes de discriminations.

Le ministère de l’enseignement supérieur l’assume : il s’agit d’une mesure destinée avant tout à apaiser l’inquiétude. En 2019, le prénom, le nom, l’adresse et l’âge des candidats à l’enseignement supérieur n’apparaîtront plus sur Parcoursup quand les responsables des formations examineront leurs dossiers. Des lycéens, particulièrement de banlieue parisienne, ont révoqué en 2018 les discriminations dont ils s’estimaient victimes sur la nouvelle plate-forme d’admission dans le supérieur.

Pour les lycéens qui nécessitent boucler jeudi 14 mars la liste de leurs vœux d’orientation, cette mesure est en effet loin de bouleverser le processus de recrutement des formations. « C’est une mesure symbolique, qui n’aura pas beaucoup d’effet, estime ainsi Frédéric Dardel, président de l’université Paris-Descartes. On ne prenait déjà pas en compte ces quatre données personnelles dans l’examen des candidatures. »

Le constat est amplement partagé dans les autres filières d’enseignement supérieur, excepté dans les formations qui ont besoin de certains de ces éléments pour considérer les dossiers. Le ministère prévoit, pour elles, trois « exceptions » : les lycées avec internat, qui doivent regarder la distance entre le domicile et la formation ; les formations en apprentissage, qui accompagnent de futurs étudiants pour trouver leur employeur ; et enfin celles qui mobilisent sur concours ou entretien, et ont besoin d’envoyer des convocations nominatives, soit 15 % des formations.

Seconde limite à cette anonymisation, les appréciations des enseignants sur les bulletins de notes et les pièces justificatives extrascolaires poursuivront à faire apparaître parfois ces données personnelles, techniquement très compliquées à effacer.

« Inégalités entre les lycées »

Il n’empêche, la mesure a été récemment accueillie dans les classes préparatoires aux grandes écoles, dont les délégués se sont fendus d’une tribune dans la presse pour marquer leur opposition.

« Cette anonymisation laisse penser que les noms et prénoms ont pu un jour être pris en compte pour distinguer, analyse Jean Bastianelli, à la tête de l’Association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux grandes écoles. C’est pénible qu’on puisse imaginer cela des recruteurs de l’enseignement supérieur. »

Entre les enseignants du secondaire, la mesure peine aussi à persuader. « Ce geste va dans le bon sens, mais chez certains lycéens, la défiance est telle que ce ne sera sans doute pas suffisant », jauge Florent Ternisien d’Ouville, professeur d’histoire à Bondy (Seine-Saint-Denis) et membre du SGEN-CFDT. Pour lui, on passe une fois encore à côté des vraies questions, notamment celle « des différences entre les lycées ».

Les obligations familiales s’exhortent au bureau aux USA

Aux Etats-Unis, « seulement 24% des responsables des ressources humaines estiment que ces activités d’« aidants » affectent les performances des salariés ».
Aux Etats-Unis, « seulement 24% des responsables des ressources humaines estiment que ces activités d’« aidants » affectent les performances des salariés ». Alain Le Bot / Photononstop / Alain Le Bot / Photononstop

En France, l’offre de loi sur l’exploration des proches aidants en vote au Sénat mercredi 13 mars a assimilé le sujet à la contestation collective, de l’autre côté de l’Atlantique, les entreprises n’ont pas captivé leur prise de conscience. Or près de trois travailleurs sur quatre ont des inculpations d’« aidants » d’un proche, selon une recherche de la Harvard Business School.

Rui Soares, 45 ans, consultant du cabinet d’audit américain Deloitte, n’a pas voulu prendre tous ses permissions à la naissance de sa fille, Fedelina. Il s’est rassuré de deux semaines. Mais quand quelques années plus tard, est né son fils, Christiano, la politique familiale de Deloitte avait transformé.

Depuis septembre 2016, les travailleurs du groupe ont le droit d’avoir seize semaines de congés payés pour se consacrer de leurs proches: faire connaissance avec leur nouvel enfant, aider une épouse malade, soutenir un parent âgé… M. Soares en a parlé avec un collègue, lui aussi père de famille. « Ne pense même pas à ne pas prendre l’ensemble de tes congés » lui a-t-il persuadé. M. Soares est parti pendant seize semaines, quatre mois durant lesquels il a mis au lit son bébé, changé les couches, aller avec  sa fille à l’école, coupé des sandwichs en forme d’étoiles pour Fedelina. Puis il est revenu au bureau, plein d’énergie, et reconnaissant envers Deloitte.

Cet épisode heureux dans la vie d’un salarié américain, est plutôt rare. Car peu d’entreprises proposent à leurs troupes ce type d’arrangements. Et pire encore, elles ne savent même pas que leurs employés en ont besoin. C’est ce qu’explique l’étude « L’entreprise aidante [The Caring Company]», réalisée par deux professeurs de la Harvard Business School, Joseph Fuller et Manjari Raman, à partir d’une étude mené auprès de 1500 salariés et une enquête engageant 300 services de ressources humaines et des patrons de PME. « Les entreprises sont confrontées à une crise de l’aide. Et elles refusent de le reconnaître », terminent les deux chercheurs.

Un accroissement du turn-over

Malgré cela, les besoins méconnus présentent vraiment: 72% des salariés questionnés ont été en situation d’« aidants » d’un proche à un instant ou un autre de leur vie professionnelle. Une enfant malade, une grand-mère qui perd la tête… et c’est tout le contrebalance entre vie au bureau et vie particulière qui s’écroule. Trente-deux pour cent des sondés ont ainsi écarté leur emploi pour tenir un proche. Et pour ceux qui n’ont pas atteindre ces extrémités, leur travail en a été affecté : 80% des salariés aidants avouent ne pas s’accomplir totalement au bureau et 28% sont persuadés que leur carrière en a pâti. Les intéressés n’ont pas eu les promotions engagées (50%) et leur chef ne leur a pas donné les missions les plus captivantes (54%).

Ce fait touche tout le monde. Les femmes, qui bloquent leur carrière pour se servir de leurs jeunes enfants, mais aussi les hommes, les plus anciens comme les plus jeunes. Dans cette condition, les 26-35 ans ont plus tendance à quitter leur emploi, accentuent les professeurs de la Harvard Business School.

Un vaccin contre mauvais directeur

« Les subordonnés de dirigeants qui n’hésitent pas à les rendre responsable de fautes qu’ils n’ont pas commises, agissent ainsi de la même façon avec leurs employés quand ils sont manageurs. »
« Les subordonnés de dirigeants qui n’hésitent pas à les rendre responsable de fautes qu’ils n’ont pas commises, agissent ainsi de la même façon avec leurs employés quand ils sont manageurs. » Klaus Meinhardt/Ikon Images / Photononstop

Les employés de patrons rudes éprouvent plus d’avoir une crise cardiaque. Les déceptions étant que ceux qui combattent aux conduites fâcheux de leur hiérarchie s’en sortent souvent en se reprisant sur leurs propres subordonnés.

Les mauvais directeurs sont légion. Trente-sept pour cent des Américains ont affirmé avoir été l’objet de conduites violentes, des alarmes de la part de leur responsable, selon une étude, accomplie en 2007 auprès de 8 000 adultes. Avec pour suite une quantité d’erreurs accru en raison du stress, un augmentation des arrêts maladies, et bien sûr une insensibilité graduel pour leur travail.

Une étude du même type accomplie en Angleterre, auprès de 6 000 agents a démontré que les employés de patrons hypercritiques, lointains, ou au contraire trop interventionnistes risquaient davantage d’avoir une crise cardiaque souvent mortelle.

Diantre ! Cette situation n’est guère réjouissante. Mais elle se corse davantage lorsque l’on sait que ceux qui résistent à ces comportements fâcheux s’en sortent souvent en se vengeant sur leurs propres inférieurs, à l’instar des enfants de parents tourmenteurs qui imitent ce qu’ils ont subi sur leur descendance. Les subordonnés de dirigeants qui n’hésitent pas à s’approprier leurs idées, ou à les rendre responsable de fautes qu’ils n’ont pas commises, réalisent ainsi de la même façon avec leurs employés quand ils sont manageurs.

Ce fait de contagion est profond. Il se reflète sur au moins trois niveaux hiérarchiques, selon une œuvre d’examen amené par des experts en psychologie de plusieurs universités américaines et publié en 2012 dans Personnel Psychology. Les dégâts se propagent donc en cascade avec tous les effets délétères que l’on peut imaginer, auprès tant des individus intéressés que de leurs entreprises.

Soutenir son chef à distance

Fort avantageusement, il serait éventuel de se accoutumer contre ce fléau. Une équipe de cinq chercheurs en canalisation d’universités américaines, singapourienne, et anglaise ont cherché à savoir pourquoi et comment certains assistants de patrons abusifs parvenaient à ne pas être contaminés.

Après plusieurs pratiques, ils ont exécuté que les individus qui arrivaient à soutenir psychologiquement leur chef à distance, à ne pas s’identifier à lui, non seulement n’étaient pas atteints, mais se saisissaient de façon plus éthique auprès de leurs subordonnés, que leurs collègues qui n’avaient pas eu le malheur de soutenir des dirigeants maltraitants.

En d’autres termes, avoir eu un mauvais directeur les aurait rendus meilleurs. Une étude effectuée auprès de 500 salariés de diverses entreprises indiennes a certifié ces résultats. Avoir un mauvais boss augmente de 12 % les chances d’être habile de le tenir à distance, et donc d’être un meilleur manageur.